Cherchons cependant si ce que les philosophes grecs nomment asomatos, c’est-à-dire incorporel, se trouve sous un autre terme dans les saintes Écritures. Il faut se demander comment comprendre Dieu lui-même, s’il est corporel et possède une forme extérieure suivant un certain état, ou s’il est d’une autre sorte que les corps : cela n’est pas indiqué clairement dans notre prédication. On se posera les mêmes questions au sujet du Christ et du Saint Esprit, et même de toute âme et de toute nature raisonnable. Traité des Principes: Préface
Après avoir réfuté, comme nous l’avons pu, toute signification qui suggère en Dieu quelque chose de corporel, nous disons en toute vérité que Dieu est incompréhensible et qu’il est impossible de le penser. Si nous pouvons penser ou comprendre quelque chose de Dieu, il faut croire qu’il est de très loin au-dessus de ce que nous jugeons de lui. C’est comme si quelqu’un pouvait à grand peine regarder une étincelle ou la lueur d’une petite lampe, et si nous voulions apprendre à cet homme, dont le regard ne peut pas supporter plus de clarté que ce que nous venons de dire, l’éclat et la splendeur du soleil : ne faudrait-il pas lui dire que l’éclat du soleil dépasse de façon ineffable et inestimable la lumière qu’il voit ? Pareillement notre intelligence, enfermée dans les barrières de la chair et du sang, rendue plus hébétée et plus obtuse par sa participation à une telle matière, bien qu’elle dépasse de loin la nature corporelle, lorsqu’elle s’efforce cependant de comprendre les réalités incorporelles et qu’elle en cherche l’intuition, peut être à grand peine comparée à une étincelle ou à une lampe. Qu’y a-t-il parmi les êtres intellectuels, c’est-à-dire incorporels, qui l’emporte autant sur tous, qui les dépasse d’une manière aussi ineffable et inestimable, si ce n’est Dieu ? Le regard de l’intelligence humaine ne peut absolument pas apercevoir ni contempler sa nature, même s’il s’agit d’une intelligence très pure et très limpide. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section
Il ne faut pas se représenter Dieu comme s’il était un corps ou comme s’il était dans un corps, mais comme une nature intellectuelle simple, qui ne souffre absolument aucun ajout : ne croyons pas qu’il y ait en lui du plus ou du moins, car il est entièrement une monade, et, pour ainsi parler, une hénade, une intelligence qui est la source d’où procède toute nature intellectuelle ou toute intelligence. Pour se mouvoir et pour agir, l’intelligence n’a pas besoin de lieu corporel, ni de grandeur sensible, ni de figure corporelle, ni de couleur, ni absolument de rien qui soit propre au corps et à la matière. C’est pourquoi cette nature simple, tout entière intelligence, pour se mouvoir et agir, ne peut rien avoir qui la retarde ou la fasse hésiter. S’il en était autrement, ce qui lui serait ajouté limiterait et inhiberait en quelque façon la simplicité de la nature divine : ce qui est le principe de toutes choses serait composé et divers, multiple et non un; il importe en effet qu’il soit étranger à toute adjonction corporelle pour être constitué seulement par ce que je pourrais appeler l’espèce unique de la divinité. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section
Ne pensons pas cependant qu’en appelant le Christ Sagesse de Dieu nous le traitons comme un être sans substance : comme si, pour prendre un exemple, nous n’en faisions pas un être animé sage, mais une sorte de chose qui rendrait sage, en se présentant et en pénétrant dans les intelligences de ceux qui sont devenus capables de recevoir les facultés et la compréhension qu’elle donne. S’il est admis une fois pour toutes que le Fils unique de Dieu est sa Sagesse subsistant de manière substantielle, je ne crois pas que notre pensée pourra désormais s’égarer à soupçonner que son hypostase, c’est-à-dire sa substance, ait quelque chose de corporel, puisque tout ce qui est corporel est déterminé par sa forme, sa couleur et sa grandeur. Qui rechercherait dans la Sagesse, à moins d’être fou, par le fait même qu’elle est sagesse, forme, couleur ou dimensions mesurables ? Comment peut-on penser et croire, si on veut savoir et penser pieusement de Dieu, que Dieu le Père ait jamais été, même un petit moment, sans engendrer cette Sagesse ? Ou l’on dira que Dieu n’a pas pu engendrer cette Sagesse avant qu’il l’ait engendrée, de sorte qu’il a mis au monde ensuite ce qui n’existait pas auparavant, ou bien qu’il pouvait, certes, l’engendrer, mais, supposition qu’on ne doit pas faire, qu’il ne le voulait pas. Car l’une et l’autre hypothèses sont absurdes et impies, cela est clair, qu’on imagine qu’il ait progressé de l’impuissance à la puissance, ou que, pouvant le faire, il ait négligé et différé d’engendrer la Sagesse. C’est pourquoi nous savons que Dieu est toujours le Père de son Fils unique, né de lui, tenant de lui ce qu’il est, sans aucun commencement cependant, qu’il s’agisse d’un commencement temporel, et même d’un commencement de raison, que l’intelligence seule peut considérer en elle-même et examiner dans sa compréhension nue, pour ainsi dire, et dans sa pensée. Il faut donc croire que la Sagesse a été engendrée sans aucun commencement qu’on puisse affirmer ou penser. Dans cet être subsistant de la Sagesse était virtuellement présente et formée toute la création future, que ce soit les êtres qui existent en premier lieu, que ce soit les réalités accidentelles et accessoires, tout cela préformé et disposé en vertu de la prescience. A cause de ces créatures qui étaient en elle comme dessinées et préfigurées, la Sagesse dit par la bouche de Salomon qu’elle a été créée comme principe de ses voies, car elle contient en elle-même les principes, les raisons et les espèces de toute la création. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section
Tout ce que nous avons dit de la Sagesse de Dieu s’applique et s’entend aussi quand nous disons que le Fils de Dieu est Vie, Parole, Vérité, Voie, Résurrection : tous ces termes concernent ses oeuvres et ses puissances, et aucun d’eux ne permet de comprendre, même de façon fugitive, quelque chose de corporel, comme le seraient la grandeur, la forme ou la couleur. Certes, chez nous, les enfants des hommes ou les petits des autres animaux correspondent à la semence des pères qui les ont engendrés et des mères qui les ont formés et nourris dans leurs entrailles, tenant d’eux tout ce qu’ils possèdent en venant au jour et tout ce qu’ils emportent dans leur croissance. Cependant il n’est pas admissible de comparer Dieu le Père dans la génération de son Fils unique, quand il lui donne l’être, à un homme ou à un animal qui engendre. Mais il faut que cela ait lieu autrement, de manière digne de Dieu, car absolument rien ne peut lui être comparé, non seulement dans la réalité, mais même en pensée, afin que l’homme puisse concevoir comment le Dieu inengendré devient père du Fils unique. Cette génération éternelle et perpétuelle est comme celle du rayonnement engendré par la lumière. En effet le Fils ne devient pas tel du dehors, par l’adoption de l’Esprit, mais il est Fils par nature. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section
Le Fils en effet est la Parole, et pour cela il ne faut rien entendre de sensible en lui ; il est la Sagesse, et dans la Sagesse il n’y a rien de corporel à soupçonner; il est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, mais il n’a rien de commun avec la lumière de notre soleil. Notre Sauveur est donc l’image du Dieu invisible, le Père : en relation avec le Père il est Vérité ; en relation à nous, à qui il révèle le Père, il est l’image par laquelle nous connaissons le Père que personne d’autre ne connaît si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. Il révèle par le fait d’être lui-même compris. Dès qu’il est lui-même compris, le Père est en conséquence compris lui aussi, selon ce que le Christ a dit : Qui m’a vu a vu aussi le Père. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section
Quelques-uns de nos prédécesseurs ont observé à propos du Nouveau Testament que partout où l’esprit est nommé sans un adjectif désignant quel est cet esprit, il faut entendre l’Esprit Saint. Ainsi : Le fruit de l’Esprit est la charité, la joie, la paix, etc. De même : Alors que vous avez commencé dans l’Esprit, vous achevez maintenant dans la chair. Nous pensons que cette distinction peut être aussi appliquée à l’Ancien Testament. Par exemple : Celui qui donne l’Esprit au peuple qui est sur terre et l’Esprit à ceux qui la foulent. Sans aucun doute celui qui foule aux pieds la terre, c’est-à-dire le terrestre et le corporel, participe à l’Esprit Saint, le recevant de Dieu. Un savant hébreu disait qu’il fallait entendre du Fils unique et de l’Esprit Saint les deux Séraphins qu’Isaïe décrit avec six ailes et qui se crient l’un à l’autre : Saint, Saint, Saint, le Seigneur Sabaoth. Nous pensons qu’il faut de même appliquer au Christ et à l’Esprit Saint ce qui est dit dans le cantique d’Habacuc : Au milieu des deux vivants – ou des deux vies -, lu seras connu. Toute la science venant du Père, par la révélation du Fils, est connue dans l’Esprit Saint, de sorte que l’un et l’autre, appelés par le prophète des vivants ou des vies, sont causes de la science de Dieu le Père. Comme il est dit du Fils que personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler, l’Apôtre parle de même du Saint Esprit : Dieu nous a révélé par son Esprit : car l’Esprit scrute tout, même les profondeurs de Dieu. Mais de même dans l’Évangile, le Sauveur, mentionnant les doctrines divines les plus profondes que ne pouvaient encore saisir ses disciples, dit aux apôtres : J’ai encore beaucoup à vous dire mais vous ne pouvez pas encore le comprendre; lorsque sera venu le Paraclet, l’Esprit Saint, qui procède du Père, il vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. Il faut donc penser que comme le Fils, qui seul connaît le Père, le révèle à qui il veut, le Saint Esprit, qui est seul à scruter jusqu’aux profondeurs de Dieu, révèle Dieu à qui il veut. Car l’Esprit souffle où il veut. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section
Puisque Paul dit qu’il y a des réalités visibles et temporelles et d’autres en outre invisibles et éternelles, nous cherchons comment celles qui se voient sont temporelles : est-ce parce qu’elles n’existeront absolument plus dans toute l’étendue des siècles à venir, où la dispersion et la division de l’unique commencement seront réintégrées dans une seule et unique fin et ressemblance, ou parce que la forme extérieure des réalités visibles passera sans que de toute façon leur substance soit corrompue ? Paul paraît confirmer la seconde solution quand il dit : La forme extérieure de ce monde passera. Mais David semble montrer la même chose en ces termes : Les deux périront, mais toi tu resteras : tous s’useront comme un vêtement et tu les changeras comme un manteau, comme on change de vêtement. Si les cieux seront changés, ce qui est changé assurément ne périt pas ; et si la forme extérieure de ce monde passe, il n’y a pas là une destruction complète, ni une perte de substance matérielle, mais une certaine mutation de qualité et transformation de forme extérieure. Lorsque Isaïe dit prophétiquement qu’il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle, il suggère sans aucun doute une interprétation analogue. Car la rénovation du ciel et de la terre, le changement de la forme extérieure de ce monde, la transformation des cieux, sont préparés sans aucun doute pour ceux qui cheminent sur cette Voie que nous avons montrée plus haut et tendent vers la fin bienheureuse, dans laquelle les ennemis seront soumis, dit l’Écriture, et Dieu sera tout en tous. Si quelqu’un pense que dans cette fin la nature matérielle, c’est-à-dire corporelle, périra entièrement, il m’est absolument impossible de concevoir comment de si nombreux et si grands êtres substantiels pourraient vivre et subsister sans corps, alors que c’est un privilège de la nature de Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, qu’on puisse comprendre leur existence sans substance matérielle et sans l’association d’un ajout corporel. Un autre dira peut-être que dans cette fin la substance corporelle sera si limpide et si purifiée qu’on peut la comprendre à la manière de l’éther, comme possédant une pureté et une limpidité célestes. Comment les choses se passeront, seul Dieu le sait avec certitude, et ceux qui sont ses amis par le Christ et par l’Esprit Saint. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section
Toutes les âmes, toutes les natures raisonnables, ont été faites ou créées, qu’elles soient saintes ou mauvaises. Toutes, de leur nature propre, sont incorporelles : bien qu’elles soient telles, elles n’en ont pas moins été créées. En effet tout a été fait par Dieu par le moyen du Christ, comme Jean l’enseigne dans son évangile de la manière la plus générale : Dans le Principe était la Parole et la Parole était auprès de Dieu et la Parole était Dieu. Elle était dans le Principe auprès de Dieu. Tout a été fait par elle et sans elle rien n’a été fait. Décrivant tout ce qui a été fait suivant les espèces, les nombres et les ordres, l’apôtre Paul s’exprime ainsi pour montrer que tout a été fait par le moyen du Christ : Et tout a été créé en lui, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre, le visible et l’invisible, que ce soit les Trônes, les Dominations, les Principautés et les Puissances, tout a été créé par son intermédiaire et en lui, et il est lui-même avant tous, il est lui-même la tête. Il affirme donc clairement que tout a été fait et créé dans le Christ et par le moyen du Christ, que ce soit le visible qui est le corporel, que ce soit l’invisible, c’est-à-dire à mon avis les puissances incorporelles et substantielles. Ensuite, à ce qu’il me semble, il énumère les espèces des êtres qu’il avait déclarés en général corporels ou incorporels, c’est-à-dire les Trônes, Dominations, Principautés, Puissances, Vertus. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Cependant ceux qui pensent que les créatures raisonnables peuvent vivre sans corps peuvent ici faire quelques difficultés. S’il est vrai que ce qui est corruptible revêtira l’incorruption et ce qui est mortel l’immortalité, et que la mort sera absorbée à la fin, cela ne veut pas dire autre chose que la destruction complète de la nature matérielle, sur laquelle la mort pouvait avoir une certaine action, puisque l’acuité intellectuelle de ceux qui sont dans le corps semble émoussée par la nature de la matière corporelle. S’ils sont dépouillés du corps, ils échapperont aux embarras causés par ce genre de troubles. Mais parce qu’ils ne peuvent pas être débarrassés d’un seul coup de tout revêtement corporel, on pense qu’ils doivent d’abord demeurer dans des corps plus subtils et plus purs, qui ne peuvent plus désormais être vaincus par la mort ni blessés par l’aiguillon de la mort : ainsi, la nature matérielle s’amenuisant progressivement, la mort sera absorbée et finalement détruite et son aiguillon sera complètement émoussé par la grâce divine dont l’âme est devenue capable, méritant d’obtenir l’incorruption et l’immortalité. Et alors tous diront avec raison : Où est, mort, ta victoire ? Où est, mort, ton aiguillon ? Car l’aiguillon de la mort est le péché. Si tout cela paraît bien raisonné, il nous reste à croire qu’un jour nous serons dans un état incorporel. Si cela est accepté et s’il est dit que tous seront soumis au Christ, il faut que cette assertion soit appliquée à tous ceux à qui s’étend la soumission au Christ, parce que tous ceux qui sont soumis au Christ seront aussi soumis à la fin à Dieu le Père, à qui, selon l’Écriture, le Christ transmettra le royaume, et il paraît ainsi que cessera alors l’usage des corps. S’il cesse, il revient dans le néant où il était auparavant. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes
Mais puisque parfois les défenseurs de cette hérésie ont coutume de tromper par des sophismes captieux les coeurs des plus simples, je ne crois pas absurde d’exposer leurs raisonnements habituels pour réfuter leurs tromperies et leurs mensonges. Ils disent donc : il est écrit : Dieu personne ne l’a vu. Or ce Dieu que Moïse a prêché, Moïse l’a vu, et avant lui les patriarches. Mais celui qu’annonce le Sauveur, personne absolument ne l’a vu. Demandons-leur donc si celui qu’ils reconnaissent Dieu et qu’ils disent autre que le Dieu créateur, ils le croient visible ou invisible. S’ils le disent visible, d’une part on leur reprochera de contredire l’affirmation de l’Écriture qui appelle le Sauveur l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature, d’autre part et surtout de tomber dans l’absurdité en disant Dieu corporel. Car rien ne peut être vu sinon par sa forme, grandeur et couleur qui sont le propre des corps. Et si on déclare que Dieu est corps, puisque tout corps est fait de matière, en conséquence Dieu est fait de matière ; s’il est fait de matière, puisque sans aucun doute la matière est corruptible, Dieu sera donc selon eux corruptible. Nous leur demanderons de nouveau : La matière a-t-elle été faite ou est-elle incréée, c’est-à-dire non faite ? S’ils disent qu’elle n’a pas été faite, c’est-à-dire qu’elle est incréée, nous leur poserons cette question : Dieu est-il une partie de la matière et le monde aussi une partie ? S’ils répondent que la matière a été faite, il s’ensuit sans aucun doute qu’ils reconnaissent comme fait celui qu’ils disent Dieu : ce qu’assurément n’admettent ni leur doctrine ni la nôtre. Traité des Principes: Livre II: Premier traité (II, 4-5): Première section
Nous, de notre côté, nous pensons que toute créature raisonnable peut participer à lui comme à la Sagesse de Dieu et à la Parole de Dieu, sans qu’on puisse faire de différence. Je vois cependant que la principale descente du Saint Esprit sur les hommes s’est produite, selon l’Écriture, plutôt après l’ascension du Christ au ciel qu’avant la venue de ce dernier. Auparavant, l’Esprit Saint était donné aux seuls prophètes et au petit nombre de ceux du peuple saint qui l’avaient mérité. Après la venue du Sauveur fut accompli selon l’Écriture ce qui avait été dit par le prophète Joël : Il arrivera dans les derniers jours que je répandrai de mon Esprit sur toute chair et qu’ils prophétiseront; dans le même sens il est écrit : Toutes les nations le serviront. Donc par la grâce de l’Esprit Saint, avec bien d’autres vérités très nombreuses, on a vu se manifester de la façon la plus magnifique le fait suivant : ce qui est écrit dans les prophètes et dans la loi de Moïse, autrefois un petit nombre, les prophètes eux-mêmes et à peine quelques personnages de tout le peuple, pouvaient en dépasser la compréhension corporelle et en percevoir une signification plus haute, c’est-à-dire comprendre un peu spirituellement la loi et les prophètes ; mais maintenant il y a des foules innombrables de croyants qui, sans pouvoir cependant tous expliquer de façon ordonnée et claire la logique de la compréhension spirituelle, sont cependant tous à peu près persuadés qu’on ne doit pas prendre au sens corporel la circoncision, ni le repos du sabbat, ni l’effusion du sang des bestiaux, et que ce n’est pas à ce sujet que Dieu a répondu à Moïse. Il n’est pas douteux que ce sens est suggéré à tous par la puissance du Saint-Esprit. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 7): Section unique
Mais quelqu’un nous objectera peut-être, sur un point que nous avons déjà mentionné dans notre exposé : Comment est-il parlé d’une anthropomorphismes âme de Dieu ? Nous lui répondrons ce qui suit : Tout ce qui est attribué à Dieu de corporel, doigts, mains, bras, yeux, bouche, pieds, ne désigne pas selon nous des membres humains, mais certaines facultés de Dieu sous ces appellations de membres corporels ; il faut penser de même que quelque chose d’autre est indiqué par cette appellation d’âme de Dieu. Si nous pouvons nous permettre l’audace de parler encore sur un tel sujet, on peut entendre peut-être par âme de Dieu son Fils unique. En effet, de même que l’âme, insérée par tout le corps, fait tout mouvoir, opère et accomplit toutes choses, de même le Fils unique de Dieu, sa Parole et sa Sagesse, atteint et parvient à toute la puissance de Dieu, car il y est inséré. Et c’est peut-être pour indiquer ce mystère que, dans les Écritures, Dieu est représenté ou décrit comme un corps. Il faut, certes, examiner si on ne peut pas encore comprendre le Fils unique comme l’âme de Dieu parce qu’il est venu lui-même dans ce lieu d’affliction et qu’il est descendu dans cette vallée de larmes, dans le lieu de notre humiliation, comme dit le psaume : Parce que tu nous as humiliés dans le lieu d’affliction. Je sais enfin que quelques-uns, commentant ce qui est dit par le Sauveur dans l’Évangile : Mon âme est triste jusqu’à la mort, l’ont interprété des apôtres ; il les avait appelés son âme parce qu’ils étaient meilleurs que le reste du corps. Puisque la multitude des croyants est dite le corps du Sauveur, ils ont soutenu qu’il fallait comprendre les apôtres comme son âme, parce qu’ils sont meilleurs que le reste de la multitude. Traité des Principes: Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section
Mais comme certaines Écritures n’ont pas du tout de sens corporel, ainsi que nous le montrerons dans la suite, il y a des cas où il faut chercher seulement, pour ainsi dire, l’âme et l’esprit de l’Écriture. Et c’est peut-être pour cela que les urnes qui sont dites servir à la purification des Juifs, comme nous le lisons dans l’Évangile selon Jean, contiennent deux ou trois métrètes : la Parole insinue par là, à propos de ceux que l’Apôtre appelle les Juifs dans le secret, que ceux-ci sont purifiés par la parole des Écritures, contenant tantôt deux métrètes, c’est-à-dire le sens psychique et le sens spirituel, tantôt trois, puisque certaines possèdent, outre ceux que nous avons indiqués, le sens corporel qui peut édifier. Les six urnes s’appliquent à bon droit à ceux qui sont purifiés étant en ce monde, car le monde a été fait en six jours, chiffre parfait. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section
Tels étaient les projets, ou d’autres semblables, de l’Esprit qui éclaire les âmes des saints ministres de la vérité ; son second but était, à cause de ceux qui ne peuvent fournir le travail nécessaire pour découvrir tous ces mystères, de cacher la doctrine concernant ce qui vient d’être dit dans des textes présentant un récit qui expose la création des êtres sensibles, celle de l’homme et celle des nombreux hommes qui ont été engendrés successivement à partir des premiers jusqu’à être une multitude, et dans d’autres histoires racontant les actions des justes et les péchés que ces derniers ont commis, parce qu’ils sont hommes, les méchancetés, impudicités et actes d’avarice des iniques et des impies. Ce qui est le plus étonnant c’est que, à travers des histoires de guerres, de vainqueurs et de vaincus, certains mystères sont révélés à ceux qui savent examiner cela. Et ce qui est encore plus admirable, c’est qu’à travers la législation que contient l’Écriture les lois de la vérité sont prophétisées, et tout cela est écrit en ordre logique avec une puissance convenant vraiment à la Sagesse de Dieu. Le but était de rendre dans la plupart des cas le revêtement des sens spirituels, je veux dire le sens corporel des Écritures, non inutile, mais capable d’améliorer la plupart, dans la mesure de leurs capacités. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section
Mais si l’utilité de cette législation apparaissait d’elle-même clairement dans tous les passa-ges, ainsi que la logique et l’habileté du récit historique, nous ne croirions pas qu’on puisse comprendre dans les Écritures quelque chose d’autre que le sens obvie. C’est pourquoi la Parole de Dieu a fait en sorte d’insérer au milieu de la loi et du récit comme des pierres d’achoppement, des passages choquants et des impossibilités, de peur que, complètement entraînés par le charme sans défaut du texte, soit nous ne nous écartions finalement des doctrines comme n’y apprenant rien qui soit digne de Dieu, soit ne trouvant aucune incitation dans la lettre, nous n’apprenions rien de plus divin. Il faut savoir aussi que, puisque le but principal est de présenter la logique qui est dans les réalités spirituelles à travers les événements qui se sont produits et les actions qu’on doit faire, là où la Parole a trouvé que les faits historiques pouvaient s’harmoniser aux réalités mystiques, elle s’en est servi pour cacher à la plupart le sens plus profond. Là où, pour l’exposition de la logique des réalités intelligibles, l’action de tel ou de tel, décrite auparavant, ne s’accordait pas avec elle à cause des significations plus mystiques, l’Écriture a tissé dans le récit ce qui ne s’est pas passé, tantôt parce que cela ne pouvait pas se passer, tantôt parce que cela pouvait se passer, mais ne s’est pas passé. Parfois il y a peu de phrases qui sont ainsi ajoutées bien qu’elles ne soient pas vraies selon le sens corporel, parfois il y en a davantage. Il faut traiter de façon semblable la législation : on y trouve fréquemment des préceptes qui d’eux-mêmes sont utiles et adaptés de façon opportune à la législation, mais parfois cette utilité n’apparaît pas. D’autres fois même, ce sont des choses impossibles qui sont prescrites, à cause de ceux qui sont le plus diligents et aiment le plus la recherche, pour qu’ils s’adonnent à l’étude et à la recherche de ce qui est écrit et qu’ils deviennent suffisamment persuadés de la nécessité de chercher là un sens digne de Dieu. Ce n’est pas seulement pour les livres antérieurs à la venue du Christ que l’Esprit s’est ainsi comporté, mais, comme il est le même Esprit et provient d’un même Dieu, il a agi de même pour les Évangiles et les apôtres : car chez eux aussi le récit est quelquefois mêlé d’ajouts qui y ont été tissés selon le sens corporel, mais qui ne correspondent pas à des événements réels, et pareillement la législation et les préceptes ne manifestent pas toujours des exigences raisonnables. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section
Cependant, celui qui veut comprendre exactement sera dans l’embarras à propos de quelques passages, car il ne pourra pas, sans beaucoup de recherches, décider si ce qu’on pense être une histoire s’est passé ou non selon la lettre et si le sens littéral de telle législation doit être observé ou non. C’est pourquoi il faut que celui qui s’adonne à cette étude avec exactitude, en restant fidèle au commandement du Sauveur : Scrutez les Écritures, examine avec soin où le sens littéral est vrai et où il est impossible, et de tout son pouvoir recherche à partir des expressions semblables le sens, dispersé partout dans l’Écriture, de ce qui est impossible selon la lettre. Mais cependant, puisque, comme cela sera clair à ceux qui l’étudient, l’enchaînement du texte est impossible en ce qui concerne la lettre, et non impossible mais vrai quand il s’agit du sens principal, il faut s’efforcer de comprendre tout le sens en rattachant sur le plan des réalités intelligibles la signification de ce qui est impossible selon la lettre à ce qui non seulement n’est pas impossible, mais encore est vrai selon l’histoire, en l’allégorisant avec ce qui ne s’est pas passé selon la lettre. Nous sommes disposés, de notre côté, à admettre en ce qui concerne l’ensemble de l’Écriture divine qu’elle a toujours un sens spirituel, mais qu’elle n’a pas toujours un sens corporel : car il est souvent démontré que le sens corporel est impossible. C’est pourquoi il faut consacrer beaucoup d’application et de circonspection à étudier comme des écrits divins les livres divins, car telle me paraît être la manière de les comprendre. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section
Toute créature donc est distinguée auprès de Dieu comme comprise dans un nombre ou mesure déterminés, c’est-à-dire le nombre pour les êtres raisonnables, la mesure pour la matière corporelle ; il était nécessaire que la nature intellectuelle se servît de corps, car on la conçoit comme muable et convertible par le fait même de sa création – ce qui en effet n’était pas et a commencé à être, par ce fait même est manifesté comme ayant une nature muable et c’est pourquoi sa vertu et sa malice ne sont pas substantielles, mais accidentelles – ; à cause de cette mutabilité et convertibilité de la nature raisonnable déjà mentionnée, elle devait se servir selon ses mérites d’un vêtement corporel de nature diverse, ayant telle ou telle qualité. Pour toutes ces raisons, nécessairement, Dieu, qui connaissait d’avance les variations futures des âmes ou des puissances spirituelles, a créé la nature corporelle capable de se transformer selon la volonté du créateur, par les mutations de ses qualités, en tous les états que demanderait la situation. Il faut qu’elle subsiste tout le temps que subsistent les êtres qui ont besoin d’elle comme vêtement. Or il y aura toujours des natures raisonnables qui auront besoin de vêtement corporel : par conséquent il y aura toujours une nature corporelle dont les créatures raisonnables devront se servir comme vêtement ; à moins que l’on puisse montrer avec preuves que la nature raisonnable puisse vivre sans aucun corps. Nous avons montré plus haut, en le discutant en détail, combien cela est difficile et presque impossible à notre intelligence. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section
Si quelqu’un ose attribuer une corruption atteignant la substance même à celui qui a été fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, il étend, à ce que je pense, le motif de son impiété jusqu’au Fils de Dieu lui-même : car le Fils est aussi appelé image de Dieu dans les Écritures. Ou certainement celui qui veut qu’il en soit ainsi, qu’il accuse l’autorité de l’Écriture qui dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu. Il est clair que les signes de cette image divine en l’homme peuvent être reconnus, non dans la forme du corps qui se corrompt, mais dans la prudence de l’intelligence, dans la justice, la modération, le courage, la sagesse, l’instruction, bref dans tout le choeur des vertus, présentes en Dieu de façon substantielle, en l’homme par son activité et l’imitation de Dieu, selon ce que dit le Seigneur dans l’Évangile : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux, et : Soyez parfaits comme votre Père est parfait. Cela montre avec évidence qu’en Dieu toutes ces vertus existent toujours, sans pouvoir progresser ni régresser, mais que dans les hommes chacune d’elle est acquise peu à peu. Par là les hommes semblent avoir une certaine parenté avec Dieu ; puisque Dieu connaît tout et qu’aucune réalité intellectuelle ne lui est cachée – en effet Dieu seul, Père, Fils Unique et Saint Esprit, non seulement connaît ce qu’il a créé, mais encore possède la connaissance de lui-même -, l’intelligence raisonnable peut cependant, en progressant du petit jusqu’au plus grand et du visible jusqu’à l’invisible, parvenir à une compréhension plus parfaite. Elle est en effet placée dans un corps et doit progresser des réalités sensibles qui sont corporelles à celles qui ne sont pas sensibles, mais incorporelles et intellectuelles. Mais de peur qu’il ne paraisse pas convenable d’appeler non sensibles les réalités intellectuelles, nous utiliserons comme exemple une affirmation de Salomon : Tu trouveras aussi une sensibilité divine. Cela montre que les réalités intellectuelles sont cherchées non avec un sens corporel, mais avec un autre sens appelé divin. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section