Le Canon des Ecritures chrétiennes avait admis jadis, quelque temps, un charmant petit livre, le Pasteur d’Hermas, particulièrement riche en visions symboliques; aujourd’hui le petit livre, banni en exil comme Phôs en personne, n’appartient plus qu’au Canon idéal d’une religion personnelle où il peut prendre place à côté des Actes de Thomas. Hermas est chez lui, assis sur son lit, dans un état de recueillement profond. Entre soudain un personnage d’apparence étrange qui s’assied à côté de lui et lui déclare : « Je suis envoyé par l’Ange Très-Saint pour habiter près de toi tous les jours de ta vie. » Hermas pense que l’apparition veut le tenter : « Qui es-tu donc? Car je sais à qui j’ai été confié. — Alors il me dit : Ne me reconnais-tu pas? — Non. — Je suis le Pasteur auquel tu as été confié. Et tandis qu’il parlait, son aspect changea, et voici que je reconnus celui à qui j’avais été confié [Martin Dibelius, Der Hirt des Hermas, Tübingen 1923, p. 491. Texte grec. éd. Molly Whittaker (Die apostolischen Väter, I) Berlin, Akademie-Verlag, 1956, p. 22, Visio V, I ss.]. » Que l’on convienne ou non de voir dans le prologue d’Hermas une réplique chrétienne au prologue du Poimandrès hermétiste, il reste que primitivement la christologie ne commença point par être tout à fait ce qu’elle devint ensuite avec les siècles. Ce n’est point un hasard si, dans le petit livre d’Hermas, les expressions Fils de Dieu, Archange Michel, Ange Très-Saint, Ange Magnifique, se recroisent et s’enchevètrent inextricablement. La vision d’Hermas ressortit aux conceptions que domine la figure de Christos Angelos, et la situation ainsi déterminée suggère cette analogie de rapports : le pasteur d’Hermas est envers l’Ange Magnifique dans le mème rapport que, chez Sohravardî, la Nature Parfaite d’Hermès envers l’Ange Gabriel, comme Ange de l’humanité et Esprit-Saint.
Le thème dé Christos Angelos, c’est également le thème de Christus pastor qu’illustra si bien l’art chrétien primitif : Christ représenté sous le type d’Hermès créophore (un agneau sur les épaules, les sept planètes en auréole, le Soleil et la Lune à ses côtés), ou encore représenté comme Attis avec un bâton de pasteur et une flûte, médité et éprouvé (Psaume 23 et Jean 1Q : 11-16) comme véritable daïmôn paredros, protecteur personnel, partout accompagnant et conduisant celui dont il prend soin, comme le dit Poimandrès : « Je suis partout avec toi [Cf. le commentaire psychologique de M.-L. von Franz, Die Passio Perpetuae, à la suite de C.-G. Jung, Aion, Untersuchungen zur Symbolgeschichte, Zürich 1951, PP. 436-438. Sur Christos Angelos, voir Martin Werner, Die Entstehung des christlichen Dogmas, Bern:, 1953, pp. 322-388.]. » La déclaration d’Hermas reconnaissant « celui à qui il a été confié » fait comme allusion à un pacte spirituel noué lors d’une initiation. On évoquera alors l’articulation spécifiquement manichéenne du double thème : celui de Christ comme « Jumeau céleste » de Mani, et celui de la « forme de lumière » que chaque Elu reçoit le jour où il renonce aux puissances de ce monde. L’articulation des deux thèmes nous introduit au cœur de représentations iraniennes préislamiques ; leurs récurrences plus tard attestent la persistance inaliénable de l’archétype dont les exemplifications reproduisent toujours la mème situation : la conjonction du guide de lumière et de l’homme de lumière s’opérant en fonction d’une orientation sur un Orient-origine qui n’est pas simplement l’Orient géographique.