conversion (Orígenes)

De plus, je le demande, au sujet de la foule des croyants qui se sont échappés de l’immense flot du vice où ils se roulaient auparavant : lequel était préférable pour eux ? D’avoir, dans une foi non réfléchie, un peu réformé leurs moeurs et trouvé secours dans la croyance aux châtiments des fautes et aux récompenses des bonnes oeuvres, ou bien de différer leur conversion par simple foi jusqu’à ce qu’ils puissent se livrer à l’examen des doctrines ? Il est clair que tous les hommes, sauf de très rares exceptions, ne pourraient ainsi obtenir l’avantage retiré de la simple foi, mais resteraient dans une vie corrompue. Aux autres preuves que l’amour du Logos pour les hommes n’est point parvenu à la vie des hommes sans l’action de Dieu, il faut donc ajouter celle-là. L’homme pieux ne croira pas qu’un simple médecin des corps qui a ramené nombre de malades à la santé vient résider dans les villes et les nations sans l’action de Dieu : car aucun bienfait n’arrive aux hommes sans l’action de Dieu. Mais si celui qui a soigné les corps d’une multitude et les a ramenés à la santé ne guérit pas sans l’action de Dieu, combien est-ce plus vrai de Celui qui a soigné, converti, amélioré les âmes d’une multitude, les a soumises au Dieu suprême, leur a appris à conformer toute action à son bon plaisir et à éviter tout ce qui peut déplaire à Dieu, jusqu’à la moindre des paroles, des actions, ou même des pensées ! LIVRE I

Je dirai donc d’abord : si celui qui refuse de croire en l’apparition du Saint-Esprit sous la forme d’une colombe était présenté comme épicurien, ou partisan de Démocrite, ou péripatéticien, le propos conviendrait au personnage. Mais en fait le très docte Celse n’a même pas vu qu’il attribuait une telle parole à un Juif qui croit en bien des récits des écritures prophétiques plus extraordinaires que l’histoire de la forme de la colombe. On pourrait dire en effet au Juif incrédule sur l’apparition, qui pense pouvoir l’accuser de fiction : mais toi, mon brave, comment pourrais-tu prouver que le Seigneur Dieu a dit à Adam, Eve, Caïn, Noé, Abraham, Isaac, Jacob ce que la Bible atteste qu’il a dit à ces êtres humains ? Et pour comparer cette histoire à une autre, je dirais volontiers au Juif : Ton Ézéchiel aussi a écrit ces paroles : « Le ciel s’ouvrit et je vis une vision de Dieu » ; et après l’avoir racontée, il ajoute : « C’était la vision d’un aspect de la gloire du Seigneur, et il me parla. » Si ce que l’on relate de Jésus est faux, puisqu’à ton avis nous ne pouvons pas prouver avec évidence la vérité de ce qu’il a seul vu et entendu, ainsi que, comme tu semblés y tenir, « l’un des suppliciés », pourquoi ne dirions-nous point à plus juste titre qu’Ézéchiel lui aussi est victime d’un prestige quand il dit : « Le ciel s’ouvrit… etc. » ? De plus, lorsqu’Isaïe affirme : « Je vis le Seigneur des armées assis sur un trône très élevé ; les Séraphins se tenaient autour de lui, ayant six ailes l’un, six ailes l’autre…» etc., d’où tiens-tu la preuve qu’il l’a réellement vu ? Car tu as cru, Juif, que ces visions sont véridiques, et que le prophète, sous l’influence de l’Esprit de Dieu, les a non seulement vues, mais encore racontées et écrites. Mais qui donc est plus digne de foi quand il affirme que le ciel lui a été ouvert, et qu’il a entendu une voix ou qu’il a vu « le Seigneur des armées assis sur un trône très élevé » ? Isaïe, Ézéchiel, ou bien Jésus ? Des premiers on ne trouve aucune oeuvre aussi sublime, tandis que la bonté de Jésus pour les hommes ne s’est pas bornée à la seule période de son incarnation ; même jusqu’à ce jour sa puissance opère la conversion et l’amélioration des moeurs de ceux qui croient en Dieu par lui. Et la preuve manifeste qu’elles sont dues à sa puissance, comme il le dit lui-même et que l’expérience le montre, c’est, nonobstant le manque d’ouvriers qui travaillent à la moisson des âmes, la moisson si abondante de ceux qui sont récoltés et introduits dans les aires de Dieu partout répandues, les églises. LIVRE I

De plus, je pourrais dire à ceux qui croient qu’en ces matières le Juif de Celse fait à Jésus de justes griefs : il y a dans le Lévitique et le Deutéronome un grand nombre d’imprécations ; dans la mesure où le Juif les défendra en avocat de l’Écriture, dans cette même mesure ou mieux encore, nous défendrons ces prétendues invectives et menaces de Jésus. Bien plus, de la loi de Moïse elle-même nous pourrons présenter une meilleure défense que celle du Juif, pour avoir appris de Jésus à comprendre plus intelligemment que lui les textes de la loi. En outre, si le Juif a vu le sens des discours prophétiques, il pourra montrer que Dieu n’use pas à la légère de menaces et d’invectives, quand il dit : « Malheur, Je vous prédis », et comment Dieu a pu employer pour la conversion des hommes ces expressions, qu’au jugement de Celse n’imaginerait même pas un homme de bon sens. Mais les chrétiens aussi, sachant que le même Dieu parle par les prophètes et par le Seigneur, prouveront le caractère raisonnable de ce que Celse juge des menaces et nomme des invectives. On fera sur la question une courte réplique à Celse qui se vante d’être philosophe et de savoir nos doctrines : Comment, mon brave, quand Hermès dans Homère dit à Ulysse : « Pourquoi donc, malheureux, t’en vas-tu seul le long de ces coteaux ? » tu supportes qu’on le justifie en disant qu’Hermès chez Homère interpelle Ulysse de la sorte pour le ramener au devoir ? car les paroles flatteuses et caressantes sont le fait des Sirènes, près de qui s’élève « tout autour un tas d’ossements », elles qui disent : « Viens ici, viens à nous, Ulysse tant vanté, l’honneur de l’Achaïe. » ? Mais lorsque mes prophètes et Jésus même, pour convertir les auditeurs, disent : « Malheur à vous ! » et ce que tu prends pour des invectives, ils ne s’adaptent point à la capacité des auditeurs par ces expressions, et ne leur appliquent pas cette manière de parler comme un remède de Péon ? A moins peut-être que tu ne veuilles que Dieu, ou Celui qui participe à la nature divine, conversant avec les hommes, n’ait en vue que les intérêts de sa nature et le respect qu’on lui doit, sans plus considérer ce qu’il convient de promettre aux hommes gouvernés et conduits par son Logos et de proposer à chacun d’une manière adaptée à son caractère fondamental ? De plus, comment n’est-elle pas ridicule cette impuissance à persuader qu’on attribue à Jésus ? Car elle s’applique aussi, non seulement au Juif qui a beaucoup d’exemples de ce genre dans les prophéties, mais encore aux Grecs : parmi eux, chacun de ceux que leur sagesse a rendus célèbres auraient été impuissants à persuader les conspirateurs, les juges, les accusateurs de quitter la voie du vice pour suivre, par la philosophie, celle de la vertu. LIVRE II

Aussi ne cesserons-nous pas de croire en Dieu selon les règles données par Jésus et de chercher la conversion de ceux qui sont aveugles au point de vue religieux. Les aveugles véritables peuvent nous blâmer d’être aveugles, et ceux, Juifs et Grecs, qui séduisent leurs adeptes, nous reprocher à nous aussi de séduire les hommes. Belle séduction, en vérité, que de conduire de la licence à la tempérance, ou du moins au progrès vers la tempérance ; de l’injustice à la justice ou au progrès vers la justice, de la folie à la sagesse, ou sur le chemin de la sagesse ; de la timidité, du manque de caractère, de la lâcheté, au courage et à la persévérance exercée principalement dans les luttes pour garder la piété envers Dieu créateur de l’univers ! Jésus-Christ est donc venu, après avoir été prédit non par un seul prophète, mais par tous. Et c’est une nouvelle preuve de l’ignorance de Celse que de faire dire au personnage du Juif qu’un seul prophète a prédit le Christ. Le Juif mis en scène par Celse, et qui prétend parler au nom de sa propre loi, achève ici son argumentation, sans rien dire d’autre qui mérite d’être mentionné. Je terminerai donc, moi aussi, le second livre que j’ai composé contre son traité. Avec l’aide de Dieu, et par la puissance du Christ habitant dans notre âme, je m’appliquerai à répondre, dans un troisième livre, à ce que Celse a écrit dans la suite. LIVRE II

Apollon, donc, d’après Celse, et assemblées voulait que les Métapontins placent Aristéas au rang des dieux. Mais les Métapontins jugèrent que l’évidence qu’Aristéas était un homme, et peut-être sans vertu, l’emportait sur l’oracle qui le proclamait dieu ou digne des honneurs divins ; aussi refusèrent-ils d’obéir à Apollon, et ainsi personne ne considère Aristéas comme dieu. Mais de Jésus voici ce qu’on peut dire : il était utile au genre humain de le recevoir comme Fils de Dieu, Dieu même venu dans une âme et un corps d’homme ; mais cela paraissait dommageable à la gourmandise des démons qui aiment les corps et à ceux qui les tiennent pour des dieux ; c’est pourquoi les démons terrestres, considérés comme dieux par ceux qui en ignorent la nature, aussi bien que leurs serviteurs ont voulu empêcher l’enseignement de Jésus de se répandre, car ils voyaient que cesseraient les libations et le fumet de graisses dont ils sont friands, si l’enseignement de Jésus prévalait. Mais Dieu qui avait envoyé Jésus déjoua toute la conspiration des démons. Il fit triompher l’Évangile de Jésus dans le monde entier pour la conversion et la réforme des hommes, il constitua partout des églises en opposition aux assemblées de gens superstitieux, désordonnés, injustes : car telles sont les multitudes qui partout constituent les assemblées politiques des citoyens. Et les églises de Dieu, instruites par le Christ, si on les compare aux assemblées du peuple avec qui elles voisinent, sont « comme des flambeaux dans le monde ». Qui donc refuserait d’admettre que même les membres les moins bons de ces églises, inférieurs, en comparaison des parfaits, sont bien supérieurs aux membres de ces assemblées politiques ? LIVRE III

Or, si cette conduite ne leur vaut pas de blâme, voyons si, plus et mieux que ces philosophes, les chrétiens n’exhortent pas les foules à la parfaite honnêteté. Les philosophes qui ont des entretiens publics ne divisent pas les auditeurs en classes : le premier venu s’arrête et écoute. Les chrétiens, autant qu’il leur est possible, commencent par éprouver les âmes de ceux qui veulent être leurs auditeurs, et par les former en particulier. Lorsque les auditeurs, avant l’entrée dans la communauté, semblent en progrès suffisant dans la volonté de vivre vertueusement, alors ils les introduisent. Ils font à part un groupe des commençants qu’on vient d’initier et qui n’ont pas encore reçu le symbole de la purification ; puis un autre, de ceux qui ont fourni les meilleures preuves de leur décision de ne vouloir rien d’autre que ce qui est approuvé des chrétiens. Parmi eux, certains ont la charge d’enquêter sur la vie et la conduite des candidats, pour interdire l’accès de leur assemblée commune aux gens coupables de fautes secrètes, mais d’accueillir les autres de toute leur âme et les rendre meilleurs chaque jour. Et voici leur conduite à l’égard des pécheurs, surtout des impudiques : ils les chassent de leur communauté, eux qui, d’après Celse, ressembleraient à ceux qui divulguent leurs secrets sur les places publiques ! La vénérable école pythagoricienne, les considérant comme des morts, élevait des cénotaphes aux apostats de sa philosophie. Les chrétiens, eux, pleurent comme des défunts, parce que perdus et morts à Dieu, ceux qui se sont laissé vaincre par la luxure ou un autre désordre. Quand ils manifestent une conversion sérieuse, au bout d’un temps plus long que lors de leur première initiation, ils les admettent de nouveau comme ressuscites d’entre les morts ; mais on ne nomme à aucune charge ni présidence de l’« Église de Dieu » ceux qui sont tombés après leur accession au christianisme. LIVRE III

Ensuite, il ne comprend pas le sens de l’expression : « Quiconque s’élève sera abaissé », il n’a même pas appris de Platon que l’honnête homme s’avance « humble et rangé », il ne sait même pas que nous disons : « Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu pour qu’il vous élève au bon moment », et il déclare : Des hommes, qui président correctement à un procès, ne tolèrent pas qu’on déplore les fautes en discours à lamentations, de peur que la pitié plus que la vérité ne dicte leur sentence; Dieu, donc, juge en fonction non de la vérité mais de la flatterie. Quelle flatterie, quel discours à lamentations y a-t-il dans les divines Écritures? Le pécheur dit dans sa prière à Dieu : « Je t’ai fait connaître mon péché, je ne t’ai point caché mon iniquité ; j’ai dit : je veux m’accuser de mon iniquité au Seigneur, etc. » Peut-il prouver qu’un tel aveu de pécheurs qui s’humilient devant Dieu dans leurs prières n’est pas capable d’obtenir la conversion ? De plus, troublé par son ardeur à accuser, il se contredit. Tantôt il semble connaître un homme sans péché et juste qui, dans sa vertu originelle lève ses regards vers Dieu, tantôt il approuve ce que nous disons : « Quel est l’homme parfaitement juste, quel est l’homme sans péché ? » car c’est bien approuver cela que d’ajouter : Il est probablement vrai que la race humaine a une propension native à pécher. Ensuite, comme si tous les hommes n’étaient point appelés par le Logos, il objecte : Il eût donc fallu appeler tous les hommes sans exception, si en fait tous sont pécheurs. Mais j’ai montré plus haut que Jésus a dit : « Venez, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. » Tous les hommes donc, « qui peinent et ployent sous le fardeau » à cause de leur nature pécheresse, sont appelés au soulagement près du Logos de Dieu, car Dieu envoya « son Logos, les guérit et les préserva de leurs corruptions ». LIVRE III

Puisqu’il continue : Pourquoi donc celte préférence accordée aux pécheurs ? et qu’il ajoute des propos de même sorte, je répondrai : le pécheur n’est pas absolument préféré à qui n’aurait pas péché. Il arrive qu’un pécheur qui a pris conscience de sa faute, et à cause de cela s’avance vers la conversion en s’humiliant de ses péchés, soit préféré à celui qu’on regarde comme moins pécheur, et qui, loin de se croire pécheur, s’exalte d’orgueil pour certaines qualités supérieures qu’il croit posséder. C’est ce que montre à qui veut lire loyalement l’Évangile, la parabole sur le publicain qui dit : « Aie pitié du pécheur que je suis », quand le pharisien s’était glorifié avec une suffisance perverse en disant : « Je te rends grâce de n’être pas comme le reste des hommes, rapaces, injustes, adultères, ni même comme ce publicain. » Jésus, en effet, conclut les paroles sur les deux hommes : « Il descendit à sa maison justifié, et non pas l’autre, car quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé». » Aussi sommes-nous loin de blasphémer Dieu et de mentir, en enseignant à tout homme quel qu’il soit à prendre conscience de la petitesse humaine comparée à la grandeur de Dieu, et à réclamer sans cesse ce qui fait défaut à notre nature à Celui qui seul peut combler pour nous ces insuffisances. LIVRE III

Et si pour certains il est très difficile de changer, il faut dire que la cause en est dans leur volonté qui répugne à admettre que le Dieu suprême est pour chacun le juste juge de toutes les actions de sa vie. Car, pour l’accomplissement d’actions qui semblent très difficiles, et, parlant en hyperbole, presque impossibles, la libre détermination et l’exercice sont de puissants moyens. La nature humaine veut-elle marcher sur une corde tendue en l’air au milieu du théâtre et y porter de lourds fardeaux ? Elle pourra, par l’exercice et l’application, accomplir ce genre d’exploit. Et si elle voulait vivre dans la vertu, elle ne le pourrait pas, eut-elle été auparavant très corrompue ? Considère, en outre, si ce n’est là un propos plus injurieux à la Nature créatrice de l’être raisonnable qu’à l’être créé : d’avoir créé la nature de l’homme capable d’actions si difficiles et sans utilité aucune, mais impuissante à l’égard de sa propre béatitude. Mais en voilà assez pour répondre à sa réflexion qu’il est très difficile de changer radicalement la nature. Il dit ensuite que ceux qui sont sans péché ont en partage une vie meilleure, sans indiquer clairement si ceux qu’il tient pour être sans péché le sont dès l’origine ou depuis leur conversion. Or, ils ne peuvent être exempts de péché dès l’origine. On en trouve rarement qui le soient depuis leur conversion, et ils ne deviennent tels que par l’accès à la doctrine qui sauve. Mais ils ne sont pas tels au moment où ils accèdent à la doctrine ; car, sans cette doctrine, et cette doctrine dans sa perfection, il est impossible qu’un homme vive sans péché. Ensuite, il répond d’avance à une affirmation qu’il nous prête : Dieu pourra tout. Il ne comprend pas ce qu’on veut dire, ni ce que désigne « tout », ni le sens de « il peut ». LIVRE III

Ensuite il s’accorde ce que ne concèdent pas les croyants raisonnables, mais que tiennent peut-être quelques sots : Semblable à ceux que leur pitié rend esclaves, asservi par la pitié pour ceux qui se lamentent, Dieu soulage les méchants, et rejette les bons qui ne font rien de tel: c’est le comble de l’injustice. Selon nous, Dieu ne soulage aucun méchant qui ne soit pas encore tourné vers la vertu, et ne rejette aucun homme qui déjà est bon. De plus, il ne soulage personne qui se lamente à cause qu’il se lamente, ou n’en a pitié, à prendre l’expression au sens ordinaire. Mais ceux qui se condamnent sévèrement eux-mêmes pour leurs péchés, jusqu’à pleurer et se lamenter comme de leur perte due aux méfaits passés, et qui manifestent un changement notable, Dieu les accueille à cause de leur conversion, même s’ils reviennent d’une vie dépravée. Car la vertu entrée dans l’âme en chasse la malice qui la dominait et leur procure l’oubli. Et, à défaut de vertu, si un progrès notable se produit dans l’âme, il suffit, lui aussi, dans la mesure où c’est un progrès, à en chasser et tarir le flot de la malice, si bien qu’elle n’existe presque plus dans l’âme. LIVRE III

Et quand bien même nous détournerions de la philosophie d’Épicure, et de ses adeptes les prétendus médecins épicuriens, les victimes de leurs tromperies ! N’est-ce pas un acte très raisonnable de les écarter de la grave maladie inoculée par les médecins de Celse qui fait nier la Providence et présenter le plaisir comme le bien? Admettons que nous écartons des autres médecins philosophes ceux que nous attirons à notre doctrine : des Péripatéticiens, par exemple, qui nient la Providence à notre égard et la relation entre hommes et Dieu ; ne serait-ce point, de notre part, un acte de piété de préparer et de guérir ceux que nous avons attirés, en leur persuadant de se consacrer au Dieu suprême, et en libérant des profondes blessures causées par les doctrines des prétendus philosophes ceux que nous aurons persuadés ? De plus, accordons que nous en détournons d’autres encore des médecins stoïciens, qui présentent un dieu corruptible, lui donnent une essence corporelle, susceptible de changement intégral, d’altération, de transformation, pensent qu’un jour tout doit périr et Dieu subsister seul ; comment ne pas détourner d’aussi pernicieuses doctrines ceux qui nous croient, et ne pas les conduire à la pieuse doctrine qui leur inculque l’adoration du Créateur, l’émerveillement devant l’auteur du dogme des chrétiens qui, dans son extrême amour pour les hommes, opère leur conversion et a pris soin de répandre ses instructions pour les âmes dans tout le genre humain ? Même si nous guérissons ceux qu’infesté la folie de la métensomatose, venant de médecins qui ravalent la nature raisonnable tantôt jusqu’à toute nature privée de raison, tantôt même jusqu’à celle qui est dénuée de représentation, ne rendons-nous pas meilleures les âmes de ceux qui croient à notre doctrine ? Car elle n’enseigne pas que le méchant subira en guise de châtiment la perte de la sensibilité ou de la raison ; elle démontre que les peines et les châtiments infligés par Dieu aux méchants sont des remèdes pour produire la conversion. Voilà ce que pensent les chrétiens intelligents, bien qu’ils l’adaptent aux plus simples, comme font les pères aux tout petits enfants. LIVRE III

Après cela, faute de les avoir compris, Celse tourne en ridicule les passages de la Bible prêtant à Dieu des sentiments humains, des paroles de colère contre les impies, et des menaces contre les pécheurs. Il faut répondre : dans la conversation avec de très petits enfants, on ne vise point à déployer son éloquence, mais on s’adapte à leur faiblesse, disant et faisant ce qu’on juge utile à la conversion et à la correction de ces enfants, considérés comme tels. Le Logos de Dieu, lui aussi, semble avoir dispensé les Écritures en proportionnant l’exposé qui convient à la capacité des auditeurs et au bienfait qu’ils en retireront. C’est bien, en général, cette manière d’annoncer les réalités divines qui est exprimée dans le Deutéronome : « Le Seigneur ton Dieu s’est adapté à toi comme un père s’adapte à son fils. » Le Logos parle de la sorte, adoptant les manières humaines pour le bien des hommes. Car il n’était pas nécessaire aux foules que Dieu mis en scène exprimât de la façon qui lui convient en propre les paroles destinées à elles. Mais celui qui prend à coeur l’élucidation des divines Écritures, comparant les choses spirituelles aux spirituelles, découvrira à partir d’elles la signification de ce qui est dit à l’adresse des plus faibles et de ce qui est exposé aux plus intelligents, l’un et l’autre souvent exprimé dans la même phrase à qui sait la comprendre. LIVRE IV

Libre à Celse de dire que ce n’est pas plus pour l’homme, que pour le lion et les autres animaux qu’il mentionne. Nous dirons : ce n’est ni pour le lion, ni pour l’aigle, ni pour le dauphin que le Créateur les a faites, mais il a créé toutes choses pour l’animal raisonnable, et afin que ce monde se réalise comme une oeuvre de Dieu complète et parfaite dans toutes ses parties. C’est là une belle pensée à laquelle il faut souscrire. Mais Dieu ne prend pas soin, comme le croit Celse, uniquement de l’ensemble, mais outre l’ensemble, de chaque être raisonnable en particulier. Jamais la Providence n’abandonnera l’ensemble. Au cas où une partie de l’ensemble se détériore par la faute de l’être raisonnable, Dieu pourvoit à le purifier et après un moment, à ramener vers lui l’ensemble. De plus, il ne s’irrite ni contre les singes, ni contre les rats, mais il fait subir aux hommes pour la transgression des tendances naturelles un jugement et un châtiment. Il leur adresse des menaces par ses prophètes et par le Sauveur qui est venu à l’ensemble du genre humain, pour que ceux qui prêtent l’oreille à la menace se convertissent, et que ceux qui négligent les appels à la conversion subissent les peines qu’ils méritent ; et il convient que Dieu, dans sa volonté de pourvoir au bien de l’univers, les inflige à ceux qui ont besoin de recevoir un tel traitement et une correction si sévère. Mais comme ce quatrième livre a pris une dimension suffisante, j’arrêterai ici le raisonnement. Et que Dieu accorde, par son Fils qui est Dieu Logos, Sagesse, Vérité, Justice et tout ce que la théologie des saintes Écritures dit de lui, de commencer encore le cinquième livre pour l’utilité des lecteurs et de le mener à bien avec le secours de son Logos qui habite dans notre âme. LIVRE IV

Il mélange des choses incompatibles et assimile entre elles des choses dissemblables ; car après avoir parlé des soixante ou soixante-dix anges descendus, selon lui, et dont les pleurs, à l’en croire, seraient les sources chaudes, il ajoute qu’il vint alors, dit-on, au tombeau de Jésus deux anges d’après les uns, un seul d’après les autres. Il n’a pas observé, je pense, que Matthieu et Marc ont parlé d’un seul, Luc et Jean de deux, ce qui n’est pas contradictoire. Les auteurs désignent par un seul ange celui qui a fait rouler la pierre loin du tombeau, et par deux anges ceux qui se sont présentés « en robe étincelante » aux femmes venues au tombeau, ou ceux qui ont été vus à l’intérieur « assis dans leurs vêtements blancs ». Il serait possible de montrer ici que chacune de ces apparitions est à la fois un événement historique et une manifestation d’un sens allégorique relatif aux vérités qui apparaissent à ceux qui sont prêts à contempler la résurrection du Logos; cela ne relève pas de l’étude actuelle, mais plutôt des commentaires de l’Évangile. Des réalités merveilleuses se sont parfois manifestées aux hommes : c’est ce que rapportent aussi parmi les Grecs non seulement ceux qu’on pourrait soupçonner d’inventer des fables, mais encore ceux qui ont donné maintes preuves de la rigueur philosophique et de leur loyauté à citer les faits qui leur sont parvenus. J’ai lu de ces traits chez Chrysippe de Soles, d’autres chez Pythagore ; et depuis, chez certains aussi plus récents, nés d’hier ou d’avant-hier, comme chez Plutarque de Chéronée dans le “Traité de l’âme”, et le Pythagoricien Noumenios dans le deuxième livre “Sur l’incorruptibilité de l’âme”. Ainsi donc, quand les Grecs, et surtout leurs philosophes, racontent des faits de cet ordre, leurs récits ne provoquent ni moquerie ni dérision et on ne les traite pas de fictions et de fables. Au contraire, quand des hommes voués au Dieu de l’univers et qui, pour ne pas dire une parole mensongère sur Dieu, acceptent d’être maltraités jusqu’à la mort, annoncent qu’ils ont vu des apparitions d’anges, ils ne mériteraient pas créance et leurs paroles ne seraient pas reconnues véridiques ? Il serait déraisonnable de trancher ainsi entre la sincérité et le mensonge. La rigueur de la critique exige une recherche longue et précise, un examen de chaque point, après lesquels, avec lenteur et précaution, on prononce que tels auteurs disent vrai et tels auteurs mentent sur les prodiges qu’ils racontent. Tous ne manifestent pas qu’ils sont dignes de foi, tous ne montrent pas clairement qu’ils transmettent aux hommes des fictions et des fables. Il faut ajouter à propos de la résurrection de Jésus d’entre les morts : il n’est pas étonnant qu’alors un ange ou deux soient apparus pour annoncer qu’il était ressuscité, et qu’ils aient pourvu à la sécurité de ceux qui pour leur salut croyaient à ce miracle. Et il ne me semble pas déraisonnable que toujours ceux qui croient Jésus ressuscité et présentent comme un fruit appréciable de leur foi la générosité de leur vie et leur aversion pour le débordement du vice, ne soient point séparés des anges qui les accompagnent pour leur porter secours dans leur conversion à Dieu. Celse reproche aussi à l’Écriture d’affirmer qu’un ange avait roulé la pierre loin du tombeau où était le corps de Jésus : il ressemble à un jeune homme qui s’exerce à user de lieux communs pour soutenir une accusation. Comme s’il avait trouvé contre l’Écriture une objection subtile, il ajoute : Le Fils de Dieu, à ce qu’il paraît, ne pouvait ouvrir le tombeau, mais il a eu besoin d’un autre pour déplacer la pierre. Mais je ne veux pas perdre mon temps à discuter l’objection ni, en développant ici une interprétation allégorique, paraître introduire mal à propos des considérations philosophiques. Du récit lui-même je dirai que d’emblée il semble plus digne que ce fût l’inférieur et le serviteur, plutôt que celui qui ressuscitait pour le bien des hommes, qui ait fait rouler la pierre. Je m’abstiens de souligner que ceux qui conspiraient contre le Logos, qui avaient décidé de le tuer et de montrer à tous qu’il était mort et réduit à rien, ne voulaient pas du tout que son tombeau fût ouvert, afin que personne ne pût voir le Logos vivant après leur conspiration. Mais « l’Ange de Dieu » venu sur terre pour le salut des hommes coopère avec l’autre ange et, plus fort que les auteurs de la conspiration, fait rouler la lourde pierre, afin que ceux qui croient le Logos mort soient persuadés qu’« il n’est point parmi les morts », mais qu’il vit et « précède » ceux qui consentent à le suivre, pour expliquer la suite de ce qu’il avait commencé à leur expliquer auparavant, lorsqu’au premier temps de leur initiation ils n’étaient pas encore capables de saisir les vérités plus profondes. LIVRE V

Est-il donc absurde qu’il y ait dans l’humanité pour ainsi dire deux extrêmes, l’un de bien, l’autre de son contraire, l’extrême du bien étant dans l’homme que l’esprit discerne en Jésus, lequel est source inépuisable pour le genre humain de conversion, de guérison et d’amélioration, et l’extrême opposé étant dans l’Antéchrist? Dieu, dont la prescience embrasse toutes choses, voyant ce qui les concerne tous deux, a voulu les faire connaître aux hommes par les prophètes, pour que ceux qui comprendraient leurs paroles s’unissent intimement au bien et se défendent du contraire. Il fallait que l’un des deux extrêmes, le meilleur, fût appelé Fils de Dieu, à cause de sa suréminence, et l’autre, diamétralement contraire, fils du démon pervers, de Satan, du diable. Ensuite, comme le propre du mal est que la malice se répande au maximum en prenant l’apparence du bien, pour cette raison le mauvais est environné de signes, de prodiges, de miracles mensongers grâce à la coopération de son père le diable. Car l’aide donnée aux sorciers par les démons qui trompent les hommes pour leur plus grand mal est dominée par cette coopération du diable en personne pour tromper le genre humain. LIVRE VI

Mais, à prendre le terme au sens impropre de maux physiques et extérieurs, on accorde que parfois Dieu en crée un certain nombre qu’il fait servir à la conversion. Et qu’y a-t-il d’absurde dans cette doctrine ? Si l’on entend par maux au sens impropre les peines qu’infligent les pères, les maîtres et les pédagogues à ceux qu’ils éduquent, ou les médecins à ceux qu’ils amputent ou cautérisent pour les guérir, on peut dire que le père fait mal à ses enfants comme les maîtres, les pédagogues ou les médecins, sans accuser le moins du monde ceux qui frappent ou qui amputent. Ainsi, la doctrine n’a-t-elle rien d’absurde quand l’Écriture dit que Dieu applique de pareils traitements pour convertir et guérir ceux qui ont besoin de ces peines, ni quand elle dit que « les maux descendent d’auprès du Seigneur contre les portes de Jérusalem », puisque ces maux consistent dans des peines infligées par les ennemis pour la conversion ; ou qu’il châtie « avec la verge les iniquités » de ceux qui ont transgressé la loi de Dieu, et « leurs péchés avec les fouets » ; ou quand Dieu dit : « Tu as des charbons de feu ; assieds-toi sur eux, ce sera ton secours. » De cette manière aussi nous expliquons : « C’est moi qui fais la paix et qui crée le mal. » Il crée les maux physiques et extérieurs pour purifier et pour élever ceux qui ont refusé l’éducation par une doctrine et un enseignement sains. Voilà pour répondre à sa question : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ? LIVRE VI

Si Dieu semble menacer de détruire par le déluge ses propres enfants, il faut dire : l’âme des hommes étant immortelle, la menace n’a d’autre but que la conversion des auditeurs, et la destruction des hommes par le déluge est une purification de la terre, au dire même de quelques philosophes grecs de valeur : « Quand les dieux purifient la terre. » LIVRE VI

Si Apollon de Delphes était le dieu que croient les Grecs, qui devait-il choisir comme prophète sinon un sage ou, à son défaut, un homme en progrès vers la sagesse ? Pourquoi ne choisirait-il pas pour prophétiser un homme de préférence à une femme ? Et en admettant qu’il préférait le sexe féminin, parce qu’il n’avait peut-être ni pouvoir ni plaisir sinon dans le sein des femmes, comment ne devait-il pas choisir une vierge plutôt qu’une autre femme comme interprète de sa volonté ? Mais non ! Apollon le Pythien, admiré par la Grèce, n’a attribué à aucun sage ni même à aucun homme l’honneur de ce qui passe aux yeux des Grecs pour la possession divine. Et parmi les femmes, il n’a pas choisi une vierge ou une femme formée à la sagesse par la philosophie, mais une femme vulgaire. Peut-être les meilleurs des humains étaient-ils supérieurs à l’influence de son inspiration. De plus, si vraiment il était dieu, il devait employer la prescience pour amorcer, si j’ose dire, la conversion, la guérison, la réforme morale des hommes. Or l’histoire ne nous transmet de lui rien de tel : même quand il a dit que Socrate était le plus sage de tous les hommes, il émoussait l’éloge en ajoutant sur Sophocle et Euripide : « Sophocle est sage, mais Euripide encore plus sage. » LIVRE VI

Ainsi donc Celse tente de soumettre notre âme aux démons, comme s’ils avaient obtenu la charge de nos corps. Il soutient que chacun préside à une partie de notre corps. Il veut que nous croyons à ces démons qu’il mentionne, et que nous leur rendions un culte pour être en bonne santé plutôt que malade, pour avoir une vie heureuse plutôt que misérable et, dans toute la mesure du possible, échapper aux tortures. Il méconnaît l’honneur indivise et indivisible qui s’adresse au Dieu de l’univers, jusqu’à ne pas croire que Dieu seul, adoré et hautement honoré suffît à fournir à qui l’honore, et par le fait même de cette adoration, un pouvoir qui arrête les attaques des démons contre le juste. Car il n’a pas vu comment la formule « au nom de Jésus », prononcée par les authentiques croyants, a guéri maintes personnes de maladies, de possessions diaboliques et d’autres afflictions. Il est bien probable que nous ferons rire un partisan de Celse en disant : « Au nom de Jésus tout genou fléchira au ciel, sur terre, aux enfers, et toute langue est tenue de confesser que Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père. » Mais ce rire ne peut empêcher notre invocation d’avoir des preuves de son efficacité plus manifestes que ce qu’il raconte à propos des noms de Chnoumen, Chnachoumen, Knat, Sikat et les autres de la liste égyptienne, dont l’invocation guérirait les maladies des diverses parties du corps. Vois en outre de quelle façon, en nous détournant de croire au Dieu de l’univers par Jésus-Christ, il nous invite à croire, pour guérir notre corps, en trente-six démons barbares que les magiciens d’Egypte sont seuls à invoquer en nous promettant je ne sais quelles merveilles. D’après lui, il serait temps pour nous d’être magiciens et sorciers plutôt que chrétiens, de croire à un nombre infini de démons plutôt que de croire au Dieu suprême de lui-même évident, vivant et manifeste, par Celui qui avec une grande puissance a répandu la pure doctrine de la religion par tout le monde des hommes et même, ajouterai-je sans mentir, le monde des autres êtres raisonnables qui ont besoin de réforme, de guérison et de conversion du péché. LIVRE VIII