Aussi bien, celui qui ne renonce aux séductions du vice que par le motif de la crainte, retournera, dès que la crainte sera évanouie qui faisait obstacle à son penchant, vers l’objet de ses amours. Pour lui, pas de stabilité dans le bien. Point de repos non plus du côté de la tentation, parce qu’il n’a point la paix solide et constante que donne la chasteté. Où règne le tumulte de la guerre, il est impossible d’échapper au risque d’être blessé. Pour propre que l’on soit à la lutte et vaillant dans le combat, bien que l’on porte souvent aux adversaires de mortelles blessures, il est fatal, dès là qu’on est engagé dans la mêlée, que l’on tâte quelquefois du fer ennemi. 107 Les Conférences PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Il se peut qu’à notre tour nous soyons soumis à ce genre de tentation, afin d’avoir aussi le mérite de l’épreuve. Le Législateur le prédit bien clairement dans le Deutéronome : «S’il s’élève au milieu de toi un prophète ou quelqu’un qui dise avoir vu un songe, et qu’il te prédise un signe ou un prodige, et que ce qu’il a dit s’accomplisse, puis qu’il te dise : Allons, et suivons des dieux étrangers que tu ignores, et servons-les : tu n’écouteras pas les paroles de ce prophète ou de ce songeur, parce que le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin qu’il paraisse si vous l’aimez, ou non, de tout votre coeur et de toute votre âme.» (Deut 13,1-3) Quoi donc ? lorsque Dieu aura permis que surgisse ce prophète ou ce songeur, protégera-t-il ceux dont il veut éprouver la foi, de manière à ne point laisser de place à leur liberté, pour qu’ils luttent par leurs propres forces avec le tentateur ? Et quel besoin même de tentation, s’il les sait trop faibles et trop fragiles, pour être capables de résister par leurs propres forces au tentateur ? La justice du Seigneur n’aurait donc pas permis qu’ils fussent tentés, s’il ne leur avait connu une force de résistance égale à l’attaque, en sorte que l’on pût en toute équité les juger coupables ou dignes d’éloge, selon qu’ils auraient agi. 479 Les Conférences TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Tel encore ce que dit l’Apôtre : «Ainsi donc, que celui qui pense être ferme, prenne garde de tomber. Aucune tentation ne vous survient qui ne soit humaine. Et Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces; mais avec la tentation, il ménagera aussi une heureuse issue, afin que vous puissiez la supporter» (Co 10,12-13). Par ces paroles : «Que celui qui pense être ferme, prenne garde de tomber», il rend leur liberté vigilante; car il sait bien qu’il dépend d’elle, ou de rester debout par son zèle, ou de tomber par sa négligence. Lorsqu’il poursuit : «Aucune tentation ne vous survient qui ne soit humaine,» il leur reproche la faiblesse et l’inconstance qui se voient dans les âmes non encore robustes, et les rendent impropres à subir l’assaut des puissances du mal, contre lesquelles il lutte lui-même chaque jour, ainsi que les parfaits dont il parle aux Éphésiens : «Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les chefs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans l’air» (Ép 6,12). En ajoutant : «Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces», il ne souhaite point du tout que le Seigneur empêche la tentation, mais qu’ils ne soient pas tentés au delà de ce qu’ils peuvent supporter. Que la tentation soit permise, voilà qui prouve le pouvoir de la liberté humaine; qu’ils ne soient pas tentés au delà de leurs forces, ceci montre, au contraire, la grâce du Seigneur modérant les assauts de la tentation. 480 Les Conférences TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Mais la patience ne mérite point de louanges ni d’admiration, à demeurer dans sa tranquillité, lorsqu’elle n’a point d’ennemi qui la crible de traits. Ce qui la fait illustre et glorieuse, c’est de rester immobile, quand la tempête de la tentation fond sur elle. On pense que l’adversité va l’ébranler et la mettre en déroute : elle y puise sa force. Son tranchant s’aiguise de ce qui semblait devoir l’émousser. Nul n’ignore que patience vient de pâtir. Il est clair, partant, que celui-là mérite seul d’être dit patient, qui supporte sans révolte tous les mauvais traitements qu’on lui inflige. C’est de lui que Salomon fait à bon droit l’éloge : «L’homme patient vaut mieux que le soldat vaillant; celui qui maîtrise sa colère, que l’homme qui prend une ville». (Pro 16,32) «L’homme longanime est riche de prudence, mais le pusillanime est bien insensé.» (Ibid. 14,29). 1481 Les Conférences CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
La différence d’un pécheur et d’un saint ne vient pas de ce que celui-ci ne serait pas tenté aussi bien que l’autre, mais de ce qu’il ne se laisse pas vaincre aux assauts les plus violents, tandis que la tentation la plus légère suffit à surmonter le premier. Nous l’avons dit, la force du juste n’aurait point de titre a la louange, s’il triomphait, sans être tenté. Peut-il y avoir une victoire sans combat ? Mais «heureux l’homme qui supporte la tentation, parce que, après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui L’aiment.» (Jac 1,12). Selon l’apôtre Paul également, «la vertu s’achève,» non point dans le repos et les délices, mais «dans l’infirmité». (2 Cor 12,9). «Car voici, est-il dit, que je t’établis en ce jour comme une ville fortifiée, une colonne de fer et un mur d’airain, sur tout le pays, sur les rois de Juda, ses princes, ses prêtres, et tout le peuple du pays. Et ils te feront la guerre; mais ils ne prévaudront point, parce que Je suis avec toi, dit le Seigneur, pour te délivrer.» (Jer 1,18-19). 1483 Les Conférences CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Il fut tenté, à notre image, d’abord de gourmandise. Le rusé serpent, selon l’ordre qu’il avait suivi jadis en séduisant Adam, compte sur la faim du Seigneur, et s’efforce de Le jouer par le désir de la nourriture : Si Tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres se changent en pains (Mt 4,3). Mais la tentation ne donne point chez Lui d’ouverture au péché; bien que ce miracle Lui fût possible indubitablement, Il repousse la nourriture que Lui propose l’artisan de mensonges : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la Bouche de Dieu (Ibid., 4). 2222 Les Conférences DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOS