comparaison (Eckhart)

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Ainsi advient-il : ce qui vient à Dieu, cela se trouve transformé ; si piètre que ce soit, le portons-nous à Dieu, il échappe à soi-même. De quoi vous avez une comparaison : si j’ai la sagesse, je ne la suis pas moi-même. Je peux acquérir la sagesse, je peux aussi la perdre. Mais ce qui est en Dieu est Dieu ; cela ne peut lui échapper. Cela se trouve insérer dans la nature divine, car nature divine est si puissante que ce qui s’y trouve mis s’y trouve pleinement inséré ou demeure pleinement au dehors. Or notez la merveille ! Puisque Dieu transforme dans soi chose si piètre, qu’imaginez-vous donc qu’il fera à l’âme qu’il a honorée de sa propre image ? Eckhart: Sermon 3

Par ailleurs, tu dois être pur de coeur, car seul est pur le coeur qui a anéanti tout ce qui est créé. En troisième lieu, tu dois être nu de néant. Il est une question, qu’est-ce qui brûle en enfer ? Les maîtres disent communément : C’est la volonté propre qui le fait. Mais je dis pour de vrai que c’est le néant qui brûle en enfer. Prend maintenant une comparaison ! Que l’on prenne un charbon ardent et qu’on le pose sur ma main. Si je disais que c’est le charbon qui brûle ma main, je lui ferais grand tort. Mais dois-je dire à proprement parler ce qui me brûle : c’est le néant qui le fait, car le charbon a en lui quelque chose que ma main n’a pas. Voyez, c’est ce néant même qui me brûle. Mais ma main aurait-elle en elle tout ce que le charbon est et peut faire, elle aurait la nature du feu entièrement. Qui prendrait alors tout le feu qui jamais ait brûlé et le secouerait sur ma main, cela ne pourrait me faire souffrir. De la même manière je dis donc : Lorsque Dieu et tous ceux qui se tiennent devant sa face ont intérieurement quelque chose selon la juste béatitude que n’ont pas ceux qui sont séparés de Dieu, ce néant à lui seul fait plus souffrir les âmes qui sont en enfer que volonté propre ou quelque feu. Je dis pour de vrai : Autant le néant t’affecte, autant es-tu imparfait. C’est pourquoi si vous voulez être parfaits, vous devez être nus de néant. Eckhart: Sermon 5 b

« Nous serons pleinement transformés et changés en Dieu. » Note une comparaison. De la même manière que dans le sacrement du pain se trouve changé dans le corps de Notre Seigneur, si abondant soit le pain il devient pourtant un ( seul ) corps. De la même manière, tous les pains seraient-ils changés en mon doigt, il n’y aurait pourtant rien de plus qu’un ( seul ) doigt. Plus : mon doigt serait-il changé en pain, celui-ci serait de même nombre que celui-là. Ce qui se trouve changé dans l’autre, cela devient un avec lui. C’est ainsi que je me trouve changé dans lui, en ce qu’il m’opère ( comme ) son être, ( comme ) un non-égal ; par le Dieu vivant, c’est vrai, qu’il n’y a aucune différence. Eckhart: Sermon 6

Il est beaucoup de maîtres qui veulent que cette image soit engendrée par la volonté et par la connaissance, et il n’en est pas ainsi ; plutôt, je dis que cette image est une expression de soi-même sans volonté et sans connaissance. Je vous exposerai une comparaison. Que l’on tienne un miroir devant moi : que je le veuille ou ne le veuille point, sans volonté et sans connaissance de moi-même, je me reflète dans le miroir. Cette image ne provient pas du miroir, elle ne provient pas non plus d’elle-même, plutôt cette image provient tout à fait de ce dont elle tient son être et sa nature. Lorsque le miroir est ôté de devant moi, je ne me reflète pas plus longtemps dans le miroir, car je suis cette image même. Eckhart: Sermon 16 a

Encore une autre comparaison : lorsqu’une branche saillit de l’arbre, elle porte aussi bien le nom que l’être de cet arbre. Ce qui sort est la même chose que ce qui demeure à l’intérieur, et ce qui demeure à l’intérieur est la même chose que ce qui sort. Ainsi la branche est-elle une expression de soi-même. Eckhart: Sermon 16 a

J’ai dit un petit mot en latin, qu’on lit aujourd’hui dans l’épître, ( et ) que l’on peut dire à propos de saint Augustin et à propos de toute âme bonne, sainte, comment ils sont comparés à un vase d’or qui a consistance et permanence et possède en lui noblesse de toute pierre précieuse. Cela tient à la noblesse des saints que l’on ne puisse les donner à connaître à l’aide d’une ( seule ) comparaison ; c’est pourquoi on les compare aux arbres et au soleil et à la lune. Et c’est ainsi que saint Augustin est ici comparé à un vase d’or qui a consistance et permanence et qui possède en lui noblesse de toute pierre précieuse. Et cela on peut le dire en vérité de toute âme bonne, sainte, qui a laissé toutes choses et les prend là où elles sont éternelles. Qui laisse les choses en tant qu’elles sont contingentes, celui-là les possède là où elles sont un être limpide et sont éternelles. Eckhart: Sermon 16 b

Vous demandez souvent comment vous devez vivre. Vous devez ici le noter avec zèle. De la même manière qu’il fut dit ici de l’image, vois, ainsi dois-tu vivre. Tu dois être à lui et tu dois être pour lui, et tu ne dois pas être à toi et tu ne dois pas être pour toi et tu ne dois être à personne. Lorsque je vins hier en ce monastère, j’ai vu de la sauge et d’autres plantes sur une tombe ; et je pensais alors : Ici repose le cher ami d’un homme, et c’est pourquoi ce morceau de terre lui est d’autant plus cher. Celui qui a un ami vraiment cher, celui-là aime tout ce qui lui appartient, et ce qui est contraire à son ami il ne l’aime pas. De quoi prenez une comparaison avec le chien, qui est un animal non doué d’intellect. Il est si fidèle à son maître que tout ce qui est contraire à son maître il le hait, et celui qui est ami de son maître il l’aime, et il ne prête attention ni à richesse ni à pauvreté. Oui, et y aurait-il un pauvre aveugle qui serait acquis à son maître, il l’aimerait davantage qu’un roi ou un empereur qui serait contraire à son maître. Je dis pour de vrai : S’il était possible que le chien soit à demi infidèle à son maître, il se haïrait soi-même à demi. Eckhart: Sermon 16 b

Il y eut un homme, cet homme n’avait pas de nom, car cet homme est Dieu. Or un maître dit à propos de la première cause qu’elle est au-dessus de la parole. Le défaut tient au langage. Cela vient de l’excès de limpidité de son être. On ne peut discourir des choses que de trois façons : en premier lieu par ce qui est au-dessus des choses, en second lieu par ce qui est égal aux choses, en troisième lieu par l’oeuvre des choses. Je donnerai une comparaison. Lorsque la puissance du soleil tire le suc le plus noble de la racine jusqu’aux branches et réalise une fleur, la puissance du soleil est néanmoins au-dessus de cela. C’est ainsi que je dis que la lumière divine opère dans l’âme. Ce en quoi l’âme exprime Dieu, cela ne porte pourtant pas en lui la vérité proprement dite de son être : personne à propos de Dieu ne peut dire à proprement parler ce qu’il est. Parfois l’on dit : Une chose est égale à une chose. Or parce que toutes les créatures incluent en elles si peut que rien de Dieu, elles ne peuvent non plus rien révéler de lui. Un peintre qui a fait une image parfaite, il fait preuve là de son art. Néanmoins on ne peut l’éprouver totalement par là. Toutes les créatures ne peuvent pas exprimer Dieu, car elles ne sont pas capables de recevoir ce qu’il est. Ce Dieu et homme a préparé le repas du soir, l’homme inexprimable pour lequel il n’est pas de mot. Saint Augustin dit : Ce que l’on dit de Dieu, ce n’est pas vrai, et ce que l’on ne dit pas de lui, cela est vrai. Lorsqu’on dit ce que Dieu est, cela il ne l’est pas ; ce que de lui l’on ne dit pas, il l’est plus proprement que ce que l’on dit qu’il est. Qui a préparé ce festin ? Un homme : l’homme qui là est Dieu. Or le roi David dit : « Ô Seigneur, que grand et que multiple est ton festin, et le goût de la douceur que tu as préparé à ceux qui t’aiment, non à ceux qui te craignent. » Saint Augustin méditait sur cette nourriture, alors il était pris de frayeur et il en perdait le goût. Alors il entendu près de lui une voix d’en haut : « Je suis une nourriture de gens adultes, croîs et deviens grand, et consomme-moi. Mais tu ne dois pas t’imaginer que je me transformerai en toi : c’est toi qui dois te trouver transformé en moi. » Lorsque Dieu opère dans l’âme, dans le brasier de la fournaise se trouve alors purifié et jeté dehors ce qui là est inégal en l’âme. En limpide vérité ! L’âme entre davantage en Dieu qu’aucune nourriture en nous, plutôt : cela transforme l’âme en Dieu. Et une puissance est dans l’âme qui sépare le plus grossier et se trouve unie à Dieu : c’est la petite étincelle de l’âme. Encore plus une avec Dieu devient mon âme que la nourriture avec mon corps. Eckhart: Sermon 20a

La troisième question, était-il en Dieu ou Dieu en lui ? Je dis : Dieu connaissait en lui, et lui comme ( n’étant ) pas en Dieu. Prenez une comparaison : le soleil luit à travers le verre et tire l’eau de la rose ; cela vient de la finesse de la matière du verre et de la puissance génératrice du soleil ; c’est ainsi que le soleil engendre dans le verre et non le verre dans le soleil. Il en fut ainsi de saint Paul : lorsque le clair soleil de la déité illumina son âme, alors se trouva tiré de la rose lumineuse de son esprit le flot de l’amoureuse contemplation divine dont parle le prophète : « L’impétuosité du flot réjouit ma cité », c’est-à-dire de mon âme ; et cela lui advint certes de par la clarté de son âme ; c’est par là que l’amour pénétra de par la puissance d’engendrement de la déité. Eckhart: Sermon 23