Voyons donc brièvement la question du bien et du mal à la lumière des divines Écritures, et la réponse à faire à l’objection : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? D’après les divines Écritures, le bien au sens propre consiste dans les vertus et les actions vertueuses, et le mal au sens propre, dans leurs contraires. Je me contenterai ici des paroles du psaume trente-troisième qui établissent ce point : « Qui cherche le Seigneur ne manque d’aucun bien. Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous apprendrai la crainte du Seigneur. Quel est l’homme qui désire la vie, qui aime voir des jours heureux ? Garde ta langue du mal, tes lèvres des paroles trompeuses. Détourne-toi du mal et fais le bien. » En effet, l’injonction « détourne-toi du mal et fais le bien » n’a en vue ni le bien et le mal physiques, comme les nomment certains, ni les choses extérieures, mais le bien et le mal de l’âme. Car justement, celui qui s’est détourné de ce genre de mal et accomplit ce genre de bien par désir de la vie véritable y parviendra ; « Celui qui aime voir des jours heureux » où le Logos est le soleil de justice les atteindra, Dieu le délivrant « du monde présent qui est mauvais » et de ces mauvais jours dont Paul disait : « Mettez à profit le temps présent ; car les jours sont mauvais. »
Mais on trouverait, au sens impropre, que, dans l’ordre des choses physiques et extérieures, ce qui concourt à la vie naturelle est estimé bien et ce qui s’y oppose est jugé mal. Ainsi Job dit à sa femme : « Si nous avons reçu le bien de la main du Seigneur, ne supporterions-nous pas le mal» ? » Aussi trouve-t-on dans les divines Écritures ce passage attribué à Dieu : « C’est moi qui fais la paix et qui crée le mal », et cet autre où on dit de lui : « Le mal est descendu d’auprès du Seigneur contre les portes de Jérusalem, bruit de chars et de cavaliers. » Ces textes ont troublé bien des lecteurs de l’Écriture, incapables de discerner ce qu’elle désigne par bien et mal. De là provient sans doute l’objection de Celse : Comment pouvait-il créer le mal ? ou bien, c’est à la suite d’une explication simpliste de ces passages qu’il a formulé l’objection.
Mais nous, nous disons : Dieu n’a pas créé le mal, la malice, les actions qui en procèdent. Car si Dieu avait créé le mal véritable, comment donc serait-il possible de prêcher avec hardiesse le jugement, d’annoncer que les méchants seront punis pour leurs actions mauvaises et en proportion de leurs péchés, et que ceux qui auront mené une vie vertueuse ou accompli des actes de vertu seront bienheureux et recevront la récompense divine ? Je sais bien que ceux qui osent prétendre que le mal aussi vient de Dieu allégueront quelques textes de l’Écriture. Mais ils ne peuvent pas montrer une suite cohérente de l’Écriture. Elle accuse les pécheurs et approuve les hommes de bien, mais n’en a pas moins ces expressions en assez grand nombre qui semblent troubler les lecteurs ignorants de l’Écriture divine. Citer ici ces passages troublants qui sont nombreux et les interpréter exigerait une longue explication ; j’ai pensé qu’elle ne convenait pas au présent traité.
Donc, à prendre le terme au sens propre, Dieu n’a pas créé le mal : il résulte de ses oeuvres primaires et en petite quantité relativement à l’ordonnance de l’univers ; un peu comme les copeaux en spirale et la sciure de bois résultent des oeuvres primaires du menuisier, et comme auprès des maisons les décombres, les débris tombés des pierres et de la poussière semblent l’oeuvre des constructeurs.
Mais, à prendre le terme au sens impropre de maux physiques et extérieurs, on accorde que parfois Dieu en crée un certain nombre qu’il fait servir à la conversion. Et qu’y a-t-il d’absurde dans cette doctrine ? Si l’on entend par maux au sens impropre les peines qu’infligent les pères, les maîtres et les pédagogues à ceux qu’ils éduquent, ou les médecins à ceux qu’ils amputent ou cautérisent pour les guérir, on peut dire que le père fait mal à ses enfants comme les maîtres, les pédagogues ou les médecins, sans accuser le moins du monde ceux qui frappent ou qui amputent. Ainsi, la doctrine n’a-t-elle rien d’absurde quand l’Écriture dit que Dieu applique de pareils traitements pour convertir et guérir ceux qui ont besoin de ces peines, ni quand elle dit que « les maux descendent d’auprès du Seigneur contre les portes de Jérusalem », puisque ces maux consistent dans des peines infligées par les ennemis pour la conversion ; ou qu’il châtie « avec la verge les iniquités » de ceux qui ont transgressé la loi de Dieu, et « leurs péchés avec les fouets » ; ou quand Dieu dit : « Tu as des charbons de feu ; assieds-toi sur eux, ce sera ton secours. » De cette manière aussi nous expliquons : « C’est moi qui fais la paix et qui crée le mal. » Il crée les maux physiques et extérieurs pour purifier et pour élever ceux qui ont refusé l’éducation par une doctrine et un enseignement sains. Voilà pour répondre à sa question : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ?