Nous pensons qu’ils peuvent être considérés comme des êtres animés par le fait qu’ils reçoivent, selon l’Écriture, des commandements de Dieu, ce qui ne peut se faire qu’avec des vivants raisonnables. Il leur donne en effet un commandement : Moi, j’ai commandé à toutes les étoiles. Quels sont ces préceptes ? Evidemment celui que chaque astre, suivant son ordre et son cours, fournisse au monde la quantité de lumière qui lui est accordée. Les astres qu’on appellent planètes se meuvent suivant un certain ordre, ceux que l’on nomme fixes suivant un autre. Ceci montre avec beaucoup de clarté qu’aucun corps ne peut se mouvoir sans âme et que les êtres animés ne peuvent jamais être sans mouvement. Mais les étoiles qui se meuvent avec tant d’ordre et de raison qu’on ne voit absolument pas ce qui pourrait jamais faire obstacle à leur course, comment ne serait-il pas de la dernière sottise de dire qu’un tel ordre, qu’une telle observation de la discipline et de la raison, seraient exécutés et accomplis par des êtres irrationnels ? Chez Jérémie assurément, la lune est appelée la reine du ciel. Si les étoiles sont animées et raisonnables, sans aucun doute il semblera qu’il y ait aussi chez elles des progrès ou des décadences. Ce que dit Job : Les étoiles ne sont pas pures à sa vue, me semble indiquer une signification de ce genre. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Supposons cependant, malgré ces preuves tout à fait évidentes, que c’est de je ne sais quel autre Dieu que le Sauveur a dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, et tous les autres textes que nous avons invoqués. Si la loi et les prophètes sont l’oeuvre du créateur, à ce que disent les hérétiques, c’est-à-dire d’un autre Dieu que celui qu’ils présentent comme le Dieu bon, comment concilier avec cela ce que le Christ ajoute, que la loi et les prophètes dépendent de ces deux commandements ? Comment ce qui est étranger et éloigné de Dieu dépendra-t-il de Dieu ? Lorsque Paul déclare : Je rends grâce à mon Dieu que je sers comme l’ont fait mes ancêtres avec une conscience pure, il montre clairement qu’il n’est pas venu au Christ pour aller à un Dieu nouveau. Ces ancêtres de Paul faut-il les comprendre autres que ceux dont il dit : Ils sont Hébreux, moi aussi; ils sont Israélites, moi aussi. Mais la préface même de son Epître aux Romains ne montre-t-elle pas avec soin, à ceux qui savent comprendre les lettres de Paul, quel est ce Dieu que prêche Paul ? Il dit en effet : Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé apôtre, mis à part pour l’évangile de Dieu, que Dieu a promis dans les saintes Écritures au sujet de son Fils, ce Fils qu’il a fait chair à partir de la semence de David, qu’il a prédestiné comme Fils de Dieu dans sa puissance selon l’Esprit de sanctification en ressuscitant des morts Jésus-Christ notre Seigneur, et cetera. On peut aussi citer cette parole : Tu ne musèleras pas le boeuf qui foule l’aire; mais Dieu se soucie-t-il des boeufs ? Ou le dit-il assurément pour nous ? Pour nous en effet cela est écrit, car celui qui laboure doit labourer avec l’espérance et celui qui foule l’aire avec l’espoir de récolter. Par là, Paul montre avec évidence que le Dieu qui donne la loi a dit pour nous, c’est-à-dire pour ses apôtres : Tu ne musèleras pas le boeuf qui foule l’aire, car il ne se souciait pas des boeufs, mais des apôtres qui prêchaient l’évangile du Christ. Traité des Principes: Livre II: Premier traité (II, 4-5): Première section
Que bien vivre soit notre oeuvre et que Dieu nous le demande, non comme étant son oeuvre à lui ni celle de quelqu’un d’autre ou, comme certains le pensent, du destin, mais comme notre oeuvre à nous, le prophète Michée en témoignera en ces termes : S’il t’a été annoncé, homme, ce qu’est le bien, ou ce que Dieu demande de toi, pas autre chose que de pratiquer le jugement, d’aimer la miséricorde et d’être prêt à aller avec le Seigneur ton Dieu. De même Moïse : J’ai mis devant toi la voie de la vie et la voie de la mort: choisis le bien et marche dans sa voie. Ou encore Isaïe : Si vous le voulez et si vous m’écoutez, vous mangerez les biens de la terre; si vous ne le voulez pas et ne m’écoutez pas, un glaive vous dévorera; car la bouche du Seigneur a parlé ainsi. Et dans les Psaumes: Si mon peuple m’écoulait et si Israël avait marché dans mes voies, j’aurais réduit au néant leurs ennemis [et j’aurais mis la main sur ceux qui les persécutent]. Cela suppose qu’écouter et marcher dans les voies de Dieu est au pouvoir du peuple. Et le Seigneur, quand il dit : Moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Et : Celui qui s’emporte contre son frère sera coupable du jugement. Et : Si quelqu’un regarde une femme pour la convoiter, il a déjà commis l’adultère dans son coeur. Et par tous les autres commandements qu’il donne, il affirme qu’il est en notre pouvoir d’observer les préceptes et que nous serons à bon droit condamnés au jugement si nous les transgressons. C’est pourquoi, dit-il, celui qui entend mes paroles et les accomplit sera comparé à un homme sensé qui a bâti sa maison sur la pierre, etc. Celui qui entend, mais n’accomplit pas, est semblable à un fou qui a bâti sa maison sur le sable, etc. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Puisqu’on peut aussi tirer dans le sens contraire, c’est-à-dire comme s’il ne dépendait pas de nous de garder les commandements pour être sauvés et de les enfreindre pour être perdus, quelques passages de l’Ancien et du Nouveau Testament, nous allons en exposer quelques-uns et envisager leurs solutions pour que, en partant des cas exposés, chacun puisse choisir de même les textes qui lui paraissent contredire le libre arbitre et examiner leur solution. Beaucoup sont émus par ce qui concerne Pharaon, au sujet de qui Dieu proclame plusieurs fois : J’endurcirai le coeur de Pharaon. S’il est endurci par Dieu et s’il pèche à cause de cet endurcissement, ce n’est pas lui qui est cause de son péché : s’il en est ainsi Pharaon n’a pas de libre arbitre. Et l’on dira que de la même façon ceux qui sont perdus n’ont pas le libre arbitre et que ce n’est pas par leur faute qu’ils périssent. Et ce qui est dit dans Ézéchiel : J’enlèverai leurs coeurs de pierre et je leur mettrai des coeurs de chair, afin qu’ils marchent dans mes commandements et qu’ils gardent mes prescriptions, poussera peut-être certains à penser que c’est Dieu qui donne de marcher dans les commandements et de garder les prescriptions en ôtant l’obstacle, le coeur de pierre, pour mettre à la place ce qui est meilleur, le coeur de chair. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Voyons maintenant ce texte d’Ézéchiel : J’enlèverai leurs coeurs de pierre et je leur mettrai des coeurs de chair, afin qu’ils marchent dans mes commandements et qu’ils gardent mes prescriptions. Si c’est Dieu, quand il le veut, qui enlève les coeurs de pierre et qui met les coeurs de chair, pour nous permettre de garder ses prescriptions et d’observer ses préceptes, il n’est pas en notre pouvoir de déposer la malice. En effet dire que les coeurs de pierre sont enlevés ne signifie pas autre chose que L’ablation de la malice qui endurcit quelqu’un quand Dieu veut la lui ôter. Et dire qu’un coeur de chair est mis, pour qu’on marche dans les prescriptions de Dieu et qu’on garde ses préceptes, qu’est-ce que cela signifie d’autre que de devenir docile et non résistant envers la vérité et de pratiquer les vertus ? Si c’est Dieu qui promet de le faire, si avant qu’il enlève les coeurs de pierre nous ne pouvons les déposer, il n’est évidemment pas en notre pouvoir de déposer la malice ; et si ce n’est pas nous qui agissons pour mettre en nous un coeur de chair, mais si c’est l’oeuvre de Dieu, il ne dépend pas de nous de vivre vertueusement, mais ce sera entièrement une grâce de Dieu. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Voilà ce que dira celui qui supprime le libre arbitre à partir du sens littéral seul. Mais nous, nous répondrons qu’il faut l’entendre de la façon suivante : lorsque quelqu’un, ignorant et inculte, mais conscient des maux dont il souffre, soit par suite des exhortations d’un maître, soit d’une autre façon de lui-même, se livre à celui qui peut, à son avis, le mener à l’éducation et à la vertu, et que ce maître lui promet d’ôter son inculture et de lui donner la culture, ce dernier ne veut pas dire que celui qui se confie à ses soins n’a rien à faire pour être instruit et pour fuir l’inculture, sinon se présenter pour être soigné, mais il promet seulement d’améliorer celui qui le désire. C’est de la même façon que la Parole divine promet à ceux qui vont à elle d’ôter leur malice, ce qu’elle appelle le coeur de pierre, non quand ils s’y opposent, mais quand ils se livrent eux-mêmes au Médecin des malades. On trouve pareillement dans les Évangiles des malades qui vont au Sauveur en demandant à recevoir la guérison, et qui sont soignés. Recouvrer la vue, par exemple, si on considère la demande, faite avec foi, de pouvoir être soigné, c’est l’oeuvre des malades ; mais si on considère le rétablissement de la vision, c’est l’oeuvre de notre Sauveur. C’est ainsi que la Parole de Dieu promet de donner la science à ceux qui s’approchent d’elle, enlevant le coeur de pierre, le coeur endurci, c’est-à-dire la malice, afin qu’on puisse marcher dans les préceptes divins et garder les commandements divins. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Je pense que nous pouvons donner la justification suivante à la phrase : Ce n’est donc pas l’oeuvre de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Salomon dit dans le livre des Psaumes – c’est de lui qu’est le Cantique des Montées, dont nous présentons ces paroles – : Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain ont travaillé ses bâtisseurs ; si le Seigneur ne garde la cité, en vain a veillé son gardien. Il ne nous détourne pas de construire et il ne nous apprend pas par là à ne pas veiller pour garder la cité qui se trouve en notre âme, mais il enseigne que ce qui est bâti sans Dieu et ce qui n’est pas sous sa garde est bâti en vain et gardé sans résultat, car c’est à bon droit que Dieu est décrit comme le maître de la construction et le Seigneur de l’univers comme le chef de ceux qui gardent la ville. C’est comme si nous disions : Cette construction n’est pas l’oeuvre du bâtisseur, mais de Dieu ; ou, si cette ville n’a rien souffert de ses ennemis, le succès n’est pas à attribuer à son gardien, mais au Dieu de l’univers. Nous n’aurions pas tort, si on sous-entend cependant que l’homme a fait quelque chose, mais que l’exploit doit être rapporté avec actions de grâces à Dieu qui a tout accompli. De même, puisque le vouloir humain ne suffit pas pour atteindre la fin, ni le fait de courir comme des athlètes pour obtenir le prix de l’appel céleste venant de Dieu dans le Christ Jésus – c’est en effet avec l’assistance de Dieu que cela s’accomplit -, il est écrit justement : Ce n’est pas l’oeuvre de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. On peut invoquer à ce sujet ce qui est écrit comme s’il s’agissait d’un travail agricole : C’est moi qui ai planté, Apollos qui a arrosé, mais Dieu qui a fait croître: de telle sorte que ni celui qui plante ni celui qui arrose ne sont quelque chose, mais celui qui fait croître, Dieu. Il serait impie, à notre avis, de dire que, si les fruits sont parvenus à leur plénitude, c’est l’oeuvre du cultivateur ou de celui qui arrose, alors que c’est l’oeuvre de Dieu. Pareillement en ce qui regarde notre perfection, on ne peut dire que nous n’ayons rien fait, cependant ce n’est pas nous qui l’avons accomplie, mais Dieu qui en a fait la plus grande part. Et pour qu’on croie avec plus de clarté à ce que nous disons, prenons en exemple l’art du pilote. Par comparaison à l’action des vents qui soufflent, à la sérénité de l’air, à l’éclat des astres, tout cela collaborant au salut des navigateurs, quelle importance a, dirait-on, pour retrouver le port, l’art du pilote ? Les pilotes eux-mêmes sont souvent assez circonspects pour ne pas se permettre de reconnaître qu’ils ont sauvé le navire, mais ils rapportent le tout à Dieu : cela ne veut pas dire qu’ils n’aient rien fait, mais que la part de la Providence est infiniment plus grande que celle de la technique. En ce qui concerne notre salut, la part de Dieu est infiniment plus grande que celle de notre libre arbitre. C’est pourquoi, à mon avis, il est dit : Ce n’est pas l’oeuvre de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. S’il fallait comprendre comme le font nos objecteurs la phrase : Ce n’est pas l’oeuvre de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde, les commandements seraient superflus et c’est en vain que Paul distribue le blâme à ceux qui sont tombés, la louange à ceux qui se conduisent bien, et légifère pour les Églises : en vain nous nous appliquons à vouloir les biens les meilleurs, en vain à courir. Mais non, ce n’est pas en vain que Paul conseille ceci, blâme les uns et approuve les autres, ce n’est pas en vain que nous nous consacrons à vouloir les biens les meilleurs et à nous hâter vers les biens supérieurs. Nos objecteurs donc n’ont pas bien compris ce qui concerne ce passage. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Qui sera assez sot pour penser que, comme un homme qui est agriculteur, Dieu a planté un jardin en Eden du côté de l’orient et a fait dans ce jardin un arbre de vie visible et sensible, de sorte que celui qui a goûté de son fruit avec des dents corporelles reçoive la vie? Et de même que quelqu’un participe au bien et au mal pour avoir mâché le fruit pris à cet arbre. Si Dieu est représenté se promenant le soir dans le jardin et Adam se cachant sous l’arbre, on ne peut douter, je pense, que tout cela, exprimé dans une histoire qui semble s’être passée, mais ne s’est pas passée corporellement, indique de façon figurée certains mystères. Quant à Caïn fuyant de devant la face de Dieu, selon l’avis clair des gens compétents, ce passage amènera celui qui réfléchit à se demander qu’est-ce que la face de Dieu et qu’est-ce que fuir de devant elle. Qu’y a-t-il à ajouter à cela ? Ceux dont l’intelligence n’est pas tout à fait obtuse peuvent recueillir bon nombre de choses semblables, qui sont représentées comme si elles s’étaient passées, alors qu’elles ne se sont pas passées littéralement. Mais les Évangiles aussi sont pleins d’expressions de cette espèce : le diable a porté Jésus sur une haute montagne pour lui montrer de là-haut les royaumes du monde entier et leur gloire. Quand on lit cela sans superficialité, ne blâmera-t-on pas ceux qui pensent qu’avec l’oeil du corps, qui a besoin d’une certaine hauteur pour apercevoir ce qui est placé plus bas, on peut voir les royaumes des Perses, des Scythes, des Indiens et des Parthes, et la gloire que leurs souverains reçoivent des hommes ? Celui qui cherche l’exactitude peut observer d’autres expressions semblables en très grand nombre dans les Évangiles et admettre que, dans les histoires qui se sont passées selon la lettre, sont tissées d’autres histoires qui ne se sont pas passées. Si nous en venons à la législation de Moise, nombreuses sont les lois, pour autant qu’on puisse l’observer par soi-même, qui manifestent des illogismes, ou même des impossibilités. Des commandements déraisonnables, lorsqu’il est interdit de manger des vautours, car même dans les plus grandes famines personne n’a été forcé par la pénurie d’en arriver à manger un tel animal. Lorsqu’il est ordonné d’exterminer de la race les enfants de huit jours qui n’ont pas été circoncis, il faudrait, s’il fallait qu’une telle législation ait été donnée au sens littéral, ordonner que leurs pères ou ceux qui les élèvent soient mis à mort. Or l’Écriture dit : Tout mâle incirconcis, qui n’a pas été circoncis le huitième jour, sera exterminé de la race. Si vous voulez voir des préceptes impossibles, remarquons que le tragélaphe est un animal qui ne peut pas exister, et cependant, puisqu’il est pur, Moïse ordonne de le prendre pour nourriture ; on ne dit pas que le griffon soit jamais tombé sous la main des hommes et cependant le législateur défend de le manger. A propos du sabbat dont on parle tant, si on réfléchit sur le précepte : Vous serez assis chacun dans sa maison; que personne ne quitte sa place le septième jour, il est impossible de l’observer selon la lettre, car aucun vivant ne peut rester assis toute la journée et demeurer sans mouvement après qu’il s’est assis. C’est pourquoi ceux qui appartiennent à la circoncision et tous ceux qui refusent de voir quelque chose de supérieur à la lettre n’ont jamais commencé à se poser des questions sur quelques points, comme en ce qui concerne le tragélaphe, le griffon et le vautour ; mais sur d’autres ils radotent, parlant beaucoup et inutilement, rapportant des traditions insipides, comme lorsqu’ils disent au sujet du sabbat que l’espace concédé à chacun pour ses déplacements est de deux mille coudées. D’autres, comme Dosithée le Samaritain, tout en blâmant de telles explications, pensent que l’on doit rester jusqu’au soir dans la position dans laquelle on a été surpris par le jour du sabbat. Mais il est impossible de ne pas lever de fardeau le jour du sabbat: c’est pourquoi les docteurs des Juifs en sont venus à des bavardages interminables, disant que tel genre de soulier est un fardeau mais non pas tel autre, que la sandale à clous est un fardeau et non celle qui n’en a pas, que ce qui est porté sur une épaule est un fardeau et non ce qui l’est sur les deux. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section