Climacus: zèle

3. Mais, comme il faudrait des livres entiers pour dire tout ce qu’il y aurait à dire sur ces différentes espèces de créatures, et qu’un homme ignorant comme moi serait incapable d’une si grande entreprise, je crois qu’il vaut mieux que, pour obéir aux véritables serviteurs de Dieu, dont la tendre piété me fait violence, et dont le zèle et la bonne volonté me pressent, je me borne et m’arrête aux choses qui peuvent servir à l’édification de leurs âmes; que, quelque incapable que je doive me reconnaître, je prenne la plume de leurs mains, et que, la trempant avec simplicité dans l’humble soumission à leurs voeux prononcés, j’aie lieu, malgré mon impuissance et mon incapacité, d’espérer et de recevoir de mon obéissance quelques grâces et quelques lumières, afin que, traçant sur un papier d’une admirable blancheur les règles d’une vie sainte et pure, je les trace aussi dans leurs coeurs bien préparés et saintement purifiés, que je les écrive sur des cahiers mystérieux et vivants. C’est de cette manière et dans ces dispositions que je vais commencer. PREMIER DEGRÉ

21. Oui, je le répète, ils doivent endurer bien des travaux, dévorer bien des afflictions, principalement ceux qui ont eu le malheur de vivre sans penser aucunement à leur salut, s’ils veulent que leur coeur, après n’avoir eu que trop de ressemblance avec les chiens, qui ne se plaisent qu’à manger et à japer, puisse parvenir à la simplicité, à la douceur, à la patience, au zèle, à la ferveur, à la tempérance, à la pureté, et à l’amour du salut éternel. Cependant, aussi dépendants que nous soyons à nos penchants, aussi graves que soient les maladies de notre âme, gardons-nous bien de perdre courage; mettons, au contraire, en Dieu une confiance pleine et entière. Ainsi, alors même que nous nous sentons faibles, soutenus par la fermeté d’une foi inébranlable, présentons-nous devant le Christ, et, avec une grande simplicité et une profonde humilité, exposons-lui notre faiblesse et nos misères, l’abattement de notre âme et de notre corps; et, tout indignes que nous en soyons, il nous tendra la Main avec bonté, et nous prendra sous sa puissante Protection avec une tendre charité. PREMIER DEGRÉ

24. Un athlète qui, sans force et sans courage, entre dans l’arène, s’attire le mépris et l’aversion des spectateurs, et s’expose à une défaite éminente; aussi tout le monde juge que sa perte est certaine. Il nous est donc très important et très nécessaire de commencer notre carrière religieuse avec courage, zèle et ferveur, quand même il devrait nous arriver dans la suite de nous relâcher un peu. En effet une âme qui s’est vue dans un temps remplie de courage et d’ardeur, et qui se voit, après, tiède et languissante, trouve dans cette comparaison un véritable aiguillon qui l’excite. C’est ainsi que plusieurs se sont animés et réchauffés dans la piété. PREMIER DEGRÉ

34. Que personne, en considérant l’énormité et le nombre de ses fautes, n’y trouve une raison ou un prétexte pour se croire incapable de se convertir et d’embrasser la vie religieuse; car il serait bien à craindre qu’il ne s’en jugeât indigne que parce qu’il ne veut pas renoncer aux plaisirs dont il jouit, ni sortir de la paresse qui le retient captif, et qu’on ne pût lui appliquer ces paroles : “Ils cherchent des excuses à leurs péchés (Ps 140,4).” Eh ? mon Dieu, n’est-ce pas lorsqu’il y a beaucoup de pus et de corruption dans un ulcère, qu’il est nécessaire d’avoir un médecin habile et expérimenté, et notre divin Sauveur ne nous dit-il pas Lui-même que “ce ne sont pas les biens portants, qui ont besoin de médecin (Mt 9)” ? 35. Lorsqu’un grand roi, voulant entreprendre une expédition importante, nous fait appeler auprès de sa personne, et nous déclare qu’il veut se servir de nous, ah ! nous obéissons avec empressement, nous n’usons d’aucun délai, nous n’alléguons aucun prétexte; mais, abandonnant tout, nous nous hâtons de nous présenter devant lui pour recevoir et exécuter ses ordres. Or est-ce avec le même zèle et la même diligence que nous répondons à la voix du Roi des rois, du Seigneur des seigneurs et du Dieu des dieux, qui nous appelle et veut nous enrôler sous les étendards de sa milice céleste, en nous faisant entrer dans les voies de la vie religieuse ? N’est-il pas à craindre que notre paresse et notre négligence à répondre à son appel ne nous mettent sans excuse et sans défense, lorsqu’il nous citera à comparaître devant son redoutable tribunal ? PREMIER DEGRÉ

42. Consacrez donc au Christ la fleur de votre jeunesse, et travaillez à sa Gloire avec un zèle ardent; et, dans un âge avancé, le souvenir de vos bonnes oeuvres vous inondera d’une délicieuse allégresse, car ce qu’on a ramassé et recueilli dans la jeunesse, nourrit et console dans les faiblesses et les langueurs de la vieillesse. Tandis donc que nous sommes pleins de force et de santé, travaillons avec une noble ardeur, et parcourons la carrière religieuse avec sagesse et prudence; car la mort est incertaine, et nous avons affaire à des ennemis méchants, cruels, puissants, vigilants, incorporels, invisibles, et toujours armés de torches enflammées pour réduire en cendres les temples vivants du Seigneur. PREMIER DEGRÉ

25. Ces personnes qui semblent être toutes dévouées à nos intérêts, mais qui réellement ne nous veulent que du mal, nous promettent des montagnes d’or, et nous assurent avec zèle qu’elles ne nous feront que des choses qui nous seront très agréables et très utiles; mais tous ces témoignages sont trompeurs : tout ce qu’elles se proposent par là, c’est de nous détourner du chemin qui doit nous conduire au bonheur éternel, et de nous engager à faire et à suivre leur propre volonté. TROISIÈME DEGRÉ

7. Que cette considération nous fasse comprendre combien il nous est nécessaire, pour avoir en nos directeurs une confiance parfaite et constante, de graver si profondément dans nos esprits et dans nos coeurs, les bonnes oeuvres et les vertus que nous leur voyons pratiquer; que rien ne soit capable de les effacer de notre mémoire, et que, lorsque les démons chercheraient à nous porter à nous défier des lumières et de la sagesse des directeurs qui nous conduisent, nous repoussions victorieusement cette tentation par le souvenir de leurs bonnes et saintes actions. Car nous ne pouvons révoquer en doute que nous nous portons à faire ce qui nous est ordonné, avec d’autant plus de zèle et de promptitude, que nous avons plus de confiance en celui qui est à notre tête. Aussi pouvons-nous assurer que ceux qui manquent de confiance en leurs directeurs, sont bien près de tomber, si déjà ils ne sont pas tombés, puisque “tout ce qui ne vient pas de la confiance est péché.” (Rom 14,23). QUATRIÈME DEGRÉ

Le saint abbé, en voyant d’aussi heureuses dispositions, assembla tous les moines dans l’église du monastère. Ils étaient trois cent trente, et c’était un dimanche après l’évangile. Il fit venir ce voleur, qui était déjà justifié. Il avait les mains liées derrière le dos, le corps revêtu d’un cilice effrayant, la tête couverte de cendres; quelques frères le menaient avec une corde, et d’autres le frappaient légèrement avec des verges. Comme tout le monde n’avait rien su de ce qui se passait, ce spectacle effraya tellement les religieux, qu’ils ne purent retenir leurs cris, ni comprimer leurs gémissements. Quand il fut arrivé à la porte de l’église, le supérieur, plein de zèle et de sagesse, lui dit d’une voix forte et terrible : “Arrêtez-vous, car vous êtes indigne d’entrer dans la maison de Dieu.” Ces paroles, sorties de la bouche de ce prudent directeur, qui était dans le lieu saint, frappèrent ce voleur d’une si grande terreur, qu’il ne crut pas avoir entendu une voix humaine, mais un violent coup de tonnerre, et que saisi de crainte et d’horreur, il tomba le visage contre terre : c’est ce que lui-même nous a plusieurs fois assuré avec serment. Or tandis que ce voleur pénitent était ainsi prosterné, et qu’il arrosait le pavé d’un torrent de larmes, l’abbé, qui dans cette action ne cherchait que le salut de ce malheureux, et qui voulait aussi présenter à ses moines un modèle efficace d’une profonde et salutaire humilité, lui dit et lui commanda de déclarer avec ordre, en détail et devant tout le monde, les crimes qu’il avait commis et les fautes qu’il avait faites; ce que cet excellent pénitent fit en frissonnant, et en causant à ceux qui l’entendaient confesser des crimes horribles et inouïs, un étonnement et une terreur inexprimables : car il confessa non seulement les péchés qu’il avait commis en violant les lois ordinaires de la nature et en portant la brutalité au delà des créatures raisonnables, mais encore des empoisonnements, des homicides et d’autres attentats si exécrables, qu’il n’est pas permis aux oreilles de les entendre, ni à la plume de les transcrire. Quand il eut achevé, l’abbé ordonna qu’on lui coupât les cheveux et qu’on le reçoive au nombre des frères. QUATRIÈME DEGRÉ

“Isidore, lui dit-il, si vous avez pris la ferme résolution de porter le joug de Jésus Christ, je veux avant toute chose que vous vous exerciez dans la pratique de l’obéissance.” À quoi Isidore répondit : “Mon très saint Père, je me donne à vous pour vous être aussi soumis que le fer l’est au forgeron.” Cette réponse satisfit et encouragea l’abbé, qui, charmé de la comparaison dont il s’était servi, le mit de suite comme sur l’enclume. “Eh bien, mon cher frère, lui dit l’abbé, je juge à propos et je vous ordonne de vous tenir à la porte du monastère, de vous mettre à genoux devant tous ceux qui entreront ou qui sortiront, et de leur dire : Mon Père, priez pour moi, car je ne suis qu’un épileptique spirituel.” Isidore obéit à l’abbé avec la même soumission et la même exactitude que les anges obéissent à Dieu. Ce fut ainsi qu’il passa sept années consécutives. Or, après qu’il eut passé ce temps dans ce dur et pénible exercice, et qu’il eut acquit, une obéissance parfaite, une humilité profonde et une vive componction de ses péchés, l’abbé, dans sa haute sagesse, jugea que par ces vertus solides cet homme était digne d’être reçu au nombre des frères et d’entrer dans les ordres sacrés; mais Isidore, qui, pendant tout ce temps avait pratiqué une patience si extraordinaire et une soumission si généreuse, fit tant d’instances, soit par lui-même, soit par les autres, soit par moi-même, pour qu’on lui permît d’achever sa carrière dans ce même lieu et dans les mêmes exercices, laissant assez à comprendre qu’il croyait n’avoir pas fort longtemps à vivre, et qu’il était sur le point de sortir de ce monde, ainsi que l’apprit l’événement, que l’abbé lui accorda ce qu’il demandait avec tant de zèle et d’ardeur. Mais dix jours après, cet illustre pénitent alla prendre possession de la gloire éternelle qu’il avait méritée par le mépris parfait qu’il avait eu pour la gloire temporelle; et sept jours après sa mort, conformément à la parole qu’il lui avait donnée, il attira dans le ciel le portier du monastère : car il lui avait dit quelques jours avant de mourir : “Si j’ai quelque pouvoir auprès de Dieu dans le ciel, nous serons bientôt réunis ensemble auprès de Lui, pour ne nous séparer jamais.” Or tout cela arriva de la sorte, parce que le Seigneur voulut, d’une manière sensible et frappante, faire connaître l’excellence et le mérite de l’obéissance par laquelle il n’avait pas eu honte de faire exactement et de grand coeur les choses basses et humiliantes qu’on lui avait ordonnées, et de son humilité profonde, par laquelle il avait si parfaitement imité le Fils de Dieu. QUATRIÈME DEGRÉ

34. Je ferais une peine réelle à tous ceux qui ont du zèle et de l’amour pour la pratique de la vertu, si je ne disais rien ici des saints exercices et des grands travaux de Macédonius, premier diacre de ce monastère. Ce grand serviteur de Dieu, si favorisé de son divin Maître, demanda à l’abbé, deux jours avant la solennité des Rois, que les Grecs appellent Théophanie, la permission d’aller à Alexandrie pour des affaires importantes qui exigeaient nécessairement ce voyage. La permission lui fut accordée, mais à la condition expresse d’être de retour au monastère pour préparer tout ce qui était nécessaire pour la solennité. Mais le démon, ennemi juré de la vertu, fit naître tant d’obstacles, que Macédonius ne put revenir au temps fixé; il n’arriva que le lendemain de la fête. Pour le punir de sa désobéissance, l’abbé le suspendit de ses fonctions, et le condamna à vivre parmi les novices. Or ce saint diacre, grand par sa patience, mais plus grand encore par son humilité constante, reçut cet ordre et accepta cette pénitence avec le même calme et la même tranquillité d’esprit, que s’il n’eût pas été question de lui même. Après avoir passé quarante jours parmi les novices, l’abbé voulut lui rendre sa charge et ses honorables fonctions; mais le lendemain, que l’abbé l’avait rétabli dans sa dignité, il alla trouver son supérieur, pour le prier avec instance de vouloir bien le laisser dans ce état d’humilité et de pénitence, et de le laisser vivre jusqu’à la fin de sa vie au milieu des jeunes frères. Pour obtenir cette grâce, il l’assurait qu’il avait eu le malheur de commettre, à son voyage, une faute qui le rendait absolument indigne de pardon. Cependant, quoique le saint abbé sût parfaitement qu’il n’en était rien, et que son diacre n’alléguait ce prétexte qu’afin de pouvoir demeurer dans l’état d’abaissement où il était, il céda au désir si louable, de sa ferveur et de son humilité. On vit donc au milieu des jeunes moines, un homme vénérable par sa dignité et par son âge, leur demander le secours et l’assistance de leurs prières, afin, leur disait-il, d’obtenir de Dieu le pardon de l’exécrable désobéissance dont il s’était rendu coupable à Alexandrie. QUATRIÈME DEGRÉ

127. Lorsqu’on fait des reproches à un mauvais moine, on le voit de suite triste et de mauvaise humeur, ou bien il se jette lâchement aux pieds du supérieur qui lui fait des remontrances pénibles, afin de lui présenter mille excuses. Mais en s’humiliant ainsi, c’est moins dans le désir de pratiquer l’humilité et la soumission que pour mettre fin à une scène qui le fatigue. Si donc on vous mortifie par des reproches amers, sachez garder un silence salutaire, et supporter avec une patience courageuse qu’on applique à votre âme le fer et le feu des corrections sévères, lesquelles vous purifieront et répandront dans votre esprit des lumières abondantes; et lorsque votre médecin spirituel aura terminé son opération, prosternez-vous à ses pieds pour lui demander pardon et vous excuser : car si vous le faisiez dans le moment qu’il vous reprend avec zèle, il pourrait fort bien ne pas vous écouter, et même vous rejeter. QUATRIÈME DEGRÉ

19. Si vous passiez ailleurs, vous en entendiez d’autres se communiquer leurs craintes et leurs espérances, et se dire : “Pensez-vous que nous ayons fait quelques progrès dans notre pénitence ? Obtiendrons-nous enfin l’objet de nos voeux et de nos désirs ? Dieu écoute-t-Il à présent nos prières ? Croyez-vous qu’Il nous ouvre le sein de ses Miséricordes et de sa Tendresse” ? À toutes ces questions d’autres répondaient : “Qui sait si, comme nos frères les habitants de Ninive, nous ne pouvons pas dire que Dieu révoquera la sentence terrible qu’il a prononcée contre nous, et qu’il nous délivrera des châtiments rigoureux que nous avons mérités ? Ah ! pour obtenir cette faveur insigne, redoublons de zèle et de courage, accomplissons exactement notre pénitence. Quel bonheur pour nous, s’il nous ouvre la porte de sa Tendresse ! Et s’il ne nous l’ouvre pas encore, ne laissons pas de louer et de bénir son saint Nom, car sa Conduite à notre égard est toujours juste et pleine d’équité, et de persévérer jusqu’à la fin de notre vie à frapper à la porte de son Coeur par nos gémissements et nos larmes. Cette constante importunité et cette persévérance Lui feront peut-être violence, et nous obtiendront ce que nous cherchons avec ardeur. C’était ainsi qu’ils s’encourageaient les uns les autres. “Courons, s’écriaient-ils avec un saint enthousiasme; courons, ô nos chers Frères, car nous avons besoin de courir, et de courir de toutes nos forces : hélas, nous avons perdu la céleste compagnie dans laquelle nous coulions des jours si doux et si agréables, nous nous sommes égarés ! Courons donc; oui, courons, et n’épargnons pas une chair de péché et de corruption; matons, immolons généreusement nos corps : ils ont donné la mort à nos âmes.” CINQUIÈME DEGRÉ

24. Telles sont les choses que j’ai vues et entendues pendant que je suis resté dans ce monastère, et je vous avoue avec franchise qu’en comparant ma négligence et ma lâcheté avec les étonnantes mortifications que ces illustres pénitents pratiquaient avec tant de zèle et de courage, je fus violemment tenté de me laisser aller au découragement et au désespoir. Au reste, de quel côté qu’on envisageât ce monastère, on ne pouvait pas croire que ce fût une maison habitée par des hommes; car elle ne se faisait remarquer que par les ténèbres et l’obscurité qui régnaient dans toutes les pièces dont elle était composée, par la mauvaise odeur qui s’exhalait de tout côté, et par les ordures et la malpropreté qu’on rencontrait partout. C’est donc bien avec raison qu’on l’appelait la prison et le cachot des criminels; car, rien qu’en la regardant, on se sentait pénétré de tristesse et porté à des sentiments de pénitence. Mais ce qui paraît difficile et impraticable à certaines personnes, devient facile et même aimable à celles qui connaissent et sentent la perte qu’elles ont faite en perdant l’innocence et, avec elle, les dons précieux du ciel. En effet, une âme, qui se voit privée de la sainte amitié qui l’unissait délicieusement à Dieu, et de la confiance si douce et si consolante qu’elle avait en Lui; qui a perdu toute espérance de pouvoir en ce monde jouir de la paix parfaite, du coeur et de la suprême tranquillité, qui a violé le sceau de sa virginité; qui s’est elle-même dépouillée du trésor inestimable de la grâce et des consolations divines; qui a rompu l’alliance auguste qu’elle avait faite avec le Seigneur; qui a misérablement éteint en elle les ardeurs célestes de la charité, et fait sécher la source des larmes qu’elle répandait avec tant de douceur; une âme, dis-je, qui n’est plus frappée que du souvenir déchirant des biens qu’elle a perdus et des maux qu’elle s’est faits, et qui est comme froissée, brisée par la douleur qu’elle conçoit à la vue de sa folie et de ses crimes, non seulement se dévoue et se consacre promptement et avec ardeur aux travaux et aux exercices pénibles dont nous venons de parler, mais, selon qu’elle en est capable, se punit et se purifie par d’autres exercices spirituels. Et pourrait-elle en agir autrement, si elle a conservé quelque reste et quelque étincelle d’amour et de crainte de Dieu ? CINQUIÈME DEGRÉ

28. Cette langue qui ne sût jamais mentir, me raconta le fait suivant : “Il y a près de dix ans, nous avions ici un frère qui était d’une si grande piété, qui prenait tant de soin et d’attention pour être un véritable soldat de Jésus Christ, qui était animé d’un zèle si vif et d’une si grande ardeur dans les exercices de la vie religieuse, qu’en le voyant dans de si belles dispositions, je tremblais pour lui et craignais beaucoup que le démon, jaloux de ses vertus et de ses mérites, ne se servît de son ardeur et de son zèle même pour lui faire heurter le pied contre quelque mauvaise pierre. Or ce qui ne manque guère d’arriver à ceux qui marchent avec trop de précipitation, arriva malheureusement à ce frère : il fit une chute. Mais aussitôt il vint me trouver. C’était vers le soir. Il me découvrit et me montra la blessure qu’il avait faite à son âme; dans l’abîme de sa douleur, il me conjura avec instance d’y appliquer le fer et le feu, et de lui ordonner les remèdes convenables. Comme il vit que son médecin spirituel ne voulait pas employer la rigueur et la sévérité qu’il désirait, et ce pauvre religieux n’était pas indigne de quelque indulgence, il se jeta à mes pieds, les arrosant de ses larmes et me conjurant de l’envoyer à la Prison, que vous avez vue; et pour venir à bout de me gagner, il ne cessait de me répéter qu’il était impossible qu’on puisse le dispenser d’y être condamné. Ainsi par la violence qu’il me fit, il me força, en quelque sorte, à convertir en rigueur et en sévérité la douceur et la tendresse que j’avais pour lui. On vit donc dans ce religieux ce qu’on ne voit guère chez les malades, et ce qui est contraire au cours ordinaire des choses. Aussi je lui avais à peine accordé la permission qu’il demandait avec tant d’instance, qu’il courut promptement vers les pénitents, pour être leur confrère et l’imitateur de leurs travaux et de leurs larmes. La contrition que son amour pour Dieu lui avait fait concevoir de sa faute, fut si vive et si violente, que huit jours après qu’il fut entré dans le monastère, il partit de ce monde pour aller devant le Seigneur; mais, avant de mourir, il eut bien soin de demander que son corps fût privé de la sépulture. Je crus pour cette fois, ne pas devoir céder à ses désirs. Je fis donc apporter et déposer son corps dans le cimetière destiné à la sépulture des pères. Or je le jugeai digne de cet honneur, puisqu’après une pénitence de sept jours dans la Prison, Dieu l’avait trouvé capable, le huitième, de jouir de la liberté et de la félicité des cieux. En effet, il y a un religieux qui a su d’une manière certaine qu’avant même que cet illustre pénitent se soit relevé de devant les pieds vils et méprisables de celui qui vous parle, il avait reçu le pardon de son péché, et qu’il était parfaitement réconcilié avec Dieu. Eh! N’en soyons point étonnés, car il avait dans le coeur la même foi que la pécheresse de l’Évangile, et c’était avec une espérance et une confiance parfaites en Dieu, qu’il avait arrosé de ses larmes mes misérables pieds. Or tout n’est-il pas possible à celui qui croit ?” (Mt 9,22) Quant à moi, j’ai vu des âmes souillées de péchés, et possédées même par la folie et l’amour des plaisirs sensuels, lesquelles néanmoins, par les exercices de la pénitence, par la présence de ceux qui aimaient Dieu, et surtout par la considération approfondie de leur triste état, ont changé d’affections et de sentiments, ont donné leur coeur à Dieu, L’ont aimé uniquement, ont triomphé de toute crainte servile, et se sont enfin livrées entièrement aux saintes ardeurs de la charité. Aussi remarquons bien que notre Seigneur ne dit pas de la pécheresse convertie : “Elle a beaucoup tremblé”; mais elle a beaucoup aimé.” (cf. Lc 7,47). Et que ce fut par un amour ardent pour Dieu qu’elle se délivra de l’amour charnel et profane. CINQUIÈME DEGRÉ

29. Après tout, illustres Pères, je ne peux me défendre de penser que les choses extraordinaires que je viens de vous raconter, paraîtront incroyables à bien du monde, que d’autres les regarderont comme impossibles, et qu’enfin quelques autres en prendront peut-être sujet de se décourager et de tomber dans le désespoir. Mais il sera vrai aussi que les coeurs généreux et pleins de bonne volonté et de courage, s’en serviront comme d’un aiguillon pour s’exciter à la pratique parfaite des vertus les plus héroïques, comme d’une flèche qui les transpercera de l’amour de Dieu et les remplira de zèle et de ferveur. Pour ceux qui ne sont pas aussi avancés dans la piété, ces travaux leur feront sentir de plus en plus leur tiédeur et leur négligence, et par les reproches qu’ils seront obligés de se faire, en se comparant avec ces fervents religieux et ces illustres pénitents, ils acquerront une humilité profonde, feront quelques efforts pour imiter ces coeurs généreux, et pourront peut-être enfin les atteindre. Quant à ceux qui n’ont encore en partage que la tiédeur et la négligence, il serait imprudent pour eux de vouloir faire comme les coeurs fervents et généreux, et marcher tout d’un coup sur les traces de ces hommes parfaits : ce qu’ils doivent faire pour le moment présent, c’est de ne pas abandonner ce qu’ils ont commencé, afin de ne pas mériter que cette menace ne s’accomplisse sur eux : “On lui ôtera même ce qu’il paraît avoir.” (Mt 25,29). CINQUIÈME DEGRÉ

18. J’ai rencontré des personnes, qui, tout en conservant elles-mêmes le souvenir des outrages qu’elles avaient reçus, exhortaient avec beaucoup de zèle d’autres personnes qui étaient dans le même état, à quitter toute idée et à renoncer à tout souvenir des injures qui leur avaient été faîtes. Ces mêmes personnes, frappées et touchées des exhortations qu’elles faisaient aux autres, ont renoncé entièrement au souvenir des outrages qu’elles avaient reçus. NEUVIÈME DEGRÉ

29. Je crois que les démons, ces impitoyables homicides de nos âmes, ont deux raisons principales pour nous porter avec tant d’ardeur et de zèle, à des péchés qui répugnent aux lois de la nature : c’est, premièrement, parce que nous avons toujours en notre pouvoir et en notre disposition la matière du péché; secondement, parce qu’ils nous font par là mériter des peines plus sévères. C’est ce que misérablement éprouvé un homme extraordinaire. Il avait dans un temps commandé avec un empire absolu à ces bêtes féroces; mais un jour il en fut si horriblement assailli et si vigoureusement attaqué, que, non seulement elles le privèrent de la nourriture céleste dont il savourait les douceurs, mais le dépouillèrent de tout et le livrèrent à la plus affreuse misère. C’est pourquoi le bienheureux Antoine, notre maître dans la vie religieuse, en pleurant le malheur de cet homme qui cependant le répara par les rigueurs de la pénitence, disait en poussant de longs gémissements : “Elle est tombée cette grande et solide colonne de vertus.” Ce saint Père a jugé dans sa sagesse qu’il ne devait pas nous apprendre quelle était l’espèce de péché que ce malheureux avait commis contre la chasteté; mais on pense qu’il s’agissait d’un crime qu’il avait fait sur son propre corps. Hélas ! il y a donc en nous une espèce de mort et un principe de ruine bien funeste; et cette malheureuse mort réside en nous-mêmes, nous accompagne partout; mais c’est surtout pendant les années de la jeunesse, et je n’ose ni dire ni écrire son nom, car saint Paul me le défend par ces paroles : “Il est des choses qui se font en secret, qu’il serait honteux et indécent de nommer.” (Eph 5,12) QUINZIÈME DEGRÉ

62. Là où nous sommes le plus souvent tentés, c’est là où le démon ne voudrait pas que nous fuissions, et que c’est là, par conséquent, où nous devons soutenir ses assauts avec plus de force et de courage, de zèle et de persévérance; enfin, que celui qu’il n’attaque pas ainsi, semble être devenu son ami. QUINZIÈME DEGRÉ

64. Vous tous qui avez résolu de garder la chasteté et à être fidèles à cette vertu céleste, écoutez-moi, je vous prie, et remarquez avec moi un nouveau genre de malice de la part du cruel et impitoyable séducteur de nos âmes : veillez surtout avec grand soin pour ne pas en devenir les tristes victimes. Un serviteur de Dieu, qui en était instruit par sa propre expérience, m’a raconté que souvent le démon de l’impureté se retire de nous jusqu’au temps qu’il a fixé pour être le plus propre et le plus convenable à la tentation dans laquelle il veut nous faire tomber; que pendant cet intervalle il excite dans le malheureux qu’il veut précipiter dans le péché, les plus beaux et les plus pieux sentiments de dévotion, et qu’il lui ouvre une source abondante de larmes dans le temps même qu’il se trouve dans la compagnie des personnes du sexe, qu’alors il inspire à cet imprudent de leur parler avec zèle de la mort et du jugement, de la tempérance et de la chasteté, et de les exhorter à faire des méditations fréquentes sur les vérités importantes du salut et à pratiquer avec une inviolable fidélité les vertus si belles et si nécessaires que commande la religion. Trompées par ces discours et par ces apparences de piété, ces pauvres personnes courent, comme après un véritable pasteur, à la suite de ce moine, qui, par les ruses du démon et sans que lui-même s’en soit presque aperçu, est devenu un loup sanguinaire et dévorant. Mais que va-t-il arriver ? Hélas ! par la familiarité que peu à peu elles prennent, et par la liberté qu’elles ont de s’entretenir avec lui, elles finissent par se précipiter elles-mêmes et, avec elles, ce malheureux dans l’abîme profond du péché, et par consommer sa perte. QUINZIÈME DEGRÉ

3. L’insensibilité n’est-ce pas à un philosophe insensé qui, en donnant des leçons aux autres, prononce sa propre condamnation; à un avocat qui parle contre sa propre cause; à un médecin aveugle qui, tout en faisant de longues et savantes dissertations sur les moyens de guérir un malade, ne cesse d’agrandir et d’envenimer ses plaies et d’augmenter son mal ? En effet on l’entend parler avec zèle et science de la maladie de son âme, et on ne le voit jamais s’abstenir des choses qui l’entretiennent; il demande à Dieu de l’en délivrer, et, par ses mauvaises habitudes dans lesquelles il ne cesse de tomber, il s’enfonce et s’engage plus avant dans l’abîme; s’indigne contre lui-même : eh ! le malheureux ! ne rougit plus des reproches amers qu’il se fait; il sait encore qu’il fait mal, il le dit même, et il ne prend pas les moyens de se corriger; il parle de la mort, et il vit comme s’il ne devait jamais mourir; il pousse de longs gémissements sur les suites terribles et inévitables de la mort, et il est tranquille, comme s’il n’avait rien à craindre et qu’il fût immortel ici bas; il traite des avantages précieux et des fruits salutaires de la mortification, et il n’hésite pas de se livrer sans scrupule aux excès et aux délices de la bonne chère; il lit souvent ce qui regarde le jugement dernier, et il est assez insensé pour n’en faire aucun cas, et même pour en plaisanter; il parcourt, en lisant, ce qui est écrit de la vaine gloire, et cette lecture même augmente ce vice dans son misérable coeur; il donne des louanges aux veilles, et lui-même se plonge dans les douceurs du sommeil; il relève avec éloquence la vertu et l’excellence de la prière, et cependant il l’a en horreur et ne se livre à ce saint exercice qu’avec une extrême répugnance et par force : elle fait son supplice et son tourment. Il loue et exalte l’obéissance, et il est le premier à désobéir; il prodigue les éloges les plus pompeux à ceux qui n’ont aucune affection pour les biens fragiles et périssables de ce monde, et il n’a pas honte de se fâcher et de se disputer pour un vil et méprisable chiffon; il se met en colère de s’être fâché, et il s’irrite et s’indigne de s’être mis en mauvaise humeur; et, quoiqu’il tombe et retombe sans cesse, l’insensé ! il ne s’aperçoit même pas de ses chutes. Il se repent de s’être livré aux excès de l’intempérance, et un moment après il ajoute de nouveaux excès aux premiers; il béatifie le silence, et afin de ne pas l’observer, il se livre à de longs discours sur les louanges qu’il mérite; il fait d’excellentes exhortations aux autres pour les porter à pratiquer la douceur, et lui-même s’indigne et s’irrite de sa propre indignation et de ses impatiences; un peu rendu à lui-même, on le voit gémir sur son état déplorable; et à peine s’est-il donné le moindre mouvement pour en sortir, qu’il retombe dans une léthargie plus profonde : il blâme et condamne sévèrement les ris et la joie, et lui-même en parlant de la pénitence, se met à rire d’une manière qui fait pitié et annonce la folie; il s’accuse devant les autres d’être coupable de vaine gloire, et dans cette accusation même, il cherche à contenter son orgueil et sa vanité; il ne cesse de recommander à ses frères de garder la modestie dans leurs regards, et de pratiquer la chasteté avec la plus scrupuleuse attention, et le misérable porte sans cesse, et dans de perverses intentions, les yeux sur des objets agréables et dangereux ! Le rencontre-t-on au milieu des gens du siècle ? il ne peut assez faire l’éloge de la vie religieuse et solitaire, et, dans sa stupide insensibilité, il ne comprend pas que ces louanges condamnent sa conduite; il accable d’honneur et de louanges ceux qui prennent soin des pauvres et qui répandent d’abondantes aumônes dans le sein de l’indigence et de la misère, et lui-même couvre les indigents et les pauvres d’injures, d’affronts et d’outrages. C’est ainsi que ce pauvre malheureux s’accuse et se condamne en tout et partout, sans penser à rentrer en lui-même ! à rougir de son triste et funeste état, à se repentir de sa conduite et à se convertir : mais, hélas ! le dirai-je ? la chose lui est-elle possible ? DIX-SEPTIÈME DEGRÉ

7. Il est pas difficile de reconnaître les gourmands à leur table chargée de mets délicats; et l’on connaît facilement ceux qui aiment Dieu, à leur zèle et à leur amour pour la prière. Les personnes esclaves de l’intempérance tressaillent de joie à la vue d’une table couverte de mets bien préparés; mais, par un principe contraire, ils sont tout tristes et tout ennuyés, lorsque le moment de vaquer à la prière arrive, ceux qui n’aiment pas ce saint exercice. DIX-NEUVIÈME DEGRÉ

E. être dévorés d’un zèle ardent pour conserver la Présence de Jésus Christ; VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

142. Dieu n’est ni l’auteur, ni le créateur du mal; ils se trompent, ceux qui prétendent que certaines passions sont naturelles à l’âme, ignorant que nous avons changé en passions les qualités constitutives de notre nature. Par exemple, la nature nous donne le sperme pour la procréation; mais nous l’avons perverti l’employant à la luxure. La nature a mis en nous la colère contre le serpent, mais nous nous en servons contre notre prochain. La nature nous anime de zèle pour l’émulation dans la vertu, mais c’est pour le mal que nous en usons. Il y a dans l’âme, du fait de la nature, le désir de la gloire, mais de celle d’en-haut. Il nous est naturel d’être arrogant, mais contre les démons. La joie aussi nous est naturelle, mais à cause du Seigneur et du bien qui arrive à notre prochain. La nature nous a aussi donné le ressentiment, mais contre les ennemis de l’âme. Nous avons reçu le désir d’une nourriture agréable, mais non des excès de table. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

25. Un homme qui avait lui-même éprouvé tout ce que je viens de dire, avait pris la résolution d’en parler avec soin et exactitude; mais il craignit qu’en le faisant, il ne diminuât l’ardeur des personnes qui se présentaient au combat remplies de zèle et de courage, et que par le bruit de ses paroles il n’effrayât celles qui marchaient généreusement dans le chemin de la perfection. VINGT-SEPTIÈME DEGRÉ

36. Il faut avouer ici qu’il y a dans les monastères cénobitiques des âmes lâches et paresseuses qui, trouvant le sujet et l’occasion de nourrir leur honteuse et criminelle indolence ne marchent pas, mais courent à leur perte éternelle comme aussi il y en a d’autres qui profitent de l’ardeur et du zèle des personnes avec lesquelles elles vivent, pour se corriger de leur tiédeur et de leur négligence. Mais, hélas ! ce ne sont pas seulement les moines travaillés et dominés par la paresse , qui se perdent dans les monastères, il arrive encore que les plus fervents se relâchent par le mauvais exemple des négligents et des paresseux. VINGT-SEPTIÈME DEGRÉ

67. La vie des anachorètes, ou pour mieux dire, des religieux, doit être dirigée par les lumières d’une conscience droite et pure, et par les sentiments et les affections d’un coeur sincèrement et solidement pieux et dévot. Or celui qui marche ainsi dans cette illustre carrière, ne se propose que l’accomplissement de la Volonté du Seigneur dans tous ses exercices, dans toutes ses pensées, dans toutes ses démarches et dans tous ses mouvements. Il n’est rien dans lui qu’il ne fasse avec un grand sentiment de zèle et de ferveur pour la gloire de Dieu, dans le dessein de Lui plaire et en sa sainte Présence; et celui qui n’est pas dans ces heureuses dispositions, ou qui les abandonne, n’a pas encore acquis la vertu qui lui est nécessaire. VINGT-SEPTIÈME DEGRÉ

13. Soyez bien persuadé que cette paix est, en quelque sorte, la cour et le palais du Roi des cieux : or dans ce palais comparable à une grande cité, il y a différentes habitations pour les âmes justes : le mur qui entoure cette nouvelle Jérusalem, c’est la rémission de nos péchés. Courons donc, ô mes frères, arrivons jusqu’au lit qui nous est préparé dans ce palais céleste : nous devons y trouver un repos parfait. Eh ! si par un malheur à jamais déplorable nous nous trouvons encore chargés du poids de nos mauvaises habitudes, ou que nous soyons embarrassés par les affaires de la vie qui est si courte, appliquons-nous au moins à nous procurer une place autour du lit nuptial de l’Époux céleste. Si notre tiédeur et notre négligence nous privent encore de cet honneur et de cet avantage, faisons du moins en sorte d’entrer dans l’enceinte de ce palais; car, hélas ! il sera condamné à vivre éternellement dans une désespérante solitude avec les démons, l’homme qui, avant sa mort ne sera pas entré dans cette enceinte, ou plutôt qui n’aura pas escaladé les remparts de cette cité céleste pour pénétrer dans son enceinte. Il faut donc de toute nécessité qu’avec une détermination forte et sincère, nous disions avec David : C’est avec le secours de mon Dieu que je veux traverser le mur, (Ps 17,30); et ce mur, le Prophète nous enseigne que ce sont nos péchés : Vos iniquités, dit-il, ont établi un mur de séparation entre vous et votre Dieu. (Is 59,2) Travaillons avec courage, ô mes amis, pour renverser ce mur de séparation que nous avons si malheureusement élevé par nos désobéissances. Procurons-nous à tout prix la rémission de nos péchés; car personne dans l’enfer ne pourra nous donner les moyens de payer les dettes que nous avons contractées en les commettant. Soyons donc pleins de zèle, ô mes chers frères, pour les intérêts de notre salut; car c’est pour cette fin que Dieu nous fait la grâce de nous enrôler dans sa milice sainte. Soyons bien convaincus que nous ne pouvons nous excuser de n’être pas animés de cette ardeur, ni sur les chutes que nous avons faites, ni sur les circonstances pénibles du temps, ni sur la difficulté de porter le joug du Seigneur; car tous ceux qui, comme nous, ont été revêtus de Jésus Christ dans le sacrement de la régénération, Dieu leur a donné le pouvoir de de devenir et d’être ses enfants (cf. Jn 1,12), et c’est à eux qu’Il adresse ces paroles : Quittez vos téméraires entreprises, considérez et reconnaissez que Je suis votre Dieu (cf. Ps 45,11), et que : Je suis la paix solide et véritable des coeurs. Or c’est à ce Dieu de paix que nous devons gloire et honneur dans les siècles des siècles. Amen. VINGT-NEUVIÈME DEGRÉ

11. Je crois ne pas faire une chose inutile, que de me servir ici de comparaisons tirées des actions humaines afin de donner à comprendre quelle est la crainte, l’ardeur, le zèle, les soins, l’empressement, le respect, l’obéissance et l’amour que nous devons avoir pour Dieu. Heureux donc l’homme qui aime Dieu avec une affection aussi ardente qu’un amant insensé chérit la beauté qui a si misérablement ravi son coeur ! Heureux encore celui qui n’a pas pour Dieu moins de crainte, qu’un criminel n’en a pour les juges qui doivent le juger et le condamner ! Heureux encore le chrétien dont le zèle et l’ardeur dans les voies de Dieu enflamment le coeur autant que l’ardeur et le zèle enflamment celui des serviteurs fidèles et dévoués à leurs maîtres temporels ! Heureux encore celui qui n’a pas pour la pratique des vertus une affection moins prononcée ni moins ardente que les maris jaloux n’en ont pour leurs épouses qu’ils adorent ! Heureuses encore les personnes qui, dans leurs prières, se présentent à Dieu avec le même respect que les officiers se présentent devant leur souverain ! Heureuses enfin les âmes qui s’appliquent à plaire à Dieu avec la même attention, que les hommes eux-mêmes s’étudient à plaire à d’autres hommes ! 12. Une mère dont le coeur est tout de tendresse, n’aime pas tant à serrer dans ses bras et à presser sur son sein maternel l’enfant à qui elle a donné le jour et qu’elle nourrit, qu’un enfant véritable de la charité ne se complaît à s’unir à son Dieu. TRENTIÈME DEGRÉ