Climacus: affliction

8. J’en vis d’autres qui, comme d’infâmes scélérats, les mains liées derrière le dos, tout couverts de confusion, et en proie à la plus déchirante affliction, courbaient humblement le visage vers la terre, se jugeaient indignes de regarder le ciel, et n’osaient ni parler, ni pousser des gémissements, ni faire des prières. CINQUIÈME DEGRÉ

12. J’en ai remarqué d’autres qui, la tête courbée vers la terre, immobiles comme des statues, étaient livrés à des méditations profondes, et qui, par les nombreux mouvements de leur tête, annonçaient la grandeur de leur affliction, gémissaient et rugissaient de temps en temps comme des lions. J’en ai rencontré quelques autres, lesquels étaient remplis d’une délicieuse espérance, et conjuraient le Seigneur avec des prières admirables de leur accorder la rémission de toutes leurs fautes. J’en ai vu qui, par une humilité inexprimable, se jugeaient indignes de pardon, et proclamaient à haute voix qu’il leur était impossible de satisfaire à la justice de Dieu, à cause de la grandeur et de l’énormité de leurs crimes. Quelques-uns conjuraient sans cesse Dieu de les punir sévèrement en ce monde, mais de leur accorder son Amitié et de les couronner de ses Miséricordes dans l’autre. Quelques autres, accablés sous le poids terrible des reproches de leur conscience, priaient avec humilité et ferveur le Dieu de toute bonté de les préserver au moins des supplices éternels qu’ils avaient mérités, et se déclaraient publiquement et avec sincérité indigne du royaume des cieux. CINQUIÈME DEGRÉ

14. Mes chers amis, c’est dans ce lieu, oui, c’est dans ce lieu de pénitence qu’on voyait ponctuellement l’accomplissement de ce que David disait de lui-même (cf. Ps 37,6-7), c’est là qu’on avait sous les yeux le spectacle attendrissant, des personnes qui étaient plongées dans la plus désolante affliction, et courbées jusqu’à la fin de leur vie sous le poids immense de leur douleur; qui tous, les jours portaient l’amertume de leur tristesse peinte sur leur visage et exprimée dans leurs mouvements et dans leurs démarches; et qui, par l’horrible puanteur qui s’exhalait de leurs plaies, annonçaient que leur corps, dont ils ne prenaient aucun soin et auquel ils ne pensaient même pas, était couvert d’un ulcère général. C’est là qu’on voyait des hommes qui avaient oublié de manger leur pain, qui mêlaient leurs larmes avec l’eau qu’ils buvaient, qui se nourrissaient de cendres au lieu de pain; dont les os, devenus secs, n’étaient plus entourés que d’une peau ridée et qui y était collée; et dont le coeur avait séché comme l’herbe frappée par les ardeurs du soleil (cf. Ps 101,4-12). On ne leur entendait prononcer que ces mots : “Malheur à nous, misérables ! malheur à nous !”; et ces autres : “C’est avec justice, oui, c’est avec justice que nous sommes dans cet état déchirant”; et enfin ces autres : “Pardonne-nous, Seigneur; nous t’en en conjurons, pardonne-nous.” Plus loin, vous en entendiez d’autres qui faisaient retentir l’air de ces paroles seulement : Pitié, Seigneur, pitié !”, et d’autres enfin qui, d’une voix plus lamentable, ne cessaient de répéter : “Ah ! Seigneur, si nous pouvons encore espérer, daigne nous pardonner ! oui, Seigneur, pardonne-nous !” CINQUIÈME DEGRÉ

16. Ah ! Au milieu de ces hommes, pouvait-on y voir le moindre signe de joie ? Y entendait-on la moindre parole inutile ? Y était-on témoin de quelque impatience et de quelque colère ? Ils avaient même oublié que les hommes fussent capables de se livrer aux emportements, tant leur grande affliction avait éteint dans leur coeur tout mouvement déréglé. Voyait-on parmi eux la plus légère apparence de querelle, le moindre relâche, la plus petite licence dans les conversations, le soin le plus ordinaire pour leur corps, le vestige le moins apparent de vaine gloire, la plus faible inclination pour les aises et les commodités de la vie ? Pensaient-ils au vin, aux fruits, aux mets assaisonnés et aux viandes préparées ? La nourriture qu’ils prenaient, avait-elle pour eux quelque saveur ? Mais ils avaient perdu tout sentiment pour toutes ces choses. S’occupaient-ils quelquefois des affaires du monde ? Avaient-ils du penchant à faire des jugements téméraires, ou fondés, sur quelqu’un de leurs frères ? Jamais. CINQUIÈME DEGRÉ

23. Mais quel horrible et effrayant spectacle on avait sous les yeux, lorsque quelqu’un de ces saints pénitents touchait à sa dernière heure ! Alors tous ses fervents compagnons venaient entourer son lit de mort; et ces hommes, dévorés par une soif brûlante, en proie à la plus cruelle affliction, enflammés par l’ardeur et la vivacité de leurs désirs et de leurs voeux, lui exprimaient, par une contenance qui inspirait la compassion, par leurs paroles lamentables, par leurs mouvements de tête, les sentiments de la plus tendre et de la plus grande commisération. “Qu’y a-t-il, ô notre cher frère, ô notre tendre compagnon, lui disaient-ils avec une tendresse qui allait au coeur, qu’y a-t-il de nouveau pour vous ? Comment vous trouvez-vous en ce moment ? Qu’auriez-vous à nous dire ? Quelles sont vos espérances ? Quelles sont vos affections et vos pensées ? Avez-vous lieu de croire que vous ayez obtenu ce que vous avez cherché avec tant de peine et d’ardeur, ou bien auriez-vous travaillé sans succès ? Êtes-vous enfin parvenu au port du salut, ou bien auriez-vous encore à craindre un triste naufrage ? Êtes-vous directement arrivé au but de votre voyage, ou bien vous seriez-vous égaré ? Concevez-vous une espérance certaine d’avoir reçu le pardon de vos péchés, ou n’auriez-vous encore qu’une assurance fort incertaine de votre salut ? Vous trouvez-vous dans une parfaite liberté d’esprit et de coeur ou seriez-vous encore dans le trouble et les angoisses ? Votre âme a-t-elle été éclairée des lumières consolantes du ciel ou serait-elle encore dans les ténèbres et dans la nuit de la confusion ? Auriez-vous enfin entendu intérieurement ces paroles : Tu es guéri (Jn 14); tes péchés te sont remis (Mt 8); ta foi t’a sauvé (Mc 5)” ? ou bien ces sentences terribles : Que les pécheurs soient précipités dans les enfers (Ps 9); liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres extérieures (Mt 22); qu’on enlève l’impie, car il ne verra pas la Gloire du Seigneur dans son temple (Is 22) ? Quelles réponses, ô notre cher frère, pouvez-vous faire à toutes nos questions ? Parlez-nous sans détour et franchement, afin que nous puissions un peu connaître le sort qui nous attend nous-mêmes, car pour vous, le temps de la vie va finir, et quand une fois on est entré dans l’éternité, il n’y a plus de temps. Alors quelques-uns répondaient par ces paroles. Que Dieu soit béni à jamais; car il n’a pas rejeté ma prière ni retiré sa Miséricorde de dessus moi (Ps 45). D’autres répondaient : Béni soit le Seigneur, qui ne nous a pas laissés en proie à la fureur ni à la voracité des dents cruelles de nos ennemis. (Ps 123) D’autres, pressés par la douleur de leur coeur, se contentaient de dire : Notre âme pourrait-elle bien passer ce torrent impétueux, dans lequel les puissances de l’enfer cherchent à la perdre ? (Ps 123). Or ceux-ci parlaient de la sorte, parce qu’ils n’étaient point assez assurés de leur salut, et qu’ils craignaient le compte terrible qu’ils étaient sur le point de rendre à Dieu. D’autres, enfin, faisaient une réponse bien plus affligeante : “Malheur à nous, s’écriaient-ils; malheur à l’âme qui n’a pas gardé les voeux de sa profession ! Voici l’heure unique à laquelle elle puisse savoir ce qu’elle a mérité pour l’éternité.” CINQUIÈME DEGRÉ

1. La tristesse selon Dieu, est une affliction du coeur et un sentiment de douleur qu’éprouve une âme pénitente : sentiment ineffable qui lui fait rechercher avec ardeur ce qu’elle désire avec transport; qui, lorsqu’elle n’a pu obtenir ce bien désirable, le lui fait poursuivre avec d’incroyables travaux, et qui, lorsqu’elle voit qu’elle ne peut l’obtenir, lui fait pousser des cris de douleur et des gémissements lamentables. SEPTIÈME DEGRÉ

32. Tous ceux qui ont reçu cette divine et consolante affliction, ont une sainte aversion pour la vie présente, la regardent comme la source et le principe funestes de toutes leurs peines et de toutes leurs misères, et sont animés contre leurs propres corps de la même haine qu’on a contre un ennemi qui veut nous perdre. SEPTIÈME DEGRÉ

3. Cette crainte consiste donc dans la prévoyance de quelques dangers imaginaires; c’est une affliction pénible d’un coeur troublé et agité par l’idée d’accidents incertains. En un mot disons que cette appréhension est l’absence de toute confiance. VINGTIÈME DEGRÉ

81. Or la patience est une forte et généreuse détermination à souffrir tous les sujets d’affliction qui, chaque jour, peuvent arriver; elle est un retranchement sévère de toutes les occasions capables de nous détourner de l’accomplissement de nos devoirs; elle est une vigilance exacte surtout ce qui regarde le salut. VINGT-SEPTIÈME DEGRÉ

20. Telle était la conduite, tels étaient les sentiments, et telles étaient les paroles de ces saints pénitents qu’on envoyait à la Prison. Par la continuité d’être à genoux, ils avaient recouvert cette partie de leur corps d’épaisses callosités; leurs yeux, à force de répandre des larmes s’étaient desséchés, n’avaient plus de cils, et s’étaient enfoncés dans leur orbite; leurs joues étaient couvertes de plaies, et comme brûlées par leurs larmes embrasées; leurs visages étaient pâles, et si maigres, qu’ils ressemblaient parfaitement aux visages des personnes mortes; leurs poitrines étaient toutes meurtries par les coups répétés qu’ils se donnaient, et ces coups leur occasionnaient de douloureux crachements de sang. Trouvait-on dans ce monastère des lits préparés ? Y voyait-on des habits propres et capables de protéger du froid ? Tout y était déchiré, négligé, sale et rempli de vermine. Enfin disons que les tourments de ceux qui sont possédés du démon, que la douleur cruelle de ceux qui pleurent la mort de leurs proches, que les déchirements de coeur de ceux que l’on condamne à l’exil, que les supplices mêmes des parricides ne sont qu’une faible image des douleurs, de l’affliction et des souffrances de ces saints pénitents; les peines que ces sortes de gens endurent par nécessité,ne sont rien en comparaison de celles que ces généreux pénitents souffrent volontairement; et n’allez pas vous imaginer, mes frères, que je vous raconte ici des choses fabuleuses et mensongères; c’est la vérité tout entière. CINQUIÈME DEGRÉ

9. Voyez comme les gémissements et l’affliction d’un coeur contrit et repentant pénètrent jusqu’au trône de Dieu; comme les saintes larmes que fait répandre la crainte du Seigneur, sont comme des députés que nous envoyons devant nous pour lui demander grâce et miséricorde; et comme celles que son Amour nous fait verser, nous donnent une délicieuse assurance que nos prières et notre repentir lui ont été agréables. SEPTIÈME DEGRÉ

51. J’ai vu des personnes qui paraissaient être sans tristesse, quoique réellement elles fussent très affligées; mais à l’extérieur vous les auriez prises pour des gens dans la joie, et non dans l’affliction. Or l’Amour de Jésus Christ les a mises à l’abri de tout danger; les démons ne leur peuvent rien, car on peut leur appliquer ces paroles : “Le Seigneur éclaire les ténèbres des aveugles.” (Ps 145,8) SEPTIÈME DEGRÉ

54. Quant à moi, je vous avoue qu’en considérant la nature de la componction du coeur, je suis frappé d’étonnement, et je ne peux me lasser d’admirer comment il peut se faire que la douleur et l’affliction de la pénitence renferment dans elles-mêmes la joie et l’allégresse, à peu près comme l’hexagone des abeilles renferme le miel. Mais que nous apprend cette merveille ? Que la tristesse et les larmes d’une âme contrite et pénitente sont vraiment et réellement un don de Dieu; car ce qui fait que cette âme repentante éprouve ce plaisir et cette joie intérieure, si douce et si consolante, c’est que Dieu Lui-même, d’une manière secrète et invisible, communique aux coeurs affligés et brisés par la douleur de leurs fautes, les douceurs et les consolations d’une joie toute céleste. SEPTIÈME DEGRÉ