Clément d’Alexandrie – L’usage des richesses

95: L’usage des richesses. — C. 11, n. 2. «Vendez ce que vous avez» [Mt 19,21]. Mais que veulent dire ces paroles? Non point, comme quelques-uns l’entendent à première vue, qu’il faille se dépouiller de ses richesses et les rejeter loin de soi ; mais il faut arracher de son âme les vains jugements sur les richesses, la passion pour elles et le désir excessif de lés posséder, la honteuse plaie de l’avarice, les sollicitudes, épines de l’existence, qui étouffent les semences de la vie… 4. Le sacrifice de nos richesses et leur distribution aux pauvres et aux malheureux n’est pas chose nouvelle. Plusieurs l’avaient déjà fait avant la venue du Sauveur : les uns, pour se livrer à l’étude des lettres et d’une science morte ; les autres, pour acquérir le vain renom d’une gloire frivole, tels Anaxagoré, Démocrite, Cratès. 12, 1. Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maxime du Sauveur, qui ne puisse venir que dé Dieu, et qui donne la vie aux hommes, ce que n’a pu faire la pauvreté volontaire des anciens ? Quand le Fils de Dieu, cette nouvelle créature, nous ordonne et nous enseigne quelque chose de si excellent, il ne nous ordonne rien qui tombe sous nos sens, rien de ce que d’autres ont fait avant lui ; mats il signifie par là quelque chose de plus grand, de plus divin, de plus parfait : à savoir que nous dépouillions des vices notre âme et ses tendances, que nous en arrachions les racines pour les jeter loin de nous.

96: 14, 1. Il ne faut donc pas rejeter les richesses qui servent au prochain. Car la richesse est désirable, la fortune est utile : elle est préparée par Dieu pour le soulagement des hommes ; elle est accordée et donnée comme une matière et un instrument à ceux qui savent pour en faire le bon usage. 2. L’instrument, si tu t’en sers avec art, est artiste ; mais si tu manques d’art, il participe à ton ignorance, sans en être responsable. 3. De même la richesse est un instrument. Tu peux t’en servir d’une manière juste : elle est alors au service de la justice. Quelqu’un s’en sert-il injustement ? Elle devient au contraire servante d’iniquité, car elle est faite pour servir, non pour commander. 4. Il ne faut donc pas accuser ce qui de soi n’est ni bon ni mauvais, étant irresponsable, mais qui peut servir bien ou mal, suivant le choix de celui qui l’emploie. Et c’est l’esprit de l’homme, qui a en lui-même le libre discernement et la liberté de disposer de ce qui lui a été donné. 5. Qu’on n’écarte donc pas les richesses, mais bien plutôt les passions de l’âme qui ne permettent pas le meilleur usage de la fortune, afin que chacun devenu parfait puisse faire un bon emploi de ses richesses mêmes. 6. L’ordre de se défaire de tous ses biens et de vendre toute sa fortune doit donc être entendu de cette manière qu’il s’applique aux passions de l’âme.

97 : Excellence de l’aumône. — 34, 2. Mais toi du moins, ne te trompe pas, toi qui as goûté la vérité, qui as été jugé digne de la grande rédemption ; tout au contraire des autres hommes, rassemble pour toi-même une troupe sans armes, pacifique, non sanglante, sans violence, sans souillure, de pieux vieillards, des orphelins amis de Dieu, des veuves armées de douceur, des hommes parés de charité. 3. Acquiers par ta richesse de tels compagnons pour ton corps et pour ton âme : et Dieu sera leur chef. Par eux le navire prêt à s’enfoncer est allégé, gouverné par les seules prières des saints ; la maladie à son point menaçant est domptée, arrêtée par les mains levées vers le ciel ; les attaques des voleurs sont désarmées, étant dépouillées de leur force par les pieuses prières, et la puissance des démons est brisée, vaincue par l’enchaînement des bonnes œuvres. 35, 1. Tous ces soldats sont actifs, tous ces gardes sont fermes; nul n’est paresseux, nul n’est inutile. L’un peut prier Dieu pour toi, un autre réconforter tes fatigues, un autre pleurer et gémir en souffrant avec toi vers le Seigneur de toutes choses ; un autre t’apprendre quelqu’une des choses utiles au salut ; un autre te conseiller avec franchise ; un autre t’avertir avec bonté ; tous t’aimer en vérité, sans ruse, sans crainte, sans hypocrisie, sans flatterie, sans feinte.

Clemente de Alexandria (150-211)