charité (Orígenes)

Voici le premier grief formulé par Celse dans son désir de diffamer le christianisme : Les chrétiens forment entre eux, au mépris des lois établies, des conventions secrètes. Parmi les conventions, les unes sont publiques, toutes celles qui se conforment aux lois, les autres sont occultes, toutes celles dont l’accomplissement viole les lois établies. Il veut incriminer la charité mutuelle des chrétiens, comme née d’un danger commun et plus forte que tout serment. Comme il invoque la loi commune et la dit enfreinte par les conventions des chrétiens, il faut répondre : si un étranger se trouvait au milieu des Scythes aux lois impies, ne pouvant s’éloigner et contraint de vivre chez eux, il aurait raison, au nom de la loi de la vérité, qui est pour les Scythes une violation de la loi, de former avec ceux qui sont de même sentiment des conventions au mépris de leurs lois établies. Ainsi, au tribunal de la vérité, les lois des païens relatives aux statues et au polythéisme athée sont des lois de Scythes ou sont plus impies que les leurs, s’il en est. Il est donc raisonnable de former contre les lois établies des conventions pour la défense de la vérité. En effet, si des gens, pour chasser le tyran usurpateur du pouvoir de la cité, formaient des conventions secrètes, leur acte serait honnête. Ainsi en est-il des chrétiens : sous la tyrannie de celui qu’ils nomment le diable et du mensonge, ils forment des conventions au mépris des lois établies par le diable, contre le diable, et pour le salut des autres qu’ils peuvent persuader de se soustraire à ce qui est comme une loi de Scythes et de tyran. LIVRE I

Et non moins fausse que l’assertion : Les Hébreux, qui étaient des Égyptiens, ont dû leur origine à une révolte, est la suivante : D’autres, qui étaient des Juifs, se sont révoltés, au temps de Jésus, contre l’État juif, et mis à la suite de Jésus. Celse et ses adeptes seraient bien incapables de montrer de la part des chrétiens le moindre acte de révolte. Or, si la révolte avait donné naissance à la société des chrétiens, comme ils tirent leur origine des Juifs, à qui il était permis de prendre les armes pour défendre leurs biens et de mettre à mort leurs ennemis, le Législateur des chrétiens n’eût pas fait une interdiction absolue de l’homicide. S’il enseigna que jamais ne peut être juste la violence de ses disciples contre un homme, fut-il le plus injuste, c’est qu’il jugeait contraire à l’inspiration divine de sa législation d’autoriser quelque homicide que ce fût. Et si les chrétiens avaient dû leur origine à une révolte, ils n’auraient pas admis des lois si pacifiques qu’elles les amènent parfois à être mis à mort « comme des brebis », et les rend incapables de jamais se venger de leurs persécuteurs, puisque, instruits à ne pas se venger de leurs ennemis, ils ont gardé la loi de douceur et de charité. Aussi, ce qu’ils n’auraient pas accompli s’ils avaient eu l’autorisation de combattre, même s’ils avaient été tout-puissants, ils l’ont reçu de Dieu qui a toujours combattu pour eux et, aux temps voulus, a contenu les adversaires des chrétiens dressés contre eux, acharnés à les détruire. LIVRE III

Cette admirable piété que ni fatigues, ni péril de mort ni arguments captieux ne peuvent vaincre ne servira-t-elle de rien à ceux qui l’ont acquise pour leur éviter d’être comparés à des vers, même s’ils avaient pu l’être avant une telle piété ? En vérité, nous paraissent-ils frères des vers, parents des fourmis, semblables aux grenouilles, les vainqueurs du plus brûlant désir des voluptés, qui a rendu tant de coeurs mous comme cire, dont la victoire vient de leur persuasion que le seul moyen de parvenir à la familiarité avec Dieu est de monter vers lui par la tempérance ? Quoi donc, l’éclat de la justice qui lui fait observer à l’égard de son prochain et de ses parents la sociabilité, la justice, la charité et la bienfaisance n’empêcherait pas celui qui la pratique d’être une chauve-souris ? Au contraire ceux qui se roulent dans la débauche, comme la plupart des hommes, qui s’approchent indifféremment des prostituées et enseignent que ce ne peut être absolument contre le devoir, ne sont-ils pas des vers dans un bourbier ? C’est encore plus clair si on compare à ceux qu’on a instruits à ne pas « prendre les membres du Christ » et le corps habité par le Logos, pour en faire « les membres d’une prostituée », qui ont appris déjà que le corps de l’être raisonnable, consacré au Dieu de l’univers, est « le temple » du Dieu qu’ils adorent, et devient réellement tel si on a une pure notion du Créateur ; et qui, en se gardant de souiller « le temple de Dieu » par une union illicite, pratiquent la tempérance comme un acte de piété envers Dieu. LIVRE IV

Après les considérations que je viens de citer en y ajoutant d’autres de même ordre, Celse continue : Ils entassent pêle-mêle discours de prophètes, cercles sur cercles, ruisseaux de l’église terrestre et de la circoncision, une vertu émanant d’une certaine vierge Prunicos, une âme vivante, un ciel immolé pour qu’il vive, une terre immolée par l’épée, des hommes en grand nombre immolés pour qu’ils vivent, une mort qui doit finir dans le monde quand mourra le péché du monde, une nouvelle descente étroite et des portes qui s’ouvrent d’elles-mêmes. Il y est partout question du bois de la vie et de la résurrection de la chair par le bois, parce que, je crois, leur maître a été cloué à la croix et qu’il était charpentier de profession. En sorte que, si par hasard on l’avait précipité d’un rocher, jeté dans un gouffre, étranglé par une corde, ou s’il eût été cordonnier, tailleur de pierres, ouvrier en fer, il y aurait au-dessus des deux un rocher de vie, un gouffre de résurrection, une corde d’immortalité, une pierre de béatitude, un fer de charité, un cuir de sainteté. Quelle vieille femme prise de vin, fredonnant une fable pour endormir un bébé, n’aurait honte de chuchoter pareilles sornettes ? Celse me paraît ici confondre des idées mal comprises. On dirait un homme qui, ayant saisi quelques bouts de phrases prononcés dans une secte ou l’autre sans en avoir compris le sens et l’intention, en a rassemblé les bribes pour donner à ceux qui ne savent rien ni de nos doctrines ni de celles des sectes l’impression qu’il connaît toutes les doctrines du christianisme. C’est ce qui ressort du passage cité. LIVRE VI

De plus, il pense que nous avons inventé le bois de la vie pour trouver une explication allégorique de la croix et dans la logique de son erreur sur ce point il dit : Si par hasard on l’avait précipité d’un rocher, jeté dans un gouffre, étranglé par une corde, on aurait inventé au-dessus des cieux un rocher de vie, un gouffre de résurrection, une corde d’immortalité ; et encore si, comme il le dit, on avait inventé le bois de la vie parce que Jésus a été charpentier, il eût été logique de parler de cuir de sainteté s’il avait été cordonnier, de pierre de béatitude s’il avait été tailleur de pierres, de fer de charité s’il avait été ouvrier en fer. Qui donc ne voit d’emblée la pauvreté de son accusation quand il injurie les hommes qu’il s’était vanté de convertir de leurs égarements ? LIVRE VI

Notre généreux adversaire ne s’est pas contenté de ce qu’il tire du diagramme, mais pour gonfler ses accusations contre nous, qui n’avons rien de commun avec ce diagramme, il a voulu introduire d’autres griefs, où il répète en nous les attribuant les propos de ces hérétiques. Il dit en effet : Mais voici ce qui de leur part n’est pas le moins étonnant: les interprétations qu’ils donnent de certaines inscriptions entre les plus hauts cercles hyper célestes, entre autres ces deux là, « plus grand » et « plus petit », pour désigner le Fils et le Père. Dans ce diagramme, j’ai bien trouvé le grand cercle et le petit ; sur leurs diamètres étaient inscrits « Père » et « Fils » ; entre le grand cercle dans lequel était tracé le petit, et un autre formé de deux cercles, l’un à l’extérieur jaune, et à l’intérieur l’autre bleu, était la barrière inscrite en forme de hache double ; au-dessus d’elle un petit cercle, touchant le plus grand des précédents, où était inscrit « charité », et plus bas un autre, touchant le cercle, avec pour inscription « vie » ; dans le second cercle, fait de lignes entrelacées et renfermant deux autres cercles et une autre figure rhomboïde, était l’inscription : « Providence de la sagesse » ; et à l’intérieur de leur section commune, l’inscription « nature de la sagesse » ; mais plus haut que leur section commune, il y avait un cercle où était inscrit « connaissance » et, plus bas, un autre où était inscrit « intelligence ». LIVRE VI