chair (Orígenes)

Ensuite, il dit : “Ces gardeurs de chèvres et de moutons crurent en un seul Dieu Très-Haut, Adonaï, Ouranos, Sabaoth, ou tout autre nom qu’ils se plaisent à donner à ce monde, et ils n’en savent pas davantage”. Il ajoute ensuite : “Il n’importe en rien qu’on appelle le Dieu suprême « Zeus » du nom qu’il a chez les Grecs, ou « un tel » comme par exemple chez les Indiens, ou « un tel » comme chez les Egyptiens”. Il faut répondre que ce sujet touche à la question profonde et mystérieuse de la nature des noms. Sont-ils, comme croît Aristote, conventionnels ? ou, suivant l’opinion des Stoïciens, tires de la nature les premiers vocables imitant les objets qui sont à l’origine des noms, — vue selon laquelle ils proposent certains principes d’étymologie ? Ou bien, suivant l’enseignement d’Épicure, différent de l’opinion du Portique, les noms existent-ils naturellement, les premiers hommes ayant émis des vocables conformes aux choses ? Si nous pouvions, dans la question présente, établir la nature des noms « efficaces », dont certains sont en usage chez les sages d’Egypte, les doctes parmi les mages de Perse, les Brahmanes ou les Samanéens parmi les philosophes de l’Inde, et ainsi de suite pour chaque peuple , si nous étions capables de prouver que ce qu’on nomme la magie n’est pas, comme le pensent les disciples d’Épicure et d’Aristote, une pratique entièrement incohérente, mais, comme le démontrent les gens experts en cet art, un système cohérent, dont très peu connaissent les principes nous dirions alors que le nom de Sabaoth, d’Adonai, et tous les autres transmis chez les Hébreux avec une grande vénération, ne sont pas donnés d’après des réalités communes ou créées, mais d’après une mystérieuse science divine qui est attribuée au Créateur de l’univers Pour cette raison, ces noms ont de l’effet quand on les dit dans un enchaînement particulier qui les entrelace, de même encore d’autres noms prononcés en langue égyptienne à l’adresse de certains démons qui ont de l’effet dans tel domaine, ou d’autres en dialecte perse à l’adresse d’autres puissances, et ainsi dans chaque peuple. Et on trouverait de même que les noms des démons terrestres qui ont en partage des régions différentes sont prononcés de la façon qui convient au dialecte du lieu et du peuple. Celui donc qui possède de tout cela une plus noble compréhension, fut-elle restreinte, prendra soin d’adapter exactement chaque nom à chaque réalité, afin d’éviter toujours le malheur de ceux qui appliquent à faux le nom de Dieu à la matière inanimée, ou qui ravalent l’appellation du Bien, de la Cause première, de la vertu ou de la beauté à la richesse aveugle, à l’équilibre de la chair, du sang et des os qui font la santé et le bien-être, ou à ce qu’on regarde comme la noblesse de naissance. LIVRE I

Et ensuite, le signe est donné : « Voici : la Vierge va concevoir et enfanter un fils. » Or, quel signe y aurait-il si c’était une jeune fille non vierge qui enfante ? Et à laquelle sied-il mieux d’enfanter Emmanuel, Dieu avec nous : à la femme qui a eu des relations sexuelles et qui a conçu par passion féminine, ou à celle qui est encore pure, sainte et vierge ? C’est à celle-ci, bien sûr, qu’il convient d’enfanter un enfant à la naissance duquel il soit dit : « Dieu avec nous ». Et si, même dans ce cas, on continue à chicaner en disant que c’est à Achaz que s’adresseraient les mots : « Demande pour toi au Seigneur un signe », je répliquerai : Qui donc est né au temps d’Achaz, à la naissance duquel il soit dit « Emmanuel », « Dieu avec nous » ? Si l’on ne trouve personne, il est évident que la parole dite à Achaz l’est à la maison de David, car le Seigneur, d’après l’Écriture, est né « de la postérité de David selon la chair ». De plus, ce signe est dit être « dans la profondeur ou sur la hauteur », puisque « Celui qui est descendu, c’est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses ». Voilà ce que je dis à l’adresse du Juif qui donne son adhésion à la prophétie. A Celse ou à l’un de ses adeptes de dire dans quel état d’esprit le prophète fait du futur cette prédiction ou d’autres, écrites dans les prophéties : est-ce bien en prévoyant le futur, oui ou non ? Si c’est en prévoyant le futur, les prophètes avaient un esprit divin ; si ce n’est pas en prévoyant le futur, qu’il explique l’état d’esprit de celui qui ose parler de l’avenir et que les Juifs admirent pour sa prophétie ! LIVRE I

L’amour de la dispute et la prévention laissent difficilement regarder en face même les choses évidentes, de peur qu’il faille abandonner des doctrines qui ont imprégné ceux à qui elles sont devenues une sorte d’habitude et dont elles ont façonné l’âme. Il est encore plus aisé en d’autres domaines d’abandonner ses habitudes, même invétérées, qu’en matière de doctrines. Du reste, celles-là aussi, les habitués les négligent malaisément : ainsi abandonner maisons, villes, villages, compagnons habituels, n’est pas aisé à qui est prévenu en leur faveur. Ce fut donc la raison pour laquelle bien des Juifs de l’époque ne purent regarder en face dans leur évidence les prophéties et les miracles, ce que Jésus a fait et a souffert d’après l’Écriture. Que la nature humaine soit affligée de ce travers sera manifeste si l’on réfléchit à la difficulté qu’on éprouve à changer d’avis une fois prévenu, fût-ce en faveur des plus honteuses et des plus futiles traditions des ancêtres et des concitoyens. Il sera long par exemple d’inspirer à un Egyptien le mépris d’une de ses traditions ancestrales, de cesser de croire à la divinité de tel animal sans raison ou de se garder jusqu’à la mort de goûter à sa chair. Si j’ai longuement examiné ce point et détaillé l’exposé du cas de Bethléem et la prophétie qui s’y rapporte, c’est que je pensais nécessaire de le faire pour répondre à l’objection : si telle était l’évidence des prophéties juives sur Jésus, pourquoi, à sa venue, n’a-t-on pas adhéré à son enseignement et ne s’est-on pas converti aux doctrines supérieures qu’il révélait ? Mais qu’on évite de faire pareil reproche à ceux d’entre nous qui croient, à la vue des raisons sérieuses de croire en Jésus présentées par ceux qui ont appris à les mettre en valeur. LIVRE I

Il faut donc examiner ce qu’il dit contre les croyants venus du judaïsme. Il affirme qu’« abandonnant la loi de leurs pères, à cause de la séduction exercée par Jésus, ils ont été bernés de la plus ridicule façon et ont déserté, changeant de nom et de genre de vie ». Il n’a pas remarqué que ceux des Juifs qui croient en Jésus n’ont pas abandonné la loi de leurs pères. Car ils vivent en conformité avec elle, et doivent leur appellation à la pauvreté d’interprétation de la loi. « Ebion » est en effet le nom du pauvre chez les Juifs et « Ebionites », l’appellation que se donnent ceux des Juifs qui ont reçu Jésus comme Christ. De plus, Pierre paraît avoir gardé longtemps les coutumes juives prescrites par la loi de Moïse, comme s’il n’avait pas encore appris de Jésus à s’élever du sens littéral de la loi à son sens spirituel. Nous l’apprenons des Actes des Apôtres. Car, « le lendemain » de l’apparition à Corneille de l’ange de Dieu lui enjoignant d’envoyer « à Joppé » vers Simon surnommé Pierre, « Pierre monta sur la terrasse vers la sixième heure pour prier. Il sentit la faim et voulut manger. Or, pendant qu’on préparait un repas, il lui survint une extase : il voit le ciel ouvert, et un objet, semblable à une grande nappe nouée aux quatre coins, en descendre vers la terre. Et dedans, il y avait tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre, et tous les oiseaux du ciel. Une voix lui dit alors : Debout, Pierre, immole et mange ! Mais Pierre répondit : Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. Et de nouveau la voix lui dit : Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé ». Vois donc ici comment on représente que Pierre garde encore les coutumes juives sur la pureté et l’impureté. Et la suite montre qu’il lui fallut une vision pour communiquer les doctrines de la foi à Corneille qui n’était pas israélite selon la chair, et à ses compagnons : car, resté juif, il vivait selon les traditions ancestrales et méprisait ceux qui étaient hors du judaïsme. Et dans l’épître aux Galates, Paul montre que Pierre, toujours par crainte des Juifs, cessa de manger avec les Gentils, et, à la venue de Jacques vers lui, « se tint à l’écart » des Gentils « par peur des circoncis » ; et le reste des Juifs ainsi que Barnabé firent de même. LIVRE II

Il était bien logique que ceux qui étaient envoyés aux circoncis ne s’écartent pas des coutumes juives, quand « ceux que l’on considérait comme des colonnes donnèrent en signe de communion la main » à Paul et à Barnabé, et partirent « eux vers les circoncis », afin que les autres aillent prêcher aux Gentils. Mais, que dis-je, ceux qui prêchent aux circoncis se retiraient des Gentils et se tenaient à l’écart ? Paul lui-même se fit « Juif pour gagner les Juifs ». C’est la raison pour laquelle, comme il est encore écrit dans les Actes des Apôtres, il présenta même une oblation à l’autel, afin de persuader les Juifs qu’il n’était point un apostat de la loi. Si Celse avait su tout cela, il n’aurait pas mis en scène un Juif qui dit aux croyants issus du judaïsme : “Quel malheur vous est donc survenu, mes compatriotes, que vous ayez abandonné la loi de nos pères, et que, séduits par celui avec qui je discutais tout à l’heure, vous ayez été bernés de la plus ridicule façon, et nous ayez désertés pour changer de nom et de genre de vie ?” Puisque j’en suis à parler de Pierre et de ceux qui ont enseigné le christianisme aux circoncis, je ne crois pas hors de propos de citer une déclaration de Jésus, tirée de l’Évangile selon Jean, et de l’expliquer. Voici donc ce qu’il dit d’après l’Écriture : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira. » La question est de savoir quel était ce « grand nombre de choses » que Jésus avait à dire à ses disciples, mais qu’ils n’étaient pas encore en état de porter. Je réponds : parce que les apôtres étaient des Juifs, instruits de la loi de Moïse prise à la lettre, il avait peut-être à dire quelle était la loi véritable, de quelles « réalités célestes » le culte des Juifs était l’accomplissement « en figure et en image », quels étaient les « biens à venir » dont l’ombre était contenue dans la loi sur les aliments, les boissons, les fêtes, les nouvelles lunes et les sabbats. Voilà « le grand nombre de choses » qu’il avait à leur dire. Mais il voyait l’extrême difficulté d’arracher de l’âme des opinions pour ainsi dire congénitales et développées jusqu’à l’âge mûr, ayant laissé ceux qui les avaient reçues persuadés qu’elles étaient divines et qu’il était impie de les en dépouiller. Il voyait la difficulté de prouver, jusqu’à en persuader les auditeurs, qu’en comparaison de la suréminence de la « connaissance » selon le Christ, c’est-à-dire selon la vérité, elle n’étaient que « déchets » et « dommages ». Il remit donc cette tâche à une occasion plus favorable, après sa passion et sa résurrection. Et en effet, il était vraiment hors de propos d’apporter du secours à ceux qui n’étaient pas encore capables de le recevoir ; cela pouvait détruire l’impression, qu’ils avaient déjà reçue, que Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Considère s’il n’y a pas un sens respectable à entendre ainsi le passage : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » : par un grand nombre de choses, il entendait la méthode d’explication et d’éclaircissement de la loi dans un sens spirituel ; et les disciples ne pouvaient en quelque sorte les porter, parce qu’ils étaient nés et avaient été jusqu’alors élevés parmi les Juifs. Et, je pense, c’est parce que les pratiques légales étaient une figure, et que la vérité était ce que le Saint-Esprit allait leur enseigner, qu’il a été dit : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière » ; comme s’il disait : vers la vérité intégrale des réalités dont, ne possédant que les figures, vous croyiez adorer Dieu de l’adoration véritable. Conformément à la promesse de Jésus, l’Esprit de vérité vint sur Pierre et lui dit, à propos des quadrupèdes et des reptiles de la terre et des oiseaux du ciel : « Debout, Pierre, immole et mange ! » Il vint à lui, bien qu’il fût encore imbu de superstition, car même à la voix divine il répond : « Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. » Et il lui enseigna la doctrine sur les aliments véritables et spirituels par ces mots : « Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé. » Et après cette vision, l’Esprit de vérité, conduisant Pierre « vers la vérité tout entière », lui dit « le grand nombre de choses » qu’il ne pouvait pas « porter » alors que Jésus lui était encore présent selon la chair. LIVRE II

Le Juif continue :” Comment pouvions-nous considérer comme Dieu celui qui, entre autres choses qu’on lui reprochait, n’exécuta rien de ce qu’il promettait; qui, quand nous l’eûmes convaincu, condamné, jugé digne du supplice, alors qu’il se cachait et cherchait la fuite la plus honteuse, fut pris, livré par ceux qu’il nommait ses disciples ? Pourtant il ne lui était pas possible, s’il était Dieu, ni de s’enfuir, ni de se laisser emmener enchaîné; et encore bien moins, s’il était considéré comme le Sauveur, le Fils et l’Envoyé du Dieu très grand, d’être abandonné et trahi par ses compagnons qui avaient partagé en tout point son intimité et le tenaient pour maître.” A quoi je répondrai : nous ne pensons pas non plus que le corps de Jésus, visible alors et perceptible aux sens, est Dieu. Et que dis-je, le corps ? Pas même l’âme, dont il est dit : « Mon âme est triste à en mourir. » Mais, selon la doctrine des Juifs, on croit que c’est Dieu, usant de l’âme et du corps du prophète comme d’un instrument, qui dit : « C’est moi, le Seigneur, Dieu de toute chair », et : « Avant moi aucun Dieu n’a existé, et il n’y en aura pas après moi. » Selon les Grecs, on tient que c’est un dieu qui parle et qu’on entend par l’entremise de la Pythie, et qui déclare : « Je sais le nombre des grains de sable et les dimensions de la mer, je comprends le sourd-muet, j’entends celui qui ne parle pas. » De la même manière selon nous, c’est le Logos Dieu et Fils du Dieu de l’univers qui, en Jésus, disait : « Je suis la voie, la vérité, la vie », « Je suis la porte », « Je suis le pain vivant descendu du ciel » et autres expressions semblables. LIVRE II

Après cela, il dit : ” S’il avait pris cette décision, et si c’est par obéissance à son Père qu’il a été puni, il est évident que, puisqu’il était Dieu et qu’il le voulait, les traitements spontanément voulus pouvaient ne lui causer ni douleurs ni peines “. Et il n’a même pas vu la contradiction où il s’empêtre ! Car s’il accorde que Jésus a été puni parce qu’il en avait pris la décision, et qu’il s’est livré par obéissance à son Père, il est clair que Jésus a été puni et qu’il lui était impossible d’éviter les douleurs que lui infligent les bourreaux ; car la douleur échappe au contrôle de la volonté. Si au contraire, puisqu’il le voulait, les traitements ne pouvaient lui causer ni douleurs ni peines, comment Celse a-t-il accordé qu’il a été puni ? C’est qu’il n’a pas vu que Jésus, ayant une fois pris un corps par sa naissance, il l’a pris exposé aux souffrances et aux peines qui arrivent aux corps, si par peine on entend ce qui échappe à la volonté. Donc, de même qu’il l’a voulu et qu’il a pris un corps dont la nature n’est pas du tout différente de la chair des hommes, ainsi avec ce corps il a pris les douleurs et les peines ; et il n’était pas maître de ne pas les éprouver, cela dépendait des hommes disposés à lui infliger ces douleurs et ces peines. J’ai déjà expliqué plus haut que s’il n’avait pas voulu tomber entre les mains des hommes, il ne serait pas venu. Mais il est venu parce qu’il le voulait pour la raison déjà expliquée : le bien que retirerait tout le genre humain de sa mort pour les hommes. Ensuite il veut prouver que ce qui lui arrivait lui causait douleurs et peines, et qu’il lui était impossible, l’eut-il voulu, d’empêcher qu’il en fût ainsi, et il dit : ” Pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il, pour échapper à la crainte de la mort, cette sorte de prière : «Père, si ce calice pouvait s’éloigner»? ” En ce point encore, vois la déloyauté de Celse. Il refuse d’admettre la sincérité des évangélistes, qui auraient pu taire ce qui, dans la pensée de Celse, est motif d’accusation, mais ne l’ont pas fait pour bien des raisons que pourra donner opportunément l’exégèse de l’Évangile ; et il accuse le texte évangélique au moyen d’exagérations emphatiques et de citations controuvées. On n’y rencontre pas que Jésus exhale des gémissements. Il altère le texte original : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne. » Et il ne cite pas, au delà, la manifestation immédiate de sa piété envers son Père et de sa grandeur d’âme, qui est ensuite notée en ces termes : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Et même la docilité de Jésus à la volonté de son Père dans les souffrances auxquelles il était condamné, manifestée dans la parole , « Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » il affecte ne de pas l’avoir lue. Il partage l’attitude des impies qui entendent les divines Écritures avec perfidie et « profèrent des impiétés contre le ciel » Ces gens semblent bien avoir entendu l’expression « Je ferai mourir », et ils nous en font souvent un reproche , ils ne se souviennent plus de l’expression « Je ferai vivre » Mais le passage tout entier montre que ceux dont la vie est ouvertement mauvaise et la conduite vicieuse sont mis à mort par Dieu, mais qu’est introduite en eux une vie supérieure, celle que Dieu peut donner à ceux qui sont morts au péché. De même, ils ont entendu « Je frapperai », mais ils ne voient plus « C’est moi qui guérirai » expression semblable à celle d’un médecin qui a incisé des corps, leur a fait des blessures pénibles pour leur enlever ce qui nuit et fait obstacle à la santé, et qui ne se borne pas aux souffrances et à l’incision, mais rétablit par ce traitement les corps dans la santé qu’il avait en vue. De plus, ils n’ont pas entendu dans son entier la parole « Car il fait la blessure et puis il la bande », mais seulement « il fait la blessure ». C’est bien ainsi que le Juif de Celse cite « Père, si ce calice pouvait s’éloigner », mais non la suite, qui a prouve la préparation de Jésus a sa passion et sa fermeté Et c’est même là une matière offrant un vaste champ d’explication par la sagesse de Dieu, qu’on pourrait avec raison transmettre à ceux que Paul a nommes « parfaits » quand il dit « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits » , mais, la remettant à une occasion favorable, je rappelle ce qui est utile à la question présente. Je disais donc déjà plus haut il y a certaines paroles de celui qui est en Jésus le premier-né de toute créature, comme « Je suis la voie, la vérité, la vie » et celles de même nature, et d’autres, de l’homme que l’esprit discerne en lui, telles que « Mais vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de mon Père » Dés lors, ici même, il exprime dans sa nature humaine et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l’esprit la faiblesse, « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi » , la promptitude de l’esprit, « cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » De plus, s’il faut être attentif a l’ordre des paroles, observe qu’est d’abord mentionnée celle qui, pourrait-on dire, se rapporte a la faiblesse de la chair, et qui est unique , et ensuite, celles qui se rapportent à la promptitude de l’esprit, et qui sont multiples. Voici l’exemple unique « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Voici les exemples multiples « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux », et « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » Il faut noter aussi qu’il n’a pas dit « Que ce calice s’éloigne de moi », mais que c’est cet ensemble qui a été dit pieusement et avec révérence : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. » Je sais bien qu’il y a une interprétation du passage dans le sens que voici : Le Sauveur, à la vue des malheurs que souffriraient le peuple et Jérusalem en punition des actes que les Juifs ont osé commettre contre lui, voulut, uniquement par amour pour eux, écarter du peuple les maux qui le menaçaient, et dit : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi », comme pour dire : puisque je ne peux boire ce calice du châtiment sans que tout le peuple soit abandonné de toi, je te demande, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi, afin que la part de ton héritage ne soit pas, pour ce qu’elle a osé contre moi, entièrement abandonné de toi. » Mais encore si, comme l’assure Celse, ce qui est arrivé en ce temps n’a causé à Jésus ni douleur, ni peine, comment ceux qui vinrent après auraient-ils pu proposer Jésus comme modèle de patience à supporter les persécutions religieuses, si au lieu d’éprouver des souffrances humaines il avait seulement semblé souffrir ? Le Juif de Celse s’adresse encore aux disciples de Jésus comme s’ils avaient inventé tout cela : ” En dépit de vos mensonges, vous n’avez pu dissimuler vos fictions d’une manière plausible.” A quoi la réplique sera : il y avait un moyen facile de dissimuler les faits de ce genre : n’en rien écrire du tout ! Car si elles n’étaient contenues dans les Evangiles, qui donc aurait pu nous faire un reproche des paroles que Jésus prononça au temps de l’Incarnation ? Celse n’a pas compris qu’il était impossible que les mêmes hommes, d’une part aient été dupes sur Jésus qu’ils croyaient Dieu et prédit par les prophètes, et de l’autre aient sur lui inventé des fictions qu’ils savaient évidemment n’être pas vraies ! Donc, ou bien ils ne les ont pas inventées, mais les croyaient telles et les ont écrites sans mentir , ou bien ils mentaient en les écrivant, ne les croyaient pas authentiques et n’étaient point dupés par l’idée qu’il était Dieu. LIVRE II

Bien plus, que ce miracle supérieur a tous se soit produit était dans la logique de tout ce qui avait été prophétise de lui, cet événement y compris, et accompli par lui, et subi par lui. Car le prophète avait fait cette prédiction attribuée à Jésus « Ma chair reposera dans l’espérance tu n’abandonneras pas mon âme aux Enfers, tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption » Et justement sa résurrection l’a mis dans un état intermédiaire entre l’épaisseur du corps avant la passion, et la condition ou une âme apparaît dépouillée d’un pareil corps. Aussi, lors de la réunion en un même lieu « de ses disciples et de Thomas avec eux, Jésus arrive, toutes portes closes, se place au milieu d’eux et dit. La paix soit avec vous ! Puis il dit a Thomas : “Avance ton doigt ici ” etc.. Et dans l’Évangile selon Luc, alors que Simon et Cléophas s’entretenaient l’un l’autre de tout ce qui venait de leur arriver, Jésus survint près d’eux, « et il fit route avec eux , mais leurs yeux étaient empêches de le reconnaître. Il leur dit quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? ». Et lorsque « leurs yeux s’ouvrirent et qu’ils le reconnurent », alors, l’Écriture le dit en propres termes, « lui, il avait disparu à leurs regards ». En dépit donc du désir de Celse d’assimiler a d’autres fantômes et à d’autres visionnaires les apparitions de Jésus et ceux qui l’ont vu après la résurrection, tout examen judicieux et prudent des événements fera éclater la supériorité du miracle. LIVRE II

Jésus lui-même et ses disciples voulaient en effet que leurs adhérents ne croient pas seulement à sa divinité et à ses miracles comme s’il n’avait point participé à la nature humaine et pris cette chair qui chez les hommes convoite « contre l’esprit ». Mais ils voyaient en outre que la puissance qui est descendue jusqu’à la nature humaine et aux vicissitudes humaines, et a pris une âme et un corps d’homme, contribuerait, parce qu’elle est objet de foi, en même temps que les réalités divines, au salut des croyants. Ceux-ci voient qu’avec Jésus la nature divine et la nature humaine ont commencé à s’entrelacer, afin que la nature humaine, par la participation à la divinité, soit divinisée, non dans Jésus seul mais encore en tous ceux qui, avec la foi, adoptent le genre de vie que Jésus a enseigné et qui élève à l’amitié pour Dieu et à la communion avec lui quiconque vit suivant les préceptes de Jésus. LIVRE III

Puisque Celse rappelle ensuite l’histoire du héros de Clazomène et y ajoute : Ne raconte-t-on pas que son âme s’échappait fréquemment de son corps pour errer ça et là incorporelle ? Et pourtant les hommes ne le considérèrent pas comme dieu, je répliquerai : il se peut que des démons pervers se soient arrangés pour que ces merveilles fussent écrites – car je ne pense pas qu’ils soient parvenus à les réaliser -, afin que les prophéties sur Jésus et ses enseignements fussent ou bien attaqués comme fictions du même genre que celles-là, ou bien que, n’ayant rien de plus que les autres, elles n’excitent aucune admiration. Or, mon Jésus disait à propos de la séparation entre son âme et son corps, non par une nécessité humaine, mais en vertu du pouvoir miraculeux qui lui avait été donné à cet effet : « Personne ne m’enlève mon âme, mais je la livre de moi-même. J’ai le pouvoir de la livrer, et le pouvoir de la reprendre. » Et puisqu’il avait le pouvoir de la livrer, il l’a livrée lorsqu’il a dit : « Mon Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? », et que, « poussant un grand cri, il rendit l’esprit », devançant ainsi les bourreaux chargés du supplice qui brisaient les jambes des crucifiés, afin que le châtiment ne les fît pas souffrir trop longtemps. Mais il reprit « son âme » lorsqu’il se manifesta à ses disciples, selon la prédiction faite en leur présence aux Juifs incrédules : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » Mais « il parlait du temple de son corps », car les prophètes l’avaient annoncé par avance dans ce passage entre bien d’autres : « Bien plus, ma chair reposera dans l’espérance, car tu n’abandonneras pas mon âme à l’Hadès, tu ne permettras pas que ton Saint voie la corruption. » LIVRE III

Aussi n’est-ce pas en bon dialecticien que Celse compare la chair humaine de Jésus à l’or, à l’argent et à ta pierre et dit qu’elle était davantage corruptible. Car, en rigueur de terme, il n’est pas vrai qu’une chose incorruptible soit plus incorruptible qu’une autre chose incorruptible, ni qu’une chose corruptible soit plus corruptible qu’une autre chose corruptible. Mais admettons qu’elle puisse être plus corruptible, je n’en répliquerai pas moins : s’il est possible que la matière sous-jacente à toutes les qualités change de qualités, pourquoi ne serait-il pas possible aussi que la chair de Jésus ait changé de qualités et soit devenue telle qu’il le fallait pour séjourner dans l’éther et les régions au-dessus de lui, après avoir dépouillé les caractéristiques de la faiblesse charnelle, qualifiées par Celse d’impuretés. C’est encore une erreur philosophique. Est impur, au sens propre, ce qui provient de la malice ; mais la nature du corps n’est pas impure ; ce n’est pas en tant qu’elle est nature d’un corps qu’elle possède la malice, principe générateur de l’impureté. LIVRE III

Alors, soupçonnant la défense qu’on lui opposerait, il dit du changement du corps de Jésus : Mais, une fois déposée cette chair, peut-être sera-t-il devenu Dieu ? Et pourquoi pas plutôt Asclépios, Dionysios, Héraclès ? Je répondrai : quelle oevre aussi admirable ont donc accompli Asclépios, Dionysos, Héraclès ? Pour avoir un titre à devenir dieux, qui pourront-ils présenter qu’ils aient rendu moralement meilleur, plus vertueux, grâce à leurs discours et leur conduite ? A la lecture des nombreuses histoires qui parlent d’eux, voyons s’ils furent exempts d’inconduite, d’injustice, de déraison, de lâcheté ? Que l’on ne trouve en eux rien de tel, l’argument de Celse qui égale ces personnages à Jésus aurait du poids. Mais s’il est manifeste que, à côté de quelques actions honnêtes qu’on rapporte d’eux, ils en ont fait une infinité d’autres contraires à la droite raison que les écrits attestent, comment maintenir raisonnablement qu’ils seraient, plutôt que Jésus, devenus dieux une fois déposé leur corps mortel ? LIVRE III

De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III

Mais l’être descendu vers les hommes existait auparavant « en forme de Dieu », et c’est par amour pour les hommes qu’« il s’est anéanti », afin de pouvoir être reçu par les hommes. Non point certes qu’il ait subi un changement du bien au mal, car « il n’a pas fait de péché », ni de la beauté à la laideur, car « il n’a pas connu de péché » ; et il n’est pas venu de la félicité à l’infortune, mais « il s’est humilié lui-même » et n’en était pas moins heureux même lorsque pour le bienfait de notre race il s’humiliait lui-même. De plus, il ne subit pas de changement de l’état le meilleur au pire, car en quel sens la bonté et l’amour pour l’homme seraient-elles ce qu’il y a de pire ? Autant dire alors qu’à voir des horreurs et à toucher des choses répugnantes afin de guérir les malades, le médecin va du bien au mal, de la beauté à la laideur, de la félicité à l’infortune. Et encore le médecin qui voit des horreurs et touche des choses répugnantes n’évite-t-il pas absolument la possibilité de contracter le même mal. Mais celui qui guérit les blessures de nos âmes par le Logos de Dieu présent en lui était lui-même hors d’atteinte de tout mal. Même si, en prenant un corps mortel et une âme d’homme, le Logos, Dieu immortel, paraît à Celse se changer et se transformer, qu’il apprenne que le Logos, qui reste Logos par son essence, ne souffre rien des souffrances du corps ou de l’âme. Mais il condescend parfois à la faiblesse de celui qui ne peut voir l’éclat et la splendeur de sa divinité et il se fait pour ainsi dire « chair », est exprimé corporellement, permettant à celui qui l’a reçu sous cette forme, rapidement élevé par le Logos, de pouvoir contempler aussi, pour ainsi dire, sa forme principale. LIVRE IV

Puisqu’il a fait dire aux chrétiens qu’il regarde comme des vers : Dieu néglige le monde entier et le mouvement du ciel et, sans souci de la vaste terre, c’est pour nous seuls qu’il gouverne, avec nous seuls qu’il communique par ses messagers, ne cessant de les envoyer et de chercher par quel moyen nous lui serons unis pour toujours, il faut répondre : c’est nous prêter des propos que nous ne tenons pas, car nous lisons et savons que « Dieu aime tous les êtres et n’a de dégoût pour rien de ce qu’il a fait ; car s’il avait haï quelque chose, il ne l’aurait pas formé ». Nous avons lu aussi : « Mais tu épargnes tout, parce que tout est à toi, ô Ami de la vie. Car ton souffle impérissable est en toutes choses. Aussi peu à peu tu châties ceux qui tombent, tu les avertis et tu leur rappelles en quoi ils pèchent. » Comment pourrions-nous dire : Dieu néglige le mouvement du ciel et le monde entier, et sans souci de la vaste terre pour nous seuls il gouverne ? Nous savons que, dans les prières, il faut dire en le pensant : « La terre est remplie de la miséricorde du Seigneur » ; « La miséricorde du Seigneur s’étend à toute chair » ; Dieu dans sa bonté « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, pleuvoir sur les justes et les injustes » ; et pour que nous soyons ses fils, il nous exhorte à la même attitude et nous enseigne à étendre autant que possible nos bienfaits à tous les hommes. LIVRE IV

Ensuite, dans son propos de dénigrer la Bible, il raille aussi le passage : « Alors Dieu fit tomber un profond sommeil sur Adam, qui s’endormit. Il prit une de ses côtes et reforma la chair à sa place. LIVRE IV

Qu’il faille comprendre allégoriquement les jeunes femmes et les jeunes servantes, ce n’est pas nous qui l’enseignons, mais nous l’avons appris des sages qui nous ont précédé. L’un d’eux disait, élevant l’auditeur au sens spirituel : « Dites-moi, vous qui voulez vous soumettre à la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils, l’un de l’esclave, l’autre de la femme libre. Mais celui de l’esclave est né selon la chair, celui de la femme libre, en vertu de la promesse. Il y a là une allégorie : ces femmes représentent deux alliances, l’une, celle du mont Sina, enfante pour la servitude : c’est Agar. » Et, peu après : « Mais la Jérusalem d’en haut est libre, et elle est notre mère. » Et quiconque voudra prendre l’Épître aux Galates saura de quelle manière comprendre allégoriquement les passages sur les mariages et les unions avec les servantes, la volonté de l’Écriture étant que nous recherchions avec ardeur les actions de ceux qui les ont accomplies, non point dans leur apparence corporelle, mais, comme ont coutume de les nommer les apôtres de Jésus, dans leurs significations spirituelles. LIVRE IV

Entre bien d’autres, je citerai quelques passages pour montrer la calomnie gratuite de Celse quand il dit que les Écritures ne sont pas susceptibles d’allégorie. Voici une déclaration de Paul, l’Apôtre de Jésus : « Il est écrit dans la loi de Moïse : ” Tu ne muselleras pas le boeuf qui foule le grain. ” Dieu se met-il en peine des boeufs, ou n’est-ce point surtout pour nous qu’il parle évidemment ? C’est bien pour nous qu’il a été écrit : celui qui laboure doit labourer dans l’espérance et celui qui foule le grain doit le faire dans l’espérance d’y avoir part. » Et le même écrivain dit ailleurs : « Car il est écrit : ” C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair. ” Ce mystère est de grande portée : je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église. » Et encore à un autre endroit : « Mais, nous le savons : nos pères ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer. » Puis, interprétant l’histoire de la manne et de l’eau sortie miraculeusement du rocher, au dire de l’Écriture, il s’exprime en ces termes : « Tous ont mangé le même aliment spirituel, et tous ont bu la même boisson spirituelle ; ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher spirituel, c’était le Christ. » Et Asaph a montré que les histoires de l’Exode et des Nombres sont des mystères et des paraboles, comme il est écrit dans le livre des Psaumes ; car à leur narration il donne cette préface : « Écoutez, ô mon peuple, ma loi : tendez l’oreille aux paroles de ma bouche. J’ouvrirai la bouche en paraboles, j’évoquerai les mystères de l’origine, ce que nous avons entendu et appris, et que nos pères ont raconté. » De plus si la loi de Moïse ne contenait rien que mettent en lumière les significations symboliques, le prophète ne dirait pas à Dieu dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » Mais en réalité il savait bien qu’il y a un « voile » d’ignorance étendu sur le coeur de ceux qui lisent et ne comprennent pas les significations figurées. Ce voile est ôté par faveur divine, quand Dieu exauce celui qui a fait tout ce qui dépend de lui, qui a pris l’habitude d’exercer ses facultés à distinguer le bien et le mal et qui dit continuellement dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » LIVRE IV

Voici ce qu’il dit : ” C’est une autre sottise de leur part de penser que quand Dieu tel un cuisinier appliquera le feu, toute autre race sera grillée, et qu’ils seront seuls à survivre: et non seulement les vivants d’alors mais même ceux qui seront morts depuis longtemps, qui surgiront de la terre avec la même chair que jadis absolument l’espérance des vers ! Quelle âme d’homme regretterait un corps putréfié? Alors que cette doctrine n’est pas même admise par certains de vous et des chrétiens, et que son extrême impureté montre que c’est à la fois révoltant et impossible: quel corps, après une corruption complète, pourrait-il revenir à sa nature originelle et à cette même première constitution qu’il avait avant d’être dissous ? N’ayant rien à répondre, ils recourent à la plus absurde échappatoire: tout est possible à Dieu ! En vérité, Dieu ne peut rien faire de honteux et ne veut rien de contraire à la nature. Aurait-on une infâme convoitise dans la perversité de son c?ur, Dieu ne pourrait l’exaucer et il ne faut pas croire d’emblée qu’elle va être assouvie. Car Dieu n’est pas l’auteur de l’appétit déréglé ni de la licence effrénée, mais de la nature droite et juste. A l’âme il peut bien accorder une vie immortelle ; mais, comme dit Héraclite, « les cadavres sont plus à rejeter que le fumier ». Donc une chair, pleine de ce qu’on ne saurait décemment nommer, Dieu ne voudra ni ne pourra la rendre immortelle contre toute raison. Il est lui-même la raison de tout ce qui existe; il ne peut donc rien faire ni contre la raison ni contre lui-même.” LIVRE V

Il a longuement raillé la résurrection de la chair qui est prêchée dans les églises, mais plus nettement comprise par l’élite des penseurs. Inutile donc de redonner son texte déjà cité une fois. Mais puisque cette défense est écrite contre un homme étranger à notre foi, et à cause de ceux qui sont encore de tout petits enfants, ballottés par les flots et emportés « à tout vent de doctrine par la piperie des hommes pour fourvoyer dans l’erreur », qu’on me permette, sur ce problème, d’exposer de mon mieux et d’établir quelques points adaptés aux besoins des lecteurs. Pas plus que les divines Écritures nous ne disons que ceux qui sont morts depuis longtemps, surgissant de terre, vivront avec la même chair sans qu’elle ait reçu d’amélioration ; en le prétendant, Celse nous calomnie. Car nous entendons aussi maints passages scripturaires qui traitent de la résurrection d’une manière digne de Dieu. Il suffît de citer ici le mot de Paul, de la Première aux Corinthiens : « Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps reviennent-ils ? ? Insensé ! Ce que tu sèmes, toi, ne reprend vie, s’il ne meurt. Et ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps à venir, mais un simple grain, de blé par exemple ou d’une des autres plantes ; et Dieu lui donne un corps à son gré, à chaque semence un corps qui lui est propre ». » Vois donc comment il indique ici que « ce n’est pas le corps à venir » qui est semé, mais qu’il y a comme une résurrection de la semence jetée nue en terre, Dieu donnant « à chaque semence un corps qui lui est propre » : de la semence jetée en terre se lève tantôt un épi, tantôt un arbre comme pour le grain de la moutarde, ou encore un arbre plus grand pour un noyau d’olive ou un des autres fruits. LIVRE V

« Dieu donne donc à chacun un corps à son gré » : aux plantes ainsi semées, comme aux êtres qui sont pour ainsi dire semés dans la mort et qui reçoivent en temps opportun, de ce qui est semé, le corps assigné par Dieu à chacun selon son mérite. Nous entendons aussi l’Écriture qui enseigne longuement la différence entre le corps pour ainsi dire semé et celui qui en est comme ressuscité. Elle dit : « Semé dans la corruption, il ressuscite incorruptible ; semé dans l’abjection, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. » A celui qui le peut, de savoir encore sa pensée dans ce passage : « Tel le terrestre, tels seront aussi les terrestres, tel le céleste, tels seront aussi les célestes. Et comme nous avons porté l’image du terrestre, de même nous porterons l’image du céleste. » Cependant l’Apôtre veut laisser caché le sens mystérieux du passage, qui ne convient pas aux simples et à l’entendement commun de ceux que la foi suffît à amender. Il est néanmoins forcé ensuite, pour nous éviter des méprises sur le sens des ses paroles, de compléter l’expression : « Nous porterons l’image du céleste » par celle-ci : « Je l’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité1. » Et sachant bien le mystérieux sens caché qu’il y avait dans ce passage, comme il convient à un auteur laissant par écrit à la postérité l’expression de sa pensée, il ajoute : «Voici que je vais vous dire un mystère. » C’est précisément la formule d’introduction aux doctrines profondes et mystérieuses, justement cachées à la foule. Ainsi encore il est écrit dans le livre de Tobie : « Il est bon de tenir caché le secret du roi » ; puis, à l’égard de ce qui est glorieux et adapté à la foule, en dosant la vérité : « Il est bon de révéler les oeuvres de Dieu pour sa gloire. » Dès lors notre espérance n’est pas celle des vers et notre âme ne regrette pas le corps putréfié ; sans doute a-t-elle besoin d’un corps pour passer d’un lieu à un autre ; mais, ayant médité la sagesse selon la parole : « La bouche méditera la sagesse », elle sait qu’il y a une différence entre l’habitation terrestre où se trouve la tente et qui est vouée à la destruction, et la tente où les justes gémissent accablés, non parce qu’ils veulent se dévêtir de la tente, mais « pardessus elle se revêtir » (d’une autre) afin que, ainsi revêtus, « ce qu’il y a de mortel soit englouti par la vie ». « Il faut en effet », toute la nature corporelle étant corruptible, que cette tente « corruptible revête l’incorruptibilité », et que d’autre part, ce qui est « mortel » et destiné à la mort, conséquence immédiate du péché, « revête l’immortalité ». Ainsi, quand « cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité et cet être mortel l’immortalité, alors s’accomplira » l’antique prédiction des prophètes, la fin du triomphe de la mort qui dans son triomphe nous avait soumis à elle, et la perte de l’aiguillon dont elle pique l’âme incomplètement protégée, lui infligeant les blessures qui viennent du péché. LIVRE V

Et cet homme qui professe tout savoir ajoute ces déclarations :” Tous ces gens si radicalement séparés, qui dans leurs querelles se réfutent si honteusement eux-mêmes, on les entendra répéter : le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde”. Voilà tout ce que Celse paraît avoir retenu de Paul. Pourquoi donc ne citerais-je pas tant d’autres passages comme celui-ci : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais elles ont, pour la cause de Dieu, le pouvoir de renverser les forteresses. Nous détruisons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la connaissance de Dieu. » LIVRE V

Si certains paraissent s’être élevés au-dessus de tout cela, on découvrira cependant qu’ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature de préférence au Créateur. Aussi, parce que les sages et les savants de la Grèce se fourvoyaient dans leurs pratiques religieuses, « Dieu a choisi ce qu’il y a de fou dans le monde, pour confondre les sages, ce qui est sans naissance, ce qui est faible, ce que l’on méprise, ce qui n’est rien, pour réduire à néant ce qui est », et cela en vérité « afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant Dieu ». LIVRE VI

Le deuxième après Jean et désigné par lui est Jésus à qui s’applique la parole : « Le Logos s’est fait chair » ; il correspond à la « définition » de Platon. Platon déclare que le troisième facteur est « l’image ». LIVRE VI

Puis s’en prenant à l’expression, il critique avec raison l’audace d’un tel propos. Sur ce point nous partageons nous aussi l’indignation de ceux qui blâment ces gens, s’ils existent, qui appellent Dieu maudit le Dieu des Juifs, le maître de la pluie et du tonnerre, le créateur de ce monde, le Dieu de Moïse et de la création décrite par lui. Les paroles de Celse ne laissent voir aucune bienveillance ; au contraire, elles sont inspirées par sa haine, indigne d’un philosophe, d’une extrême malveillance envers nous. Il a voulu qu’à la lecture de son livre, ceux qui n’ont pas l’expérience de nos doctrines nous attaquent comme si nous disions que le magnifique Créateur de ce monde est un dieu maudit. Son procédé me semble analogue à celui des Juifs qui, au début de l’enseignement du christianisme, répandirent contre l’Évangile la calomnie qu’on immolait un petit enfant dont on se partageait la chair, et encore que les disciples de l’Évangile, pour accomplir les oeuvres de ténèbres, éteignaient la lumière et chacun s’unissait à sa voisine. LIVRE VI

Ensuite, comme si le reproche atteignait les chrétiens, quand il accuse ceux qui appellent Dieu maudit le Dieu de Moïse et de sa loi, et s’imagine que ceux qui le disent sont des chrétiens, il ajoute : Peut-il y avoir sottise plus délirante que cette sagesse stupide ? Quelle erreur a donc commise le législateur des Juifs ? D’où vient alors que tu adoptes, grâce, dis-tu, à une allégorie sommaire, sa cosmogonie ou la loi des Juifs et que tu loues bien malgré loi, ô très impie, le Créateur du monde, celui qui a tout promis aux Juifs, annonçant que leur race se multiplierait jusqu’aux extrémités de la terre et ressusciterait d’entre les morts avec la même chair et le même sang, et celui qui inspirait les prophètes; et qu’en même temps tu l’injuries ? Cependant, lorsque les Juifs le pressent, tu reconnais que tu adores le même Dieu; mais quand ton maître Jésus, et Moise, le maître des Juifs, établissent des lois contraires, tu cherches un autre dieu à la place de celui-ci, le Père. LIVRE VI

Dans nos discussions avec les Juifs aussi bien qu’entre nous, nous savons qu’il n’y a qu’un seul Dieu, celui-là même que les Juifs adoraient autrefois et encore maintenant font profession d’adorer, et nous sommes purs de toute impiété à son égard. Nous ne disons pas non plus que Dieu ressuscitera les hommes d’entre les morts avec la même chair et le même sang, comme on l’a vu plus haut ; nous disons que ce qui a été semé « dans la corruption, dans l’abjection, dans la faiblesse corps psychique » ne ressuscite pas dans l’état où il a été semé. Mais j’en ai déjà convenablement traité plus haut. LIVRE VI

Après les considérations que je viens de citer en y ajoutant d’autres de même ordre, Celse continue : Ils entassent pêle-mêle discours de prophètes, cercles sur cercles, ruisseaux de l’église terrestre et de la circoncision, une vertu émanant d’une certaine vierge Prunicos, une âme vivante, un ciel immolé pour qu’il vive, une terre immolée par l’épée, des hommes en grand nombre immolés pour qu’ils vivent, une mort qui doit finir dans le monde quand mourra le péché du monde, une nouvelle descente étroite et des portes qui s’ouvrent d’elles-mêmes. Il y est partout question du bois de la vie et de la résurrection de la chair par le bois, parce que, je crois, leur maître a été cloué à la croix et qu’il était charpentier de profession. En sorte que, si par hasard on l’avait précipité d’un rocher, jeté dans un gouffre, étranglé par une corde, ou s’il eût été cordonnier, tailleur de pierres, ouvrier en fer, il y aurait au-dessus des deux un rocher de vie, un gouffre de résurrection, une corde d’immortalité, une pierre de béatitude, un fer de charité, un cuir de sainteté. Quelle vieille femme prise de vin, fredonnant une fable pour endormir un bébé, n’aurait honte de chuchoter pareilles sornettes ? Celse me paraît ici confondre des idées mal comprises. On dirait un homme qui, ayant saisi quelques bouts de phrases prononcés dans une secte ou l’autre sans en avoir compris le sens et l’intention, en a rassemblé les bribes pour donner à ceux qui ne savent rien ni de nos doctrines ni de celles des sectes l’impression qu’il connaît toutes les doctrines du christianisme. C’est ce qui ressort du passage cité. LIVRE VI

L’explication sur le bois de la vie viendrait plus à propos dans un commentaire sur le paradis de Dieu, décrit dans la Genèse comme planté par lui. Mais souvent déjà Celse s’est moqué de la résurrection qu’il ne comprend pas. Ici, non content de ce qu’il a déjà dit, il ajoute qu’il est question de la résurrection de la chair par le bois, faute d’entendre, je pense, l’expression figurée : c’est par le bois que vint la mort, et par le bois la vie ; la mort en Adam, la vie dans le Christ. LIVRE VI

Après cela, il me paraît faire comme ceux qui, dans leur haine farouche des chrétiens, affirment aux gens tout à fait ignorants du christianisme avoir appris par expérience que les chrétiens mangent la chair des petits enfants ou se livrent sans retenue à des étreintes avec les femmes qui sont à leur côté. Or ces racontars sont désormais condamnés même par les foules tout à fait étrangères à notre religion comme des allégations fausses contre les chrétiens. De même trouvera-t-on mensongères les allégations de Celse prétendant avoir vu chez certains prêtres de notre croyance des livres contenant des noms barbares de démons et des formules magiques. Et il assure que ces gens, entendez : les prêtres de notre croyance, ne promettent rien d’utile mais tout ce qui peut nuire aux hommes. Plût au ciel que toutes les objections de Celse contre les chrétiens fussent de cette nature ! Il serait réfuté par les masses qui ont appris par expérience la fausseté de ces griefs, pour avoir vécu avec un très grand nombre de chrétiens et n’avoir jamais entendu sur eux rien de pareil. LIVRE VI

Et il n’y a rien d’étonnant si, déclarant que l’âme de Jésus est unie au très grand Fils de Dieu par une participation suprême avec lui, nous ne la séparons plus de lui. Les saintes paroles des divines Écritures connaissent également d’autres exemples d’êtres qui, tout en étant deux par leur propre nature, se trouvent cependant considérés et constitués l’un avec l’autre en un seul. Par exemple, il est dit de l’homme et de la femme : « Ils ne sont plus deux, mais une seule chair » ; et de l’homme parfait uni au Seigneur véritable, Logos, Sagesse, Vérité : « Celui qui est uni au Seigneur est un seul esprit avec lui. » Or, si « celui qui s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un seul esprit », qui donc mieux ou autant que l’âme de Jésus se trouve uni au Seigneur, le Logos en personne, la Sagesse en personne, la Vérité en personne, la Justice en personne ? S’il en est ainsi, l’âme de Jésus et le Dieu Logos, « Premier-né de toute créature», ne sont pas deux. LIVRE VI

Ensuite, parce qu’il soupçonne ou peut-être comprend lui aussi ce qu’on peut dire pour justifier la destruction des hommes par le déluge, Celse objecte : S’il ne détruit pas ses propres enfants, où donc peut-il les reléguer hors de ce monde qu’il a lui-même créé ? Je réponds : Dieu ne relègue pas absolument hors de l’ensemble du monde, qui est formé du ciel et de la terre, les victimes du déluge, mais il les retire de cette vie dans la chair : et en les délivrant de leur corps, il les délivre aussi en même temps de l’existence sur la terre, couramment appelée monde en bien des endroits des Écritures. C’est surtout dans l’Évangile selon Jean qu’on trouve souvent appelé monde ce lieu terrestre, comme dans ces passages : « Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant dans le monde » ; « Dans le monde vous avez la tribulation ; mais ayez confiance, moi, j’ai vaincu le monde». » Si donc on entend l’expression reléguer hors du monde en la référant à ce lieu terrestre, il n’y a aucune absurdité à le dire. Mais si on nomme monde le système formé par le ciel et la terre, les victimes du déluge ne sont pas absolument reléguées hors du monde ainsi entendu. Toutefois, en considérant les versets : « Nous ne regardons pas à ce qu’on voit, mais à ce que l’on voit pas », « Ses oeuvres invisibles, en effet, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit », on pourrait dire : celui qui s’occupe des réalités invisibles, généralement nommées « ce qu’on ne perçoit pas », s’éloigne du monde, car le Logos le retire d’ici-bas et le transporte dans le lieu supracéleste pour en contempler les beautés. LIVRE VI

Voilà pourquoi, si Celse nous demande comment nous pensons apprendre à connaître Dieu et trouver le salut près de lui, nous répondrons : le Logos de Dieu est capable, en venant à ceux qui le cherchent et qui le reçoivent quand il apparaît, de faire connaître et de révéler son Père, invisible avant sa venue. Quel autre peut sauver et conduire au Dieu suprême l’âme de l’homme sinon le Dieu Logos ? « Il était au commencement auprès de Dieu », mais à cause de ceux qui se sont collés à la chair et sont devenus chair, « il s’est fait chair », afin de pouvoir être reçu par ceux qui étaient incapables de le voir en tant qu’il était Logos, qu’il était auprès de Dieu et qu’il était Dieu. LIVRE VI

Exprimé en termes corporels et prêché comme chair, il appelle à lui ceux qui sont chair pour les rendre conformes au Logos qui s’est fait chair, et pour les faire monter ensuite, afin qu’ils le voient tel qu’il était avant qu’il se fît chair ; de telle sorte qu’ils reçoivent ce bienfait, s’élèvent à partir de cette initiation selon la chair et peuvent dire : « Même si nous avons connu autrefois le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus à présent. » Donc «il s’est fait chair », et, fait chair, il a habité parmi nous et non pas loin de nous. Ayant habité et vécu parmi nous, il n’est pas resté sous sa première forme ; il nous a fait monter sur « la haute montagne » spirituelle, il nous a montré sa forme glorieuse et l’éclat de ses vêtements : non seulement celle qui lui est propre, mais encore celle de la loi spirituelle, et c’est Moïse apparu dans la gloire avec Jésus. Il nous a montré également toute la prophétie, qui n’est pas morte après son incarnation, mais qui était transportée au ciel et symbolisée par Élie. Qui a contemplé pareil spectacle peut dire : « Et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » Elle est donc par trop simpliste la réponse que, d’après Celse, nous ferions à sa question : Comment pensons-nous apprendre à connaître Dieu et trouver le salut près de lui ? Car notre réponse est dans ce qui précède. LIVRE VI

Ensuite, Celse juge bon de dire : Les peuples les plus inspirés dès l’origine furent les Chaldéens. C’est à partir d’eux cependant que l’art fallacieux des horoscopes s’est répandu parmi les hommes. En outre, Celse range au nombre des peuples les plus inspirés, les Mages, bien que la magie tire d’eux son nom et ait été transmise aux autres peuples pour la corruption et la ruine de ceux qui l’emploient. Quant aux Égyptiens, les pages précédentes et Celse ont montré leur erreur d’avoir des enceintes vénérables pour leurs prétendus temples, mais à l’intérieur rien d’autre que des singes, des crocodiles, des chèvres, des aspics ou quelque autre animal. Et ici, il a paru bon à Celse de dire : Le peuple d’Egypte aussi est très inspiré, et inspiré dès l’origine : sans doute pour avoir dès l’origine combattu les Juifs ! Les Perses encore, qui épousent leurs mères et s’unissent à leurs filles, semblent à Celse un peuple inspiré, et aussi les Indiens dont il disait, aux pages précédentes, que certains ont mangé la chair humaine. Mais les Juifs, surtout ceux d’autrefois, qui ne font rien de tout cela, non seulement il ne les a pas dits les plus inspirés, mais il affirme leur perte imminente. Voilà le sort qu’il prédit d’eux, comme un devin, sans voir toute l’économie de Dieu relative aux Juifs et à leur vénérable régime d’autrefois, et comment leur faux pas a procuré le salut aux païens, « et leur faux pas a fait la richesse du monde et leur amoindrissement la richesse des païens », « jusqu’à ce que la totalité soit entrée », afin qu’ensuite « tout Israël », dont Celse ne comprend pas le sens, « soit sauvé ». LIVRE VI

Aussi démontrons-nous, en réunissant les textes des Écritures sacrées, que les prophètes juifs, illuminés par l’Esprit divin autant qu’il leur était utile quand ils prophétisaient, étaient les premiers à jouir de la venue en eux de l’Esprit d’en haut. Le contact, pour ainsi dire, de ce qu’on appelle l’Esprit Saint avec leur âme rendait leur intelligence plus perspicace, leur âme plus limpide ; et même leur corps qui, étant mort au désir de la chair, n’offrait plus d’obstacle à la vie vertueuse. LIVRE VI

Car selon notre foi, l’Esprit divin fait mourir les pratiques du corps et les inimitiés qui ont leur origine dans le désir de la chair, ennemi de Dieu. LIVRE VI

Bien plus, à en croire non seulement les chrétiens et les Juifs mais encore beaucoup d’autres Grecs et barbares, l’âme humaine vit et subsiste après sa séparation d’avec le corps ; et il est établi par la raison que l’âme pure et non alourdie par les masses de plomb du vice s’élève jusqu’aux régions des corps purs et éthérés, abandonnant ici-bas les corps épais et leurs souillures ; au contraire l’âme méchante, tirée à terre par ses péchés et incapable de reprendre haleine, erre ici-bas et vagabonde, celle-ci autour « des tombeaux » où l’on voit « les fantômes » des âmes comme des ombres, celle-là simplement autour de la terre. Quelle nature faut-il attribuer à des esprits enchaînés à longueur de siècles, pour ainsi dire, à des édifices et à des lieux, soit par des incantations, soit à cause de leur perversité ? Evidemment la raison exige de juger pervers ces êtres qui emploient la puissance divinatrice, par elle-même indifférente, à tromper les hommes et à les détourner de la piété pure envers Dieu. Une autre preuve de cette perversité est qu’ils nourrissent leurs corps de la fumée des sacrifices, des exhalaisons du sang et de la chair des holocaustes ; qu’ils y prennent plaisir comme pour assouvir leur amour de la vie, à la façon des hommes corrompus, sans attrait pour la vie pure détachée du corps, qui, désireux des plaisirs corporels, s’attachent à la vie du corps terrestre. LIVRE VI

Pourquoi serait-ce là des choses très abominables et très impures, comme le dit Celse ? Cependant il semblera enseigner comment les souffrances qu’il a endurées étaient très abominables et très impures quand il dit : Pour un Dieu se nourrir de chair de brebis, boire du fiel ou du vinaigre, était-ce autre chose que de manger des excréments ? Mais d’après nous, Dieu n’a pas mangé de la chair de brebis ; quand il semble qu’il mangeait, c’était Jésus qui mangeait parce qu’il avait un corps. Par ailleurs, sur le fiel et le vinaigre prédits par le prophète : « Ils m’ont donné pour nourriture du fiel et dans ma soif ils m’ont fait boire du vinaigre », bien qu’on en ait parlé plus haut, Celse me contraint aux redites. Ceux qui conspirent contre l’Évangile de la vérité présentent sans cesse au Christ de Dieu le fiel de leur malice et le vinaigre de leur perversité ; et lui, « après avoir goûté, refuse d’en boire ». LIVRE VI

S’il faut expliquer en même temps le massacre des ennemis et le pouvoir du juste sur toutes choses, on peut dire : en affirmant « Chaque matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre, afin de retrancher de la cité du Seigneur tous les artisans d’iniquité », le prophète appelait terre au sens figuré la chair « dont le désir est ennemi de Dieu », et cité du Seigneur, son âme dans laquelle était un temple de Dieu ; car il possédait de Dieu une opinion et une conception justes et admirées de tous ceux qui les observent. En même temps donc, rempli pour ainsi dire de puissance et de force par les rayons du Soleil de « la justice » qui illuminaient son âme, il supprimait tout « désir de la chair », nommé par le texte « pécheurs de la terre », et exterminait, de la cité du Seigneur qui était dans son âme, tous les raisonnements artisans d’iniquité et les désirs ennemis de la vérité. LIVRE VI

Après ces attaques auxquelles j’ai répondu de mon mieux, Celse reprend : Mais ils demanderont encore : Comment connaîtront-ils Dieu s’ils ne l’atteignent par les sens ? Que peut-on connaître sans l’usage des sens ? Puis il répond lui-même : Ce n’est point là propos de l’homme ni de l’âme, mais de la chair. Qu’ils écoutent pourtant, si du moins est capable d’entendre quelque chose celle engeance pusillanime et attachée au corps. Quand, après avoir fermé l’entrée des sens, vous aurez regardé en haut par l’esprit, et qu’après vous être détournés de la chair, vous aurez donné l’éveil aux yeux de l’âme, alors seulement vous verrez Dieu. El si vous cherchez un guide pour celle voie, vous devez fuir les imposteurs et les sorciers qui évoquent des fantômes, afin d’éviter ce comble du ridicule de dire du mal en les traitant de fantômes des autres dieux rendus visibles, tandis que vous adorez un homme plus misérable que les véritables fantômes eux-mêmes, et qui n’est même plus un fantôme mais en réalité un mort, et que vous lui cherchez un père semblable à lui. LIVRE VI

Pour répondre à sa prosopopée qui nous attribue des paroles que nous dirions pour défendre la résurrection de la chair, je dirai d’abord : l’habileté d’un auteur de prosopopée est de maintenir l’intention et le caractère habituel du personnage mis en scène ; son défaut, d’attribuer à celui qui parle des expressions en désaccord avec son personnage. Deux catégories d’auteurs méritent pareillement la critique : d’abord, ceux qui attribuent dans une prosopopée à des barbares, des gens incultes, des esclaves, qui n’ont jamais entendu de raisonnements philosophiques et ne savent pas correctement les articuler, une philosophie que connaît peut-être l’auteur, mais qu’on ne peut sans invraisemblance supposer connue du personnage mis en scène ; ensuite, ceux qui attribuent à des gens présentés comme des sages versés dans les choses divines les paroles dites par des gens incultes sous l’influence des passions vulgaires ou dictées par l’ignorance. Aussi l’un des nombreux titres d’Homère à l’admiration est d’avoir maintenu les personnages des héros tels qu’il les avait proposés au début : par exemple Nestor, Ulysse, Diomède, Agamemnon, Télémaque, Pénélope ou l’un des autres. Mais Euripide est bafoué par Aristophane comme discourant à contretemps, pour avoir souvent prêté à des femmes barbares ou esclaves l’expression de doctrines tirées par lui d’Anaxagore ou d’un autre sage. LIVRE VI

Si tels sont les qualités et les défauts dans l’art de la prosopopée, n’y a-t-il pas une bonne raison de se moquer de Celse quand il attribue aux chrétiens des affirmations qu’ils ne tiennent pas ? S’il avait imaginé des paroles de gens simples, comment des gens de cette sorte pourraient-ils distinguer les sens de l’intelligence, le sensible de l’intelligible et dogmatiser à la manière des Stoïciens qui nient les réalités intelligibles et affirment que les choses dont nous avons la compréhension sont comprises par les sens, et que toute compréhension dépend des sens ? Mais s’il prête ces paroles qu’il invente à ceux qui interprètent philosophiquement les mystères du Christ et mettent tous leurs soins à les examiner, sa fiction ne leur est pas applicable. En effet, il n’est personne qui, sachant que Dieu est invisible et que certaines créatures sont invisibles, c’est-à-dire intelligibles, dirait pour défendre la résurrection : comment, si on ne l’atteint par les sens, arriver à connaître Dieu, ou que peut-on connaître sans l’usage des sens ? Et ce n’est pas dans des ouvrages peu accessibles, lus seulement d’un petit nombre d’érudits, mais dans les plus populaires, qu’il écrit : « Les ?uvres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit. » De là cette conclusion : quoique les hommes en cette vie doivent partir des sens et du sensible quand il veulent s’élever jusqu’à la nature de l’intelligible, ils ne doivent nullement s’en tenir au sensible. On ne dira pas davantage qu’il est impossible sans l’usage des sens de connaître l’intelligible, même si on pose la question : qui peut connaître sans l’usage des sens ? On prouvera que Celse n’a pas eu raison d’ajouter que ce n’est point là propos de l’homme ni de l’âme, mais de la chair. LIVRE VI

L’homme, donc, c’est-à-dire l’âme usant d’un corps, appelée « l’homme intérieur », et aussi « l’âme », ne va pas répondre ce qu’écrit Celse, mais ce qu’enseigne l’homme de Dieu. Le chrétien ne saurait tenir un propos de la chair ; il a appris à mortifier « par l’Esprit les actions du corps », et à porter « toujours dans son corps la mort de Jésus », et il a reçu cet ordre : « Mortifiez vos membres terrestres ». Il connaît le sens de la parole : « Mon esprit ne demeurera pas toujours dans ces hommes, car ils sont chair », il sait que « ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu », il fait tout pour n’être plus aucunement dans la chair mais seulement dans l’esprit. LIVRE VI

Voyons maintenant à quoi il nous invite, pour que nous entendions de lui la manière dont nous connaîtrons Dieu ; bien que, pense-t-il, aucun des chrétiens ne soit capable d’entendre ses paroles, car il dit : Qu’ils écoutent pourtant, si du moins ils sont capables d’entendre quelque chose. Voyons donc quelles paroles veut nous faire entendre de lui ce philosophe. Il devait nous enseigner, et il nous injurie. Il devait témoigner de la bienveillance pour ceux qui l’écoutent, au début de son argumentation, et il traite d’engeance pusillanime ceux qui affrontent jusqu’à la mort pour ne point abjurer, même d’un mot, le christianisme, et qui sont prêts à tout mauvais traitement et à tout genre de mort. Il nous traite de race attachée au corps, nous qui affirmons : « Même si autrefois nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus à présent », et qui sommes plus prompts à nous défaire du corps pour la religion qu’un philosophe à quitter son manteau. LIVRE VI

Il nous dit donc : Quand après avoir fermé l’entrée des sens, vous aurez regardé en haut par l’esprit, et qu’après vous être détournés de la chair, vous aurez donné l’éveil aux yeux de l’âme, alors seulement vous verrez Dieu. Et il se figure que nous n’avions pas déjà réfléchi à cette idée qu’il emprunte aux Grecs, je veux dire celle de deux sortes d’yeux. LIVRE VI

Il nous renvoie ensuite à Platon comme à un maître plus efficace en matière de théologie, et cite l’affirmation du Timée : Découvrir l’auteur et le père de cet univers est laborieux, et une fois découvert, le dire à tous est impossible. Puis il y ajoute : Voyez donc comment les interprètes de Dieu et les philosophes cherchent la voie de vérité, et comment Platon savait qu’il était impossible à tous d’y marcher. Mais puisque les sages l’ont trouvée pour nous faire acquérir de l’Être innommable et Premier quelque notion qui le rend manifeste, soit par la synthèse qui domine les autres choses, soit par séparation d’avec elles, soit par analogie, je veux enseigner l’Être qui par ailleurs est ineffable; mais je serais bien étonné que vous puissiez me suivre, vous qui êtes si étroitement rivés à la chair et dont le regard n’a rien de pur. LIVRE VI

Elle est assurément sublime et non point méprisable, la sentence de Platon. Mais vois si la divine Écriture ne représente point avec un plus grand amour de l’humanité le Dieu Logos, qui était « au commencement près de Dieu », se faisant chair pour que pût parvenir à tous les hommes le Logos dont Platon dit que, une fois découvert, le dire à tous est impossible. Libre à Platon de dire : « Découvrir l’auteur et le père de cet univers est laborieux » : il laisse entendre qu’il n’est pas impossible pour la nature humaine de découvrir Dieu comme il le mérite ou, sinon comme il le mérite, du moins davantage et mieux que la foule. LIVRE VI

Nous affirmons donc que voir l’auteur et le père de l’univers est laborieux. On le voit cependant, de la manière qu’indiqué non seulement la promesse : « Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu », mais aussi la déclaration de Celui qui est l’« Image du Dieu invisible » : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé. » En effet, nul homme sensé ne dira que Jésus a dit : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé » en rapportant ces mots à son corps sensible et visible aux hommes. Sinon, ils auraient aussi vu Dieu le Père tous ceux qui disaient : « Crucifie-le, crucifie-le ! » ainsi que Pilate qui avait reçu le pouvoir sur la nature humaine de Jésus : ce qui est absurde. Que la parole : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé » ne doive pas être prise dans son acception ordinaire, la preuve en est dans celle qui est dite à Philippe : « Depuis si longtemps que je suis avec vous, Philippe, tu ne me connais pas ? » c’était une réponse à la demande : « Montre-nous le Père et cela nous suffit. » Donc, quand on a compris qu’il faut entendre ces paroles du Dieu monogène Fils de Dieu, le Premier-né de toute créature, en tant que le Logos s’est fait chair, on saura comment, voyant l’Image du Dieu invisibles, on connaîtra le père et l’auteur de cet univers. LIVRE VI

Mais voyons ce qu’il prétend nous enseigner, si jamais nous sommes capables de le suivre, quand il nous déclare étroitement rivés à la chair, alors que, si nous menons une vie droite suivant la doctrine de Jésus, nous écoutons la parole : « Vous n’êtes pas dans la chair, mais dans l’Esprit, si vraiment l’Esprit de Dieu habite en vous. » Il ajoute que notre regard n’a rien de pur, nous qui cependant nous efforçons jusque dans nos pensées d’éviter la souillure des suggestions du mal et disons dans notre prière : « Mon Dieu, crée en moi un coeur pur, et renouvelle au-dedans de moi un esprit droit », afin de pouvoir contempler Dieu d’un coeur pur, le seul qui soit capable de le voir. LIVRE VI

Pour nous, qui avons soin de ne rien combattre de ce qui est noblement exprimé, même si les auteurs sont étrangers à notre foi, et de ne pas leur chercher noise ni vouloir renverser les doctrines saines, voici notre réponse. On a beau insulter ceux qui veulent consacrer tous leurs efforts à pratiquer la piété à l’égard du Dieu de l’univers qui agrée aussi bien la foi que les simples ont en lui et la piété réfléchie de ceux qui ont plus d’intelligence, et qui font monter leurs prières avec action de grâce vers le Créateur de l’univers comme par le Grand-Prêtre qui a réglé pour les hommes la pure piété envers Dieu ; on a beau traiter ces gens de boiteux et mutilés dans l’âme, et dire qu’ils vivent pour le corps, une chose morte, eux qui disent de tout leur coeur : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais puissantes par Dieu » : que l’on prenne garde, rien qu’en disant du mal de ceux qui prient pour être à Dieu, de faire boiter son âme et de mutiler en soi-même « l’homme intérieur » en l’amputant, par ces calomnies contre ceux qui veulent vivre dans la vertu, de la modération et de l’équilibre dont le Créateur a naturellement jeté la semence dans la nature raisonnable ! Quand au contraire on a appris entre autres choses du divin Logos pour le mettre en pratique, quand on est insulté, à bénir, quand on est persécuté, à endurer, quand on est calomnié, à supplier, on sera de ceux qui, ayant redressé les pas de l’âme, purifient et préparent l’âme toute entière. Il ne s’agit point de distinguer seulement en paroles l’essence de la génération, l’intelligible du visible, de rapporter la vérité à l’essence, de fuir par tous les moyens l’erreur qui accompagne la génération. On aspire, selon cet enseignement, non point aux choses de la génération, que l’on voit et qui, pour cette raison, sont passagères, mais aux réalités supérieures, qu’on veuille les appeler essence, ou invisibles parce qu’elles sont intelligibles, ou choses qu’on ne voit pas parce que leur nature est d’échapper aux sens. LIVRE VI

Que Celse n’aille pas s’indigner si nous traitons de boiteux et mutilés des jambes de l’âme ceux qui s’empressent autour des objets tenus pour sacrés comme s’ils l’étaient en vérité, et qui ne voient pas qu’aucune ?uvre d’artisans ne peut être sacrée. Mais ceux qui professent la piété conforme à l’enseignement de Jésus courent aussi, jusqu’à ce que, parvenus au terme de la course, ils s’écrient d’un coeur ferme et sincère : « J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi : il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice. » C’est bien « ainsi et non à l’aventure » que court chacun de nous, « ainsi » qu’il fait du pugilat, « sans frapper dans le vide », mais frappant ceux que domine « le Prince de l’empire de l’air, cet esprit qui agit actuellement dans les fils de la désobéissance ». Libre à Celse de dire que nous vivons pour le corps, qui est chose morte ! Nous entendons la parole : « Si vous vivez selon la chair, vous devez mourir ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez. » Nous avons appris : « Si nous vivons par l’Esprit, suivons aussi l’Esprit. » Ah ! puissions-nous montrer par nos actions qu’il a menti en disant de nous que nous vivons pour le corps, qui est une chose morte. LIVRE VI

On objectera nos célébrations des dimanches, de la Parascève, de Pâques, de la Pentecôte ? Il faut répondre : si l’on est un chrétien parfait, quand on ne cesse de s’appliquer aux paroles, aux actions, aux pensées du Logos de Dieu qui par nature est le Seigneur, on vit sans cesse dans les jours du Seigneur, on célèbre sans cesse les dimanches. De plus, quand on se prépare sans cesse à la vie véritable, et qu’on s’éloigne des plaisirs de la vie qui trompent la multitude, sans nourrir « le désir de la chair », mais châtiant au contraire son corps et le réduisant à la servitude, on ne cesse de célébrer la Parascève. En outre, quand on a compris que « le Christ notre Pâque a été immolé » et qu’on doit célébrer la fête en mangeant la chair du Logos, il n’est pas d’instant où on n’accomplisse la Pâque, terme qui veut dire sacrifice pour un heureux passage : car par la pensée, par chaque parole, par chaque action on ne cesse de passer des affaires de cette vie à Dieu en se hâtant vers la cité divine. Enfin, si l’on peut dire avec vérité : « Nous sommes ressuscites avec le Christ », et aussi : « Il nous a ressuscites ensemble et nous a fait asseoir ensemble au ciel dans le Christ », on se trouve sans cesse aux jours de la Pentecôte, surtout lorsque, monté dans la chambre haute comme les apôtres de Jésus, on vaque à la supplication et à la prière pour devenir digne « du souffle impétueux qui descend du ciel » anéantir par sa violence la malice des hommes et ses effets, et pour mériter aussi d’avoir part à la langue de feu qui vient de Dieu. LIVRE VIII

Mais la multitude de ceux qui semblent croire n’a pas cette ferveur : elle ne veut ou ne peut célébrer comme des fêtes tous les jours ; elle a besoin, pour se ressouvenir, de modèles sensibles qui la préservent de l’oubli total. C’était je suppose, la pensée qui conduisit Paul à nommer fête partielle la fête fixée à des jours distincts des autres : il laissait entendre par cette expression que la vie en continuel accord avec le divin Logos n’est pas une fête partielle» mais la fête intégrale et ininterrompue. Après ce développement sur nos fêtes et la comparaison avec les fêtes publiques de Celse et des païens, vois donc si nos fêtes ne sont pas infiniment plus vénérables que ces fêtes populaires où le « désir de la chair » qui les anime entraîne aux débordements de l’ivresse et de l’impudeur. LIVRE VIII

Il y aurait maintenant beaucoup à dire sur la raison pour laquelle la loi de Dieu prescrit, aux jours de fête, de manger « le pain de la misère » ou « des azymes avec des herbes amères », et pourquoi elle dit : « Humiliez vos âmes » ou d’autres formules semblables. C’est que l’homme étant composé, il ne lui est pas possible, tant que « la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair », d’être tout entier à la célébration de la fête : ou on célèbre la fête par l’esprit en affligeant le corps incapable, à cause « du désir de la chair », de la célébrer avec l’esprit ; ou on la célèbre selon la chair en ne faisant plus de place à la fête selon l’esprit. Mais en voilà assez pour l’instant au sujet des fêtes. LIVRE VIII

Citons encore le passage suivant et examinons-le de notre mieux : Si c’est par respect a une tradition qu’ils s’abstiennent de victimes de ce genre, ils devraient complètement s’abstenir de toute chair animale, comme faisait Pythagore dans son respect de l’âme et de ses organes. Mais si, comme ils disent, c’est pour ne pas festoyer avec les démons, je les félicite pour leur sagesse de comprendre tardivement qu’ils ne cessent d’être les commensaux des démons3. Mais ils n’y prennent garde qu’en voyant une victime immolée. Et cependant le pain qu’ils mangent, le vin qu’ils boivent, les fruits qu’ils goûtent, l’eau même qu’ils boivent et l’air même qu’ils respirent ne sont-ils pas autant de présents des démons qui ont chacun pour une part la charge de leur administration ? Je ne vois pas comment, en cette matière, l’obligation pour eux de s’abstenir de toute chair animale lui semble la conséquence logique du fait qu’ils s’abstiennent de certaines victimes par respect d’une tradition. Nous le nions, car la divine Écriture ne nous suggère rien de pareil. Mais pour rendre notre vie plus forte et plus pure, elle nous dit : « Il est bon de ne pas manger de viande, de ne pas boire de vin, de ne rien faire qui scandalise ton frère » ; « Garde-toi, avec tes aliments de faire périr celui pour qui le Christ est mort » ; « Quand une viande cause la chute de mon frère, que je me passe à tout jamais de pareille viande afin de ne pas faire tomber mon frère ! » LIVRE VIII

En effet, l’idolothyte est offerte aux démons et il ne faut pas que l’homme de Dieu participe à la table des démons. Les viandes étouffées, parce que le sang n’en est point séparé et qu’on le présente comme la nourriture des démons qui se repaissent de ses exhalaisons, l’Écriture les interdit, ne voulant pas que nous ayons la même nourriture que les démons ; car peut-être, si nous prenions des viandes étouffées, certains d’entre eux s’en nourriraient en même temps que nous. Et ce qui vient d’être dit des viandes étouffées peut montrer clairement pourquoi on s’abstient du sang. De plus, il ne serait pas pour moi hors de propos de mentionner la très belle maxime que lisent d’ailleurs la plupart des chrétiens dans les Maximes de Sextus : « Manger la chair des animaux est chose indifférente ; s’en abstenir est plus raisonnable. » Ce n’est donc pas simplement par respect d’une tradition que nous nous abstenons de ce qu’on suppose avoir été des victimes sacrifiées aux prétendus dieux, héros ou démons, mais pour bien des raisons dont je viens de rapporter quelques-unes. En outre, s’il faut s’abstenir de toute chair animale, ce n’est point à la manière dont on s’abstient du péché et de ses conséquences. Il faut s’abstenir non seulement de chair animale, mais encore de toute autre nourriture si son usage implique le péché et ses conséquences ; car il faut s’abstenir de manger par gloutonnerie, ou d’y être amené par l’attrait du plaisir en faisant abstraction de la santé du corps et du soin à lui donner. LIVRE VIII

Cependant nous n’admettons absolument pas la métensomatose de l’âme ni sa chute dans des animaux sans raison et, si nous nous abstenons parfois de la chair d’animaux, ce n’est évidemment pas pour le même motif que Pythagore que nous nous en priverons. Car nous savons honorer la seule âme raisonnable et confier avec honneur ses organes à une sépulture honorable suivant les coutumes établies. En effet, l’habitation de l’âme raisonnable mérite de ne pas être rejetée sans honneur et au hasard comme celle des êtres sans raison ; et surtout quand les chrétiens croient que l’honneur rendu au corps où l’âme raisonnable a habité rejaillit jusqu’à la personne dotée d’une âme qui par cet organe a mené le bon combat. Mais « comment les morts ressusciteront-ils, et avec quel corps viendront-ils », je l’ai brièvement expliqué ci-dessus comme le sujet le demandait. LIVRE VIII

Aussi nous ne nions pas qu’il y ait beaucoup de démons sur terre. Au contraire nous affirmons leur existence, leur pouvoir sur les méchants à cause de la malice de ceux-ci, leur totale impuissance contre ceux qui sont revêtus de « l’armure de Dieu », qui ont reçu la force pour résister « aux artifices du diable » et qui s’exercent à lutter sans cesse contre eux, parce qu’ils savent que « nous n’avons point à lutter contre le sang et la chair, mais contre les principautés et contre les puissances, contre les dominations de ce monde de ténèbres, contre les esprits mauvais répandus dans les espaces du ciel. » LIVRE VIII