Cassiano: violence

3. Mais, comme il faudrait des livres entiers pour dire tout ce qu’il y aurait à dire sur ces différentes espèces de créatures, et qu’un homme ignorant comme moi serait incapable d’une si grande entreprise, je crois qu’il vaut mieux que, pour obéir aux véritables serviteurs de Dieu, dont la tendre piété me fait violence, et dont le zèle et la bonne volonté me pressent, je me borne et m’arrête aux choses qui peuvent servir à l’édification de leurs âmes; que, quelque incapable que je doive me reconnaître, je prenne la plume de leurs mains, et que, la trempant avec simplicité dans l’humble soumission à leurs voeux prononcés, j’aie lieu, malgré mon impuissance et mon incapacité, d’espérer et de recevoir de mon obéissance quelques grâces et quelques lumières, afin que, traçant sur un papier d’une admirable blancheur les règles d’une vie sainte et pure, je les trace aussi dans leurs coeurs bien préparés et saintement purifiés, que je les écrive sur des cahiers mystérieux et vivants. C’est de cette manière et dans ces dispositions que je vais commencer. L’Échelle Sainte: PREMIER DEGRÉ

12. J’appelle “moine” l’homme qui, faisant violence à la nature, ne cesse de veiller sur ses sens, et dompte ses appétits déréglés. L’Échelle Sainte: PREMIER DEGRÉ

20. Eh certes ! ne sommes-nous pas forcés d’avouer que ceux qui, avec un corps de péché, ont résolu de monter jusqu’au ciel, sont obligés de se faire la plus grande violence et les plus grands efforts, et de se dévouer généreusement à la mortification la plus austère et aux travaux les plus pénibles, surtout au commencement de leur conversion, jusqu’à ce que l’amour des plaisirs auxquels ils étaient accoutumés, que la paresse dans laquelle ils languissaient, et que l’insensibilité de leur coeur pour la vertu, se changent, par une pénitence proportionnée, en un ardent amour pour Dieu et pour les bonnes oeuvres, et en une sainteté parfaite. L’Échelle Sainte: PREMIER DEGRÉ

2. Abandonner et quitter leurs proches et ce qu’ils possèdent dans le monde, voilà le projet qui agite le plus souvent et avec le plus de violence ceux qui, dès le commencement de leur conversion, s’attachent fortement à Dieu, et sont comme embrasés d’un feu tout céleste. Or, ce qui les porte à ce pieux dessein, ces nouveaux amants d’une beauté si noble et si excellente, c’est le désir qu’ils ont de se dévouer à toute sorte d’humiliations et à toute sorte de peines et de souffrances. Mais plus cette résolution est généreuse et louable, plus ils ont besoin de prudence et de discernement pour l’accomplir; car je suis loin de donner mon approbation à toute retraite qui se ferait avec le plus grand courage. L’Échelle Sainte: TROISIÈME DEGRÉ

27. Or, pendant qu’Isidore vivait ainsi à la porte du monastère, je me permis un jour de lui demander quelles étaient les pensées qui remplissaient son esprit, et les sentiments qui agitaient son coeur. Comme il vit qu’en me répondant, il contribuerait à mon salut, et me serait de quelque utilité, il n’hésita pas de me faire la réponse suivante: La première année, me dit-il, je me suis continuellement représenté que c’étaient mes péchés qui m’avaient ainsi vendu et rendu esclave. Cette considération me navrait le coeur d’amertume et de douleur, et me portait à me faire violence pour accomplir les ordres qu’on m’avait donnés; c’est pourquoi, en me prosternant aux pieds de mes frères, je les arrosais de mes larmes, et quelquefois de mon sang. Après cette première année, je conçus l’espérance que Dieu récompenserait et ma soumission et ma patience; ce qui fut cause que je fis sans peine ma pénitence. Enfin les cinq dernières années je ne sentis en moi-même qu’un vif sentiment de mon indignité, qui me faisait juger indigne, non seulement d’entrer dans le monastère, mais de demeurer même où L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

48. Heureux donc est celui qui, dans le dessein de plaire à Dieu, se fait violence tous les jours, et supporte avec patience et résignation les mépris et les injures ! Il participera abondamment, n’en doutons nullement, à la gloire des martyrs et à la joie des auges. Heureux le moine qui, dans sa profonde humilité, ne se regarde que comme le plus vil et le plus méprisable des hommes, et ne croit ne mériter que les humiliations et les abaissements ! Heureux celui qui a su faire mourir sa propre volonté, et s’abandonner sans réserve à la conduite du directeur que Dieu lui a donné pour père et pour maître spirituel ! sa place sera à la droite de Jésus Christ crucifié. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

123. Nous tous, qui craignons le Seigneur, efforçons-nous de combattre sous ses étendards avec toute l’énergie et le courage dont nous sommes capables, de peur que, placés dans une école de vertu, au lieu d’apprendre la science heureuse des bonnes oeuvres, nous n’apprenions l’art funeste de devenir vicieux et méchants, astucieux et trompeurs, emportés et colères; et ne soyez pas étonnés que ce malheur arrive quelquefois : car tant que nous sommes dans le monde, soit parmi les matelots, soit parmi les laboureurs, soit ailleurs, les ennemis de notre roi, les démons, ne nous attaquent pas avec une si grande violence; mais dès qu’ils nous voient sous les étendards de notre divin Général, et qu’ils aperçoivent qu’il nous a reçus à son service, donné des armes, une épée, un habit militaire, alors ils frémissent de fureur, cherchent et emploient toute sorte de moyens et de ruses pour nous perdre; c’est pourquoi nous sommes essentiellement obligés de veiller sans cesse sur nous et autour de nous. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

5. Lorsque je fus arrivé au monastère des Pénitents (qu’on devrait bien plutôt appeler la région des pleurs et des gémissements, la Prison, pour tout dire), je fus témoin, s’il est permis de le dire, de ce que l’oeil d’un lâche et d’un paresseux n’a point vu, que l’oreille d’un négligent n’a point entendu, et que l’esprit d’un indolent ne saurait comprendre; je fus témoin, dis-je, d’actions et de paroles capables de faire violence à Dieu même, de travaux et de mortifications assez puissantes pour mériter en peu de temps ses Miséricordes et sa Clémence. L’Échelle Sainte: CINQUIÈME DEGRÉ

19. Si vous passiez ailleurs, vous en entendiez d’autres se communiquer leurs craintes et leurs espérances, et se dire : “Pensez-vous que nous ayons fait quelques progrès dans notre pénitence ? Obtiendrons-nous enfin l’objet de nos voeux et de nos désirs ? Dieu écoute-t-Il à présent nos prières ? Croyez-vous qu’Il nous ouvre le sein de ses Miséricordes et de sa Tendresse” ? À toutes ces questions d’autres répondaient : “Qui sait si, comme nos frères les habitants de Ninive, nous ne pouvons pas dire que Dieu révoquera la sentence terrible qu’il a prononcée contre nous, et qu’il nous délivrera des châtiments rigoureux que nous avons mérités ? Ah ! pour obtenir cette faveur insigne, redoublons de zèle et de courage, accomplissons exactement notre pénitence. Quel bonheur pour nous, s’il nous ouvre la porte de sa Tendresse ! Et s’il ne nous l’ouvre pas encore, ne laissons pas de louer et de bénir son saint Nom, car sa Conduite à notre égard est toujours juste et pleine d’équité, et de persévérer jusqu’à la fin de notre vie à frapper à la porte de son Coeur par nos gémissements et nos larmes. Cette constante importunité et cette persévérance Lui feront peut-être violence, et nous obtiendront ce que nous cherchons avec ardeur. C’était ainsi qu’ils s’encourageaient les uns les autres. “Courons, s’écriaient-ils avec un saint enthousiasme; courons, ô nos chers Frères, car nous avons besoin de courir, et de courir de toutes nos forces : hélas, nous avons perdu la céleste compagnie dans laquelle nous coulions des jours si doux et si agréables, nous nous sommes égarés ! Courons donc; oui, courons, et n’épargnons pas une chair de péché et de corruption; matons, immolons généreusement nos corps : ils ont donné la mort à nos âmes.” L’Échelle Sainte: CINQUIÈME DEGRÉ

28. Cette langue qui ne sût jamais mentir, me raconta le fait suivant : “Il y a près de dix ans, nous avions ici un frère qui était d’une si grande piété, qui prenait tant de soin et d’attention pour être un véritable soldat de Jésus Christ, qui était animé d’un zèle si vif et d’une si grande ardeur dans les exercices de la vie religieuse, qu’en le voyant dans de si belles dispositions, je tremblais pour lui et craignais beaucoup que le démon, jaloux de ses vertus et de ses mérites, ne se servît de son ardeur et de son zèle même pour lui faire heurter le pied contre quelque mauvaise pierre. Or ce qui ne manque guère d’arriver à ceux qui marchent avec trop de précipitation, arriva malheureusement à ce frère : il fit une chute. Mais aussitôt il vint me trouver. C’était vers le soir. Il me découvrit et me montra la blessure qu’il avait faite à son âme; dans l’abîme de sa douleur, il me conjura avec instance d’y appliquer le fer et le feu, et de lui ordonner les remèdes convenables. Comme il vit que son médecin spirituel ne voulait pas employer la rigueur et la sévérité qu’il désirait, et ce pauvre religieux n’était pas indigne de quelque indulgence, il se jeta à mes pieds, les arrosant de ses larmes et me conjurant de l’envoyer à la Prison, que vous avez vue; et pour venir à bout de me gagner, il ne cessait de me répéter qu’il était impossible qu’on puisse le dispenser d’y être condamné. Ainsi par la violence qu’il me fit, il me força, en quelque sorte, à convertir en rigueur et en sévérité la douceur et la tendresse que j’avais pour lui. On vit donc dans ce religieux ce qu’on ne voit guère chez les malades, et ce qui est contraire au cours ordinaire des choses. Aussi je lui avais à peine accordé la permission qu’il demandait avec tant d’instance, qu’il courut promptement vers les pénitents, pour être leur confrère et l’imitateur de leurs travaux et de leurs larmes. La contrition que son amour pour Dieu lui avait fait concevoir de sa faute, fut si vive et si violente, que huit jours après qu’il fut entré dans le monastère, il partit de ce monde pour aller devant le Seigneur; mais, avant de mourir, il eut bien soin de demander que son corps fût privé de la sépulture. Je crus pour cette fois, ne pas devoir céder à ses désirs. Je fis donc apporter et déposer son corps dans le cimetière destiné à la sépulture des pères. Or je le jugeai digne de cet honneur, puisqu’après une pénitence de sept jours dans la Prison, Dieu l’avait trouvé capable, le huitième, de jouir de la liberté et de la félicité des cieux. En effet, il y a un religieux qui a su d’une manière certaine qu’avant même que cet illustre pénitent se soit relevé de devant les pieds vils et méprisables de celui qui vous parle, il avait reçu le pardon de son péché, et qu’il était parfaitement réconcilié avec Dieu. Eh! N’en soyons point étonnés, car il avait dans le coeur la même foi que la pécheresse de l’Évangile, et c’était avec une espérance et une confiance parfaites en Dieu, qu’il avait arrosé de ses larmes mes misérables pieds. Or tout n’est-il pas possible à celui qui croit ?” (Mt 9,22) Quant à moi, j’ai vu des âmes souillées de péchés, et possédées même par la folie et l’amour des plaisirs sensuels, lesquelles néanmoins, par les exercices de la pénitence, par la présence de ceux qui aimaient Dieu, et surtout par la considération approfondie de leur triste état, ont changé d’affections et de sentiments, ont donné leur coeur à Dieu, L’ont aimé uniquement, ont triomphé de toute crainte servile, et se sont enfin livrées entièrement aux saintes ardeurs de la charité. Aussi remarquons bien que notre Seigneur ne dit pas de la pécheresse convertie : “Elle a beaucoup tremblé”; mais elle a beaucoup aimé.” (cf. Lc 7,47). Et que ce fut par un amour ardent pour Dieu qu’elle se délivra de l’amour charnel et profane. L’Échelle Sainte: CINQUIÈME DEGRÉ

20. Il en est qui, par une erreur pitoyable, lorsqu’ils répandent des larmes de douleur et de repentir, se font violence pour ne penser à rien. Ils ignorent que les larmes, sans les bonnes pensées, peuvent convenir à des créatures privées de raison, mais absolument pas à des créatures douées d’intelligence et de raison; car les larmes ne naissent-elles pas de la pensée ? et n’est-ce pas l’esprit et la raison qui produisent les pensées ? L’Échelle Sainte: SEPTIÈME DEGRÉ

21. Lorsque vous allez prendre votre repos, ayez soin de vous mettre dans la même position dans laquelle vous serez au tombeau, et vous goûterez moins les douceurs du sommeil. Quand vous serez à table, pensez à cette table triste et funèbre où vous servirez vous-même de nourriture aux vers et vous serez moins tenté, de vous livrer à la sensualité. Vous sentez-vous pressé de soif, et vous soulagez-vous ? Souvenez-vous de cette soif dévorante que souffrent les damnés au milieu des flammes de l’enfer, et vous ferez violence à la nature, en ne lui accordant pas tout ce qu’elle demande. L’Échelle Sainte: SEPTIÈME DEGRÉ

26. Dans nos pleurs et dans notre pénitence, comme dans toute autre chose, Dieu, qui est un juge plein de clémence et d’équité, aura égard à notre faiblesse. Il m’est arrivé plus d’une fois de voir des personnes qui, ne versant que très peu de larmes, les répandaient avec une si grande douleur, qu’on les aurait prises pour des gouttes de sang, et d’en voir d’autres qui pleuraient abondamment et sans effort. Or j’estime plus la violence de la douleur que l’abondance des larmes; et je crois que Dieu même n’en juge pas autrement. L’Échelle Sainte: SEPTIÈME DEGRÉ

28. Dans le cours naturel, il est des choses qui ont du mouvement par elles-mêmes; mais il en est d’autres qui ne le reçoivent que d’une cause étrangère. Or dans la pénitence de nos péchés, il y a des larmes qui coulent toutes seules de nos yeux; mais aussi il y en a que nous ne répandons qu’avec effort et violence. Quand donc sans mouvement et sans peine nous nous trouvons attendris, et que nous répandons avec abondance des larmes d’une douceur céleste, c’est à ce moment heureux que nous devons nous hâter de courir vers le Seigneur; car c’est une preuve que, sans L’en avoir prié, il est venu à nous pour nous faire présent de l’éponge mystérieuse de la tristesse qui lui est agréable, pour créer en nous une source d’eau rafraîchissante, et pour nous faire don de ces larmes heureuses qui effacent nos péchés sur le livre de son éternelle Justice. Conservons-le précieusement avec le plus grand soin, et gardons-le jusqu’à ce qu’Il juge à propos de nous le retirer Lui-même; car cette douleur, que sa grâce produit en nous, a bien plus de vertu pour nous purifier de nos fautes que celle que nous exciterions nous-mêmes dans nos coeurs par beaucoup d’efforts et de violence. L’Échelle Sainte: SEPTIÈME DEGRÉ

Mais j’ai vu aussi des pauvres d’une autre espèce, lesquels, manquant absolument de vertu, se sont adressés au Roi du ciel. Ils réclamaient son secours et ses faveurs avec une persévérance et, une assiduité qu’on pourrait appeler importunes : ils n’employaient pas pour cela des expressions choisies et étudiées, mais se contentaient de lui exposer leurs nécessités pressantes avec une modestie parfaite, une humilité profonde et une crainte respectueuse; ils ne cessaient de Lui exprimer les sentiments de leur indignité, et de lui répéter avec l’accent d’une douleur profonde et d’une conviction entière, qu’ils ne méritaient pas d’être écoutés ni d’être exaucés; et cependant cette violence qu’ils lui ont faite, en agissant ainsi, L’a en quelque sorte forcé d’avoir compassion d’eux, et de leur accorder ce qu’ils lui demandaient. L’Échelle Sainte: SEPTIÈME DEGRÉ

12. Après tout, notons bien ici que cette maudite passion ne nous attaque guère avec violence que pendant le chant des psaumes, et qu’après ce saint exercice elle nous laisse assez tranquilles. L’Échelle Sainte: TREIZIÈME DEGRÉ

37. Le jeûne est une violence que nous faisons à la nature. C’est lui qui nous fait renoncer aux délices de la sensualité, qui éteint en nous les flammes de la concupiscence, qui nous délivre des mauvaises pensées, nous préserve des songes importuns et rend nos prières saintes, ferventes et agréables aux Yeux du Seigneur ; c’est lui qui éclaire notre âme, prend soin de notre esprit, dissipe les ténèbres de notre intelligence, veille sur notre coeur, lui ouvre la porte de la componction, lui fait pousser des gémissements salutaires, le console et l’encourage dans les travaux et les douleurs de la pénitence, empêche notre langue de tomber dans la démangeaison de parler, nous inspire l’amour de la retraite et de la solitude, conserve en nous l’esprit d’obéissance, adoucit les rigueurs de nos veilles, procure et entretient la santé de nos corps, nous donne la paix et la tranquillité de l’âme, efface nos péchés, nous ouvre la porte du ciel, et nous introduit dans la possession des plaisirs, des joies et des délices éternelles. L’Échelle Sainte: QUATORZIÈME DEGRÉ

25. Parmi les malheureuses victimes des plaisirs charnels, j’ai rencontré un homme qui était enfin revenu à lui-même, et qui, par les travaux d’une conversion et d’une pénitence sincère, travaillait à son salut. Or voici ce qu’il m’a raconté : “Les personnes, me dit-il, qui se laissent aller à l’incontinence, sont agitées et tourmentées d’une ardeur violente pour les objet si corporels, elles sont possédées d’un démon furieux et cruel, lequel est assis en tyran sur leur propre coeur, et y fait sentir son infâme empire par des signes non équivoques; de sorte que, lorsqu’elles sont tentées, et qu’elles contente leur brutale passion, elles éprouvent dans elles-mêmes les douleurs d’un feu semblable à celui d’une fournaise embrasée; qu’elles sont si horriblement hors d’elles, qu’elles ont perdu toute crainte de Dieu et des supplices éternels qu’elles n’envisagent que comme des choses fabuleuses; qu’elles ont la prière en horreur; que la vue d’un cadavre ne fait pas plus d’émotion sur elles que la vue d’une pierre; et qu’elles sont si absorbées et si dévorées par le désir de se satisfaire par des actions infâmes, qu’elles en perdent entièrement la raison, et ressemblent plus à des bêtes furieuses qu’à des créatures raisonnables. Hélas ! si de tels jours n’étaient pas abrégés, pourrait-il y avoir une seule âme, qui, dans la prison d’un corps de sang et de boue, fût capable d’obtenir le salut ? car, dès lorsqu’on se figure que les horreurs auxquelles on se livre, conviennent aux exigences d’une nature corrompue, on les recherche avec une avidité insatiable. Si le sang se plaît dans le sang, le ver au milieu des vers, et que le limon se trouve bien avec le limon, la chair ne doit-elle pas aimer les oeuvres de la chair ?” Nous tous qui voulons sincèrement faire violence à la nature, afin d’obtenir le royaume des cieux, n’oublions pas que notre chair ne cherche qu’à nous tromper et à nous trahir, que nous devons la combattre, l’affaiblir et la soumettre par toute sorte de moyens et de pieuses industries. Estimons heureux ceux qui n’ont pas éprouvé les malheurs affreux qui frappent les personnes dominées par le démon de l’impureté, et conjurons avec la plus vive instance le Seigneur de nous préserver à jamais d’une si funeste expérience; car ils sont bien loin de cette échelle mystérieuse par laquelle le patriarche Jacob vit les anges monter et descendre, ceux qui sont malheureusement tombés dans l’abîme de l’impureté, et pour s’en approcher et y monter, ils ont besoin de répandre bien des sueurs et des larmes, supporter bien des peines et des travaux, et se dévouer à des jeûnes et à des austérités bien rigoureuses. L’Échelle Sainte: QUINZIÈME DEGRÉ

Ils disent que le premier mouvement de l’âme est une espèce de discours simple et nu, et la représentation d’un objet, choses qui se passent dans l’imagination; que la sympathie de l’esprit pour l’objet qu’il s’est figuré par la pensée, est un certain entretien, une certaine conversation de notre âme avec l’objet qu’elle considère, soit qu’elle en agisse de la sorte avec une mauvaise intention, soit qu’elle le fasse sans mauvais dessein; que le consentement qu’on donne au péché, est un amour et une affection qui la portent à vouloir et à posséder l’objet qu’elle s’est représenté; que la captivité est la violence qui est faite à notre coeur, laquelle l’entraîne, comme malgré lui et l’enchaîne, ou bien un lien fort et constant qui le fixe et l’attache à l’objet dont il est ému et lui fait perdre l’heureux état de grâce et d’innocence; que le combat est une égalité de forces qu’on emploie pour combattre un ennemi; de sorte qu’une âme qui se trouve exposée au combat, peut, selon sa volonté, vaincre, ou être vaincue; enfin que la passion bien formée est un vide qui depuis longtemps s’était glissé dans notre âme, y a pris racine, et l’a conduite peu à peu dans une telle habitude de mal faire, qu’elle le suit avec plaisir et exécute avec ardeur ce qu’il lui commande. L’Échelle Sainte: QUINZIÈME DEGRÉ

5. Cependant, malgré la faiblesse de mon esprit et de mon jugement, voici en peu de mots ce que je crois avoir découvert des ruses infernales qu’emploie et des plaies profondes que fait cette passion dure, furieuse, tyrannique, dangereuse et impertinente; car je ne peux pas ici m’étendre en dissertations longues et raisonnées, et je conjure celui qui, par le secours du ciel et par sa propre expérience, aurait trouvé le remède capable de guérir les âmes de cette maladie mortelle, de ne pas manquer de nous l’apprendre et de l’employer. Quant à moi, tout ce que je peux faire, c’est d’avouer franchement et sans détour que, vu mon impuissance et l’état de servitude dans lequel ne m’a que trop réduit cette cruelle maîtresse, j’aurais été dans l’impossibilité de connaître tous ses artifices et toutes ses ruses; mais je l’ai saisie de force, je lui ai fait violence, et, la serrant fortement avec les chaînes de la crainte de Dieu, et les liens de la persévérance dans la prière, je l’ai forcée, malgré elle, à me faire les aveux suivants. L’Échelle Sainte: DIX-SEPTIÈME DEGRÉ

3. Si nous voulons bien y faire attention, nous remarquerons que, tandis que nos frères s’assemblent au son de la trompette, nos ennemis accourent aussi invisiblement vers nos lits, afin que, lorsque nous serons éveillés, ils nous fassent violence pour nous faire demeurer dans les douceurs du repos : “Demeurez, nous diront-ils intérieurement, attendez que les hymnes qui précèdent la psalmodie des psaumes soient achevés; ce sera bien assez tôt pour aller à l’église.” D’autres fois ils nous assiègent pendant la prière, et nous portent au sommeil. Ici ils excitent en nous de violents besoins pour nous engager à sortir; là ils nous sollicitent à tenir des discours vains et inutiles. Il en est parmi eux dont l’occupation est de fatiguer notre esprit par de mauvaises pensées; d’autres, de nous faire appuyer sur quelque objet, comme, par exemple, le mur, nous persuadant que nous sommes trop faibles ou trop fatigués; d’autres nous accablent de bâillements importuns; quelques-uns nous portent à rire, afin que, dans nos prières mêmes, nous nous attirions la Colère du Seigneur. Nous en trouvons qui nous tentent d’aller bien vite en prononçant les versets, afin qu’ayant plus tôt fait, nous ayons quelque temps à donner à la paresse; et nous en rencontrons d’autres, au contraire, qui veulent que nous aillions lentement, pour nous faire goûter un certain plaisir naturel. Enfin il en est qui se mettent, pour ainsi dire, sur notre langue et sur nos lèvres, pour nous fermer la bouche, ou du moins pour nous empêcher de prononcer facilement les mots qui composent les psaumes. L’Échelle Sainte: DIX-HUITIÈME DEGRÉ

125. N’oublions pas que nous faisons autant de blessures au démon, nous remportons de victoires sur nos mauvais penchants, et qu’en agissant toujours comme si nous étions exposés à leur violence, nous usons d’une pieuse ruse qui déconcerte notre ennemi et nous rend invincibles. L’Échelle Sainte: VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

15. Lorsque vous aurez acquis une douceur parfaite, et que vous aurez complètement triomphé de l’aigreur et de la colère, vous n’aurez que peu de violence à vous faire pour être délivré de tout trouble et de toute agitation dans vos prières. L’Échelle Sainte: VINGT-HUITIÈME DEGRÉ

41. Chaque jour les précepteurs obligent leurs élèves à rendre un compte exact des leçons qu’ils leur donnent; de même Dieu nous demandera compte de la force et de la vertu qu’Il aura données à toutes nos prières. C’est pourquoi, lorsque nous prions avec le plus de ferveur, nous devons veiller sur nous avec une attention toute particulière; car c’est alors que les démons nous attaquent avec le plus de violence par des mouvements d’impatience, afin de nous faire perdre le fruit de nos prières. L’Échelle Sainte: VINGT-HUITIÈME DEGRÉ

63. Quiconque a soin de marcher en s’appuyant toujours sur le bâton fort et puissant de la prière, ne fera pas de chutes ou, s’il a le malheur de faire quelques faux pas, sa chute ne sera pas entière. Au reste, la prière est une douce et sainte violence que nous faisons à Dieu. L’Échelle Sainte: VINGT-HUITIÈME DEGRÉ

9. Si le dernier comble de l’intempérance consiste à se faire violence pour manger et boire, quand on est parfaitement rassasié, la perfection de la tempérance et de la sobriété consiste à se priver de manger et de boire, lorsqu’on en a un très grand besoin; or une âme ne parvient à ce degré de vertu que par la puissance et l’autorité qu’elle a prises sur les appétits et les inclinations du corps. L’Échelle Sainte: VINGT-NEUVIÈME DEGRÉ

11. Or les personnes auxquelles Dieu a daigné accorder cette grâce si sublime, quoique revêtues d’une chair fragile, deviennent et sont des temples vivants de la Divinité, qui les dirige et les conduit dans leurs paroles, leurs actions et leurs pensées, et qui, par les lumières abondantes dont elle éclaire leur esprit, leur fait exactement connaître quelle est son adorable Volonté; et, supérieures à toutes les instructions des hommes, ces âmes fortunées s’écrient dans les sentiments d’un ravissement céleste : Mon âme est toute brûlante de soif pour mon Dieu, qui est le Dieu fort et vivant; quand viendrai-je et quand paraîtrai-je devant la Face de mon Dieu ? (Ps 41,3); et elles ajoutent : Je ne peux plus supporter la violence du désir qui me presse; ô mon Dieu, je désire, je cherche et je demande cette beauté immortelle que Tu m’avais donnée avant cette chair de boue. L’Échelle Sainte: VINGT-NEUVIÈME DEGRÉ

38. Ô belle vertu ! ô la plus belle des vertus ! dis-nous, nous t’en supplions, dis-nous : Où tu mènes paître tes chères brebis, où tu prends ton repos pendant les ardeurs du midi. (cf. Cant 1,7). Éclaire-nous ! répands sur nous ta divine rosée, dirige-nous, conduis-nous et tire-nous enfin à toi; car nous désirons ardemment de monter jusqu’au palais que tu habites. Tu commandes à toute chose, tu règne sur tout; mais tu as blessé mon cœur (cf. Cant 4,9); je ne peux plus contenir les ardeurs dont tu l’as embrasé, et je brûle du désir de vous louer; je vous dirai donc : Tu domines sur la puissance de la mer, et, quand il te plaît, tu adoucis et calmes le mouvement et la violence de ses flots; tu humilies et tu brises les superbes dans leur orgueil, comme des hommes percés de traits; et par la force de ton bras, tu as dispersé tes ennemis (Ps 88,9-10), et tu as rendu invincibles ceux qui t’aiment. Que ne m’est-il donné de te contempler, comme le saint patriarche Jacob put le faire, lorsque tu étais appuyée sur cette échelle mystérieuse qu’il vit ! L’Échelle Sainte: TRENTIÈME DEGRÉ