Nous y tombons avec une telle facilité, que l’on dirait une loi de nature. Aussi ne peuvent-elles être évitées complètement, quelque circonspect et vigilant que l’on soit à leur endroit. Et l’un des disciples, celui que Jésus aimait, a sur ce propos une parole formelle et absolue : «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la parole de Dieu n’est point en nous.» (1 Jn 1,8). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 12
Donc, afin d’obtenir le bien souverain, qui consiste à jouir de la vue de Dieu et rester perpétuellement uni au Christ, il souhaite de voir se briser les liens de son corps. Caduc comme il est, et empêché par les mille nécessités qui naissent de sa fragilité, il est impossible, en effet, que notre corps mortel ne soit quelquefois séparé de la société du Christ ? Il n’est pas jusqu’à l’âme elle-même, distraite par tant de soins, entravée de tant d’inquiétudes diverses autant que fâcheuses qui ne soit incapable de jouir sans cesse de la contemplation de Dieu. Quelle application si persévérante, quelle vie si austère, qui ne soit de temps en temps sujette aux illusions de l’insidieux et rusé adversaire ? S’est-il trouvé personne, passionné du secret de la solitude et appliqué à fuir le commerce des mortels, au point de ne jamais glisser dans les pensées superflues, ni déchoir, ou par la vue des choses d’ici-bas, ou par le souci des occupations terrestres, de la contemplation divine, qui seule est bonne ? Qui put jamais garder si bien la ferveur de l’esprit, que la pente trop facile de ses pensées ne l’ait parfois emporté loin de sa prière, et soudain précipité du ciel sur la terre ? À qui d’entre nous n’est-il pas arrivé, pour ne rien dire des autres moments de divagation, d’être saisi d’une sorte de stupeur et de tomber d’une chute profonde, à l’heure même qu’il élevait au ciel son âme pleine de supplications ? Offense involontaire, je l’accorde; c’était pourtant offenser Dieu, par où l’on pensait obtenir son pardon. – Qui est tellement exercé et vigilant, qu’il ne se laisse en aucune façon distraire du sens de l’Écriture, tandis qu’il chante un psaume à Dieu ? tellement entré dans l’intimité divine, qu’il puisse se réjouir d’avoir accompli un seul jour le précepte de l’Apôtre, de prier sans cesse ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5
Aussi bien, plus l’âme progresse, plus grande est la pureté de contemplation où elle est parvenue; plus aussi elle se voit impure, comme dans le miroir de sa propre pureté. Quelqu’un se porte-t-il de tout lui-même vers une contemplation plus sublime; le regard en avant, sans cesse habite-t-il par le désir dans de plus hautes régions : nécessairement, il méprise le degré où il se trouve comme inférieur et vil. L’oeil sain distingue plus de choses; une vie sans reproche que l’on se reprend avec plus de douleur; l’amendement des moeurs et le zèle vigilant de la vertu multiplient gémissements et soupirs. Impossible de se satisfaire avec le degré où l’on est parvenu. Plus l’âme est pure; plus elle se voit souillée, et trouve en soi des raisons de s’humilier, plutôt que de s’élever. Plus elle est rapide dans son vol vers les cimes, plus elle voit grandir devant soi l’espace à parcourir. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 19
Celui qu’anime le souci toujours vigilant de la pureté de l’homme intérieur, doit rechercher des lieux qui ne le sollicitent pas à une culture absorbante par leur richesse et leur fertilité, ni ne l’empêchent de faire de sa cellule un séjour fixe et immuable, en le poussant à quelque travail en plein air. Ses pensées se donneraient alors carrière, pour ainsi parler, dans l’espace ouvert devant elles; et toute la direction de son âme, ce regard vers l’unique but, qui est quelque chose de si subtil, s’évanouirait parmi tant d’objets divers. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 3
Pour soigneux et vigilant que l’on soit, il est impossible d’éviter cette dissipation, et même de s’en apercevoir, à moins de se tenir constamment cloîtré, corps et âme, entre les murs de sa cellule. Je suppose quelque pêcheur spirituel, qui chercherait sa nourriture selon la méthode apprise des apôtres. Attentif et sans mouvement, il guette dans les profondeurs tranquilles de son coeur la troupe nageante de ses pensées. Comme d’un écueil surplombant, il plonge jusqu’au fond un regard avide, et discerne d’un oeil sagace celles qu’il doit, avec sa ligne, tirer jusqu’à soi, celles aussi qu’il laissera de côté et écartera, tels des poissons mauvais et dangereux. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 3