Cassiano: sagesse

42. Consacrez donc au Christ la fleur de votre jeunesse, et travaillez à sa Gloire avec un zèle ardent; et, dans un âge avancé, le souvenir de vos bonnes oeuvres vous inondera d’une délicieuse allégresse, car ce qu’on a ramassé et recueilli dans la jeunesse, nourrit et console dans les faiblesses et les langueurs de la vieillesse. Tandis donc que nous sommes pleins de force et de santé, travaillons avec une noble ardeur, et parcourons la carrière religieuse avec sagesse et prudence; car la mort est incertaine, et nous avons affaire à des ennemis méchants, cruels, puissants, vigilants, incorporels, invisibles, et toujours armés de torches enflammées pour réduire en cendres les temples vivants du Seigneur. L’Échelle Sainte: PREMIER DEGRÉ

44. Avant tout, il est d’une extrême importance pour ceux qui veulent servir Dieu avec ardeur et fidélité, de chercher et de trouver, soit par la prudence et la sagesse de quelques pères expérimentés, soit par les lumières et le témoignage de leur propre conscience, les lieux, le genre de vie, la demeure ou la maison, et les exercices qui leur seront les plus propres et les plus convenables; car je crois que ceux qui aiment les délices, ne sont pas faits pour vivre dans une communauté, et que ceux qui sont d’une humeur irascible ne doivent pas embrasser la vie solitaire. Chacun doit donc examiner devant Dieu le genre de vie qui lui convient le mieux. L’Échelle Sainte: PREMIER DEGRÉ

1. La retraite, ou la fuite du monde, est un renoncement éternel à tout ce qui peut s’opposer aux desseins de piété que nous avons formés; c’est un heureux changement de moeurs et de conduite, une sagesse inconnue, une prudence qui fuit avec horreur les regards des hommes, une vie cachée, une fin et un but intérieur et secret, une méditation douce et tranquille, un empressement pour le mépris et les humiliations, un désir ardent pour les austérités et les souffrances, un solide fondement d’affection et d’amour pour Dieu, une source féconde de charité, un renoncement parfait à la vaine gloire, et un profond silence. L’Échelle Sainte: TROISIÈME DEGRÉ

5. Vous qui, pour courir plus vite et plus facilement, vous préparez à vous décharger de tout; qui désirez vous charger du joug de Jésus Christ; qui cherchez par le moyen de l’obéissance à vous défaire du lourd fardeau que vous avez porté; qui, pour jouir de la seule véritable liberté, voulez vous rendre esclaves de la volonté des autres; qui, soutenus et protégés par le secours des autres, tâchez de traverser la mer immense qui sépare le temps de l’éternité : sachez, et ne l’oubliez jamais, que vous avez choisi le chemin le plus court et le plus sûr, quoique le plus difficile et le plus raboteux, et qu’en le suivant, vous ne pouvez vous égarer qu’autant que vous vous laisseriez aller à prendre confiance en votre propre jugement, et que vous refuseriez de vous laisser conduire par vos supérieurs. En effet, ils sont tous parvenus au but heureux qu’ils se proposaient, ceux qui, dans les choses bonnes, religieuses et agréables à Dieu, ont été dirigés par les lumières et la sagesse de leurs directeurs : car l’obéissance consiste essentiellement, en toute chose, à se défier de soi-même jusqu’à la fin de la vie. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

6. Ainsi, lorsque nous avons enfin pris la résolution de porter le joug de Jésus Christ, et de confier à un père spirituel le soin et la conduite de notre âme, nous devons, s’il nous reste tant soit peu de jugement et de sagesse, bien voir et bien peser quelles sont les lumières et la prudence de celui à qui nous allons confier une affaire d’une aussi haute importance; et, si j’ose m’exprimer ainsi, il nous faut tout employer pour connaître le directeur que nous choisissons, afin que nous n’ayons pas le malheur de tomber entre les mains d’un mauvais matelot, au lien d’un pilote expérimenté; d’un homme ignorant et malade lui-même, au lieu d’un médecin sage et prudent; d’une personne remplie de vices, au lieu d’une personne d’une vertu consommée, et d’un esclave de ses passions, au lieu de quelqu’un qui en serait parfaitement délivré : et qu’ainsi, en voulant éviter Scylla, nous ne tombions dans Charybde, et que nous ne fassions un déplorable naufrage. Au reste, une fois que nous serons entrés dans la carrière de la piété et de l’obéissance, nous devons absolument nous interdire tout jugement sur le vertueux directeur que nous aurons choisi, et ne censurer en aucune façon sa conduite, ni ses actions, quand même nous remarquerions en lui certaines imperfections et certaines chutes : hélas, nul homme sur la terre n’en est exempt ! En agissant autrement, nous ne retirerions aucun fruit de notre obéissance. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

7. Que cette considération nous fasse comprendre combien il nous est nécessaire, pour avoir en nos directeurs une confiance parfaite et constante, de graver si profondément dans nos esprits et dans nos coeurs, les bonnes oeuvres et les vertus que nous leur voyons pratiquer; que rien ne soit capable de les effacer de notre mémoire, et que, lorsque les démons chercheraient à nous porter à nous défier des lumières et de la sagesse des directeurs qui nous conduisent, nous repoussions victorieusement cette tentation par le souvenir de leurs bonnes et saintes actions. Car nous ne pouvons révoquer en doute que nous nous portons à faire ce qui nous est ordonné, avec d’autant plus de zèle et de promptitude, que nous avons plus de confiance en celui qui est à notre tête. Aussi pouvons-nous assurer que ceux qui manquent de confiance en leurs directeurs, sont bien près de tomber, si déjà ils ne sont pas tombés, puisque “tout ce qui ne vient pas de la confiance est péché.” (Rom 14,23). L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

Le saint abbé, en voyant d’aussi heureuses dispositions, assembla tous les moines dans l’église du monastère. Ils étaient trois cent trente, et c’était un dimanche après l’évangile. Il fit venir ce voleur, qui était déjà justifié. Il avait les mains liées derrière le dos, le corps revêtu d’un cilice effrayant, la tête couverte de cendres; quelques frères le menaient avec une corde, et d’autres le frappaient légèrement avec des verges. Comme tout le monde n’avait rien su de ce qui se passait, ce spectacle effraya tellement les religieux, qu’ils ne purent retenir leurs cris, ni comprimer leurs gémissements. Quand il fut arrivé à la porte de l’église, le supérieur, plein de zèle et de sagesse, lui dit d’une voix forte et terrible : “Arrêtez-vous, car vous êtes indigne d’entrer dans la maison de Dieu.” Ces paroles, sorties de la bouche de ce prudent directeur, qui était dans le lieu saint, frappèrent ce voleur d’une si grande terreur, qu’il ne crut pas avoir entendu une voix humaine, mais un violent coup de tonnerre, et que saisi de crainte et d’horreur, il tomba le visage contre terre : c’est ce que lui-même nous a plusieurs fois assuré avec serment. Or tandis que ce voleur pénitent était ainsi prosterné, et qu’il arrosait le pavé d’un torrent de larmes, l’abbé, qui dans cette action ne cherchait que le salut de ce malheureux, et qui voulait aussi présenter à ses moines un modèle efficace d’une profonde et salutaire humilité, lui dit et lui commanda de déclarer avec ordre, en détail et devant tout le monde, les crimes qu’il avait commis et les fautes qu’il avait faites; ce que cet excellent pénitent fit en frissonnant, et en causant à ceux qui l’entendaient confesser des crimes horribles et inouïs, un étonnement et une terreur inexprimables : car il confessa non seulement les péchés qu’il avait commis en violant les lois ordinaires de la nature et en portant la brutalité au delà des créatures raisonnables, mais encore des empoisonnements, des homicides et d’autres attentats si exécrables, qu’il n’est pas permis aux oreilles de les entendre, ni à la plume de les transcrire. Quand il eut achevé, l’abbé ordonna qu’on lui coupât les cheveux et qu’on le reçoive au nombre des frères. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

14. Plein d’admiration pour la sagesse de ce saint homme, j’osai lui demander en particulier quelles étaient les raisons qui l’avaient engagé à donner à ses moines un spectacle si extraordinaire. Or voici la réponse que me fit cet excellent médecin des âmes : “J’en ai agi de le sorte, me dit-il, pour deux raisons principales. La première, afin que ce pénitent, par la honte temporelle et passagère qu’il éprouverait en confessant publiquement ses péchés, se préservât de la confusion future et éternelle; et c’est ce qui lui est heureusement arrivé, car il n’était pas encore relevé de terre, que déjà Dieu lui avait généreusement pardonné tous ses crimes; et vous ne devez point en douter, mon cher abbé Jean, car un de nos moine qui était présent et très attentif, m’a certifié qu’il avait vu un homme d’un aspect terrible, lequel, d’une main, tenait un papier écrit, et de l’autre, une plume avec laquelle il effaçait sur le papier chaque péché, à mesure que ce pénitent, prosterné par terre, en faisait la confession. EH certes ! Cela ne doit point nous surprendre, car n’est-il pas écrit : “Aussitôt, ô mon Dieu, que j’ai pris la résolution de confesser mes iniquités devant vous et contre moi-même, vous m’avez pardonné la noirceur et l’impiété de mes péchés” (Ps 31,5). La seconde raison que j’ai eue de me conduire de la sorte, c’est qu’ayant dans ma communauté quelques moines qui n’ont point encore fait la confession de leurs fautes, j’ai voulu profiter de cette circonstance pour les engager à la faire; car, sans la confession, personne ne peut obtenir le pardon de ses péchés.” L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

15. Mais, outre ce que je viens de raconter, j’ai vu dans cet illustre abbé, et dans le monastère qu’il dirigeait avec tant de prudence et de sagesse, plusieurs autres choses qui m’ont ravi d’admiration et d’étonnement, et qui méritent d’être rappelées. Je tâcherai au moins de faire connaître les principales; car je suis demeuré assez longtemps dans cette maison, pour m’instruire exactement de la vie, de la discipline et de la conduite des moines qui l’habitaient; et je vous assure qu’en considérant avec quelle ardeur ces faibles mortels faisaient des efforts pour imiter la vie et la perfection des intelligences célestes, j’en étais hors de moi-même, et mon étonnement était sans bornes. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

24. Parmi ces hommes respectables et dignes d’une éternelle mémoire, j’ai encore remarqué certains vieillards dont la tête était blanchie par les années, et qui ressemblaient plutôt à des anges qu’à des hommes. Or, ces vieillards, conduits et dirigés par l’esprit de Dieu, sanctifiés par les efforts continuels de leur bonne volonté, étaient arrivés au plus haut degré d’innocence, de simplicité et de sagesse; car, alors que les fourbes présentent deux faces : une qui paraît et qu’on peut voir, et une autre qui est cachée et invisible, l’homme ami de la simplicité ne présente, lui, qu’une seule et même face, et se manifeste tel qu’il est. Ces vieillards étaient encore bien loin d’annoncer l’affaiblissement de la raison et de montrer la moindre chose qui portât le caractère de cette puérile légèreté qui fait que, dans le siècle, les vieillards se font si souvent mépriser. Aussi ne voyait-on en eux qu’une douceur charmante, une bonté ravissante et une gaieté pleine de gravité; on ne remarquait rien dans leur conduite ni dans leurs conversations, qui soit dissimulé, étudié, faux, ou peu sincère; chose qu’il est bien rare de trouver parmi les hommes. Leur sainte âme n’avait qu’une seule ambition, c’était de se reposer en Dieu et d’obéir à leur supérieur; c’est pourquoi, tandis qu’à l’égard de leur abbé, ils étaient comme de petits enfants sans malice et sans fraude, ils étaient pleins de vigueur et de courage contre les démons et les vices, et les poursuivaient les uns et les autres avec une espèce de fureur. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

26. Dans le temps que j’étais dans ce monastère, j’y rencontrai un homme de qualité, qu’on appelait Isidore. Il avait été un des principaux magistrats d’Alexandrie; mais ayant généreusement renoncé aux affaires du siècle, dans la gestion desquelles il s’était fait un grand nom et une brillante réputation, il s’était retiré dans cette maison religieuse. Le saint abbé qui le reçut, connut de suite que toute la vivacité de son esprit et toute l’ardeur de son coeur étaient portées vers le mal; qu’il était violent, impitoyable, arrogant et plein de lui-même. Mais la sagesse et la prudence de cet excellent supérieur lui firent rompre les pièges dans lesquels les démons tenaient cet homme captif; et voici de quelle manière il s’y prit : L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

“Isidore, lui dit-il, si vous avez pris la ferme résolution de porter le joug de Jésus Christ, je veux avant toute chose que vous vous exerciez dans la pratique de l’obéissance.” À quoi Isidore répondit : “Mon très saint Père, je me donne à vous pour vous être aussi soumis que le fer l’est au forgeron.” Cette réponse satisfit et encouragea l’abbé, qui, charmé de la comparaison dont il s’était servi, le mit de suite comme sur l’enclume. “EH bien, mon cher frère, lui dit l’abbé, je juge à propos et je vous ordonne de vous tenir à la porte du monastère, de vous mettre à genoux devant tous ceux qui entreront ou qui sortiront, et de leur dire : Mon Père, priez pour moi, car je ne suis qu’un épileptique spirituel.” Isidore obéit à l’abbé avec la même soumission et la même exactitude que les anges obéissent à Dieu. Ce fut ainsi qu’il passa sept années consécutives. Or, après qu’il eut passé ce temps dans ce dur et pénible exercice, et qu’il eut acquit, une obéissance parfaite, une humilité profonde et une vive componction de ses péchés, l’abbé, dans sa haute sagesse, jugea que par ces vertus solides cet homme était digne d’être reçu au nombre des frères et d’entrer dans les ordres sacrés; mais Isidore, qui, pendant tout ce temps avait pratiqué une patience si extraordinaire et une soumission si généreuse, fit tant d’instances, soit par lui-même, soit par les autres, soit par moi-même, pour qu’on lui permît d’achever sa carrière dans ce même lieu et dans les mêmes exercices, laissant assez à comprendre qu’il croyait n’avoir pas fort longtemps à vivre, et qu’il était sur le point de sortir de ce monde, ainsi que l’apprit l’événement, que l’abbé lui accorda ce qu’il demandait avec tant de zèle et d’ardeur. Mais dix jours après, cet illustre pénitent alla prendre possession de la gloire éternelle qu’il avait méritée par le mépris parfait qu’il avait eu pour la gloire temporelle; et sept jours après sa mort, conformément à la parole qu’il lui avait donnée, il attira dans le ciel le portier du monastère : car il lui avait dit quelques jours avant de mourir : “Si j’ai quelque pouvoir auprès de Dieu dans le ciel, nous serons bientôt réunis ensemble auprès de Lui, pour ne nous séparer jamais.” Or tout cela arriva de la sorte, parce que le Seigneur voulut, d’une manière sensible et frappante, faire connaître l’excellence et le mérite de l’obéissance par laquelle il n’avait pas eu honte de faire exactement et de grand coeur les choses basses et humiliantes qu’on lui avait ordonnées, et de son humilité profonde, par laquelle il avait si parfaitement imité le Fils de Dieu. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

28. Un jour que j’étais à table auprès du supérieur, il se pencha tout doucement vers moi et me dit à l’oreille : “Voulez- vous que dans un vieillard d’une extrême vieillesse je vous fasse voir une raison et une sagesse toute célestes ?” Comme je lui fis signe que je le désirais et le lui demandais, il appela un bon père nommé Laurent; il était placé à une autre table. Ce respectable moine avait déjà passé quarante-huit ans dans le monastère; c’était le second prêtre en dignité dans l’église de la communauté. Il se rendit aussitôt auprès de son supérieur, se mit à genoux, selon la coutume de la maison, pour recevoir sa bénédiction; puis il se leva pour prendre ses ordres, mais l’abbé ne lui dit rien, et le laissa debout devant la table, sans lui rien donner à manger. Or tout cela se faisait au commencement du repas. Enfin il demeura près d’une heure au moins, immobile et sans mouvement; ce qui me causait une telle confusion, que je n’osais regarder ce bon père tout blanc de vieillesse : car il avait quatre-vingts ans. Il resta donc en cet état jusqu’à la fin du repas, sans que l’abbé lui dit un seul mot. Quand le repas fut fini, son supérieur lui commanda d’aller trouver Isidore, ce grand pénitent dont nous avons parlé, et de lui réciter ce paroles du psalmiste : “J’ai attendu longtemps le Seigneur, et je ne me suis point lassé de l’attendre.” (Ps 39). L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

31. À toutes ces raisons, je répliquais qu’il pourrait arriver par des circonstances malheureuses, mais surtout par la faiblesse de la nature humaine, qu’il y en aurait plusieurs qui, se voyant repris sans raison, et même avec raison, abandonneraient le monastère; mais la réponse de ce trésor de sagesse ne se fit pas attendre : L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

75. Si donc il vous arrive de manquer de force et de courage pendant le combat, ne sortez pas du rang que vous occupez; car c’est dans ces pénibles moments de la vie, que nous avons le plus besoin d’un médecin éclairé et habile. Hélas ! ne faut-il pas l’avouer ? Celui qui, quoique protégé et dirigé par la sagesse et l’expérience d’un supérieur, a néanmoins pu se laisser tomber, celui-là aurait fait une chute mortelle, et ne se serait pas relevé, s’il avait été seul et privé de secours ! L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

79. Ils méritent d’être sévèrement punis de Dieu, ces malades spirituels qui, connaissant par les avantages qu’ils en ont déjà reçus, la dextérité et la sagesse de leur médecin, l’abandonnent avec mépris, avant d’être parfaitement guéris, et recourent aux soins d’un autre qu’ils lui préfèrent. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

87. Lorsque nous sommes en présence de notre supérieur, gardons le silence le plus scrupuleux, et ne faisons pas croire que nous nous occupons de lui car celui qui aime et observe le silence, est disciple de la sagesse, et se procure de grandes lumières sur toute sorte de choses. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

89. Nous devons remarquer avec prudence et sagesse, observer avec toute l’attention possible, et peser avec une parfaite circonspection dans quel temps et de quelle manière il convient que nous préférions à la prière les exercices de la charge que nous avons à remplir; car on ne doit pas toujours, ni de la même manière, abandonner la prière pour exercer l’emploi dont on est chargé. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

95. Que nul qui voit un grand nombre de moines se reposer tranquillement sur la sagesse et la bonté des soins qu’il prend d’eux, doit bien prendre garde de s’en glorifier, mais se rappeler toujours qu’il y a une infinité de larrons et de voleurs qui sont autour de lui et des siens, pour leur tendre à tous des pièges cachés. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

114. Ayons une confiance sans bornes en ceux qui, dans le Seigneur, se sont chargés de conduire notre âme au port du salut, quand même il nous semble qu’ils exigent de nous des choses contraires au salut; car c’est dans ces circonstances, oui c’est surtout dans ces circonstances pénibles, que notre confiance en leurs lumières et en leur sagesse est éprouvée par le feu de l’obéissance et de l’humilité; et la marque la moins équivoque que nous puissions donner de la fermeté de notre foi, c’est d’accomplir sans hésiter ce que nos supérieurs nous ordonnent, quoique leurs ordres nous paraissent opposés à ce que nous espérons et désirons. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

120. Je me rendrais également coupable de malice et de cruauté, si je passais sous silence des choses qu’il n’est pas permis de taire. Or c’est Jean Sabaïte, qui ne m’est pas peu cher, lequel m’a raconté ces choses merveilleuses; et vous savez par votre propre expérience, mon respectable père, combien ce grand homme est exempt de passions et d’exaltation; vous savez aussi combien il abhorre la vaine gloire dans ses paroles. Voici donc ce qu’il m’a dit : “Il y avait dans un monastère de l’Asie où je demeurais alors, un vieillard très négligent et d’une conduite très mauvaise; je vous le dis, non pour juger des intentions secrètes de cet homme, mais pour l’honneur de la vérité. Or il arriva, je ne sais comment, que ce vieillard eut pour disciple Acace, jeune homme d’une admirable simplicité et d’une prudence étonnante. Ce jeune moine souffrit de la part de son maître tant et de si mauvais traitements, que bien des personnes refuseront de les croire; car il ne se contentait pas de le couvrir et de l’accabler d’injures, d’outrages et d’humiliations, mais il le déchirait et lui sillonnait le corps de blessures et de plaies par les coups redoublés qu’il déchargeait sur lui tous les jours. Acace souffrait toutes ces indignités et ces cruautés avec une patience et une sagesse vraiment étonnantes. Or comme chaque jour je voyais que ce saint jeune homme était plus cruellement traité qu’un vil esclave, je lui adressais quelques paroles de consolation, lorsque je le rencontrais : EH bien, mon cher Acace, lui disais-je, comment vous trouvez-vous aujourd’hui ? Qu’y a-t-il de nouveau pour vous ? Et pour toute réponse, ce bon moine me montrait des yeux tout ternes et sans vivacité, un cou tout meurtri et une tête remplie de plaies et de contusions; et comme je savais combien sa patience était grande et généreuse, je me contentais de lui dire pour l’encourager : Courage, mon cher frère, tout va bien; oui, tout va bien : souffrez toujours avec douceur et résignation, et vous recueillerez bientôt les fruits abondants de la patience. Or après avoir ainsi passé neuf ans sous la férule de cet impitoyable vieillard, son âme sainte s’envola vers le ciel. Cinq jours après la mort d’Acace, son maître alla voir un ancien solitaire, homme très recommandable par ses vertus, et, après l’avoir salué, lui raconta la mort de son saint et fervent disciple. Mais ce bon vieillard lui répondit qu’en vérité il ne pouvait le croire. Alors le maître d’Acace ajouta : “Venez donc avec moi, et vous verrez si je vous trompe. Le solitaire se leva, et vint avec ce père sur la tombe de ce grand et vaillant athlète de Jésus Christ. Quand il y fut arrivé, comme si Acace eût été encore en vie, et en effet il n’était pas mort, puisqu’il n’était que dans le sommeil des justes, il lui adressa ces paroles : Frère Acace, est-ce bien vrai que vous êtes mort ? Alors ce noble enfant de l’obéissance donna, même après sa mort, un illustre exemple de soumission; car il obéit à celui qui l’interrogeait, et lui répondit : Comment pourrait-il arriver, mon Père, qu’un disciple sincère de l’obéissance puisse mourir ? Ces mots frappèrent le maître de ce jeune moine d’une terreur si forte, que, fondant en larmes, il tomba le visage contre terre, et s’empressa de demander au supérieur de la Laure de lui permettre de fixer sa demeure auprès du tombeau de son disciple. Il obtint cette permission, et passa dans ce lieu le reste de sa vie, en pratiquant une modestie, une patience et une soumission parfaites. Il ne cessait pas de répéter aux pères de cette communauté : Hélas, mes pères, j’ai commis un homicide. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

121. Tandis que j’étais, me dit-il, dans le même monastère, je remarquai un autre moine qu’on avait mis sous la discipline d’un père, homme d’un âge avancé, d’un esprit doux, patient, raisonnable et modéré; mais comme le jeune moine s’aperçut que son maître était plein de respect et de prévenance pour lui, il jugea sagement que cette conduite lui serait autant nuisible et funeste qu’elle l’avait été à plusieurs autres personnes. Il se permit donc de prier ce bon moine qu’il daignât lui accorder de se retirer de sa compagnie. Or, comme il avait encore un autre disciple, il ne fit pas difficulté de lui octroyer sa demande. Ce moine quitta donc ce maître, qui lui donna avec bonté des lettres de recommandation, pour qu’il pût entrer dans un des monastères du Pont. La première nuit qu’il passa dans ce monastère, il vit en songe des personnes qui le pressaient fortement de leur rendre compte d’une somme d’argent qu’il leur devait; lesquelles, après avoir sérieusement examiné l’état des choses, le convainquirent qu’il était redevable de cent livres d’or. Quand il fut éveillé, il comprit fort bien ce que signifiait cette vision. C’est pourquoi il ne cessait de se répéter à lui-même : Malheureux Antiochos, c’était son nom, il n’est que trop vrai qu’il te reste bien des dettes à acquitter. Je demeurai, continua-t-il, trois ans dans ce monastère, obéissant aveuglément à tout ce qu’on me commandait, et comme j’étais étranger, tout le monde me méprisait, m’humiliait et me maltraitait. Or, après avoir passé ainsi ces trois premières années, j’eus une seconde vision, pendant laquelle un personnage me remit une quittance seulement de dix livres d’or sur les cent que je devais. Je m’éveillai, je compris l’avertissement qui me venait d’en-haut, et je me dis à moi-même : Hélas ! Pendant ces trois ans de travaux et de peines, tu n’as pu payer que dix livres d’or; quand pourras-tu, misérable, t’acquitter des autres ? Il faut donc, pauvre Antiochos, que pour te libérer entièrement, tu supportes de plus grands travaux, et que tu dévores des humiliations plus profondes. Je pris donc la résolution extraordinaire de contrefaire le fou, sans néanmoins faire croire que j’avais entièrement perdu la raison. Les pères du monastère, en me voyant dans cet état, et connaissant d’ailleurs la promptitude avec laquelle j’accomplissais les ordres qu’on me donnait, me chargèrent de toutes les occupations les plus pénibles et les plus difficiles de la maison, et ne me regardèrent plus que comme l’ordure de la communauté. Je passai encore treize ans dans cet état, au bout desquels, les mêmes hommes que j’avais vus, m’apparurent encore pendant mon sommeil, et me donnèrent enfin la quittance de toute ma dette. Or pendant toutes ces années, lorsque les pères m’accablaient de mauvais traitements, la pensée et le souvenir de la dette énorme que j’avais à payer, me remplissaient de force et de courage, et me les faisaient souffrir avec patience et résignation”. Voilà, mon cher père Jean, ce que Jean le Sabaïte, ce trésor de sagesse, m’a raconté de lui-même, sous le nom emprunté d’Antiochos. C’était Lui-même qui, par son héroïque patience, avait obtenu d’être déchargé de toute cette dette, et avait mérité le pardon de tous ses péchés. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

124. J’ai vu des enfants aimables par l’innocence et la simplicité de leur âme, et par la beauté de leur corps, envoyés dans des maisons d’éducation pour s’y former à la science et à la sagesse, et y acquérir les autres connaissances utiles, lesquels, par le commerce qu’ils ont eu avec des condisciples vicieux et pervers, s’y sont pervertis, et n’y ont malheureusement appris que la ruse, l’astuce et la corruption du coeur. Que celui qui a de l’intelligence, comprenne la fin que je me propose, en parlant de la sorte. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

131. La connaissance que nous avons de nos mauvaises dispositions et de nos défauts, doit donc nous faire chercher et choisir de préférence l’état d’obéissance, comme nous étant le plus propre et le plus convenable. Que celui, par conséquent, qui se sent porté à l’intempérance et aux plaisirs charnels, ait soin de se mettre sous la discipline d’un supérieur d’une vertu éprouvée et d’une rigoureuse inflexibilité dans la pratique de la tempérance et de la sobriété, plutôt que d’un faiseur de miracles, d’un ami de l’hospitalité, et d’un homme qui se plaise à servir les autres à table. Que celui qui sent son coeur agité par la vanité et possédé de l’orgueil, choisisse pour père spirituel un homme d’une grande sévérité et d’une austérité parfaite, qui ne lui montre jamais un visage riant et satisfait, mais qui soit constamment sans clémence et sans douceur. Il faut donc bien nous garder de rechercher pour directeur un homme capable, par sa sagesse et ses lumières, de nous prédire les choses futures et de prévoir ce qui doit arriver. Désirons et procurons-nous des docteurs véritables, lesquels, par leurs bons exemples dans la pratique de l’obéissance et de l’humilité, et par la solide science, puissent nous guérir de nos maladies spirituelles, nous donner des règles de conduite, nous faire connaître l’état et le lieu qui nous sont nécessaires pour nous sanctifier. L’Échelle Sainte: QUATRIÈME DEGRÉ

22. Je ne tairai pas; non, je ne passerai pas sous silence ce nouveau genre d’humilité, quoiqu’il inspire je ne sais quel effroi, ni cette humble charité pour Dieu, ni cet excès de pénitence : je vous dirai donc quelle était la conduite d’un certain nombre parmi eux, lorsqu’ils croyaient être arrivés à leur dernière heure et sur le point de paraître au redoutable tribunal de Dieu. Quand ces illustres pénitents étaient portés dans le lieu du monastère réservé pour ceux qui étaient dangereusement malades, ils conjuraient leur supérieur, lui qui était un trésor de lumière et de sagesse, par tout ce qu’ils savaient lui être le plus sacré et le plus respectable, de leur accorder pour dernière grâce de ne pas les honorer de la sépulture qu’on donne à tous les hommes, mais de jeter leurs corps dans la rivière, ou bien de les abandonner, dans les champs, à la voracité des bêtes sauvages; et quelquefois, et même souvent, leurs désirs étaient accomplis. Ainsi le supérieur ordonnait qu’on jetât leurs cadavres hors du monastère, et qu’on leur refusât les honneurs de la sépulture et des prières accoutumées de l’Église. L’Échelle Sainte: CINQUIÈME DEGRÉ

26. Aussi un Père nous déclare que de faibles mortels, comme nous, ne peuvent passer un seul jour de leur vie d’une manière sainte et louable, s’ils ne se représentent pas vivement que ce jour est le dernier de leur existence ici bas. Et ce qui doit nous surprendre, c’est que des écrivains, dans le sein même du paganisme, ont dit quelque chose de semblable : car ils ont écrit quelque part que, l’amour de la sagesse n’était autre chose que la pensée de la mort. L’Échelle Sainte: SIXIÈME DEGRÉ

27. Il ne convient pas à ceux qui pleurent, de traiter et de s’occuper de matières relevées et de questions théologiques : une pareille occupation pourrait fort bien faire tarir la source de leurs larmes; car celui qui s’applique à ces sciences, est semblable à un docteur gravement assis dans une chaire pour donner avec autorité des leçons aux autres; tandis que celui qui pleure ses fautes, ne doit avoir de la ressemblance qu’avec un homme assis sur le fumier et couvert d’un sac et d’un cilice. C’est pour cette raison que David, quelque grande que fût sa science et quelque profonde que fût sa sagesse, répondit et ceux qui lui demandaient à chanter des cantiques : “Comment pourrions-nous chanter des cantiques à la louange du Seigneur, dans, une terre étrangère”; (Ps 136,4), c’est-à-dire dans le pays où nos péchés nous ont conduits en captivité. L’Échelle Sainte: SEPTIÈME DEGRÉ

20. Or comme un vigneron sage et prudent sait choisir les raisins qui sont mûrs et bons, et rejette ceux qui ne sont pas mûrs et ceux qui sont lambrusques; de même une âme qui a la bonté et la sagesse en partage a bien soin de ne remarquer dans les autres que les vertus et les bonnes oeuvres qu’ils pratiquent. L’insensé, ne fait attention qu’aux vices et aux défauts. C’est de cette âme insensée, qu’il est écrit : Ils ont cherché des crimes, et ils se sont épuisés. (Ps 63,7) L’Échelle Sainte: DIXIÈME DEGRÉ

10. Il arrive quelquefois que la vaine gloire et la gourmandise se font entre elles une guerre fort animée, et se disputent vigoureusement un pauvre misérable; car la gourmandise fait tous ses efforts pour le porter à violer les règles de la mortification et du jeûne, et la vanité, pour l’engager à faire connaître la perfection de sa vie par les actes d’une abstinence sévère. Mais un moine conduit par un esprit de sagesse, évitera les pièges que lui tendront ces deux passions, et, saura profiter des circonstances, pour les chasser l’une et l’autre bien loin de lui. L’Échelle Sainte: QUATORZIÈME DEGRÉ

29. Je crois que les démons, ces impitoyables homicides de nos âmes, ont deux raisons principales pour nous porter avec tant d’ardeur et de zèle, à des péchés qui répugnent aux lois de la nature : c’est, premièrement, parce que nous avons toujours en notre pouvoir et en notre disposition la matière du péché; secondement, parce qu’ils nous font par là mériter des peines plus sévères. C’est ce que misérablement éprouvé un homme extraordinaire. Il avait dans un temps commandé avec un empire absolu à ces bêtes féroces; mais un jour il en fut si horriblement assailli et si vigoureusement attaqué, que, non seulement elles le privèrent de la nourriture céleste dont il savourait les douceurs, mais le dépouillèrent de tout et le livrèrent à la plus affreuse misère. C’est pourquoi le bienheureux Antoine, notre maître dans la vie religieuse, en pleurant le malheur de cet homme qui cependant le répara par les rigueurs de la pénitence, disait en poussant de longs gémissements : “Elle est tombée cette grande et solide colonne de vertus.” Ce saint Père a jugé dans sa sagesse qu’il ne devait pas nous apprendre quelle était l’espèce de péché que ce malheureux avait commis contre la chasteté; mais on pense qu’il s’agissait d’un crime qu’il avait fait sur son propre corps. Hélas ! il y a donc en nous une espèce de mort et un principe de ruine bien funeste; et cette malheureuse mort réside en nous-mêmes, nous accompagne partout; mais c’est surtout pendant les années de la jeunesse, et je n’ose ni dire ni écrire son nom, car saint Paul me le défend par ces paroles : “Il est des choses qui se font en secret, qu’il serait honteux et indécent de nommer.” (Eph 5,12) L’Échelle Sainte: QUINZIÈME DEGRÉ

46. Un homme plein de prudence, de sagesse, et d’une profonde érudition, me proposa un jour cette question grave, importante et difficile : “Quel est, me dit-il, le péché que vous croyez le plus grand et le plus énorme après l’homicide et l’apostasie ?” Je lui répondis que je pensais que c’était l’hérésie. “Mais, répliqua-t-il, si l’hérésie est le plus grand péché après l’homicide et l’apostasie, comment se fait-il que l’Église catholique admette à la participation des saints mystères les hérétiques, aussitôt qu’ils ont abjuré et anathématisé sincèrement leurs erreurs, et que conformément à la tradition apostolique, elle éloigne de la table eucharistique, pendant des années entières, ceux qui ont eu le malheur de tomber dans la fornication, quoiqu’ils aient confessé leur péché, qu’ils s’en soient corrigés, et qu’ils en fassent une sincère pénitence ?” Cette répartie inattendue me surprit si fort, que je ne suis qu’y répondre ; et la question demeura indécise. L’Échelle Sainte: QUINZIÈME DEGRÉ

49. Les différents attouchements sont très propres à souiller nos corps ; fuyons-les donc avec horreur et n’oublions jamais combien ils peuvent nous être dangereux et funestes. Rappelons-nous sans cesse l’exemple remarquable d’un jeune homme d’une profonde sagesse et d’une grande chasteté. Sa mère était malade, et il était nécessaire qu’il la portât entre ses bras, or il portait les précautions et la vigilance jusqu’à se couvrir les mains, afin de ne pas la toucher. Ne manquez donc pas, je vous prie, d’éviter toute sorte d’attouchements, soit ceux qui seraient déshonnêtes et criminels, soit ceux qui seraient honnêtes et indifférents, soit ceux que vous feriez sur vous, soit ceux que vous feriez sur les autres. L’Échelle Sainte: QUINZIÈME DEGRÉ

56. Les moyens les plus efficaces que nous puissions employer contre les dangers et les écueils auxquels nous exposent les tentations impures, c’est de nous revêtir d’un rude cilice, de nous couvrir de cendres, de passer les nuits dans les veilles et les travaux, de souffrir la faim et la soif, de fixer notre demeure au milieu des tombeaux et des cadavres, de ne manger que du pain, de ne boire que de l’eau, mais surtout de vivre dans une humilité parfaite, enfin, si la chose est possible, de choisir un père spirituel qui soit sévère, ou un frère, plein de ferveur et de prudence, qui nous dirige et nous secoure, non pas tant par le poids et l’autorité de ses années, que par la vertu de sa sagesse et par la justesse de son jugement; car je regarderais comme une chose merveilleuse, si, étant uniquement livré à vous-même, vous vous préserviez du naufrage au milieu d’une tempête si furieuse. L’Échelle Sainte: QUINZIÈME DEGRÉ

74. Nos pères les plus instruits dans les voies de la vie spirituelle, et sur la sagesse desquels nous pouvons sûrement compter, nous enseignent qu’il faut reconnaître une différence essentielle entre le premier mouvement de l’âme, la sympathie de notre esprit pour une pensée impure et le consentement qu’on donne au péché, et entre la défaite et la captivité qu’on subit, le combat qu’on soutient et la passion qui agit. L’Échelle Sainte: QUINZIÈME DEGRÉ

77. Il y a des passions qui, après avoir pris naissance dans l’esprit, portent leur rage et leur fureur sur les corps; et il y en a d’autres, au contraire, qui, occasionnées par les corps, exercent leurs ravages sur les esprits. Ces dernières arrivent ordinairement aux personnes qui vivent dans le monde; et les premières, à ceux qui vivent dans les monastères, parce qu’ils ne voient pas les objets qui tentent ceux qui vivent au milieu du siècle. Quant à moi, la seule chose que je puisse encore affirmer, c’est que si vous voulez trouver la prudence et la sagesse dans les personnes qui sont esclaves des passions, vous n’en viendrez jamais à bout. L’Échelle Sainte: QUINZIÈME DEGRÉ

1. La plupart des auteurs recommandables par leur science, après avoir parlé, ainsi que nous venons de le faire, de la chair comme d’un tyran furieux, nous entretiennent de l’avarice, qui est un démon monstrueux et rempli de têtes. C’est donc pour ne pas troubler l’ordre qu’ont suivi ces hommes pleins de sagesse, que nous suivrons la règle qu’ils nous ont tracée. Nous dirons donc, mais en peu de mots, ce qui regarde cette cruelle passion, et nous traiterons de même des remèdes capables de nous en guérir ou de nous en préserver. L’Échelle Sainte: SEIZIÈME DEGRÉ

6. Deux hommes se rencontrèrent un jour; c’étaient un avare et un hospitalier. L’avare se mit de suite à faire des reproches à celui qui répandait d’abondantes largesses dans le sein des pauvres; il l’accusa de n’avoir ni sagesse ni discrétion. L’Échelle Sainte: SEIZIÈME DEGRÉ

40. C’est donc pour nous faire marcher vers cette victoire, que nous ne devons rien cacher de ce qui est capable de nous humilier : la crainte même d’offenser la délicatesse de la conscience des autres ne peut pas être un motif suffisant pour nous détourner de cette voie. Au reste nous userons de ce moyen avec sagesse et prudence, et selon la nature et les circonstances des fautes que nous pouvons laisser connaître, ou que nous pouvons tenir cachées; de manière que, lorsque nous les ferons paraître, cette manifestation soit utile et à nous et à nos frères. L’Échelle Sainte: VINGT-UNIÈME DEGRÉ

14. Un vieillard très versé dans la science des choses spirituelles exhortait un jour avec beaucoup de charité un frère rempli d’orgueil, à combattre courageusement ce vice, et à pratiquer la sainte humilité. Or voici la réponse que cet insensé lui fit : “Vous vous trompez, mon père; je ne suis pas ce que vous croyez : non, je vous l’assure, je ne suis pas un orgueilleux.” Mais ce vieillard plein de sagesse lui répliqua aussitôt : “Mon Fils, pourriez-vous nous donner une preuve plus évidente que vous l’êtes, qu’en nous assurant que vous ne l’êtes pas ?” L’Échelle Sainte: VINGT-DEUXIÈME DEGRÉ

10. Une âme amie de la douceur comprend et goûte les paroles de la sagesse,; car “le Seigneur, qui est plein de douceur, dirigera les cœurs doux et débonnaires dans la science du jugement, et leur enseignera ses voies” (Ps 24,9). Or ces voies sont la science de la prudence et de la discrétion. L’Échelle Sainte: VINGT-QUATRIÈME DEGRÉ

31. Si, “les riches entrent difficilement dans le royaume des cieux” (Mt 19,23),nous pouvons dire aussi que les hommes sages de cette sagesse mondaine qui n’est rien autre chose qu’une véritable folie, n’entreront pas moins difficilement dans le palais sacré de la simplicité. L’Échelle Sainte: VINGT-QUATRIÈME DEGRÉ

33. Combattez donc courageusement, et donnez tous vos soins pour vous dépouiller de la fausse sagesse du siècle, c’est en vous conduisant de la sorte, que vous trouverez dans Jésus Christ notre Seigneur, le salut et droiture du cœur. L’Échelle Sainte: VINGT-QUATRIÈME DEGRÉ

3. Que tous ceux qui sont conduits par l’esprit de Dieu, viennent avec nous et entrent dans cette vertu, comme dans un conseil tout spirituel et rempli de sagesse; qu’ils y apportent non point avec les mains du corps, mais avec celles de l’intelligence, les tables des connaissances que Dieu Lui-même a gravées dans leurs coeurs : et, étant ainsi réunis, nous examinerons ensemble quel est le sens et la vertu de cette inscription si vénérable. L’un dira, sans doute, que l’humilité est l’oubli constant et parfait des bonnes oeuvres — l’autre, qu’elle consiste à se regarder comme le dernier des hommes et le plus grand des pécheurs; un autre affirmera qu’elle est la connaissance exacte que nous avons de notre faiblesse et de notre fragilité; un autre qu’elle nous porte à prévenir nos frères, afin de nous réconcilier parfaitement avec eux, et à résister victorieusement à une colère naissante, par la patience et la soumission; celui-ci soutiendra que l’humilité est un aveu sincère et une reconnaissance publique que nous faisons des grâces que nous avons reçues de Dieu, et des miséricordes infinies dont Il a usé à notre égard; et celui-là, qu’elle consiste dans le sentiment d’un coeur contrit et repentant et dans l’abnégation entière de sa propre volonté. L’Échelle Sainte: VINGT-CINQUIÈME DEGRÉ

11. Un jour que les démons observaient d’une manière toute particulière, un des plus sages religieux, et qu’ils lui donnaient intérieurement de grandes louanges sur la bonté de son âme, il leur répondit avec une sagesse admirable : Si vous cessiez de me louer sur l’heureux état de mon âme, je pourrais me croire quelque chose de grand et de bon; mais en le faisant comme vous le faites, les éloges que vous me donnez, ne servent qu’à me faire connaître et sentir les souillures et la corruption de mon coeur; car je sais qu’il est immonde aux yeux du Seigneur, le coeur qui s’enfle et s’élève par des sentiments de vanité. Si donc vous désirez que je devienne un orgueilleux, taisez-vous et retirez-vous, ou si vous voulez que je sois rempli d’humilité, continuez de me donner des louanges. Frappés et consternés par cette apostrophe contradictoire, les démons prirent promptement la fuite et disparurent. L’Échelle Sainte: VINGT-CINQUIÈME DEGRÉ

65. Rien ne contribue davantage et, plus efficacement à nous humilier qu’une extrême pauvreté, et un état dans lequel on ne peut vivre que par les aumônes qu’on demande et qu’on reçoit. Lorsque nous pouvons nous élever, et que néanmoins nous faisons tous nos efforts pour nous abaisser et pour chasser loin de nous toute enflure du coeur c’est alors, oui, c’est alors que nous montrons et que nous donnons des preuves que nous possédons la véritable sagesse, et que nous sommes réellement les serviteurs et les amis de Dieu. L’Échelle Sainte: VINGT-CINQUIÈME DEGRÉ

21. J’ai vu un médecin spirituel, également ignorant et indiscret, lequel accabla si mal à propos de reproches un pauvre malade qui languissait sous le poids de ses péchés, qu’il le poussa dans les horreurs du désespoir. S’en ai vu un autre, plein de science et de sagesse, qui, par des reproches humiliantes, fit comme une incision dans un cœur gonflé d’orgueil, et en fit heureusement sortir toute la corruption infecte qui le gâtait et le salissait. L’Échelle Sainte: VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

95. Ainsi comme ce sont nos yeux qui éclairent tous les membres de notre corps, nous pouvons de même assurer que c’est la discrétion qui est la lumière de toutes les vertus que nous devons pratiquer. C’est pourquoi un cerf pressé par la soif ne cherche pas avec plus d’ardeur les eaux rafraîchissantes d’une fontaine, que les âmes vraiment religieuses ne cherchent à connaître et à comprendre quelle est la Volonté du Seigneur sur elles, et surtout à discerner, non seulement les choses qui lui seraient directement contraires ou directement conformes, mais encore celles qui lui seraient contraires sous un rapport et conformes sous un autre. Or nous aurions beaucoup à dire surtout cela; mais la matière n’est pas facile. En effet il nous faudrait examiner ce que nous avons à faire sans retard et avec promptitude, d’après ces paroles de l’Écriture : Ne différez pas d’un jour à un autre, ni d’un moment à un autre, (Si 5,7-8), et ce que nous ne devons faire qu’avec retenue, sagesse et réflexion, ainsi que nous en avertit Salomon : La guerre, nous dit-il, ne doit s’entreprendre qu’après qu’on a pris les précautions nécessaires et qu’on a tout disposé; (Pro 24,6) et saint Paul, en nous disant que tout doit être fait avec décence et selon l’ordre. (1 Cor 14,40). Mais il n’est pas donné à tous; non, il n’est pas donné à tous de discerner sur-le-champ et avec clarté les choses dont le discernement est très difficile; car David, qui était rempli de l’esprit de Dieu et qui, par son inspiration, nous a dit tant et de si belles choses, ne cessait dans ses ferventes prières de lui demander ce don précieux de discernement : Enseignez-moi, Seigneur, à faire votre sainte Volonté, car vous êtes mon Dieu; et ailleurs : Conduisez-moi, ô mon Dieu, dans la voie de votre Vérité, et instruisez-moi, parce que vous êtes mon Dieu et mon Sauveur; (Ps 142,10) et encore: Faites-moi connaître la voie par laquelle je dois marcher, parce que j’ai élevé mon âme vers vous. (Ps 142,8). L’Échelle Sainte: VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

128. Nous devons considérer les vertus sous deux rapports et comme filles, et comme mères. Or tous ceux qui sont doués de sagesse et de prudence, font tous leurs efforts pour acquérir et pour conserver les vertus-mères, et, c’est Dieu même qui, par la toute-Puissance de son Esprit, nous fait connaître les vertus. Quant aux vertus-filles, nous manquerons pas de maîtres pour nous les apprendre. L’Échelle Sainte: VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

129. Nous devons encore bien prendre garde de remplacer par les douceurs du sommeil les délices dont nous nous privons en jeûnant et en nous mortifiant. Nous conduire de la sorte, ce serait nous conduire comme des insensés, et la conduite contraire est une preuve de sagesse. L’Échelle Sainte: VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

134. Personne ne doute que ceux qui sont pacifiques ne méritent d’être appelés heureux; et cependant j’ai vu des gens à qui l’on donnait ce titre, bien qu’ils eussent mis la désunion et la discorde parmi leurs frères ! En effet il y avait deux hommes qui s’aimaient l’un l’autre d’un amour criminel : un père des plus vertueux et des plus éclairés, essaya de les faire séparer, en leur inspirant une aversion mutuelle. Il y réussit, en disant à l’un que son ami avait très mal parlé de lui, et en en faisant autant par rapport à l’autre. C’est ainsi que la sagesse et la prudence de ce bon père déjouèrent la malice et les rusée du démon, et que, par une espèce de haine qu’il leur suggéra, il vint à bout de chasser l’amour impur du cœur de ces malheureux. L’Échelle Sainte: VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

54. Comme une barque dirigée par un pilote expérimenté et protégée du ciel, arrive heureusement au port; de même une âme, quoiqu’elle ait eu le malheur dans un temps de tomber dans un grand nombre de péchés, dirigée et conduite par un directeur plein de sagesse, de lumières et de prudence, arrivera facilement au port du salut, et obtiendra le ciel. L’Échelle Sainte: VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

55. Comme un voyageur, s’il n’a point de guide, quelque réfléchi qu’il soit, perdra souvent son chemin et s’égarera; de même un religieux qui vit et se conduit par lui-même s’égarera et se perdra, quelque parfaite que soit en lui la sagesse mondaine dont il est doué. L’Échelle Sainte: VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

55. Ils sont bien peu nombreux les hommes qui se sont fait un grand nom dans les sciences et dans la sagesse de la philosophie; mais ils sont encore plus rares ceux qui ont excellé dans la science et dans la philosophie essentielles à la vie érémitique. L’Échelle Sainte: VINGT-SEPTIÈME DEGRÉ

66. J’ai observé plus d’une fois que les démons ont coutume de porter les solitaires légers et inconstants, et qui ne sont entres dans la solitude que par un esprit de vertige, à visiter souvent les anachorètes pleins de ferveur et de recueillement; mais c’est afin que ces solitaires vagabonds empêchent les véritables serviteurs de Jésus Christ de s’appliquer à leurs exercices de piété. Faites attention, mon cher frère; je vous en supplie, faites attention à ces coureurs, et n’hésitez pas de leur faire avec charité des reproches et des réprimandes capables de les faire rougir de leur funeste dissipation peut-être que l’humiliation que vous leur ferez, les engagera à mettre un terme à leur vie errante et vagabonde et à se fixer dans leurs cellules. Néanmoins, si vous mettez en pratique cet avis, vous devez prendre garde d’attrister inconsidérément quelque âme qui, dévorée d’une soif ardente de la grâce, viendrait auprès de vous pour y puiser l’eau qu’elle désire et dont elle a besoin, et pour obtenir les secours pour lesquels elle soupire. Au reste dans ces circonstances diverses il faut être doué d’une grande sagesse el d’un discernement exquis. L’Échelle Sainte: VINGT-SEPTIÈME DEGRÉ

93. Rien ne contribue plus à éclairer et à recueillir l’esprit que les saintes lectures : ce sont les paroles mêmes du saint Esprit; elles donnent l’intelligence et la sagesse aux personnes qui les lisent et les méditent. L’Échelle Sainte: VINGT-SEPTIÈME DEGRÉ

101. Soit pour l’âme, soit pour le corps, donnez aux personnes qui viennent vous visiter toutes les choses qui sont en votre pouvoir. Si c’étaient des religieux puissants en vertus et en sagesse, nous nous contenterions de leur faire connaître ce que nous sommes, et nous les écouterions en silence; si, au contraire, ce n’étaient que de simples religieux, nous nous entretiendrions avec eux dans un esprit de modestie et de modération, et nous n’oublierions pas qu’il nous est très utile de penser et de croire que les autres valent mieux que nous. L’Échelle Sainte: VINGT-SEPTIÈME DEGRÉ