En vérité, c’est tout autre chose d’avoir en haine la souillure des vices et de la chair, parce que l’on goûte le bien déjà présent, ou, de refréner les convoitises illicites en vue de la récompense future; de craindre un dommage actuel, ou de redouter des tourments à venir. C’est enfin une perfection beaucoup plus grande de ne vouloir pas s’éloigner du bien pour l’amour du bien lui-même, que de ne pas donner son consentement au mal par peur de souffrir un autre mal. Dans le premier cas, le bien est volontaire; dans le second, il paraît forcé, et arraché de haute lutte à un refus par la crainte du supplice ou l’appétit de la récompense. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 8
Entre les frères charnels encore et faibles, le démon a tôt fait de semer la colère et la désunion à propos de choses viles et terrestres. Mais pour les spirituels, c’est par la diversité de sentiment qu’il fait naître chez eux la discorde. Telle est, sans aucun doute, la fréquente origine des disputes et des querelles que l’Apôtre condamne. (Cf. Gal 5,20). De celles-ci l’ennemi, envieux et méchant, prend ensuite occasion, afin de pousser à la rupture des frères qui n’avaient jusque là qu’une âme. Car elle est bien vraie, la parole du sage Salomon : «La dispute suscite la haine; mais pour tous ceux qui ne disputent point, l’amitié les protégera.» (Pro 10,12). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 8
Nous lisons que Jean l’évangéliste fut l’objet d’une semblable préférence : rien de plus clair que les paroles qui le désignent comme «le disciple que Jésus aimait.» (Jn 13,23). Certes, le Seigneur enveloppait également les onze autres, qu’il avait choisis aussi bien que lui, d’une véritable prédilection. Il l’atteste Lui-même dans l’Évangile,lorsqu’Il dit : «Comme Je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.» (Jn 13,34). Et c’est d’eux encore qu’il est écrit dans un autre endroit : «Aimant les siens qui étaient dans le monde, Il les aima jusqu’à la fin.» (Jn 13,1). Ainsi, la particulière dilection qu’il montra pour le seul saint Jean, ne signifie point que sa charité fût tiède à l’égard des autres; mais seulement que la surabondance de son amour s’épanchait plus largement sur celui-ci, parce que le privilège de sa virginité et sa parfaite intégrité le lui rendaient aussi plus aimable. C’est précisément pourquoi l’Évangile marque cette effusion comme plus sublime et exceptionnelle; car ce n’est pas le contraste de la haine qui la relève tant, mais la grâce plus abondante d’un débordant amour. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 14
Nous trouvons encore quelque chose de pareil, au Cantique des Cantiques, sur les lèvres de l’Épouse : «Ordonnez en moi, dit-elle, l’amour.» (Can 2,4). Or, la charité vraiment ordonnée est celle qui, n’ayant de haine pour personne, en aime toutefois quelques-uns par préférence, à cause de leurs mérites. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 14
Une multitude énorme était venue pour saisir le Seigneur, avec des épées et des bâtons. Or, personne ne fut plus cruellement parricide contre l’Auteur de notre vie que le traître Judas, qui, prévenant tous les autres afin de lui offrir, en le saluant, un hypocrite hommage, lui donna le baiser d’une charité perfide. Et le Seigneur lui dit : «Judas, tu livres le Fils de l’homme par un baiser ? » (Lc 22,48) c’est-à-dire : Pour couvrir l’amertume de la persécution et de la haine, tu empruntes le signe fait pour exprimer la douceur du véritable amour ! Mais il exhale plus ouvertement et avec plus de véhémence la violence de sa douleur par la bouche du prophète : «Si c’était un ennemi qui m’eût outragé, je l’aurais supporté; et si c’était celui qui m’avait en haine qui se fût élevé contre moi dans ses paroles, je me serais caché de lui. Mais toi, tu n’avais qu’une âme avec moi; tu étais mon guide et mon ami; tu partageais avec moi une douce nourriture; nous allions de concert dans la maison de Dieu !» (Ps 54,13-15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 18
L’esprit immonde le tourmenta durement et longtemps. Vainement la prière des saints qui habitaient ce désert et avaient reçu le charisme divin de commander aux esprits mauvais, s’employait-elle à le délivrer. Isidore lui-même n’y put réussir, malgré sa grâce singulière, lui à qui la munificence du Seigneur avait octroyé une puissance si grande, qu’on ne lui conduisit jamais un possédé, qui ne fût guéri, avant même de toucher le pas de sa cellule. Le Christ réservait cette gloire au jeune Paphnuce. Seule, la prière de celui qu’il avait si odieusement trahi devait libérer le coupable; c’est en invoquant le nom de qui sa haine jalouse avait cru pouvoir rabaisser l’honneur, qu’il devait recevoir le pardon de sa faute et voir la fin de ses supplices. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 15
Quant au bienheureux Apôtre, parvenu comme il était, sans aucun doute, an plus haut sommet de la perfection, ces paroles ne sauraient lui convenir en aucune façon : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais; ni non plus ce qu’il ajoute immédiatement : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi; ni ceci : Je prends plaisir à la loi de Dieu selon l’homme intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Le moyen d’accommoder ces idées à la personne de l’Apôtre ? Quel est le bien qu’il n’a pas accompli ? Quel est, au contraire, le mal qu’il a commis malgré lui et malgré la haine qu’il en avait, par l’entraînement de la nature ? Sous quelle loi de péché ce vase d’élection, en qui le Christ parlait (cf. 2 Cor 13,3), a-t-il pu être mené captif ? Lui qui, après avoir captivé toute désobéissance et toute hauteur qui s’élève contre Dieu (Ibid. 10,5), disait de lui-même en toute confiance : J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi; maintenant, la couronne de justice m’est tenue en réserve, que me décernera en ce jour-là le Seigneur, le juste Juge (2 Tm 4,7-8). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 15
Ils ont accoutumé de dire : Si nous supplions quelque personnage élevé en dignité, non pour avoir la vie sauve, mais seulement en vue de quelque avantage temporel : rivés à lui par les yeux et par toute l’âme, suspendus dans une attente pleine d’alarmes à un signe de sa tête, nous tremblons qu’un mot inopportun ou maladroit ne vienne à détourner sa miséricorde. Ou bien, voici que nous sommes à l’audience, devant le tribunal des juges de ce monde. En face, se tient notre partie. Si, au beau milieu des débats, nous nous prenions à tousser, cracher, rire, bâiller ou dormir, combien la haine vigilante de notre ennemi serait-elle prompte à exciter, pour notre perte, la sévérité du juge ! Eh ! lorsque nous supplions le Juge divin, infaillible témoin de tous les secrets, afin qu’Il écarte le péril de mort éternelle dont nous sommes menacés, ayant en face de nous surtout celui qui est à la fois notre perfide séducteur et notre accusateur, avec quelle attention, quelle ferveur de prière devons-nous implorer sa Clémence ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 6