Aux solitaires, vos soins et vos labeurs ont déjà procuré un immense avantage. Occupés des mêmes exercices que les anciens ont pratiqués, ils se trouvent ainsi préparés à embrasser plus facilement leurs préceptes et leurs enseignements. Mais que dis-je ? ce sont les auteurs mêmes des conférences qu’ils recevront dans leurs cellules avec ces volumes, pour jouir en quelque sorte de leur entretien chaque jour, leur faire des questions et écouter leurs réponses. Les Conférences: PRÉFACE 2
Assurons-nous cependant que la plus austère abstinence, je veux dire la faim et la soif, ni les veilles, ou le travail assidu, ou l’application incessante à la lecture ne nous mériteront la pureté constante de la chasteté. Parmi ce continuel labeur, il faut encore apprendre de l’expérience qu’une telle intégrité est un don libéral de la grâce divine. De notre persévérance infatigable dans ces exercices quel sera donc le fruit ? D’obtenir, en affligeant notre corps, la miséricorde du Seigneur; de mériter qu’il nous délivre par un bienfait de sa main des assauts de la chair et de la tyrannie toute-puissante des vices. Mais ne nous flattons pas d’arriver par leur moyen à l’inviolable chasteté que nous souhaitons. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 4
Lorsque de quotidiens exercices l’auront conduite à cet état, elle connaîtra par expérience le sentiment qui s’exprime dans ce verset, que tous, à la vérité, nous chantons sur le rythme accoutumé de la psalmodie, mais dont un petit nombre seulement, que l’expérience a instruits, pénètrent tout le sens : «J’avais les yeux vers le Seigneur toujours, parce qu’il est à ma droite, de peur que je ne chancelle.» (Ps 15,8). Oui, celui-là seul aura l’intelligence intime et vivante de ces, paroles, qui, parvenu à la pureté d’âme et de corps dont nous parlons, comprendra que c’est le Seigneur qui, à tout instant, l’y maintient, de peur qu’il ne retombe de ces hauteurs à sa misère, et qui protège constamment sa droite, c’est-à-dire ses actions saintes. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5
Ce n’est pas à la gauche de ses saints que le Seigneur se tient toujours, parce que le saint n’a rien en soi qui gauchisse, mais à leur droite. Les pécheurs et les impies, eux, ne le voient pas : ils n’ont point cette droite où le Seigneur se tient, et ne peuvent dire avec le prophète : «Mes yeux sont tournés constamment vers le Seigneur, car c’est lui qui dégagera mes pieds du lacet.» (Ps 24,15). De telles paroles ne sont vraies que dans la bouche de celui qui considère toutes les choses de ce monde comme pernicieuses ou superflues, comme inférieures du moins à la vertu consommée, et dirige tous ses regards, son étude et ses soins à la garde de son coeur, vers la chasteté très pure. L’esprit se lime, pour ainsi dire, à ces exercices; il se polit à mesure qu’il progresse. La sainteté parfaite de l’âme et du corps est au bout de la carrière. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5
Bien plus, c’est pour notre bien que nous nous sentons parfois détournés de nos exercices spirituels. Tandis que l’élan de notre course se trouve, malgré nous, entravé, et que nous donnons quelque relâche à la faiblesse de la chair, nous assurons, sans le vouloir, notre persévérance future. Le bienheureux Apôtre a quelque chose de semblable au sujet de cette conduite divine : «Par trois fois, dit-il, je priai le Seigneur que cet ange de Satan s’éloignât de moi; et il me répondit : Ma grâce te suffit, car c’est dans la faiblesse que ma force se montre tout entière !» (2 Co 12,8-9) et de nouveau : «Nous ne savons pas ce qu’il faut demander !» (Rm 8,26) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6
Nous avons dit quel préjudice ne manque pas de frapper le moine à qui sa mobilité d’esprit souffle le désir de passer à des exercices différents du sien. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 7
Ayant reconnu notre désir d’entendre ses leçons, il s’enquit tout d’abord si nous étions frères; et quand il nous eut ouï dire que nous l’étions en effet, non par la naissance, mais selon l’esprit, et que dès l’origine de notre renoncement, une inséparable société nous avait réunis, soit dans le voyage que nous avions entrepris l’un et l’autre en vue de nous former à la milice spirituelle, soit dans les saints exercices du monastère, il commença ainsi son discours. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 1
JOSEPH — Je n’entends point parler ici des commandements principaux, sans lesquels le salut est impossible; mais de ceux que nous pouvons, sans péril pour notre état, négliger ou garder : telles la rigueur continue du jeûne, l’abstinence perpétuelle de vin ou d’huile, la pratique de ne jamais sortir de notre cellule, la lecture et la méditation incessantes. Ce sont là, en effet, des exercices que l’on peut observer à son gré, ou laisser de côté, si besoin est, sans que notre profession ait à en souffrir, ni notre idéal de vie. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 28
Mais pour les exercices corporels, dont il est dit qu’ils sont utiles à peu de chose, nos engagements doivent être ce que j’ai dit. Une occasion survient-elle, plus sûre, de pratiquer la piété, qui nous conseille à leur sujet quelque relâche : ne nous faisons pas une obligation de les suivre; mais laissons-les, pour nous porter librement à des choses plus profitables. Les quitter pour un temps n’offre aucun danger; il est mortel au contraire de s’éloigner des autres, ne fût-ce qu’un instant. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 28
Le moine ne doit donc pas prendre d’engagements irrévocables pour ce qui regarde les exercices corporels, de peur d’exciter davantage l’ennemi à l’attaquer sur ce point, dont il se sera fait comme une loi, et d’être amené à se parjurer. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 30
Mes enfants, lorsqu’un homme veut se rendre habile dans un art, il faut qu’il se dévoue, de tout le soin et la vigilance dont il est capable, aux exercices particuliers de la profession qu’il souhaite de connaître; il faut qu’il observe les préceptes et les avis des maîtres les plus consommés dans ce métier ou cette science. Autrement, c’est s’agiter de vains désirs; et l’on n’atteindra pas à la ressemblance de ceux dont on refuse d’imiter l’application et le zèle. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 2
GERMAIN. — Nous sommes justement de ceux qui ont recherché la solitude avec une formation cénobitique insuffisante, et avant d’avoir expulsé tous leurs vices. Quel remède nous secourra, nous, et nos pareils pour la fragilité comme pour le flegré médiocre de l’avancement ? Le moyen d’obtenir la constance d’une âme qui ne connaît plus le trouble, et l’inébranlable fermeté de la patience, maintenant que nous avons prématurément abandonné, avec notre monastère, l’école même et le lieu authentique de ces exercices ? C’est là que nous aurions dû parfaire notre première éducation et la conduire à son terme. Solitaires aujourd’hui, comment acquérir la perfection de la longanimité et de la patience ? Comment le regard de notre conscience, qui explore les mouvements intérieurs de l’âme, discernera-t-il en nous la présence ou l’absence de ces vertus ? N’est-il pas a craindre que, séparés du commerce des hommes et n’ayant jamais rien à souffrir de leur part, une fausse persuasion ne nous abuse, et ne nous fasse croire que nous sommes parvenus à l’inébranlable tranquillité de l’âme ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 11
Mais il n’en va pas de même sorte pour les justes. La Loi n’a pas été faite pour eux. Ils ne donnent pas aux exercices spirituels une part si mince, un dixième seulement de leur temps, mais toute leur vie. Dès là, ils sont affranchis du payement de la dîme légale; et si quelque honnête et sainte nécessité vient à les y forcer, ils ne craignent pas de rompre la station du jeûne, sans plus de débat. Ce n’est point là porter atteinte à la modicité de la dîme, puisqu’ils se sont offerts eux-mêmes avec tout ce qu’ils avaient. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 29
La solitude qui les sépare de toutes villes et habitations humaines, est plus vaste que pour Scété; c’est à peine si sept ou huit jours de marche au travers d’un désert sans fin les conduisent à la retraite où sont cachées leurs cellules. Cependant, ils s’adonnent à l’agriculture, au lieu de rester enfermés. Aussi, lorsqu’ils viennent, soit en ces contrées affreuses où nous vivons, soit à Scété, c’est une effervescence de pensées, une anxiété telles, que, semblables à de nouveaux venus qui n’auraient jamais le moins du monde goûté des exercices de la solitude, ils ne peuvent supporter le séjour de la cellule ni les silences du repos. Ils en sortent aussitôt, pour tomber en proie à un trouble profond, tels des novices sans expérience. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 4
Mais quel obstacle à notre propos, si, délivrés par leur complaisance de toute sollicitude à l’endroit de la nourriture, nous nous donnions tout entiers à la lecture et à la prière ? Le travail auquel nous nous livrons ici, nous est une distraction; supprimé, nous pourrions nous appliquer avec plus de force aux seuls exercices spirituels. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 10