Mais, pour une que soit la fin où tendent ces trois vertus, puisque toutes elles nous appellent à nous abstenir des choses illicites, elles diffèrent beaucoup d’une de l’autre quant à leur degré d’excellence. Les deux premières sont proprement humaines; elles se voient en ceux qui cherchent le progrès, mais n’ont pas encore conçu une affection véritable pour les vertus. La troisième est particulière à Dieu et à quiconque a reçu en soi l’image et la ressemblance divine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Un homme n’éteint en soi les flammes du vice que par peur de la géhenne ou l’espoir de la rétribution future. Cet autre se détourne avec horreur du mal et de l’impureté mêmes dans le sentiment de la divine charité. Il possède le bien de la pureté par le seul amour et désir de la chasteté. Ses yeux ne cherchent pas dans l’avenir la récompense promise, mais la conscience qu’il a du bien déjà présent lui est un profond délice. Il n’a jamais égard au châtiment, et n’agit que pour le bonheur qu’il trouve en la vertu. Entre les deux, la différence est grande. Le second, quand bien même il serait sans témoin, n’abusera pas de l’occasion, non plus qu’il ne laissera profaner son âme par les complaisances secrètes des pensées mauvaises. L’amour de la vertu a pénétré ses moelles; et loin qu’il donne accueil en son âme aux influences contraires, tout son être se soulève pour les rejeter. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Mais quiconque est parvenu par la charité à l’image et ressemblance divine, se plaît dorénavant au bien lui-même à cause du plaisir qu’il y trouve. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Il embrasse aussi avec un égal amour la patience et la douceur. Les manquements des pécheurs n’irritent plus sa colère; mais plutôt implore-t-il leur pardon, pour la grande pitié et compassion qu’il ressent à l’endroit de leurs faiblesses. Ne se souvient-il pas d’avoir éprouvé l’aiguillon de passions semblables, jusqu’au jour qu’il plut à la divine miséricorde de l’en délivrer ? Ce ne sont pas ses propres efforts qui l’ont sauvé de l’insolence de la chair, mais la protection de Dieu. Dès lors, il comprend que ce n’est pas de la colère qu’il faut avoir pour ceux qui s’égarent, mais de la commisération; et, dans l’absolue tranquillité, de son coeur, il chante à Dieu ce verset : «C’est vous qui avez brisé mes chaînes, je vous offrirai un sacrifice d’action de grâces;» (Ps 115,16-17) et encore : «Si le Seigneur n’eût été mon soutien, peu s’en fallait que mon âme n’habitât l’enfer.» (Ps 93,17). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Puis, cette humilité d’esprit le rend capable d’accomplir le précepte évangélique de la perfection : «Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient.» (Mt 5,44). C’est par là que nous mériterons d’atteindre à la récompense dont il est parlé aussitôt après, l’image et ressemblance divine avec le titre de fils : «Afin, est-il dit, que vous soyez les fils de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.» (Mt 5,3). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
CHEREMON. — L’Écriture appelle notre liberté à différents degrés de perfection, selon l’état et la mesure de chaque âme en particulier. Aussi bien était-il impossible de proposer à tous uniformément la même couronne de sainteté, parce que tous non plus n’ont pas la même vertu, ni la même volonté, ni la même ferveur. La parole divine établit donc, pour ainsi dire, des degrés divers et diverses mesures dans la perfection. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Écoutez encore le bienheureux Apôtre. Il a dépassé jadis, par la vertu de la charité divine, ce degré de la crainte servile. Et maintenant, il proclame, avec une sorte de mépris pour cette vertu inférieure, qu’il a été enrichi de dons plus magnifiques : «Ce n’est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un Esprit de force, d’amour et de modération.» (2 Tim 1,7). Puis, il exhorte ceux qui brûlent pour le Père céleste de la dilection parfaite, et que l’adoption divine d’esclaves a rendus fils : «Vous n’avez pas reçu un Esprit de servitude, pour être encore dans la crainte; mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, en qui nous crions : Abba ! Père !» (Rom 8,15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
GERMAIN. — Vous nous avez entretenus de la charité parfaite; nous voudrions maintenant vous interroger librement sur la chasteté consommée. Car nous ne doutons pas que ces hauteurs sublimes d’amour, par où l’on s’élève, ainsi que vous l’avez montré jusqu’à présent, à l’image et ressemblance divine, ne puissent en aucune façon exister sans la perfection de la chasteté. Mais cette vertu peut-elle être si constante, que l’intégrité de notre coeur n’ait jamais à souffrir des séductions de la concupiscence ? Vivant dans la chair, pouvons-nous rester si éloignés des passions charnelles, que nous n’en ressentions jamais les atteintes ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
L’Apôtre, en le citant, veut nous instruire sans aucun doute à rejeter tout désir du bien d’autrui; mieux encore, à mépriser d’un coeur magnanime nos biens propres, comme nous lisons, dans les Actes, que fit la multitude des fidèles : «La multitude des fidèles n’avait qu’un coeur et qu’une âme, nul ne disait sien ce qu’il possédait, mais tout était commun entre eux… Tous ceux qui possédaient terres ou maisons, les vendaient et en, mettaient le prix aux pieds des apôtres; on le distribuait ensuite à chacun, selon qu’il en avait besoin.» (Ac 4,32-34). Et, pour que l’on ne croie pas que cette perfection reste l’apanage du petit nombre, il atteste que la cupidité est une idolâtrie. Rien de plus juste. Ne pas secourir l’indigent dans ses nécessités; faire passer les préceptes du Christ après son argent, que l’on conserve avec la ténacité de l’infidèle : c’est bien tomber en effet dans le crime de l’idolâtrie, puisque l’on préfère à la charité divine l’amour d’une chose créée. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Assurons-nous cependant que la plus austère abstinence, je veux dire la faim et la soif, ni les veilles, ou le travail assidu, ou l’application incessante à la lecture ne nous mériteront la pureté constante de la chasteté. Parmi ce continuel labeur, il faut encore apprendre de l’expérience qu’une telle intégrité est un don libéral de la grâce divine. De notre persévérance infatigable dans ces exercices quel sera donc le fruit ? D’obtenir, en affligeant notre corps, la miséricorde du Seigneur; de mériter qu’il nous délivre par un bienfait de sa main des assauts de la chair et de la tyrannie toute-puissante des vices. Mais ne nous flattons pas d’arriver par leur moyen à l’inviolable chasteté que nous souhaitons. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
S’il peut se réjouir, au matin, d’avoir été préservé, qu’il le comprenne bien ! il n’est pas redevable de ce bienfait à son zèle ni à sa vigilance, mais à la protection de Dieu; et cette intégrité ne persévérera que le temps qu’il plaira à la divine miséricorde de lui en faire la grâce. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Une longue expérience l’y conduira, ainsi que la pureté du coeur, unies à la lumière de la parole divine, dont le bienheureux Apôtre dit : «Elle est vivante, la parole de Dieu, et efficace, plus acérée que nulle épée à deux tranchants, si pénétrante, qu’elle va jusqu’à séparer l’âme de l’esprit, les jointures et les moelles; et elle discerne les pensées et les sentiments du coeur.» (Heb 4,12). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Vous voyez donc que le sommeil ne peut nuire a ceux que la grâce divine a pénétrés jusqu’aux moelles de l’amour de la chasteté, bien qu’ils suspendent alors l’austérité de leur vie. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Qui n’admirerait en soi les oeuvres du Seigneur, lorsqu’il voit l’instinct de la gloutonnerie et la recherche dispendieuse autant que fatale des plaisirs de la bouche si parfaitement étouffés, qu’à peine prend-il encore à de rares intervalles et comme malgré soi une chétive et grossière nourriture ? Qui ne demeurerait saisi de stupeur devant les ouvrages de Dieu, en constatant que le feu de la volupté, qu’il considérait auparavant comme inhérent à la nature et en quelque sorte impossible à éteindre, s’est tellement refroidi en lui, qu’il n’éprouve plus dans sa chair le moindre mouvement, fut-ce le plus innocent ? Comment n’admirer pas avec tremblement la vertu divine, lorsqu’on voit des hommes cruels jadis et farouches, que même la soumission la plus insinuante exaspérait jusqu’au comble de la fureur, devenus des anges de douceur, tellement que, loin qu’ils s’émeuvent de l’injure, leur magnanimité souveraine va jusqu’à s’en réjouir ? Qui s’étonnerait devant les oeuvres de Dieu et s’écrierait du fond de son coeur: «J’ai connu que le Seigneur est grand,» (Ps 134,5) lorqu’il se voit lui-même, ou quelque autre, passé de l’extrême cupidité à la libéralité, de la prodigalité à une vie d’abstinence, de la superbe l’humilité, faisant succéder aux délicatesse et à la recherche un extérieur négligé et hirsute, embrassant volontairement la pénurie et la détresse et y plaçant sa joie ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Voici, au demeurant, le signe certain que l’on est tout proche de la pureté : c’est que l’on commence à ne l’attendre plus de ses propres efforts. Lorsqu’on a bien compris toute la portée de ce verset : «Si le Seigneur ne bâtit la maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent», (Ps 126,1) on ne se fait point de sa pureté un mérite orgueilleux, parce que l’on voit trop bien qu’on la doit à la miséricorde du Seigneur et non à sa propre diligence; on ne s’emporte pas non plus contre les autres avec une rigueur impitoyable, parce que l’on sait que la vertu de l’homme n’est rien, si elle n’est aidée de la vertu divine. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
L’abbé Germain était agité d’un grave souci. L’entretien précédent nous avait inspiré l’extrême désir d’une chasteté inconnue jusque-là. Mais une seule parole du bienheureux vieillard y semblait réduire à néant le mérite de notre industrie, en assurant que l’homme, de quelque énergie qu’il tende vers le bien, n’en saurait cueillir le fruit; qu’il ne le peut tenir que de la largesse divine, et non de sa peine ni de ses efforts. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Aux laboureurs paresseux, dont la charrue ne retourne pas fréquemment les guérets, la bonté divine n’accordera pas les moissons plantureuses. Mais à ceux qui prennent de la peine, leur sollicitude ne profitera pas davantage, se prolongeât-elle durant les nuits, si la miséricorde du Seigneur ne la fait prospérer. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Même en cas de succès, que l’homme, dans son orgueil, n’ait point la prétention de s’égaler à la grâce ou d’entrer en société avec elle; qu’il n’essaye pas de revendiquer sa part dans les bienfaits de Dieu : comme si son labeur était cause de la divine largesse, ou qu’il pût se glorifier que l’abondance des récoltes réponde au mérite de son zèle. Mais plutôt qu’il se considère et s’examine sincèrement. Les efforts mêmes, si intenses, qu’il a produits par désir de l’opulence, sa propre vigueur lui eût-elle permis de les fournir, si la protection de Dieu et sa miséricorde ne l’avaient soutenu, pour se livrer à tous les soins des champs ? Volonté, énergie personnelle fussent restées inefficaces, n’eût été la divine clémence, qui lui a ménagé la possibilité de conduire jusqu’au terme un ouvrage souvent rendu impraticable par la sécheresse ou les pluies excessives. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Pour différer de quelques instants l’étude de ce point particulier, ne parlons maintenant, très brièvement, que des moyens qui conduisent à cette haute perfection. Qui donc, je vous le demande, si grande soit sa ferveur, serait de taille à supporter l’horreur de la solitude et à se contenter de pain sec pour tout mets quotidien, en eût-il de quoi satisfaire sa faim : je dis par ses seules forces, et sans le soutien des louanges humaines ? Si le Seigneur ne donnait ses consolations, qui pourrait endurer une soif continuelle, que trompent mal quelques gouttes d’eau; dérober à ses yeux le doux et délicieux sommeil du matin, et ne point prolonger son repos au-delà de quatre heures ? Qui serait capable, sans la grâce divine, d’une application constante à la lecture, et d’un travail aussi assidu qu’il est peu profitable pour les intérêts de ce monde ? Voilà autant de choses qu’il nous est également impossible, et de désirer persévéramment sans l’inspiration de Dieu, et d’accomplir sans son aide. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Bien plus, c’est pour notre bien que nous nous sentons parfois détournés de nos exercices spirituels. Tandis que l’élan de notre course se trouve, malgré nous, entravé, et que nous donnons quelque relâche à la faiblesse de la chair, nous assurons, sans le vouloir, notre persévérance future. Le bienheureux Apôtre a quelque chose de semblable au sujet de cette conduite divine : «Par trois fois, dit-il, je priai le Seigneur que cet ange de Satan s’éloignât de moi; et il me répondit : Ma grâce te suffit, car c’est dans la faiblesse que ma force se montre tout entière !» (2 Co 12,8-9) et de nouveau : «Nous ne savons pas ce qu’il faut demander !» (Rm 8,26) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Dieu lui-même dépeint à merveille par la bouche du prophète Osée les soins de sa providence à notre endroit. Il le fait sous la figure de Jérusalem infidèle qui s’en va dans un empressement fatal, au culte des idoles. Elle dit : «J’irai après mes amants, qui me donnent mon pain et mon eau, ma laine et mon lin, mon huile et ma boisson !» (Os 2,5)Et la bonté divine répond, plus soucieuse de son salut que de la laisser satisfaire ses caprices : «Voici que je vais fermer ses chemins avec des épines; je l’enfermerai avec un mur, et elle ne trouvera plus ses sentiers. Elle poursuivra ses amants, et ne les atteindra pas — elle les cherchera, et ne les trouvera pas. Alors, elle dira : Je retournerai vers mon premier mari, parce que j’étais plus heureuse autrefois que je ne le suis maintenant !» (Ibid. 6,7) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La protection divine ne nous quitte jamais. Si grande est la tendresse du Créateur pour sa créature, que sa providence ne serait point satisfaite de nous accompagner; elle nous précède. Le prophète, qui en avait fait l’expérience, le témoigne ouvertement : «La miséricorde de mon Dieu me préviendra.» (ps 58,11) Aperçoit-il en nous quelque commencement de bonne volonté, aussitôt il épanche sur nous sa lumière et sa force, il nous excite au salut, donnant la croissance au germe qu’il a semé lui-même ou qu’il voit naître de nos efforts. «Avant qu’ils crient vers moi, dit-il, je les entendrai; ils parleront encore, que je les exaucerai.» (Is 55,24) Il est dit encore : «Au son de tes cris, aussitôt qu’il t’aura entendu, il te répondra.» (Ibid. 30,19) Et non seulement il nous inspire de saints désirs; mais il nous prépare les occasions de revenir à la vie, les circonstances favorables pour faire de bons fruits; il montre aux égarés le chemin du salut. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La divine Écriture confirme l’existence de notre libre arbitre : «Garde ton coeur, dit-elle, en toute circonspection.» (Pro 4,23) Mais l’Apôtre manifeste son infirmité. «Que le Seigneur garde vos coeurs et vos intelligences dans le Christ Jésus.» (Phil 4,7) — David énonce sa vertu, lorsqu’il dit : «J’ai incliné mon coeur à observer tes commandements;» (ps 118) mais il enseigne aussi sa faiblesse, lorsqu’il fait cette prière : «Incline mon coeur vers tes enseignements, et non vers l’avarice;» (Ibid. 36) et de même Salomon : «Que le Seigneur incline vers lui nos coeurs, afin que nous marchions dans toutes ses voies, et que nous gardions ses commandements, ses cérémonies et ses jugements.» (3 Rois 8,58) — C’est la puissance de notre liberté que désigne le psalmiste, en disant : «Préserve ta langue du mal, et tes lèvres des paroles trompeuses;» (ps 33,14) mais nous attestons son infirmité dans cette prière : «Place, Seigneur, une garde à ma bouche, une sentinelle à la porte de mes lèvres.» (ps 140,3) — Le Seigneur déclare ce dont est capable notre volonté, lorsqu’il dit : «Détache les chaînes de ton cou, captive, fille de Sion» (Is 52,2); d’autre part, le prophète chante sa fragilité : «C’est le Seigneur qui délie les chaînes des captifs» (ps 145,7), et : «C’est toi qui as brisé mes chaînes; je t’offrirai un sacrifice d’action de grâces.» — Nous entendons le Seigneur nous appeler, dans l’Évangile, afin que, par un acte de notre libre arbitre, nous nous hâtions vers lui : «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai» (Mt 11,28); mais il proteste aussi de la faiblesse de l’humaine volonté, en disant : «Personne ne peut venir à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire.» (Jn 6,44) L’Apôtre révèle notre liberté dans ces paroles : «Courez de même, afin de remporter le prix» (1 Co 9,24) ; mais saint Jean le Baptiste atteste sa fragilité lorsqu’il dit : «L’homme ne peut rien prendre de lui-même, que ce qui lui a été donné du ciel.» (Jn 3,27) — Un prophète nous ordonne de garder notre âme avec sollicitude : «Prenez garde à vos âmes» (Jér 17,21), mais le même Esprit fait dire à un autre prophète : «Si le Seigneur ne garde la cité, celui qui la garde veille inutilement.» (ps 126,1) — L’Apôtre, écrivant aux Philippiens, leur dit, pour souligner leur liberté : «Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement» (Phil 2,12); mais il ajoute, pour leur en faire voir la faiblesse : «C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire, de par son bon plaisir» (Ibid. 13). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ne croyez pas davantage que ce soit par un seul mot de repentir : «J’ai péché contre le Seigneur» (2 Rois 12,13), et non pas plutôt par la miséricorde du Seigneur, que le roi David ait effacé deux crimes si graves, et mérité d’entendre du prophète Nathan : «Le Seigneur a éloigné de toi ton iniquité; tu ne mourras point» (Ibid.). Ajouter l’homicide à l’adultère : ce fut l’ouvrage de son libre arbitre. Il reçoit les reproches du prophète : c’est une grâce de la divine bonté. Il s’humilie et reconnaît son péché : voilà sa part, à lui. Il mérite en un court instant le pardon de si grands crimes : c’est le don de la miséricorde. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Cependant, après avoir attesté qu’il tient de la grâce la dignité apostolique — «C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis» (1 Co 15,10) le Maître des nations proclame aussi qu’il y a répondu : «Et sa grâce envers moi n’a pas été vaine ; mais j’ai travaillé plus qu’eux tous, non pas moi cependant, mais la grâce de Dieu avec moi» (Ibid.). En disant : «J’ai travaillé,» il marque l’effort de son libre arbitre. Lorsqu’il ajoute : «Non pas moi, mais la grâce de Dieu,» il montre la vertu de la protection divine. Par ces mots enfin : «Avec moi,» il déclare qu’elle a coopéré, non pas avec un oisif et un insouciant, mais avec quelqu’un qui a travaillé et pris de la peine. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Nous voyons une conduite analogue de la justice divine en Job, son athlète de choix, lorsque le diable le réclame pour un combat singulier. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Nous lisons que la divine justice a ménagé pareillement cette épreuve de la foi au plus magnifique des patriarches. «Et il arriva, après ces événements, que Dieu mit à l’épreuve Abraham.» (Gn 22,1) En effet, ce n’est pas la foi qu’il a lui-même inspirée que le Seigneur veut éprouver, mais celle qu’Abraham peut librement témoigner, dès lors qu’il a été appelé et éclairé d’en haut. Aussi sa constance est-elle ensuite à juste titre reconnue, lorsque la grâce lui revient, après l’abandon passager nécessaire pour l’épreuve : «Ne porte pas la main sur l’enfant, et ne lui fais aucun mal; je sais maintenant que tu crains le Seigneur, et que tu n’a pas épargné ton fils, ton unique, à cause de moi.» (Ibid. 12) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Tous ces faits confirment que la grâce divine excite le libre arbitre, mais ne le protège ni ne le défend, de manière qu’il n’ait plus à faire effort par lui-même, pour lutter contre ses ennemis spirituels. Vainqueur, l’homme reconnaîtra la grâce de Dieu; vaincu, sa faiblesse. Ainsi apprendra-t-il à ne pas compter sur sa propre force, mais toujours sur le secours divin, et à recourir sans cesse à son protecteur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ce n’est point là conjecture personnelle, mais un sentiment qui s’appuie des témoignages les plus évidents de la divine Écriture. Rappelons-nous ce qui se lit au livre de Josué : «Voici les peuples que le Seigneur laissa et ne voulut pas détruire, à dessein d’éprouver par eux Israël, pour voir s’il garderait les commandements du Seigneur son Dieu, et afin qu’il prît l’habitude de combattre» (Jud 3,1-2, et 2,22). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Mais quoi d’étonnant si l’on raconte de tels prodiges de la puissance du Seigneur, alors que la divine grâce en a opéré de semblables par l’entremise de ses serviteurs ? Pierre et Jean entraient dans le temple. Un boiteux de naissance, incapable de faire un pas, leur demande l’aumône. Mais eux, au lieu des viles pièces de monnaie qu’il sollicitait, lui accordent libéralement l’usage de ses jambes. Il espérait le soulagement de quelque pauvre obole; ils l’enrichissent avec le don précieux de la santé qu’il n’attendait pas : «Je n’ai ni argent ni or, dit Pierre; mais ce que jai, je te le donne : au nom de Jésus Christ de Nazareth, lève-toi et marche.» (Ac 3,6) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Considérant en esprit la libéralité multiforme qui se décèle en cette providence de Dieu, le bienheureux Apôtre se voit englouti comme dans un océan sans fond et sans rivages de la tendresse divine; et il s’écrie : «0 profondeur inépuisable de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies incompréhensibles ! Car qui a connu la pensée du Seigneur ?» (Rm 11,33-34). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La prophétie, que l’Apôtre nomme en troisième lieu, signifie l’anagogie, qui transporte le discours aux choses invisibles et futures comme dans ce passage : «Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez dans l’ignorance sur le sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne vous contristiez pas, comme fait le reste des hommes, qui n’a point d’espérance. Si, en effet, nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus ceux qui se sont endormis en Lui. Aussi, nous vous déclarons sur la parole du Seigneur que nous, les vivants, réservés pour le temps de l’avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui se sont endormis. Car le Seigneur Lui-même, au signal donné, à la voix de l’archange, au son de la trompette divine, descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord.» (1 Thes 4,12-15). C’est la figure de l’anagogie qui parait dans une exhortation de cette nature. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Recueillie avec empressement, soigneusement déposée dans les retraites de l’âme, munie du cachet du silence, il en sera de la doctrine comme de vins au parfum suave, qui réjouissent le coeur de l’homme. Ainsi que la vieillesse fait le vin, la sagesse, qui tient lieu à l’homme de cheveux blancs, et la longanimité de la patience la mûriront. Lorsqu’ensuite elle paraîtra sur vos lèvres, ce sera en exhalant des flots de senteurs embaumées. Il en sera d’elle encore comme d’une fontaine sans cesse jaillissante. Ses eaux bienfaisantes, multipliées par l’expérience et la pratique des vertus, iront se débordant; et du fond de votre coeur, d’où elle sourdra comme d’un secret abîme, elle se répandra en fleuves intarissables. Il arrivera de vous ce qui est dit dans les Proverbes à l’homme pour qui toutes ces choses sont devenues des réalités : «Bois l’eau de tes citernes et de la source de tes puits. Que les eaux de ta source débordent, que tes eaux se répandent sur tes places !» (Pro 5,15-16).Selon la parole du prophète Isaïe, «vous serez comme un jardin bien arrosé, comme une source d’eau qui jamais ne tarit. Les lieux déserts depuis des siècles seront par vous bâtis; vous relèverez les fondements posés de génération en génération; et l’on dira de vous : c’est le réparateur des haies, le restaurateur de la sûreté des chemins.» (Is 58,11-12). La béatitude promise par le même prophète vous sera donnée en partage : «Le Seigneur ne fera plus s’éloigner de toi ton maître, et tes yeux verront ton précepteur. Tes oreilles entendront la voix de celui qui t’avertira, criant derrière toi : Voici le chemin; marchez-y; ne vous en détournez ni à droite ni à gauche.» Et vous verrez cette merveille, que non seulement toute la direction de votre coeur et son étude, mais les écarts mêmes de vos pensées et leur vagabondage incertain ne seront plus qu’une sainte et incessante méditation de la loi divine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Aussi ne devons-nous jamais admirer pour leurs miracles ceux qui en font une prétention; mais plutôt considérer s’ils se sont rendus parfaits par la correction de leurs vices et l’amendement de leur vie. Ceci n’est pas un bienfait qui s’obtienne par la foi d’un autre ou pour des causes qui nous seraient étrangères; mais la grâce divine le dispense à chacun à proportion de son zèle. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Que la charité n’est pas seulement une chose divine, mais Dieu Lui-même. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Et nous-mêmes, n’apercevons-nous pas très clairement qu’elle est divine ? Car nous sentons en nous comme une réalité vivante ce que dit l’Apôtre : «L’amour de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l’Esprit saint qui habite en nous.» (Rom 5,5). Ce qui équivaut à dire : Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit saint qui habite en nous. Ignorants de ce que nous devons demander, c’est l’Esprit qui «prie pour nous par des gémissements ineffables; et Celui qui scrute les coeurs sait quel est le désir de l’Esprit, car il ne demande rien que selon Dieu pour les saints.» (Rom 8,26-27). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Alors, le bon vieillard, dont le mérite, autant que le nom, rappelait la vertu du grand patriarche : «Est-ce qu’il n’est pas possible, avec la grâce du Seigneur, de guérir les pensées des hommes ? Faites connaître les vôtres; comme prix de votre foi, la divine Clémence est assez puissante pour vous accorder le remède par le moyen de mes conseils.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Dès lors, il n’y a nul préjudice dans ce qui semble contrevenir à cette disposition, du moment que vous ne variez pas dans le but primordial que vous vous êtes proposé. Ce n’est pas abandonner l’ouvrage que de changer d’instrument; le choix d’une route, et plus courte, et plus directe, n’accuse point la paresse du voyageur. De même pour ce qui vous concerne. Si vous corrigez une disposition imprudemment concertée, on n’estimera point que ce soit là manquer à votre voeu. Tout ce qui se fait en vue de la charité divine et pour l’amour de la piété «qui a les promesses de la vie présente et de la vie future» (1 Tim 4,8) quelque apparence pénible et rebutante qu’il revête en ses commencements, ne mérite aucun reproche, mais, au contraire, l’éloge. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
C’est que Dieu n’examine et ne juge pas seulement nos paroles et nos actes; mais il considère aussi notre volonté et nos intentions. Nous voit-il faire ou promettre quelque chose pour notre salut éternel ou en vue de la contemplation divine : même si notre conduite revêt, aux yeux des hommes, des apparences de dureté et d’injustice, lui regarde aux sentiments de religion qui sont au fond de notre coeur, et nous juge, non d’après le son des mots, mais sur le voeu de notre volonté. La fin de l’acte, les dispositions de celui qui agit, voilà ce qui est à considérer. Par là, comme on l’a dit plus haut, l’un peut se justifier en mentant; et l’autre, tomber dans un péché qui le condamne à la mort éternelle, en disant la vérité. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Vous demandez encore : Où s’est-il fait comme s’il était lui-même sans loi, pour le salut de ceux qui ignoraient complètement la loi de Dieu ? — Lisez l’exorde de son discours d’Athènes, où régnait l’impiété païenne : «En passant, j’ai vu vos idoles, et un autel avec cette inscription : Au Dieu inconnu.» (Ac 17,23). Il prend son point de départ dans leur superstition. Comme, s’il était lui-même sans loi, c’est à l’occasion de cette inscription profane qu’il propose la foi du Christ : «Ce que vous adorez sans le connaître, je viens, vous l’annoncer.» (Ibid.) Peu après, comme s’il ignorait tout à fait la loi divine, il cite le vers d’un poète païen, plutôt que d’en appeler à la parole de Moïse ou à celle du Christ : «Ainsi que plusieurs de vos poètes l’ont dit : Nous sommes aussi de sa race.» (Ac 17,28). Il leur emprunte ces témoignages qu’ils ne peuvent récuser, pour les aborder; puis, il ajoute, se servant du faux pour établir le vrai : «Puisque nous sommes de la race de Dieu, nous ne devons point penser que la divinité soit semblable à l’or, à l’argent ou à la pierre, aux sculptures de l’art et du génie humain.» (Ibid. 29). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Pour les miracles et les prodiges qui s’accomplirent par ses mains à notre vue, la divine grâce rendant ainsi témoignage à ses mérites, j’ai cru devoir les passer sous silence afin de ne pas m’écarter de mon premier dessein ni franchir les limites qui conviennent à ce volume. Ce ne sont pas les merveilles divines dont j’ai promis le récit à la mémoire des hommes, mais, autant que mes souvenirs le permettraient, les institutions et les pratiques des saints; je n’ai voulu que donner des lumières pour la vie parfaite, et non point fournir un aliment à la vaine curiosité de mes lecteurs, sans profit pour la correction de leurs vices. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Du nombre de ces parfaits, comme les fleurs et les fruits d’une tige féconde, sortirent les saints anachorètes. Saint Paul et saint Antoine, que je viens de nommer, sont connus pour être les auteurs de cette profession. Ce ne fut pas, comme pour certains, la pusillanimité ni le vice de l’impatience, mais le désir d’un progrès plus sublime et le goût de la divine contemplation, qui leur firent gagner les secrets de la solitude; bien que, dit-on, le premier ait été contraint de fuir au désert par les embûches de ceux de sa parenté, en un temps de persécution. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Vint le jour où les frères en foule gagnèrent le désert. Ses solitudes, auparavant si vastes, se trouvèrent, pour ainsi dire, resserrées. Aussitôt le feu de la divine contemplation parut s’éteindre, et le souci des choses matérielles nous engagea dans des entraves sans nombre. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN
Au surplus, si l’on veut parvenir à une perpétuelle et ferme patience, il est un principe qu’il faut tenir avec une constance inébranlable. Nous n’avons pas le droit, nous à qui la loi divine interdit, non seulement de venger nos injures, mais encore de nous en souvenir, nous n’avons pas le droit de nous abandonner à la colère pour quelque tort ou contrariété que ce soit. Quel plus grave dommage peut-il advenir à l’âme, que d’être privée par l’aveuglement subit où son trouble la jette, de la clarté de la vraie et éternelle lumière, et de se retirer de la contemplation de Celui qui est «doux et humble de coeur »? (Mt 11,29) Qu’y a-t-il, je vous le demande, de plus pernicieux, qu’y a-t-il de plus laid que de voir un homme perdre le sentiment des bienséances, oublier les règles et les principes du juste discernement, et commettre, sain d’esprit et à jeun, ce qu’on ne lui pardonnerait pas en état d’ivresse et privé de sens ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN
Tout le temps, en effet, que dure la pénitence et que nous sentons le remords de nos actes vicieux, il faut que les larmes d’un humble aveu, tombant sur notre âme comme une pluie bienfaisante, y viennent éteindre le feu vengeur, allumé par notre conscience. Mais on est resté longtemps dans cette humilité de coeur et contrition d’esprit, adonné sans trêve au labeur et aux gémissements. Et voici que le souvenir du mal commis s’est assoupi; par une grâce de la divine miséricorde, l’épine du remords est arrachée des moelles de l’âme : c’est le signe certain que l’on est parvenu au terme de la satisfaction; on a gagné son pardon; toute souillure est lavée des fautes d’autrefois. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Au demeurant, nul autre chemin, pour atteindre à cet oubli, que l’abolition des tares et des passions de notre première vie, une parfaite et entière pureté de coeur. Qui néglige, par indolence ou mépris, de corriger ses vices, ne le connaîtra jamais. C’est la conquête privilégiée de celui qui, à force de gémissements, de soupirs et de sainte tristesse, aura réduit jusqu’à la moindre trace de ses souillures passées, et, du plus profond de son âme, criera en toute vérité vers le Seigneur : «J’ai fait connaître mon péché et je n’ai point couvert mon injustice»; (Ps 31,5) «Mes larmes sont ma nourriture jour nuit.» (Ps 41,4). Car voici la réponse qu’il méritera d’entendre : «Que ta voix cesse de gémir; et tes yeux, de pleurer : ton labeur aura sa récompense, dit le Seigneur.» (Jer 31,16). Et la Voix divine lui dira encore : «J’ai effacé comme une nuée tes iniquités, et tes péchés comme un nuage»; (Is 44,22) «C’est Moi, c’est Moi seul qui efface tes iniquités pour l’amour de Moi, et de tes péchés Je ne me souviendrai plus.» (Ibid. 43,25). Délivré «des liens de ses péchés, où chacun se trouve engagé»,(Pro 5,22) il chantera au Seigneur ce cantique d’actions de grâces : «Vous avez rompu mes liens, je vous offrirai un sacrifice de louange.» (Ps 115,16-17). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Ne cessez pas de les confesser, avec de continuelles supplications, à Celui dont ils ne sauraient éviter le regard; dites-Lui : «Je reconnais mon iniquité, et mon péché est constamment devant moi; c’est contre vous seul que j’ai péché, j’ai fait ce qui est mal à vos Yeux.» (Ps 50,5-6). Il nous guérit, Lui, en nous épargnant la honte de publier nos fautes; il pardonne nos péchés, sans nous les reprocher. Et après ce moyen de salut si aisé, si certain, la divine Bonté vous en accorde un autre, plus facile encore. Le remède qui secourt, elle le commet à votre libre volonté; nos propres sentiments sont la mesure du pardon de nos crimes, lorsque nous disons : «Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent.» (Mt 6,12). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Poussé par la grâce divine, il se mit énergiquement en devoir d’exécuter sa résolution, sans laisser s’attiédir par le moindre retard l’ardeur de ses désirs. Sur-le-champ, il se dépouille de ses biens, et vole au monastère. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
La divine Sagesse nous enseigne par l’Ecclésiaste qu’il est un temps pour tout, pour les choses heureuses, comme pour celles que nous réputons contraires et tristes : Il est un temps pour tout, pour toute chose sous le ciel : un temps pour naître, et un temps pour mourir; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté; un temps pour tuer, et un temps pour guérir; un temps pour détruire, et un temps pour bâtir; un temps pour pleurer, et un temps pour rire; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser; un temps pour jeter des pierres, et un temps pour les ramasser; un temps pour embrasser, et un temps pour s’abstenir d’embrasser; un temps pour acquérir, et un temps pour perdre; un temps pour garder, et un temps pour rejeter; un temps pour déchirer, et un temps pour coudre; un temps pour se taire, et un temps pour parler; un temps pour aimer, et un temps pour haïr; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix; et plus loin : Car il est un temps pour toute chose et pour toute oeuvre. (Ec 3,1-8). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Il importe donc de garder notre coeur constamment attentif et circonspect, en toute prudence et sagacité. Car quel malheur, si le jugement de notre discrétion venant à errer, nous nous laissions enflammer par le désir d’une abstinence inconsidérée ou séduire par l’amour d’une excessive douceur ! Ce serait peser nos forces sur une balance fausse. Eh bien, non ! Mettant sur un plateau la pureté de l’âme, sur l’autre notre vigueur corporelle, pesons-les selon le jugement véridique de la conscience, de manière à n’être entraînés ni d’une part ni de l’autre, par une affection prépondérante et vicieuse. Si nous inclinions la balance, ou vers une austérité sans mesure, ou vers un trop grand relâchement, il nous serait dit pour cet excès : Si vous avez bien offert et que vous n’ayez pas bien partagé, n’avez-vous point péché ? (Gen 7,7). Les sacrifices extorqués à notre pauvre estomac, au prix de convulsions violentes, nous avons beau les croire offerts à Dieu selon la droiture; Celui qui aime la miséricorde et la justice, (Ps 32,5) les exècre : Je suis le Seigneur, dit-il, qui aime la justice, et qui hais l’holocauste venant de rapine. (Is 46,8). Par ailleurs, ceux qui consacrent le principal de leurs offrandes, je veux dire de leur service et de leurs actes, à favoriser la chair et à satisfaire leurs propres besoins, ne réservant au Seigneur que des restes, une part insignifiante, la divine parole les condamne à leur tour comme des ouvriers infidèles : Maudit soit celui qui fait l’oeuvre de Dieu avec fraude. (Jer 48,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Beaucoup, même parmi les séculiers, cultivent avec une délicatesse infinie ce genre de dévotion. Levés devant le jour ou dès la prime aurore, ils ne s’embarrassent pas dans les soins de ce monde, avant d’accourir à l’église, pour consacrer en la divine présence les prémices de toutes leurs actions et de leurs travaux. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Reste enfin la troisième cause. Par une pratique régulière et vigilante de l’abstinence, par la contrition du coeur et du corps, nous souhaitons d’acquérir la perpétuelle pureté de chasteté. Mais, tandis que nous prenons un soin si méritoire du bien du corps et de l’esprit, la jalousie perfide de l’ennemi imagine cette tactique savante. Abattre notre confiance, et nous humilier comme par une faute véritable : tel est son but. Là-dessus, il choisit particulièrement les jours où nous désirons plaire davantage à la divine Présence par une intégrité plus parfaite, pour souiller notre corps, afin de nous détourner de la très sainte communion. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
GERMAIN. — La divine Providence a voulu l’examen de cette question. Il est un point, en effet, dont jamais nous n’avons pu être instruits, parce que la modestie nous ôtait la hardiesse d’interroger. Mais la conférence actuelle, l’ordre même des matières nous invitent aujourd’hui à parler librement. Si donc il nous arrive, dans le temps qu’il faut approcher des saints mystères, de souffrir une illusion fâcheuse, oserons-nous participer au pain trois fois sacré du salut, ou vaudra-t-il mieux s’abstenir ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Ils passent donc sans retard à la deuxième cause. N’y a-t-il pas là faute de l’esprit et excès dans le jeûne ? Il s’en trouve, en effet, je dis des plus austères, qui s’élèvent insensiblement de leur pureté corporelle. Mais, alors, c’est le vice de la superbe qui leur ménage une pénible déception, parce qu’ils ont cru obtenir par leurs forces humaines ce qui est un don très particulier de Dieu, la chasteté du corps. On interroge donc le frère. Se croirait-il capable d’une telle vertu par ses propres efforts, en sorte qu’il se puisse passer du Secours divin ? Mais lui d’abominer une idée si impie. Il affirme humblement qu’il n’eût pas conservé son corps pur, même les autres jours, si la Grâce divine ne l’avait aidé. Dès lors, il fallait se rabattre sur la troisième cause. Tout est clair : on est en face d’une secrète machination du diable. Assurés qu’il n’y a faute ni de l’esprit ni de la chair, les anciens décident hardiment que le frère doit prendre part au sacré banquet. Persévérer dans son abstention, serait donner dans le piège adroit que lui tend la malignité de l’ennemi, rester éloigné du Corps du Christ et de sa Sainteté, et se voir à jamais exclu, par cette ruse diabolique, d’un si puissant moyen de salut. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Autre chose est d’être saint, c’est-à-dire sacré au culte divin, appellation commune — l’Écriture, en témoigne —, aux hommes ainsi qu’aux lieux, aux vases, et ustensiles du Temple; autre chose, d’être sans péché. Ceci n’appartient qu’à la Majesté de notre Seigneur Jésus Christ, de qui l’Apôtre proclame comme un privilège extraordinaire : Il n’a point commis le péché (1 Pi 2,22). C’eût été en somme Lui attribuer, en guise de prérogative incomparable et divine, une gloire assez vulgaire et peu digne d’une si haute majesté, s’il nous était aussi donné de mener une vie pure de tout péché. L’Apôtre dit encore aux Hébreux : Nous n’avons pas un pontife qui ne puisse compatir à nos infirmités; mais il fut tenté de toutes manières, afin de nous être semblable, hormis le péché (Hé 4,15). Mais, s’il peut y avoir, entre notre bassesse terrestre et ce sublime et divin pontife, une telle communauté; si nous sommes également tentés, sans subir l’atteinte du péché : pourquoi l’Apôtre eût-il admiré chez lui ce privilège comme unique et singulier, et mis une telle différence entre son mérite et le reste des hommes ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Il a donc vu le fond de sa propre fragilité, de la fragilité humaine; et, saisi d’effroi devant cet incommensurable abîme, il cherche un refuge au port assuré du Secours divin. Désespérant, si je puis ainsi dire, de sa frêle embarcation, qu’il voit toujours près de sombrer sous le fardeau de la mortalité, il supplie Celui à qui rien n’est impossible, de le sauver du naufrage, et pousse ce cri pathétique : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Et la délivrance qu’il n’attendait plus de la faiblesse de la nature, il se la promet aussitôt de la Bonté divine : il poursuit, plein de confiance : La Grâce de Dieu, par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 7,19-25). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
La théorie, la contemplation de Dieu, voilà l’unique nécessaire dont le mérite surpasse tous les mérites des actions saintes, tous les efforts de la vertu. Assurément, les qualités que nous avons vu reluire chez l’apôtre Paul, étaient bonnes, étaient utiles, et plus encore, grandes et illustres. Mais l’étain, qui paraissait d’abord de quelque profit et beauté, s’avilit en regard de l’argent; toute la valeur de l’argent s’évanouit, si on le compare avec l’or, l’or lui-même est à mépris, comparé aux pierres précieuses; toute la beauté enfin des pierres précieuses pâlit devant l’éclat d’une seule perle. De même, tous les mérites de la sainteté, encore qu’ils ne soient pas bons et utiles seulement pour la vie présente, mais nous acquièrent aussi le bien de la vie éternelle, paraîtront vils et, si je puis dire, faits pour mettre à l’encan, au prix des mérites de la contemplation divine. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Que de choses, dans l’Évangile, sont qualifiées de bonnes ! Un bon arbre, un homme bon, un bon serviteur : Un bon arbre, est-il dit, ne peut porter de mauvais fruits (Mt 7,18); L’homme bon tire du bon trésor de son coeur des choses bonnes (Ibid., 12,35) C’est bien, bon et fidèle serviteur (Ibid., 25,21). Et il n’est certes pas douteux qu’il ne s’agisse, en tous ces cas, d’une bonté réelle. Néanmoins, le mot bon ne s’y pourra plus employer, si nous levons les yeux vers la bonté divine : Personne n’est bon que Dieu (Lc 18,19) dit le Seigneur. Au prix de lui, les apôtres eux-mêmes, qui surpassaient de tant de manières la bonté commune des hommes par le mérite de leur élection, sont déclarés mauvais. C’est à eux que s’adresse, en effet, ce discours du Seigneur : Si donc, méchants comme vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-Il les vrais biens à ceux qui les Lui demandent (Mt 7,11) ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Ensuite, de même que notre bonté se change en malice pour qui considère la Bonté céleste, de même notre justice, comparée à la Justice divine, est jugée semblable à un linge souillé : Comme un linge souillé sont toutes vos justices (Is 64,6), dit le prophète Isaïe. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Celui-ci délivre le malheureux de la main des plus forts, le pauvre et l’indigent de ceux qui le dépouillent (Ps 34,10); il brise la mâchoire des injustes et arrache la proie d’entre leurs dents (Jb 29,17). Tandis qu’il exerce son rôle de justicier, élèvera-t-il le regard d’une âme tranquille vers la Gloire de la divine Majesté ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
De qui pourra-t-on croire, fût-il de tous les justes et les saints le plus éminent, qu’il ait réussi, dans les liens de ce corps mortel, à posséder immuablement le bien souverain, ne s’écartant jamais de la contemplation divine, ne se laissant point distraire un instant, par les pensées terrestres, de Celui qui seul est bon ? Quelqu’un s’est-il rencontré, qui ne prit aucun souci de la nourriture, du vêtement ni des autres nécessités charnelles ? qui ne fût jamais préoccupé de la réception des frères, d’un changement de séjour, de la construction d’une cellule, jusqu’à désirer le secours des hommes, ou tomber, par un sentiment trop vif de sa détresse, sous le reproche du Seigneur : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez (Mt 6,25) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Aussi, voyez-le reconnaissant, d’une part, les fruits inappréciables qu’il fait dans la vie active ; de l’autre, pesant dans son coeur le bien de la théorie. Il met en quelque sorte sur un plateau de la balance le fruit de tant de labeurs, sur l’autre le délice de la contemplation divine. Puis, longtemps il s’efforce, dirait-on, d’amener à la rectitude parfaite son jugement intérieur. Car, d’un côté, le prix immense de ses travaux le réjouit; mais, de l’autre, le désir de l’unité et de l’inséparable société du Christ l’invite à quitter son corps. Enfin, dans son doute, il s’écrie : Que choisir ? Je l’ignore. Je me sens pressé des deux parts. J’ai le désir de voir se briser les liens de mon corps et d’être avec le Christ, ce qui est de beaucoup le meilleur; mais il est plus utile que je demeure dans la chair à cause de vous (Phil 1,22-24). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Donc, afin d’obtenir le bien souverain, qui consiste à jouir de la vue de Dieu et rester perpétuellement uni au Christ, il souhaite de voir se briser les liens de son corps. Caduc comme il est, et empêché par les mille nécessités qui naissent de sa fragilité, il est impossible, en effet, que notre corps mortel ne soit quelquefois séparé de la société du Christ ? Il n’est pas jusqu’à l’âme elle-même, distraite par tant de soins, entravée de tant d’inquiétudes diverses autant que fâcheuses qui ne soit incapable de jouir sans cesse de la contemplation de Dieu. Quelle application si persévérante, quelle vie si austère, qui ne soit de temps en temps sujette aux illusions de l’insidieux et rusé adversaire ? S’est-il trouvé personne, passionné du secret de la solitude et appliqué à fuir le commerce des mortels, au point de ne jamais glisser dans les pensées superflues, ni déchoir, ou par la vue des choses d’ici-bas, ou par le souci des occupations terrestres, de la contemplation divine, qui seule est bonne ? Qui put jamais garder si bien la ferveur de l’esprit, que la pente trop facile de ses pensées ne l’ait parfois emporté loin de sa prière, et soudain précipité du ciel sur la terre ? À qui d’entre nous n’est-il pas arrivé, pour ne rien dire des autres moments de divagation, d’être saisi d’une sorte de stupeur et de tomber d’une chute profonde, à l’heure même qu’il élevait au ciel son âme pleine de supplications ? Offense involontaire, je l’accorde; c’était pourtant offenser Dieu, par où l’on pensait obtenir son pardon. – Qui est tellement exercé et vigilant, qu’il ne se laisse en aucune façon distraire du sens de l’Écriture, tandis qu’il chante un psaume à Dieu ? tellement entré dans l’intimité divine, qu’il puisse se réjouir d’avoir accompli un seul jour le précepte de l’Apôtre, de prier sans cesse ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
En vérité, n’est-ce pas se rendre coupable, je ne dis pas seulement d’une faute légère, mais d’une impiété grave, si, tandis que l’on répand sa prière devant Dieu, on s’écarte de sa Présence, comme on ferait d’un aveugle et d’un sourd, pour suivre la vanité d’une folle pensée ? Mais ceux qui couvrent les yeux de leur coeur du voile épais des vices, et, selon la parole du Sauveur, en voyant ne voient pas, en entendant n’entendent ni ne comprennent (Mt 13,13), à peine aperçoivent-ils, dans les profondeurs de leur conscience, les péchés mortels : comment auraient-ils le pur regard qu’il faut pour discerner l’apparition insensible des pensées, ou les mouvements fugitifs et cachés de la concupiscence, qui blessent l’âme d’une pointe légère et subtile, ou les distractions qui les retiennent captifs ? Errant sur tous objets au gré d’une imagination sans retenue, ils n’ont pas l’idée de s’affliger, lorsqu’ils sont arrachés de la divine contemplation, qui est quelque chose d’infiniment simple. Mais quoi ? ils n’ont rien dont ils puissent déplorer la perte ! Ouvrant leur âme toute grande au flot envahissant des pensées, ils n’ont point, en effet, de but fixe auquel ils se tiennent sur toutes choses, et vers lequel ils fassent converger tous leurs désirs. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Au contraire, ceux qui mettent toute douceur, joie et béatitude dans la contemplation des choses divines et spirituelles. Si des pensées tyranniques les en arrachent sans leur aveu et seulement un instant, ils pensent avoir commis une sorte de sacrilège, qu’une pénitence immédiate vient aussitôt punir. Quelles larmes, pour avoir préféré à leur Créateur la vile créature qui a détourné le regard de leur âme ! Ils se taxent, je dirais presque d’impiété; et, encore que leur promptitude soit extrême à ramener vers la clarté de la Gloire divine les veux de leur coeur, les ténèbres, même fugitives, des pensées charnelles leur sont une chose insupportable, et ils ont en exécration tout ce qui retire leur esprit de cette vraie lumière. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
C’est ainsi que les saints mettent en mépris toute la substance de ce monde. Mais il est impossible qu’ils ne soient emportés jusqu’à elle, du moins par de brèves distractions; et nul parmi les hommes, notre Seigneur et Sauveur excepté, n’a pu contenir dans la contemplation divine la naturelle mobilité de son âme, au point de ne s’en laisser détacher et de ne pécher jamais par l’affection d’une chose créée. L’Écriture dit en effet : Les astres eux-mêmes ne sont pas purs devant Lui (Jb 25,5); et de nouveau : Il ne se fie pas à ses saints, et dans ses anges Il trouve des défauts, ou, selon une version plus exacte : Parmi ses saints eux-mêmes, nul n’est immuable, et les cieux ne sont pas purs devant sa Face (Ibid., 15,15). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Déchoir, par le poids victorieux des pensées terrestres, des hauteurs sublimes de la contemplation; passer, contre sa volonté, et qui plus est à son insu, sous la loi du péché et de la mort; se voir détourner de la divine Présence, pour ne rien dire des autres causes de distractions, par les oeuvres énumérées plus haut, bonnes et justes à la vérité, terrestres néanmoins : voilà donc qui est pour les saints d’une expérience quotidienne. Certes, ils ont sujet de pousser des gémissements continuels vers le Seigneur; ils ont sujet de se proclamer pécheurs, non pas seulement de bouche, mais aussi de coeur, avec les sentiments d’une vraie humilité et componction; ils ont sujet de répandre sans cesse de vraies larmes de pénitence, en implorant le pardon des fautes où les entraîne chaque jour la fragilité de la chair. Aussi bien, c’est pour jusqu’au dernier instant de leur vie qu’ils se voient la proie des agitations qui leur sont une perpétuelle et cuisante douleur, hors d’état d’offrir leurs supplications elles-mêmes sans mélange d’inquiétude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Conscients désormais de l’inanité des forces humaines, pour atteindre, malgré le fardeau de la chair, à la fin désirée, de leur impuissance à s’unir selon le désir de leur coeur au Bien incomparable et souverain; des distractions qui les mènent captifs vers les choses de ce monde, loin de la contemplation divine : ils recourent à la Grâce de Dieu, qui justifie les impies (Rm 4,5), et protestent avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par notre Seigneur Jésus Christ. Ils sentent, en effet, qu’ils ne peuvent accomplir le bien qu’ils veulent; mais qu’ils tombent sans cesse dans le mal qu’ils ne veulent pas, qu’ils détestent, je veux dire dans l’agitation des pensées ou le souci des choses temporelles. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Quoi donc ? À force de ruse et d’habileté, l’acheteur a-t-il donc ravi son domaine au vrai et légitime Seigneur ? Non pas. Une seule fourbe n’a pu lui livrer à fond le Trésor divin, au point que le Maître véritable perdit entièrement son droit de propriété. Ne se courbe-t-il pas lui-même, tout rebelle et fugitif qu’il soit, sous le joug de la servitude divine ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Par là, nous savons que le bien n’habite pas dans notre chair, je veux dire la constante et perpétuelle tranquillité de contemplation et de pureté dont nous nous sommes entretenus. Il s’est fait en nous un funeste et lamentable divorce. Par l’esprit, nous voudrions servir la Loi de Dieu et ne détourner jamais notre vue de la Clarté divine. Mais, environnés des ténèbres de la chair, une loi de péché nous arrache de force au bien que nous connaissons. Des cimes de l’esprit, nous tombons vers les soucis et les pensées terrestres, auxquels nous condamne justement la loi du péché, la Sentence divine portée contre le premier pécheur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
GERMAIN. – Selon nous, ces textes ne conviennent pas plus à ceux qui vivent dans les péchés mortels, qu’à l’Apôtre ou aux parfaits qui ont atteint sa mesure. Proprement, ils doivent s’entendre de ceux qui, après avoir reçu la Grâce divine et connu la Vérité, désirent s’abstenir des vices charnels, mais se voient entraînés vers leurs convoitises invétérées, par la force d’une habitude ancienne qui domine tyranniquement dans leurs membres, telle une loi de nature. L’habitude et la répétition du mal deviennent, en effet, comme une loi naturelle. Inhérente aux membres de la faible humanité, celle-ci captive et emporte au vice les inclinations de l’âme insuffisamment formée aux pratiques de la vertu et, si l’on peut ainsi dire, de chasteté novice encore et tendre. Elle la soumet, en vertu de l’antique condamnation, à la mort et au joug tyrannique du péché, ne lui permettant pas d’atteindre au bien de la pureté qu’elle aime, mais la contraignant plutôt de faire le mal qu’elle déteste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Avouons-le donc, ces paroles ne s’ajustent bien qu’à la personne de l’Apôtre et des saints. Journellement assujettis à la loi du péché, telle que nous l’avons définie, et non pas à celle qui consiste dans les fautes graves, gardent la confiance de leur salut. Ils ne sont point précipités dans le crime; mais, comme nous l’avons dit souvent, ils déchoient de la contemplation divine à la misère, des soucis temporels, incessamment frustrés du bien de la vraie béatitude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Combien ont-ils estimé la justice de l’homme infirme, imparfaite, toujours dans le besoin de la Miséricorde divine! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Oui, violents avec gloire, ceux qui font violence à leur perdition : L’homme, parmi les douleurs, travaille pour lui-même, et empêche de force sa propre perte (Prov 16,26). Notre perdition, c’est le plaisir de la vie présente, et, pour parler plus nettement, l’accomplissement de nos désirs et de nos volontés. Celui qui les éloigne de son âme et les mortifie, fait en vérité une glorieuse et utile violence à sa perdition, car il renonce à ce qu’il a de plus cher. Ce sont, aussi bien, nos volontés propres que la Parole divine accuse maintes fois par le ministère du prophète : Votre volonté propre se trouve au jour de votre jeûne (Is 58,3) et encore : Si tu t’abstiens de voyager le jour du sabbat, et de faire ta volonté au jour qui M’est consacré; si tu l’honores, en ne suivant point tes voies, en ne faisant pas ta volonté et en ne disant point de paroles vaines (Ibid., 13); puis, aussitôt elle joint la récompense promise à qui en agit de la sorte : Alors, tu trouveras tes délices dans le Seigneur, et je t’élèverai sur les hauteurs du pays, et je te donnerai, pour le nourrir, l’héritage de ton père Jacob. La bouche du Seigneur a parlé (Ibid., 14). Et c’est pourquoi notre Seigneur et Sauveur, pour nous donner l’exemple de ce renoncement à la volonté propre : Je ne suis pas venu, dit-Il, pour faire ma Volonté, mais la Volonté de Celui qui M’a envoyé (Jn 6,38) et de nouveau : Non pas comme Je veux, mais comme Tu veux (Mt 26,39). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM