En vérité, c’est tout autre chose d’avoir en haine la souillure des vices et de la chair, parce que l’on goûte le bien déjà présent, ou, de refréner les convoitises illicites en vue de la récompense future; de craindre un dommage actuel, ou de redouter des tourments à venir. C’est enfin une perfection beaucoup plus grande de ne vouloir pas s’éloigner du bien pour l’amour du bien lui-même, que de ne pas donner son consentement au mal par peur de souffrir un autre mal. Dans le premier cas, le bien est volontaire; dans le second, il paraît forcé, et arraché de haute lutte à un refus par la crainte du supplice ou l’appétit de la récompense. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Au surplus, que l’on ne s’imagine point maîtriser ou bannir le désir des choses présentes, si en la place de ces penchants mauvais, que l’on aspire à retrancher, l’on n’en fait succéder de bons. La force vitale de l’âme ne lui permet pas de rester sans quelque sentiment de désir ou de crainte, de joie ou de tristesse; il n’est que de la bien occuper. Nous voulons chasser de notre coeur les convoitises de la chair : livrons incontinent la place aux joies spirituelles. Prise à cet heureux filet, l’âme aura désormais où se fixer, et rejettera les séductions des joies présentes, des bonheurs qui passent. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Le dernier procédé, qui est aussi, à n’en pas douter, la mort de tous les vices, consiste à penser chaque jour que l’on peut jusqu’au soir émigrer de ce monde. Cette persuasion ne permettra pas qu’il séjourne dans notre coeur une ombre de tristesse; mais encore elle étouffera tous les mouvements des convoitises et des vices. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Quant à nous, pour être délivrés de toute illusion regrettable, il faut tendre de toute notre force : premièrement, à triompher du vice impur, afin que, selon la parole du bienheureux Apôtre, le péché ne règne plus dans notre corps mortel par notre obéissance à ses convoitises; deuxièmement, à calmer et endormir la puissance de la chair, de manière à ne pas livrer nos membres au péché, comme des instruments d’iniquité; troisièmement, à mortifier jusque dans les moelles, notre homme intérieur tout instinct de concupiscence, nous offrant à Dieu comme vivants, de morts que nous étions. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Au reste, comment ces expressions pourraient-elles s’accommoder à la personne des pécheurs : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais ? ou celles-ci : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché habite en moi ? Qui des pécheurs se souille contre sa volonté d’adultère ou d’impudicité ? Lequel tend malgré soi des embûches au prochain ? Lequel subit une contrainte inévitable, pour opprimer par le faux témoignage, pour duper et voler, pour convoiter les dépouilles ou répandre le sang d’autrui ? Au contraire, il est écrit : Le genre humain est passionnément appliqué au mal dès la jeunesse (Gen 8,21). Chez tous ceux que brûle la passion du vice, quel désir de satisfaire leurs convoitises ! Sollicitudes qui ne dorment jamais ! Ils guettent l’occasion favorable pour commettre le crime, tant ils craignent de jouir trop tard de l’assouvissement de leurs penchants emportés. Mais encore ils se font une gloire de leur ignominie et d’entasser les forfaits; selon la parole sévère de l’Apôtre, ils cherchent a s’acquérir une sorte d’honneur avec la honte (Phil 3,19). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
GERMAIN. – Selon nous, ces textes ne conviennent pas plus à ceux qui vivent dans les péchés mortels, qu’à l’Apôtre ou aux parfaits qui ont atteint sa mesure. Proprement, ils doivent s’entendre de ceux qui, après avoir reçu la Grâce divine et connu la Vérité, désirent s’abstenir des vices charnels, mais se voient entraînés vers leurs convoitises invétérées, par la force d’une habitude ancienne qui domine tyranniquement dans leurs membres, telle une loi de nature. L’habitude et la répétition du mal deviennent, en effet, comme une loi naturelle. Inhérente aux membres de la faible humanité, celle-ci captive et emporte au vice les inclinations de l’âme insuffisamment formée aux pratiques de la vertu et, si l’on peut ainsi dire, de chasteté novice encore et tendre. Elle la soumet, en vertu de l’antique condamnation, à la mort et au joug tyrannique du péché, ne lui permettant pas d’atteindre au bien de la pureté qu’elle aime, mais la contraignant plutôt de faire le mal qu’elle déteste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Enfin, si nous avons à coeur d’approfondir la question et de savoir plus exactement si l’impeccabilité est possible à la nature humaine, qui nous en instruira mieux que ceux qui ont crucifié leur chair avec ses vices et ses convoitises (Gal 5,24), et pour qui le monde est crucifié (Ibid., 6,14) véritablement ? Or, après avoir déraciné tous les vices de leur coeur; bien plus, alors qu’ils s’efforcent de bannir jusqu’à la pensée et au souvenir du péché : ils confessent tous les jours avec loyauté qu’ils ne peuvent rester sans la tache du péché, l’espace d’une heure seulement. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Quelle atteinte à son patrimoine fera souffrir celui qui, glorieux de son parfait dénuement, a rejeté volontairement pour le Christ toutes les pompes de ce monde, et regarde toutes ses convoitises comme de l’ordure, afin de gagner le Christ (cf. Phil 3,8); qui méprise et écarte de son coeur toute angoisse que lui pourrait donner la perte de ses biens, par la méditation continuelle qe ce précepte évangélique : Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme ? Ou qu’est-ce que l’homme donnera en échange de son âme ? (Mt 16,26). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM