Cassiano: confiance

parrhesia

La confiance au secours divin nous méritera ces dispositions, non la présomption que nous pourrions concevoir de nos propres efforts. L’âme qui, les possède sort de la condition servile, caractérisée par la crainte, et du désir mercenaire de l’espérance, qui s’attache à la récompense plus qu’à la bonté de Celui qui la donne, pour passer à l’adoption des fils, où la crainte ne se trouve plus, ni le désir, mais où règne à jamais la charité qui ne meurt pas. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Le bienheureux Jean avait conscience d’être arrivé à cet état, lorsqu’il disait : «La perfection de l’amour en nous, c’est que nous ayons une confiance assurée au jour du jugement, parce que tel est Jésus Christ, tels nous sommes aussi dans ce monde.» (1 Jn 4,17). Comment la nature humaine, faible et fragile comme elle est, peut-elle espérer d’être telle que le Seigneur, si ce n’est en étendant aux bons et aux méchants, aux justes et aux injustes, la charité toujours tranquille de son coeur, à l’imitation de Dieu, et en faisant le bien pour l’amour du bien lui-même ? Puisque ce sont justement ces dispositions qui la font parvenir à l’adoption véritable des fils de Dieu, de laquelle le même apôtre déclare : «Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui; et il ne peut pécher, parce qu’il est né de Dieu»; (Ibid. 3,9). «Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche point, mais la naissance qu’il a reçue de Dieu le conserve pur, et le Malin ne le touche pas.» (Ibid.; 5,18). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

C’est dans ce sens qu’il faut prendre mes paroles. Je n’entends pas dire que la considération des peines éternelles ou de la bienheureuse rétribution promise aux saints, ne soit de nulle valeur. Elle est utile, au contraire, puisqu’elle introduit ceux qui s’y donnent dans les premiers degrés de la béatitude. Mais la charité rayonne d’une confiance plus pleine et déjà de la joie sans fin. S’emparant d’eux à son tour, elle les fera passer de la crainte servile et de l’espérance mercenaire à la dilection de Dieu et à l’adoption des fils. Si l’on peut ainsi parler, de parfaits qu’ils étaient, elles les rendra plus parfaits encore. «Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père,» (Jn 14,2) dit le Sauveur. Tous les astres brillent au ciel; toutefois, entre l’éclat du soleil, de la lune, de Vénus et des autres étoiles, il y a bien de la distance. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Donc il y a dans la crainte deux degrés. Le premier se remarque chez les commençants, qui tremblent encore servilement sous le joug. C’est d’eux qu’il est dit : «Le serviteur craindra son maître;» (Mal 1,6) et, dans l’Évangile : «Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son, maître.» (Jn 15,14). Il est dit encore ailleurs, comme une suite de cet état : «L’esclave ne demeure pas toujours dans la maison; mais le fils y demeure toujours.» L’Écriture veut par là nous persuader de passer de la crainte du châtiment à la pleine liberté de la charité, et à la confiance qui est le propre des amis et des fils. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Or, nous voyons que beaucoup pour le Christ ont abdiqué leur fortune; et l’expérience témoigne qu’ils n’ont pas seulement renoncé à la possession de l’argent, mais qu’ils en ont encore retranché le désir de leur coeur. Ne devons-nous pas croire que l’on peut de la même manière éteindre le feu de la fornication ? L’Apôtre n’aurait pas joint le possible à l’impossible. S’il commande de mortifier pareillement l’un et l’autre vice, c’est qu’il savait la chose faisable pour tous deux. Il a tant de confiance que nous pouvons extirper de nos membres la fornication et l’impureté, que ce n’est pas assez, à ses yeux, de les mortifier; notre devoir va plus loin, jusqu’à ne pas même les nommer : «Que l’on n’entende pas seulement parler parmi vous, déclare-t-il, de fornication, ni de quelque impureté que ce soit, ni de convoitise. Qu’on n’y entende point de paroles déshonnêtes, ni de folles, ni de bouffonnes, toutes choses qui sont malséantes.» (Eph 5,3-4). Toutes choses aussi qui sont pareillement funestes et nous excluent au même titre du royaume de Dieu, comme il l’enseigne encore : «Sachez-le bien : nul fornicateur, nul impudique, nul homme adonné à l’avarice, ce qui est une idolâtrie, n’a d’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu»; (Ibid. 5) «Ne vous y trompez point : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu.» (1 Cor 6,9-10). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Celui qui parvient à se fonder dans cette foi, se gardera d’un sentiment d’orgueil qui lui persuaderait la confiance en sa propre vertu. Il ne se laissera pas davantage amollir, après une longue immunité, par une sécurité agréable, mais trompeuse. Il sait que l’humiliation ne tarderait pas, si Dieu retirait un instant sa protection. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

GERMAIN. — Une telle chasteté n’est plus une vertu humaine ou qui appartienne à la terre; elle semble plutôt le privilège du ciel, le don particulier des anges. Étonnés et confondus, nous nous sentons plus d’effroi et de découragement que d’ardeur à l’acquérir. Nous vous en prions, enseignez-nous de la manière la plus complète quelles observances nous y pourraient conduire, et en combien de temps, afin de nous donner la confiance qu’elle est chose possible, et que, d’avoir un délai précis, nous soyons animés à la poursuivre. Nous sommes bien près de la croire inaccessible à notre chair infirme, à moins que vous ne nous indiquiez sûrement la méthode et le chemin par où l’où y puisse parvenir. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Nous lisons qu’il épancha sa grâce avec la même surabondance lors de la guérison du paralytique. Celui-ci ne demandait que d’être délivré de la langueur qui avait énervé tous les ressorts de son pauvre corps; le Seigneur commence par lui donner la santé de l’âme : «Aie confiance, mon fils, tes péchés te sont remis» (Mt 9,2). Là-dessus, comme les Scribes ne voulaient pas croire qu’il pût remettre les péchés des hommes, pour confondre leur incrédulité, il rend encore, par la parole de sa puissance, la santé à ses membres paralysés : «Pourquoi pensez-vous le mal dans vos coeurs ? Lequel est le plus facile, de dire : Tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a, sur la terre, le pouvoir de remettre les péchés: Lève-toi, dit-il au paralytique, prends ton lit, et retourne à ta maison» (Ibid. 4-6). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Je sens que vous avez le zèle de la lecture. Conservez-le; et de toute votre ardeur, hâtez-vous de posséder au plus tôt la plénitude de la science pratique, c’est-à-dire morale. Sans elle, la pureté de la contemplation, dont nous parlions naguère, demeure hors de nos prises. Ceux-là seulement qui sont devenus parfaits, non certes par l’effet de la parole de leurs maîtres, mais par la vertu de leurs propres actions, l’obtiennent, pour ainsi dire, en récompense, après l’avoir payée de bien des oeuvres et des labeurs. Ce n’est pas dans la méditation de la loi qu’ils acquièrent l’intelligence, mais comme le fruit de leurs travaux. Ils chantent avec le psalmiste : «Par vos commandements m’est venue l’intelligence.» (Ps 118,104). Ils s’écrient, pleins de confiance, après avoir éliminé, toute passion : «Je chanterai des psaumes et j’aurai l’intelligence dans le chemin de l’innocence.» (Ps 100,1-2). Car celui-là comprend, tandis qu’il psalmodie, les paroles qu’il chante, qui marche dans les voies de l’innocence par le privilège d’un coeur pur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Les avis et la doctrine du bienheureux Joseph nous parurent un oracle de Dieu. Rassurés désormais, nous décidâmes de rester en Égypte. Cependant, bien que notre promesse nous donnât très lors peu de souci, nous ne laissâmes pas de l’accomplir, après sept ans écoulés. Nous fîmes alors un rapide voyage à notre monastère, et d’ailleurs avec la ferme confiance d’obtenir congé de retourner au désert. Cette visite nous permit d’abord de rendre à nos supérieurs l’honneur que nous leur devions. De plus, telle était l’ardeur de leur affection, que nos lettres d’excuse, si fréquentes qu’elles fussent, n’avaient pas réussi à calmer leurs esprits : nous eûmes le bonheur de voir refleurir la charité d’autrefois. Enfin, pleinement délivrés du scrupule que nous avait laissé notre engagement, nous reprîmes le chemin du désert de Scété; et eux-mêmes se firent une joie de nous accompagner. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH

Il s’éloigne à l’instant de l’église, moins abattit de son malheur que plein de confiance au jugement de Dieu; sans trêve il répand ses larmes et ses prières, triple ses jeûnes, et s’abaisse encore profondément à la face des hommes avec les sentiments de la vraie humilité. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Si cependant il m’arrive de proférer quelque parole qui paraisse déroger à l’humilité ou marquer une ouverture excessive, je vous prie de ne l’attribuer point à la jactance, mais au seul désir de vous édifier. Vous voudrez bien croire que, si j’estime ne devoir rien cacher de la vérité à des hommes qui la cherchent si ardemment, ce n’est pas orgueil, mais charité. Aussi bien, je pense que mes paroles pourront vous être de quelque instruction, si, mettant un peu l’humilité de côté, je vous découvre simplement et dans toute sa vérité le propos qui fut le mien. Ainsi, j’ai la confiance que ma franchise ne me vaudra pas de votre part la note de vanité, et je m’assure aussi que je n’encourrai pas le reproche de mensonge, pour avoir étouffé la vérité. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

GERMAIN. — Vous venez de faire la lumière sur une question fort obscure, et qui garde pour beaucoup, je pense, tout son mystère. Aidez-nous, je vous prie, à poursuivre nos progrès, en éclaircissant encore ce point : dans le temps même de nos plus grandes ardeurs a jeûner, nous sentons s’élever dans notre chair des combats plus violents; et souvent, à notre réveil, nous sommes si abattus de ce qui nous est arrivé, que, toute confiance nous abandonnant, nous n’osons même plus nous lever pour la prière. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Reste enfin la troisième cause. Par une pratique régulière et vigilante de l’abstinence, par la contrition du coeur et du corps, nous souhaitons d’acquérir la perpétuelle pureté de chasteté. Mais, tandis que nous prenons un soin si méritoire du bien du corps et de l’esprit, la jalousie perfide de l’ennemi imagine cette tactique savante. Abattre notre confiance, et nous humilier comme par une faute véritable : tel est son but. Là-dessus, il choisit particulièrement les jours où nous désirons plaire davantage à la divine Présence par une intégrité plus parfaite, pour souiller notre corps, afin de nous détourner de la très sainte communion. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Mais, si l’ennemi, dans sa malice,… prétexte, pour faire obstacle à notre sanctification, un effet purement naturel ou dont il a été lui-même la cause, sans qu’il y ait eu consentement de notre part, nous pouvons et devons approcher avec confiance de la grâce du pain de vie. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

C’est de lui et des saints qui lui ressemblent, que nous devons entendre ce que chante David : Le Seigneur affermit les pas de l’homme, et Il prend plaisir à sa voie. Si le juste tombe, il ne se brisera pas, parce que le Seigneur le soutient de sa Main (Ps 36,23-24). Celui dont les pas sont affermis par le Seigneur, peut-il ne pas être juste ? Et pourtant, c’est de lui qu’il est dit : S’il tombe, il ne se brisera pas. Que signifie : S’il tombe, sinon : S’il tombe en quelque péché ? Il ne se brisera pas, est-il dit. Qu’est-ce là ? Que les assauts du péché ne l’accableront pas longtemps. Sur l’heure, il peut bien paraître brisé; mais, relevé par le Secours divin, qu’il implore, sa promptitude à se remettre debout fait qu’il ne perd point l’immobile rectitude de la justice, ou du moins, s’il la perd un instant par la fragilité de la chair, la Main du Seigneur, en le soutenant, la lui rend. Un homme pourrait-il cesser d’être saint après sa chute, lorsque, reconnaissant qu’il ne saurait être justifié par la confiance en ses propres oeuvres, et persuadé que la seule Grâce du Seigneur le délivrera des innombrables liens du péché, il ne cesse de proclamer avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 24,25) ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Il a donc vu le fond de sa propre fragilité, de la fragilité humaine; et, saisi d’effroi devant cet incommensurable abîme, il cherche un refuge au port assuré du Secours divin. Désespérant, si je puis ainsi dire, de sa frêle embarcation, qu’il voit toujours près de sombrer sous le fardeau de la mortalité, il supplie Celui à qui rien n’est impossible, de le sauver du naufrage, et pousse ce cri pathétique : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Et la délivrance qu’il n’attendait plus de la faiblesse de la nature, il se la promet aussitôt de la Bonté divine : il poursuit, plein de confiance : La Grâce de Dieu, par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 7,19-25). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Quant au bienheureux Apôtre, parvenu comme il était, sans aucun doute, an plus haut sommet de la perfection, ces paroles ne sauraient lui convenir en aucune façon : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais; ni non plus ce qu’il ajoute immédiatement : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi; ni ceci : Je prends plaisir à la loi de Dieu selon l’homme intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Le moyen d’accommoder ces idées à la personne de l’Apôtre ? Quel est le bien qu’il n’a pas accompli ? Quel est, au contraire, le mal qu’il a commis malgré lui et malgré la haine qu’il en avait, par l’entraînement de la nature ? Sous quelle loi de péché ce vase d’élection, en qui le Christ parlait (cf. 2 Cor 13,3), a-t-il pu être mené captif ? Lui qui, après avoir captivé toute désobéissance et toute hauteur qui s’élève contre Dieu (Ibid. 10,5), disait de lui-même en toute confiance : J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi; maintenant, la couronne de justice m’est tenue en réserve, que me décernera en ce jour-là le Seigneur, le juste Juge (2 Tm 4,7-8). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Avouons-le donc, ces paroles ne s’ajustent bien qu’à la personne de l’Apôtre et des saints. Journellement assujettis à la loi du péché, telle que nous l’avons définie, et non pas à celle qui consiste dans les fautes graves, gardent la confiance de leur salut. Ils ne sont point précipités dans le crime; mais, comme nous l’avons dit souvent, ils déchoient de la contemplation divine à la misère, des soucis temporels, incessamment frustrés du bien de la vraie béatitude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Vous voyez comment tous les saints ont parlé, non pas tant dans la personne du peuple, qu’en leur propre nom, et comment ils s’avouent pécheurs véritablement. Mais en même temps, ils ne désespèrent aucunement de leur salut. La plénitude de la justice, que la fragilité humaine leur ôte la confiance d’obtenir par eux-mêmes, ils l’attendent de la Grâce du Seigneur et de sa grande pitié. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Je le compare à un homme qui voudrait élever et fermer dans les airs la voûte d’une abside. Celui-ci doit tracer toute sa circonférence d’après le centre, qui est un point extrêmement délicat, et calculer, en se guidant sur cette norme infaillible, l’exacte rotondité et le dessin de la construction. Qui tenterait de mener l’oeuvre à bien sans l’épreuve de ce point central, quelque confiance qu’il ait en son habileté ou en son génie, se mettrait dans l’impossibilité d’obtenir une forme régulière et sans défaut. Il ne pourrait non plus s’apercevoir, au seul regard, dans quelle mesure son erreur a nui à la beauté qui résulte d’une rondeur parfaite. Mais il lui faut, pour cela, se référer constamment a l’indice qui lui permet d’apprécier la justesse de ses mesures; et, selon la lumière qu’il reçoit de là, déterminer exactement le pourtour intérieur et extérieur de l’ouvrage. Un seul point sera le noeud d’une si imposante construction. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM