GERMAIN. — Ce que vous avez dit sur le parfait amour de Dieu est d’une éloquence puissante et magnifique. Une chose cependant, nous trouble beaucoup. Tandis que vous l’élevez si haut, vous déclarez imparfaites la crainte de Dieu et l’espérance de la rétribution éternelle. Or, le prophète semble avoir été, sur ce point, d’un sentiment tout autre : «Craignez le Seigneur, dit-il, vous tous, ses saints, parce que rien ne manque à ceux qui le craignent.» (Ps 33,10). Ailleurs, il avoue s’être exercé à l’observation des commandements de Dieu dans la vue de la récompense : «J’ai incliné mon coeur à observer vos commandements à cause de la récompense.» (Ps 117,112). L’Apôtre nous dit d’autre part : «C’est par la foi que Moïse, devenu grand, refusa d’être le fils de la fille du Pharaon, autant mieux être affligé avec le peuple de Dieu, que de jouir des délices passagères du péché, il considéra l’opprobre du Christ comme une richesse plus grande que les trésors de l’Égypte, car il avait les yeux fixés sur la récompense.» (Heb 11,24-26). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Se peut-il que l’espérance soit imparfaite, alors que le bienheureux David se glorifie d’avoir accompli les commandements divins en vue de la rétribution, et que le Législateur a méprisé, nous dit-on, l’adoption royale et préféré aux trésors de l’Égypte la plus cruelle affliction, parce qu’il portait ses regards vers les futures récompenses ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Il y a bien d’autres énigmes. On fait honneur au libre arbitre de toute l’oeuvre du salut : «Si vous le voulez, et m’écoutez, vous mangerez les biens de votre pays.» (Is 1,19) Puis, il est dit — «Ce n’est au pouvoir, ni de celui qui veut, ni de celui qui court; mais de Dieu, qui fait miséricorde.» (Rm 9,16) — Dieu «rendra à chacun selon ses oeuvres.» (Ibid. 2,6) Mais, «c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire, selon son bon plaisir;» (Phil 2,13) et nous lisons de même : «Cela ne vient pas de vous, mais c’est le don de Dieu; ce n’est pas le fruit de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie.» (Ép 2,8-9) — Il est dit d’une part : «Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous;» (Jac 4,8) et d’autre part : «Personne ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire.» (Jn 65,44) — «Conduis ta course par des chemins droits, est-il écrit, rends droites tes voies.» (Pro 4,26) Et nous disons dans nos prières — «Dirige mes pas devant ta face» (ps 5,9); «Affermis nos pas dans tes sentiers, afin qu’ils ne chancellent point.» (ps 16,5) — On nous donne cet avertissement : «Faites-vous un coeur nouveau et un esprit nouveau.» (Ez 18,31) Et l’on nous fait cette promesse : «Je leur donnerai un seul coeur, et je mettrai dans leur poitrine un esprit nouveau; et j’ôterai de leur chair leur coeur de pierre, et je leur donnerai un coeur de chair, afin qu’ils marchent selon mes commandements et qu’ils gardent mes lois.» (Ibid. 11,19-20) — Le Seigneur nous intime ce précepte : «Purifie ton coeur de toute malice, Jérusalem, afin que tu sois sauvée.» (Jér 4,14) Et voici que le prophète lui demande cela même qu’il nous ordonne : «Crée en moi, ô Dieu, un coeur pur» (ps 50,16); «Tu me laveras, et je serai plus blanc que la neige.» (Ibid. 9) — Il nous est dit «Allumez en vous la lumière de la science». (Puis, il est dit de Dieu : «Il enseigne à l’homme la science» (ps 93,10); «Le Seigneur donne la lumière aux aveugles.» (ps 145,8) Et nous-mêmes, nous demandons avec le prophète : «Donne la lumière à mes yeux, afin que je ne m’endorme jamais dans la mort.» (ps 12,4) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La divine Écriture confirme l’existence de notre libre arbitre : «Garde ton coeur, dit-elle, en toute circonspection.» (Pro 4,23) Mais l’Apôtre manifeste son infirmité. «Que le Seigneur garde vos coeurs et vos intelligences dans le Christ Jésus.» (Phil 4,7) — David énonce sa vertu, lorsqu’il dit : «J’ai incliné mon coeur à observer tes commandements;» (ps 118) mais il enseigne aussi sa faiblesse, lorsqu’il fait cette prière : «Incline mon coeur vers tes enseignements, et non vers l’avarice;» (Ibid. 36) et de même Salomon : «Que le Seigneur incline vers lui nos coeurs, afin que nous marchions dans toutes ses voies, et que nous gardions ses commandements, ses cérémonies et ses jugements.» (3 Rois 8,58) — C’est la puissance de notre liberté que désigne le psalmiste, en disant : «Préserve ta langue du mal, et tes lèvres des paroles trompeuses;» (ps 33,14) mais nous attestons son infirmité dans cette prière : «Place, Seigneur, une garde à ma bouche, une sentinelle à la porte de mes lèvres.» (ps 140,3) — Le Seigneur déclare ce dont est capable notre volonté, lorsqu’il dit : «Détache les chaînes de ton cou, captive, fille de Sion» (Is 52,2); d’autre part, le prophète chante sa fragilité : «C’est le Seigneur qui délie les chaînes des captifs» (ps 145,7), et : «C’est toi qui as brisé mes chaînes; je t’offrirai un sacrifice d’action de grâces.» — Nous entendons le Seigneur nous appeler, dans l’Évangile, afin que, par un acte de notre libre arbitre, nous nous hâtions vers lui : «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai» (Mt 11,28); mais il proteste aussi de la faiblesse de l’humaine volonté, en disant : «Personne ne peut venir à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire.» (Jn 6,44) L’Apôtre révèle notre liberté dans ces paroles : «Courez de même, afin de remporter le prix» (1 Co 9,24) ; mais saint Jean le Baptiste atteste sa fragilité lorsqu’il dit : «L’homme ne peut rien prendre de lui-même, que ce qui lui a été donné du ciel.» (Jn 3,27) — Un prophète nous ordonne de garder notre âme avec sollicitude : «Prenez garde à vos âmes» (Jér 17,21), mais le même Esprit fait dire à un autre prophète : «Si le Seigneur ne garde la cité, celui qui la garde veille inutilement.» (ps 126,1) — L’Apôtre, écrivant aux Philippiens, leur dit, pour souligner leur liberté : «Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement» (Phil 2,12); mais il ajoute, pour leur en faire voir la faiblesse : «C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire, de par son bon plaisir» (Ibid. 13). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Si nous attribuons à notre libre arbitre la gloire de nous conduire à la vertu parfaite et l’accomplissement des commandements de Dieu, comment pouvons-nous demander : «Affermis, ô Dieu, ce que tu as accompli en nous !» (ps 57,29); «Dirigez pour nous les oeuvres de nos mains !» (ps 89,17) ? — Balaam est payé pour maudire Israël, et nous voyons qu’il ne lui fut pas permis de remplir son désir. (cf. Nb 22,5 et ss.) — Dieu garde Abimélech, de peur qu’il ne touche Rebecca, et ne pèche contre lui (cf. Gn 20,6). — La jalousie de ses frères fait emmener Joseph au loin (cf. Ibid. 37, 28), pour ménager la descente des fils d’Israël en Égypte; ils méditaient un fratricide, et le secours va leur être préparé pour les jours de famine. C’est ce que Joseph lui-même leur découvre, après avoir été reconnu par eux : «N’ayez point peur, et ne vous affligez pas de m’avoir vendu, pour être conduit dans ce pays. C’est pour votre salut que Dieu m’a envoyé devant vous» (Gn 45,5); et un peu après : «Dieu m’a envoyé devant vous, afin que vous soyez gardés sur la terre, et que vous ayez de la nourriture pour vivre. Ce n’est point par votre conseil, mais par la volonté de Dieu que j’ai été envoyé. Il m’a fait comme le père du Pharaon, le seigneur de toute sa maison et le prince de toute la terre d’Égypte» (Ibid. 7,8). Et comme, après la mort de leur père, ils étaient en proie à la terreur, pour leur ôter tout soupçon de crainte, il leur dit : «N’ayez point peur. Est-ce que nous pouvons résister à la volonté de Dieu ? Vous avez médité de me faire du mal; mais Dieu l’a changé en bien, pour m’exalter, comme vous le voyez présentement, afin de sauver des peuples nombreux» (Ibid. 50,19-20). Pareillement, le bienheureux David déclare, dans le psaume 104, que toutes ces choses arrivaient par une conduite spéciale de Dieu : «Il appela la famine sur le pays, et il les priva de tout le pain qui les soutenait. Il envoya devant eux un homme; Joseph fut vendu comme esclave» (ps 104,16-17). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ce n’est point là conjecture personnelle, mais un sentiment qui s’appuie des témoignages les plus évidents de la divine Écriture. Rappelons-nous ce qui se lit au livre de Josué : «Voici les peuples que le Seigneur laissa et ne voulut pas détruire, à dessein d’éprouver par eux Israël, pour voir s’il garderait les commandements du Seigneur son Dieu, et afin qu’il prît l’habitude de combattre» (Jud 3,1-2, et 2,22). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Je sens que vous avez le zèle de la lecture. Conservez-le; et de toute votre ardeur, hâtez-vous de posséder au plus tôt la plénitude de la science pratique, c’est-à-dire morale. Sans elle, la pureté de la contemplation, dont nous parlions naguère, demeure hors de nos prises. Ceux-là seulement qui sont devenus parfaits, non certes par l’effet de la parole de leurs maîtres, mais par la vertu de leurs propres actions, l’obtiennent, pour ainsi dire, en récompense, après l’avoir payée de bien des oeuvres et des labeurs. Ce n’est pas dans la méditation de la loi qu’ils acquièrent l’intelligence, mais comme le fruit de leurs travaux. Ils chantent avec le psalmiste : «Par vos commandements m’est venue l’intelligence.» (Ps 118,104). Ils s’écrient, pleins de confiance, après avoir éliminé, toute passion : «Je chanterai des psaumes et j’aurai l’intelligence dans le chemin de l’innocence.» (Ps 100,1-2). Car celui-là comprend, tandis qu’il psalmodie, les paroles qu’il chante, qui marche dans les voies de l’innocence par le privilège d’un coeur pur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Soyez donc en tout «prompt à écouter, lent à parler,» (Jac 1,19) de peur que la remarque de Salomon ne se vérifie à votre sujet. «Si tu vois un homme prompt en paroles, sache qu’il y a plus d’espérance dans l’insensé qu’en lui.» (Pro 28,20). N’ayez point la présomption d’enseigner rien à personne, que vous ne l’ayez d’abord pratiqué vous-même. C’est l’ordre que notre Seigneur nous apprend à suivre par son exemple : «Il faisait, puis il enseignait.» (Ac 1,1). Prenez garde, en vous précipitant à enseigner avant d’avoir pratiqué, d’être mis au nombre de ceux dont le Seigneur déclare à ses disciples, dans l’Évangile : «Observez et faites ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font. Ils lient des fardeaux pesants et impossibles à porter, et les mettent sur les épaules des hommes; mais ils ne veulent pas les remuer du bout du doigt.» (Mt 23,3-4). «Celui qui viole l’un des moindres commandements et se mêle d’enseigner les hommes, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux.» (Mt 5,19). Mais alors, que serait-il fait de celui qui ose enseigner les préceptes nombreux et graves qu’il néglige ? Ce n’est plus assez de dire qu’il est le dernier dans le royaume des cieux; il gagne la première place au supplice de la géhenne. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
C’est ainsi que l’Évangile nous ordonne de faire réparation à nos frères courroucés même pour une inimitié passée, sans profondeur au surplus et née de causes futiles. Nous cependant, devant des colères toutes fraîches, et bien autrement sérieuses, et dues à notre faute, nous affectons obstinément de ne pas voir ! Que sera-t-il fait de nous, malheureux ? Enflés d’une superbe diabolique et rougissant de nous humilier, nous ne voulons pas reconnaître que nous soyons les auteurs de la tristesse de notre frère. Notre esprit rebelle dédaigne de se soumettre aux préceptes du Seigneur. Nous prétendons qu’il n’est aucunement obligatoire de les prendre en considération, ni possible de les accomplir. Mais, en jugeant impraticables ou peu séants les commandements qu’il nous a faits, nous nous rendons, selon le mot de l’apôtre, «non pas les observateurs, mais les juges de la loi.» (Jac 4,11). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Question : Comment, obéissant aux commandements du Christ, peuvent-ils être frustrés de la perfection évangélique ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Que notre coeur se dilate donc et s’ouvre largement ! Resserré par l’étroitesse de la pusillanimité, le bouillonnement tumultueux de la colère le remplirait. Puis, nous n’aurions point de place, dans un coeur étroit, pour le commandement divin, qui est infini, selon le prophète; nous ne pourrions non plus redire après celui-ci : «J’ai couru dans la voie de vos commandements, parce que vous dilatiez mon coeur.» (Ps 118,32). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
GERMAIN — Si l’on s’en tient à la doctrine que vous venez d’exposer avec tant d’éloquence, le moine ne doit s’engager à rien, de peur d’être trouvé infidèle ou entêté. Où trouverons-nous dès lors à appliquer la parole du psaume : «J’ai juré, j’ai résolu de garder les commandements de ta justice» ? Qu’est-ce que jurer et se résoudre, sinon demeurer immuablement fidèle à ses engagements ? Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
JOSEPH — Je n’entends point parler ici des commandements principaux, sans lesquels le salut est impossible; mais de ceux que nous pouvons, sans péril pour notre état, négliger ou garder : telles la rigueur continue du jeûne, l’abstinence perpétuelle de vin ou d’huile, la pratique de ne jamais sortir de notre cellule, la lecture et la méditation incessantes. Ce sont là, en effet, des exercices que l’on peut observer à son gré, ou laisser de côté, si besoin est, sans que notre profession ait à en souffrir, ni notre idéal de vie. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Quant à l’observance des commandements principaux, il faut des résolutions très constantes, jusqu’à ne pas reculer devant la mort même, s’il est nécessaire; et c’est à leur sujet qu’il convient de dire : «J’ai juré, j’ai résolu.» Tel est en particulier notre devoir, lorsqu’il s’agit de la charité. Il faut que tout nous soit à mépris pour elle, pour qu’elle demeure immaculée dans sa tranquillité et dans sa perfection. Mêmes serments pour la pure chasteté; même conduite aussi pour ce qui est de la foi, de la sobriété, de la justice. Ces vertus doivent être gardées avec une persévérance qui jamais ne se démente. S’en éloigner, si peu que ce soit, est damnable. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Abraham, David et les autres saints ont dépassé les commandements de la Loi. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Ainsi Élisée, avec les autres qui ont imité sa vie, dépassa les commandements de Moïse. C’est d’eux que l’Apôtre dit : Ils ont erré deçà et delà, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, dénués de tout, persécutés, maltraités eux dont le monde n’était pas digne; ils menèrent une vie vagabonde par les déserts et les montagnes, dans les cavernes et dans les antres de la terre. (Heb 11,37-38). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Ceux qui vivent sous la grâce de l’Évangile doivent dépasser les commandements de la Loi. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Lors donc que nous offrons à Dieu la dîme de nos biens, nous demeurons en, quelque sorte sous le joug de la Loi; nous ne sommes pas encore parvenus à la sublime perfection de l’Évangile, qui n’accorde pas seulement à ses fidèles les bienfaits de la vie présente, mais les gratifie encore des récompenses à venir. Pour la Loi, en effet, ce n’est pas le prix du royaume des cieux qu’elle promet en retour à ceux qui l’observeront, mais les consolations de cette vie. Celui qui accomplira ces commandements, dit-elle, y trouvera la vie. (Lev 18,5). Mais le Seigneur à ses disciples : Heureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux est à eux; (Mt 5,3) et : Quiconque laisse maison, ou frères, ou soeurs, ou père, ou mère, ou femme ou enfants, ou champs à cause de mon Nom, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. (Ibid. 19,29). Et c’est justice : il y a moins de gloire à s’abstenir des choses défendues, qu’à renoncer encore aux choses licites, et à n’en point user, par révérence pour Celui qui a permis cette latitude à notre infirmité. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Cette facilité des préceptes anciens, c’est le ton impérieux du Législateur qui l’atteste. Ne va-t-il pas jusqu’à menacer de la malédiction ceux qui ne les rempliraient pas ? Maudit, s’écrie-t-il, celui qui ne sera pas demeuré dans tout ce qui est écrit au livre de la Loi, de manière à le mettre en pratique. (Dt 27,26). Maintenant, au contraire, telle est la sublimité, telle est l’excellence des commandements, qu’il nous est dit seulement : Que celui qui peut comprendre, comprenne ! (Mt 19,22). L’énergique sommation du Législateur marquait autrefois l’humilité des ordonnances : J’en prends à témoin contre vous aujourd’hui le ciel et la terre, dit-il : si vous ne gardez pas les commandements de votre Seigneur, vous périrez et disparaîtrez de la face du pays. (Dt 4,26). La magnificence et sublimité des commandements nouveaux se marque par un conditionnel, qui tient moins d’un ordre que d’une exhortation : Si tu veux être parfait, va, (Mt 19,21) fais ceci ou cela. Moïse impose, même aux récalcitrants, un fardeau si léger, qu’il ne laisse pas d’excuse; saint Paul donne un conseil, et seulement à ceux qui veulent, et se hâtent vers la perfection. (cf. 1 Cor 7,25). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
À ce discours, le bienheureux Théonas se sentit brûler d’un désir inextinguible de la perfection évangélique; la semence de la parole était tombée dans son coeur comme dans une terre féconde, ameublie par de profonds labours. Ceci l’humiliait surtout et le touchait : non seulement, au dire du vieillard, il n’avait pas encore atteint la perfection de l’Évangile, mais à peine avait-il satisfait aux commandements de la Loi. Sans doute, il avait accoutumé de remettre tous les ans, pour les offices de la charité, la dîme de ses biens. Mais il n’avait jamais entendu seulement parler des prémices; et c’était pour lui un sujet de larmes. Au reste, eut-il été fidèle sur ce point, comme sur le premier, il avouait humblement qu’il serait resté fort loin encore de la perfection, selon que le vieillard l’avait déclaré. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Cependant nous n’avons parlé jusqu’ici que d’une seule manière d’éviter les faux Jonas et les mesures doubles, dans les affaires de la conscience et le secret jugement du coeur. En voici un autre. Il ne faut pas, tandis que, nous nous lâchons la bride avec une indulgence excessive, pour adoucir les exigences de l’austérité régulière, il ne faut pas, dis-je, accabler ceux à qui nous prèdions la parole de Dieu, sous des commandements plus sévères et des fardeaux plus lourds que ceux que nous pouvons nous-mêmes porter. Lorsque nous agissons de la sorte, que faisons-nous, que peser et mesurer avec un double poids et une mesure double les denrées et les récoltes du Seigneur ? Si nous dosons les préceptes d’une manière pour nous, et d’une autre pour nos frères, Dieu nous reproche justement d’avoir des balances trompeuses et des mesures doubles, selon cette sentence de Salomon : C’est une abomination devant le Seigneur que le double poids, et la balance trompeuse n’est pas chose bonne devant lui. (Pro 23) Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Quiconque a su gravir ces sommets de la perfection évangélique, se trouve élevé, par le mérite de si grandes vertus, au-dessus de toute la Loi. Tous les commandements portés par Moïse lui semblent désormais petits et mesquins; et il a conscience de n’être petits sujet que de la grâce du Sauveur, dont le secours, il le voit, l’a fait parvenir à un état si sublime. Le péché ne domine plus en lui. La charité de Dieu, répandue dans nos coeurs par l’Esprit saint qui nous a été donné, (Rom 5,5) exclut, en effet, toute autre affection; elle est aussi incapable de convoiter ce qui est défendu, que de mépriser ce qui est commandé, elle dont l’étude et tout le désir sont dans le divin amour, et ne se posent même pas sur les choses permises, bien loin qu’ils se laissent prendre aux basses voluptés. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Autre chose : le dessein du Seigneur, en faisant sien, par la grâce de l’adoption, quiconque le reçoit, n’est pas de détruire, mais de couronner, ni d’abolir, mais de parfaire les ordonnances de Moïse. C’est ce que plusieurs ignorent tout à fait. Négligeant d’une part les magnifiques exhortations du Christ, ils ne laissent pas de s’abandonner d’ailleurs à une liberté présomptueuse. Les préceptes du Christ sont ardus : ils ne les effleureront pas du bout des doigts. Mais les commandements que la Loi de Moïse faisait aux Juifs, comme à des débutants et des enfants, sont vieillis : et de les mépriser. Liberté coupable, qui équivaut à cette déclaration, maudite par Apôtre : Nous avons péché, parce que nous ne sommes plus sous la Loi, mais sous la grâce. (Rom 6,15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Or, n’être pas sous la grâce, parce qu’on n’a pas su gravir les cimes de la doctrine du Seigneur; ni sous la Loi, parce qu’on refuse d’embrasser les commandements mêmes, si faciles, de la Loi : c’est subir deux fois la tyrannie du péché; c’est croire qu’on n’a reçu la grâce du Christ, qu’afin de se séparer de lui par une liberté funeste; c’est tomber dans l’abîme contre lequel nous prévenait l’apôtre Pierre : Agissez comme des hommes libres, et non en hommes qui se font de la liberté un manteau à couvrir leur malice. (1 Pi 2,16). Et le bienheureux apôtre Paul dit de même : Pour vous, mes frères, vous avez été appelés à la liberté, ce qui signifie : à l’affranchissement de la tyrannie du péché; seulement, ne faites pas de cette liberté un prétexte, pour vivre selon la chair, (Gal 5,13) c’est-à-dire : Ne croyez pas qu’échapper aux préceptes de la Loi, c’est ouvrir la carrière aux vices. La vraie liberté ne se trouve que là où demeure le Seigneur; c’est encore l’apôtre Paul qui nous l’enseigne : Le Seigneur, c’est l’Esprit; où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. (2 Cor 3,17). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Quels sont ces fils et ces filles, à qui les premiers sont préférés, jusqu’à recevoir une place et un nom meilleurs, sinon les saints de l’Ancien Testament, qui, vivant dans le mariage méritèrent cependant l’adoption des fils par l’observation des commandements ? Mais quel est ce nom promis d’autre part pour insigne et suprême récompense, si ce n’est celui du Christ, que nous devions porter un jour ? Nom, duquel le même prophète dit ailleurs : Il appellera ses serviteurs d’un autre nom, en lequel celui qui doit être béni sur la terre, sera béni par le Dieu de Vérité, et celui qui doit être béni sur la terre, jurera par le Dieu de Vérité. (Is 65,15-16). Il dit encore : Et l’on t’appellera d’un nom nouveau que la Bouche du Seigneur dictera (Ibid., 62,2). En outre, pour cette pureté de coeur et de corps, les fidèles du Christ goûteront la béatitude souveraine et singulière de chanter le cantique que nul des saints ne peut chanter, sinon ceux qui suivent l’Agneau partout où il va, car ils sont vierges et ils ne se sont pas souillés avec des femmes. (Apoc 14,4). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Il enseigne à ses disciples la formule de la prière parfaite : or, parmi les autres commandements, si sublimes et si augustes, lesquels ne sauraient convenir aux méchants ni aux infidèles, puisque aussi bien ils ne sont donnés qu’aux saints et aux parfaits, il ordonne d’insérer cette demande : Remets-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent (Mt 6,12). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS