Cassiano: circonspection

La divine Écriture confirme l’existence de notre libre arbitre : «Garde ton coeur, dit-elle, en toute circonspection.» (Pro 4,23) Mais l’Apôtre manifeste son infirmité. «Que le Seigneur garde vos coeurs et vos intelligences dans le Christ Jésus.» (Phil 4,7) — David énonce sa vertu, lorsqu’il dit : «J’ai incliné mon coeur à observer tes commandements;» (ps 118) mais il enseigne aussi sa faiblesse, lorsqu’il fait cette prière : «Incline mon coeur vers tes enseignements, et non vers l’avarice;» (Ibid. 36) et de même Salomon : «Que le Seigneur incline vers lui nos coeurs, afin que nous marchions dans toutes ses voies, et que nous gardions ses commandements, ses cérémonies et ses jugements.» (3 Rois 8,58) — C’est la puissance de notre liberté que désigne le psalmiste, en disant : «Préserve ta langue du mal, et tes lèvres des paroles trompeuses;» (ps 33,14) mais nous attestons son infirmité dans cette prière : «Place, Seigneur, une garde à ma bouche, une sentinelle à la porte de mes lèvres.» (ps 140,3) — Le Seigneur déclare ce dont est capable notre volonté, lorsqu’il dit : «Détache les chaînes de ton cou, captive, fille de Sion» (Is 52,2); d’autre part, le prophète chante sa fragilité : «C’est le Seigneur qui délie les chaînes des captifs» (ps 145,7), et : «C’est toi qui as brisé mes chaînes; je t’offrirai un sacrifice d’action de grâces.» — Nous entendons le Seigneur nous appeler, dans l’Évangile, afin que, par un acte de notre libre arbitre, nous nous hâtions vers lui : «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai» (Mt 11,28); mais il proteste aussi de la faiblesse de l’humaine volonté, en disant : «Personne ne peut venir à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire.» (Jn 6,44) L’Apôtre révèle notre liberté dans ces paroles : «Courez de même, afin de remporter le prix» (1 Co 9,24) ; mais saint Jean le Baptiste atteste sa fragilité lorsqu’il dit : «L’homme ne peut rien prendre de lui-même, que ce qui lui a été donné du ciel.» (Jn 3,27) — Un prophète nous ordonne de garder notre âme avec sollicitude : «Prenez garde à vos âmes» (Jér 17,21), mais le même Esprit fait dire à un autre prophète : «Si le Seigneur ne garde la cité, celui qui la garde veille inutilement.» (ps 126,1) — L’Apôtre, écrivant aux Philippiens, leur dit, pour souligner leur liberté : «Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement» (Phil 2,12); mais il ajoute, pour leur en faire voir la faiblesse : «C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire, de par son bon plaisir» (Ibid. 13). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Par conséquent, lorsqu’il s’agit de pratiques auxquelles nous voyons un mode et un temps déterminés, et dont l’observance sanctifie, sans pourtant qu’il y ait faute à les omettre : manifestement, elles sont de soi indifférentes. Ainsi, le mariage, l’agriculture, les richesses la retraite au désert, les veilles, la lecture et la méditation des livres sacrés, le jeûne enfin, qui fut l’occasion de ce discours. Ce sont là des buts pour notre activité, que ni les préceptes divins ni l’autorité des saintes Écritures ne nous ordonnent de poursuivre avec une telle continuité, que ce soit un crime de prendre quelque relâche. Tout ce qui fait l’objet d’un commandement proprement dit, nous mérite la mort, s’il n’est observé; mais ce qui est plutôt conseillé qu’ordonné, procure des avantages, si on le fait, sans attirer de châtiment, si on l’omet. Aussi nos pères nous ont-ils recommandé de ne nous livrer à toutes ces pratiques, à certaines du moins, qu’avec prudence et circonspection, tenant compte du pourquoi, du lieu, du mode, du temps. C’est qu’en effet tout va à souhait, si elles viennent opportunément; mais embrassées mal à propos, elles sont nuisibles autant que déplacées. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Voulons-nous accomplir efficacement tout le sens du susdit verset ? Armons-nous de prudence, de soin, d’industrieuse vigilance, pour défendre le premier éveil de nos pensées matinales, de peur que la jalousie de l’ennemi, prompte à s’en emparer, n’y porte quelque flétrissure, et ne fasse rejeter nos prémices par le Seigneur, comme viles désormais et banales. S’il n’est prévenu par la plus délicate circonspection, il se gardera lui-même de quitter ses criminelles manoeuvres, et c’est journellement qu’il nous préviendra de ses ruses. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

THÉONAS. — Certes, nous devons apporter tout le soin qui est en nous à garder immaculée la pureté de notre chasteté, alors surtout que nous souhaitons d’approcher des saints autels. Quelle vigilance, quelle circonspection, quelles précautions, infinies ne seront pas de saison, pour que l’intégrité de notre chair, indemne jusque-là, ne nous soit pas ravie la nuit même où nous nous préparons à la communion du divin banquet ! Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Je connais un frère qui jouissait d’une chasteté constante de coeur et de corps, après l’avoir méritée à force de circonspection et d’humilité; mais, toutes les fois qu’il se préparait à la communion du Seigneur, il avait à déplorer un fait de ce genre. Longtemps, la frayeur le retint de participer aux sacrés mystères. À la fin, il va soumettre la question aux anciens, s’assurant de trouver dans leur conseil secourable un remède à ces attaques bien qu’à sa douleur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Puis, quelle circonspection évitera, dans la mêlée de ce inonde, que les traits du mal ne nous atteignent, au moins par intervalles, au moins d’une blessure légère ? C’est chose impossible de ne pécher point, par ignorance, négligence ou surprise, par pensée, par impulsion, par oubli. Un homme s’est élevé sur de telles cimes de vertu, qu’il peut, sans jactance, s’écrier avec l’Apôtre : Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous ou par un tribunal humain; je ne me juge pas moi-même, car ma conscience ne me reproche rien (1 Cor 4,3-4). Soit ! Cet homme doit savoir pourtant qu’il ne saurait être sans péché. Ce n’est pas en vain que le grand docteur ajoute : Mais je ne suis pas justifié pour cela (Ibid., 4). C’est-à-dire : Si moi je me crois juste, je ne posséderai pas du même coup la gloire de la vraie justice; ou : De ce que le remords de ma conscience ne me reprend d’aucune faute, il ne suit pas que je sois net de toute souillure; il est bien des choses qui échappent à ma conscience, mais, inconnues et cachées pour moi, elle sont connues et manifestes pour Dieu. Aussi, continue-t-il : Mon juge, c’est le Seigneur (Ibid.). C’est-à-dire : Celui-là seul qui pénètre le secret des coeurs, porte sur moi un jugement véritable. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE