Il paraît évidemment par là que le remède le plus efficace pour le coeur humain, c’est la patience, selon le mot de Salomon : «L’homme doux est le médecin du coeur.» (Pro 14,30). Ce n’est pas seulement la colère, la paresse, la vaine gloire ou la superbe qu’elle extirpe, mais encore la volupté, et tous les vices à la fois : «La longanimité, dit encore Salomon, fait la prospérité des rois.» (Ibid. 25,15). Celui qui est toujours doux et tranquille, ni ne s’enflamme de colère, ni ne se consume dans les angoisses de l’ennui et de la tristesse, ni ne se disperse dans les futiles recherches de la vaine gloire, ni ne s’élève dans l’enflure de la superbe : «Il y a une paix surabondante pour ceux qui aiment le nom du Seigneur, et rien ne leur est une occasion de chute.» (Ps 118,165). En vérité, le Sage a bien raison de dire : «L’homme patient vaut mieux que le soldat vaillant; celui qui maîtrise sa colère, que l’homme qui prend une ville.» (Pro 16,32). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Il ne faut pas croire que Dieu ait fait l’homme tel qu’il ne veuille ni ne puisse jamais faire le bien. Ou l’on ne pourra plus dire qu’il lui ait accordé le libre arbitre, s’il lui a seulement donné de vouloir et de pouvoir le mal, non de vouloir ni de pouvoir par lui-même le bien. Puis, comment cette parole du Seigneur après la chute du premier homme demeurera-t-elle vraie : «Voici qu’Adam est devenu comme l’un d’entre nous, sachant le bien et le mal» (Gn 3,22) ? Que signifie-t-elle, en effet ? D’abord, ne pensez pas que l’homme, dans l’état qui précéda la chute, ait ignoré totalement le bien. Autrement, il faudrait avouer qu’il à été créé comme un animal privé de sens et de raison, ce qui est passablement absurde et tout à fait incompatible avec la foi catholique. Que dis-je ? Selon la parole du sage Salomon,, «Dieu a créé l’homme droit» (Eccl 7,29), c’est-à-dire pour jouir uniquement et sans cesse de la science du bien; mais «les hommes eux-mêmes se sont embarrassés dans une multitude de pensées,» ils sont devenus, comme il a été dit, sachant le bien et le mal. Adam obtint donc, après sa prévarication, la science du mal, qu’il n’avait pas; mais il n’a pas perdu la science du bien qu’il avait reçue. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Cherchons dans les choses humaines une comparaison pour l’incomparable clémence de notre Créateur; non que nous prétendions y trouver quelque égalité de tendresse, mais du moins une certaine ressemblance dans la bonté. Je suppose une mère pleine d’amour et de soin. Elle porte longtemps son petit enfant dans ses bras, jusqu’à ce qu’enfin elle lui apprenne à marcher. Et d’abord, elle le laisse ramper. Puis, elle le dresse, et le soutient de la main, pour qu’il se serve de ses jambes. Bientôt, elle l’abandonne un instant; mais le voit-elle chanceler, vite elle le prend, soutient ses pas hésitants, le relève s’il est tombé, ou le retient dans sa chute, ou bien, au contraire, le laisse tomber doucement, pour le relever ensuite. Cependant, il est devenu un jeune garçon; le voilà bientôt dans toute la force de l’adolescence et de la jeunesse. Elle lui fait alors porter des charges ou lui enjoint des travaux qui l’exercent sans l’accabler, elle le laisse lutter avec ses compagnons. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Tantôt il inspire le commencement du salut et met en chacun l’ardeur de la bonne volonté; tantôt il donne de passer aux actes et de parvenir à la consommation des vertus. Il nous sauve d’une ruine prochaine, d’une chute rapide, à notre insu et sans notre aveu; il ménage les occasions de salut et les circonstances favorables ; il empêche les efforts les plus violents et les plus emportés d’aboutir, les desseins de mort de se réaliser. Les uns courent vers lui d’un volontaire élan : il les accueille. Les autres lui résistent : il les tire malgré eux, et les amène de force à la bonne volonté. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La troisième sorte de guérisons est un jeu et une ruse des démons. Un homme est engagé dans des crimes manifestes, mais on admire ses miracles, et on le croit serviteur de Dieu : c’est pour les esprits malins le moyen de persuader aux autres d’imiter jusqu’à ses vices. De plus, la porte est ouverte à la critique, et la sainteté de la religion elle-même discréditée. À tout le moins peuvent-ils s’attendre que celui qui se croit ainsi le don de guérison, le coeur enflé de superbe, tombera d’une chute plus terrible. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Ainsi donc, n’arrêtons pas notre pensée sur la ruine du solitaire qui tomba, dans ce désert fameux, d’une si lugubre chute, ni sur une infamie que du reste il sut remarquablement effacer par la suite dans les larmes de la pénitence. Mais aimons à considérer plutôt l’exemple du bienheureux Paphnuce. Au lieu de trouver un sujet de scandale dans le péché du premier, chez qui un zèle mal tourné pour la religion vint ajouter au vice antique de la jalousie, imitons de toutes nos forces l’humilité du second. Celle-ci ne fut pas un fruit spontané du désert; mais, acquise parmi la société des hommes, elle se développa et parvint à son achèvement dans la solitude. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
C’est qu’il y a un abîme entre la chute du saint et celle du pécheur. Autre chose est de commettre un péché morte]; autre chose, de se laisser surprendre par une pensée, qui n’est pourtant point sans péché, de choper par ignorance, par oubli, par des paroles inutiles, si vite échappées, d’éprouver une ombre d’hésitation dans le regard intérieur de la foi, de s’épanouir sous la subtile caresse de la vanité, de retomber pour un moment des plus hautes cimes de la perfection par le poids de la nature. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Et lorsque la crainte des persécuteurs, prêts à fondre sur lui, le pousse à renier son Maître par trois fois, peut-on nier qu’il n’ait fait une chute évidente ? Cependant, le repentir suit immédiatement la faute; ses larmes très amères lavent la souillure d’un si grand crime; il ne perd pas la couronne de la sainteté et de la justice. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
C’est de lui et des saints qui lui ressemblent, que nous devons entendre ce que chante David : Le Seigneur affermit les pas de l’homme, et Il prend plaisir à sa voie. Si le juste tombe, il ne se brisera pas, parce que le Seigneur le soutient de sa Main (Ps 36,23-24). Celui dont les pas sont affermis par le Seigneur, peut-il ne pas être juste ? Et pourtant, c’est de lui qu’il est dit : S’il tombe, il ne se brisera pas. Que signifie : S’il tombe, sinon : S’il tombe en quelque péché ? Il ne se brisera pas, est-il dit. Qu’est-ce là ? Que les assauts du péché ne l’accableront pas longtemps. Sur l’heure, il peut bien paraître brisé; mais, relevé par le Secours divin, qu’il implore, sa promptitude à se remettre debout fait qu’il ne perd point l’immobile rectitude de la justice, ou du moins, s’il la perd un instant par la fragilité de la chair, la Main du Seigneur, en le soutenant, la lui rend. Un homme pourrait-il cesser d’être saint après sa chute, lorsque, reconnaissant qu’il ne saurait être justifié par la confiance en ses propres oeuvres, et persuadé que la seule Grâce du Seigneur le délivrera des innombrables liens du péché, il ne cesse de proclamer avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 24,25) ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Donc, afin d’obtenir le bien souverain, qui consiste à jouir de la vue de Dieu et rester perpétuellement uni au Christ, il souhaite de voir se briser les liens de son corps. Caduc comme il est, et empêché par les mille nécessités qui naissent de sa fragilité, il est impossible, en effet, que notre corps mortel ne soit quelquefois séparé de la société du Christ ? Il n’est pas jusqu’à l’âme elle-même, distraite par tant de soins, entravée de tant d’inquiétudes diverses autant que fâcheuses qui ne soit incapable de jouir sans cesse de la contemplation de Dieu. Quelle application si persévérante, quelle vie si austère, qui ne soit de temps en temps sujette aux illusions de l’insidieux et rusé adversaire ? S’est-il trouvé personne, passionné du secret de la solitude et appliqué à fuir le commerce des mortels, au point de ne jamais glisser dans les pensées superflues, ni déchoir, ou par la vue des choses d’ici-bas, ou par le souci des occupations terrestres, de la contemplation divine, qui seule est bonne ? Qui put jamais garder si bien la ferveur de l’esprit, que la pente trop facile de ses pensées ne l’ait parfois emporté loin de sa prière, et soudain précipité du ciel sur la terre ? À qui d’entre nous n’est-il pas arrivé, pour ne rien dire des autres moments de divagation, d’être saisi d’une sorte de stupeur et de tomber d’une chute profonde, à l’heure même qu’il élevait au ciel son âme pleine de supplications ? Offense involontaire, je l’accorde; c’était pourtant offenser Dieu, par où l’on pensait obtenir son pardon. – Qui est tellement exercé et vigilant, qu’il ne se laisse en aucune façon distraire du sens de l’Écriture, tandis qu’il chante un psaume à Dieu ? tellement entré dans l’intimité divine, qu’il puisse se réjouir d’avoir accompli un seul jour le précepte de l’Apôtre, de prier sans cesse ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
C’est en cette manière que Balaam conclut avec certitude à la possibilité de surprendre le peuple de Dieu. Connaissant le faible des enfants d’Israël, il conseilla de leur tendre de ce côté le piège où ils se prendraient. Il ne douta pas de leur chute immédiate, si on leur offrait une occasion de luxure, parce qu’il savait que c’était la partie concupiscible de leur âme qui souffrait la corruption (cf. Nb 31,16; 25,1-2). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM