Aux solitaires, vos soins et vos labeurs ont déjà procuré un immense avantage. Occupés des mêmes exercices que les anciens ont pratiqués, ils se trouvent ainsi préparés à embrasser plus facilement leurs préceptes et leurs enseignements. Mais que dis-je ? ce sont les auteurs mêmes des conférences qu’ils recevront dans leurs cellules avec ces volumes, pour jouir en quelque sorte de leur entretien chaque jour, leur faire des questions et écouter leurs réponses. Les Conférences: PRÉFACE DE CASSIEN
Il existe en Égypte un usage que les habitants ont adopté par suite des inondations du Nil. Durant une partie notable de l’année, le pays, recouvert sur toute son étendue par le débordement régulier des eaux, ressemble a une mer immense, et l’on ne peut plus y voyager qu’en barque. En conséquence, les morts, après avoir été embaumés des aromates les plus forts, sont déposés dans de petites cellules plus élevées que le reste du sol. Car la terre, continuellement saturée d’eau, ne permet pas qu’on lui confie les corps; si on la creuse, pour y déposer quelque cadavre, la force de l’inondation est telle, qu’elle le fait remonter à la surface. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Ainsi se forma, des disciples qui s’étaient retirés de la contagion du grand nombre, une observance particulière. Peu à peu, le progrès du temps les constitua en catégorie séparée des autres fidèles. Comme ils s’abstenaient du mariage, et se tenaient à l’écart de leurs parents et de la vie du siècle, on les appela moines ou a raison de celle vie solitaire et sans famille. Puis, les communautés qu’ils formaient leur firent donner le nom de cénobites, et à leurs cellules et logis, celui de maisons de cénobites. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Mais, soit qu’ils n’apportent au service de leur ambition qu’une âme pusillanime, dans une entreprise qui exige une force peu commune, soit que la seule nécessité les ait contraints à la profession monastique, ils se montrent aussi empressés à se parer du nom de moine, que peu disposés à en imiter la vie. Ils n’ont cure de la discipline cénobitique, ni de s’assujettir à l’autorité des anciens, ou d’apprendre d’eux à vaincre leurs volontés; nulle formation régulière, point de règle dictée par une sage discrétion. Mais c’est pour le public seulement qu’ils renoncent et à la face des hommes. Ou ils restent dans leurs demeures particulières, et, couverts par le privilège d’un nom glorieux, s’embarrassent des mêmes soins que devant. Ou bien ils se construisent des cellules, les décorent du nom de monastères, mais pour y vivre selon leur guise et en complète liberté. L’Évangile commande : Ne vous laissez prendre, ni par le souci du pain quotidien, ni par les embarras d’une fortune. Mais ils ne consentent point à courber la tête sous ce joug. Ceux-là seulement rempliront le précepte, sans les hésitations d’une âme infidèle, qui se dégagent entièrement des biens de ce monde, puis se soumettent aux supérieurs des communautés cénobitiques, jusqu’à faire profession de ne s’appartenir plus soi-même. Tels ne sont pas les sarabaïtes. Fuyant, comme on l’a dit, l’austérité cénobitique, ils habitent à deux ou trois dans des cellules. Leur moindre désir est d’être gouvernés par les soins et l’autorité d’un abbé. Bien au contraire, ils font leur principale affaire de rester libres du joug des anciens, afin de garder toute licence d’accomplir leurs caprices, de sortir, d’errer où il leur plaît, de faire ce qui les flatte. Chose curieuse, il arrive même qu’ils travaillent plus que les cénobites; mal contents d’y passer le jour, ils y donnent encore la nuit. Mais non pas dans les mêmes pensées de foi ni avec le même but. Ce qu’ils en font, n’est point du tout pour abandonner le fruit de leur travail à la libre disposition d’un économe, mais pour gagner de l’argent et le mettre en réserve. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
À leurs débuts dans le monastère, leur ferveur faisait accroire qu’ils recherchaient vraiment la perfection de la discipline cénobitique. Mais elle fut courte; et tout aussitôt, ils sont tombés dans la tiédeur. Retrancher leurs habitudes et leurs vices d’autrefois, ils ne le veulent à aucun prix. Ne pouvant prendre sur soi de soutenir plus longtemps le joug de l’humilité et de la patience, et dédaignant de se soumettre au commandement des anciens, ils gagnent des cellules séparées, dans le désir d’y vivre solitaires, afin que, n’étant plus exercés par personne, les hommes puissent les estimer patients, doux et humbles. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Mais c’est assez parlé sur le sexe faible. Un tel récit n’est pas de nature à nous édifier seulement; il devrait nous confondre, nous qui ne pouvons soutenir notre patience, à moins de rester au fond de nos cellules, comme des fauves dans leur cage. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Cependant, le délateur insistait : «Que tous les frères demeurent à l’église; et qu’on en choisisse quelques-uns, pour aller fouiller les cellules une par une.» Isidore commet l’affaire à trois anciens. Ceux-ci tournent et retournent partout les couchettes. Ils viennent enfin à la cellule de Paphnuce, et trouvent le manuscrit caché parmi les tresses de palmier, tout comme le traître l’avait placé. En hâte, ils le rapportent à l’église, et le produisent à tous les regards. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
C’est encore tomber évidemment dans le péché du poids trompeur et de la double mesure, que de faire parade à la vue de nos frères, par un désir de gloire humaine, des pratiques plus austères auxquelles nous avons coutume de nous livrer dans nos cellules : en effet, c’est vouloir paraître plus abstinents et plus saints aux yeux des hommes, que nous ne le sommes aux yeux de Dieu. Or, il n’est point de vice qu’il faille davantage, je ne dis pas éviter, mais abominer. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Nos anciens ont témoigné fréquemment de la coutume suivante chez la nation ennemie des démons. Durant ces jours, ils redoublent leurs attaques contre l’espèce des moines, et les poussent avec plus d’impétuosité à quitter leurs cellules, pour passer en d’autres lieux. De même que les Égyptiens opprimaient jadis les enfants d’Israël sous de violentes afflictions, ces Égyptiens spirituels s’efforcent de courber sous un dur et boueux travail le véritable Israël, le peuple spirituel des moines. Ils voudraient nous empêcher d’abandonner, par une tranquillité agréable à Dieu, la terre d’Égypte, et de passer au désert des vertus, où réside le salut. Le Pharaon frémit de colère contre nous, et s’écrie : Ils sont oisifs, et c’est pourquoi ils vocifèrent, disant : Allons, et sacrifions au Seigneur, notre Dieu. Qu’on les charge de travail, qu’ils soient tout occupés à la besogne, et qu’ils ne prêtent plus l’oreille à des paroles vaines ! (Ex 5,8-9). Vains eux-mêmes, les démons représentent comme la suprême vanité le sacrifice saint du Seigneur, qui ne s’offre que dans le désert d’un coeur libre, car la religion est une abomination au pécheur. (Ec 1,24) Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Nous pouvions encore placer nos cellules sur les bords du Nil, et avoir l’eau à notre porte. Nous nous serions évité la peine de la porter sur nos épaules l’espace de quatre milles. Mais la parole du bienheureux Apôtre nous anime à toute heure, et nous rend infatigables a soutenir ce labeur : Chacun recevra sa propre récompense, selon son travail (1 Co 3,8). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
La solitude qui les sépare de toutes villes et habitations humaines, est plus vaste que pour Scété; c’est à peine si sept ou huit jours de marche au travers d’un désert sans fin les conduisent à la retraite où sont cachées leurs cellules. Cependant, ils s’adonnent à l’agriculture, au lieu de rester enfermés. Aussi, lorsqu’ils viennent, soit en ces contrées affreuses où nous vivons, soit à Scété, c’est une effervescence de pensées, une anxiété telles, que, semblables à de nouveaux venus qui n’auraient jamais le moins du monde goûté des exercices de la solitude, ils ne peuvent supporter le séjour de la cellule ni les silences du repos. Ils en sortent aussitôt, pour tomber en proie à un trouble profond, tels des novices sans expérience. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM