Interdits d’émotion, nous tournions ce problème en tous sens, lorsque le bienheureux Cheremon, sortant de sa cellule, s’aperçut de nos chuchotements. Il célébra plus brièvement que de coutume les psaumes et les oraisons, puis nous demanda ce qui nous troublait. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ici l’abbé Nesteros acheva son exposé de la vraie doctrine sur la manière dont se font les miracles. Tout en poursuivant son enseignement, il nous avait accompagnés jusqu’à la cellule de l’abbé Joseph, éloignée de la sienne d’environ six milles. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
La conférence était finie, et l’heure venue du silence de la nuit. Le saint abbé Joseph nous conduisit à une cellule séparée, afin d’y prendre notre repos. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
JOSEPH — Je n’entends point parler ici des commandements principaux, sans lesquels le salut est impossible; mais de ceux que nous pouvons, sans péril pour notre état, négliger ou garder : telles la rigueur continue du jeûne, l’abstinence perpétuelle de vin ou d’huile, la pratique de ne jamais sortir de notre cellule, la lecture et la méditation incessantes. Ce sont là, en effet, des exercices que l’on peut observer à son gré, ou laisser de côté, si besoin est, sans que notre profession ait à en souffrir, ni notre idéal de vie. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Nous en avons connu plus d’un, venus de vos régions jusqu’en ce désert, qui parcouraient les monastères des frères à seule fin d’apprendre. Mais il n’entrait aucunement dans leur pensée d’embrasser les règles et les coutumes qui faisaient pourtant tout l’objet de leur voyage, ni de se retirer dans quelque cellule, pour tâcher de mettre en pratique ce qu’ils avaient vu ou entendu. Retenant leurs anciennes modes et les usages où ils avaient été appris, on eut sujet de croire, comme certains leur en font le reproche, qu’ils n’avaient changé de province, qu’en vu d’éviter la gêne et la pauvreté, et non pas avec la volonté de progresser. Loin d’acquérir quelque instruction, leur opiniâtreté fut cause qu’ils ne purent demeurer longtemps. Dès là, en effet, qu’ils ne consentaient à aucun changement, soit dans l’observance des jeûnes, soit pour l’ordre de la psalmodie ou le vêtement lui-même, que pouvait-on penser, sinon qu’ils ne poursuivaient d’autre but, en venant chez nous, que d’y trouver les moyens de subsister ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Mais cette profession noUvelle, ou plutôt cette tiédeur ne permet jamais à ceux qu’elle a une fois infectés, de parvenir à la perfection. Ce n’est pas assez dire, que leurs vices ne se corrigent point; ils empirent, du seul fait que personne ne les excite. Tel un poison intérieur s’insinue d’autant plus profondément dans les tissus, qu’il est plus caché, et finit par engendrer un mal inguérissable. Par révérence pour la cellule du solitaire, on n’ose accuser des vices que lui-même a mieux aimé ignorer, plutôt que de les guérir. Cependant, la vertu ne s’acquiert pas en dissimulant le vice, mais en le surmontant. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Le repas terminé, l’abbé Sarapion profite de l’habituelle conférence, pour lui faire une monition pleine de bénignité et de douceur. «Il ne devrait pas courir ainsi de tous côtés, oisif et vagabond, toujours inconstant, jamais stable; surtout jeune comme il est, et si robuste. Qu’il se tienne dans sa cellule, selon la règle donnée par les anciens, et s’applique à vivre de son travail, plutôt que de la munificence d’autrui. L’apôtre Paul s’est bien gardé de tomber, dans son travers. Ouvrier de l’évangile, il eût pu réclamer l’hospitalité comme une dette. Cependant, il aimait mieux travailler jour et nuit, afin de gagner pour lui-même et pour ceux qui, l’aidant en son ministère, n’avaient pas le loisir d’exercer un métier, le pain quotidien.» Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
GERMAIN. — Nous voudrions savoir comment s’acquiert et se conserve la tranquillité dont vous parlez. Nous commander le silence, tenir nos lèvres closes et réprimer toute licence de paroles : c’est bien. Mais il faudrait garder aussi la douceur du coeur. Or parfois, alors même que l’on parvient il refréner sa langue, on perd au-dedans sa paix. Et voilà pourquoi il nous paraît impossible de conserver le bien de la mansuétude, à moins de vivre solitaire dans une cellule écartée. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
PIAMUN. — La vraie patience et tranquillité ne s’acquiert et ne se garde que par une profonde humilité de coeur. La vertu qui découle de cette source, n’a nul besoin du secours d’une cellule ni du refuge de la solitude. Pourquoi se mettrait-elle en quête d’un appui au dehors, quand elle est intérieurement soutenue par l’humilité, sa mère et gardienne ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
C’est alors que la même passion qui jadis avait excité contre le patriarche Joseph l’esprit de ses frères, brûla d’un feu jaloux le coeur de l’un des nôtres. Possédé d’un malheureux désir de flétrir par une tache déshonorante l’éclat d’une telle, beauté, sa malice invente ce stratagème. Un dimanche, saisissant le moment où Paphnuce était parti de sa cellule pour aller à l’église, il y entre furtivement, et, sans être vu, cache son manuscrit parmi les tresses que le jeune solitaire s’occupait a faire avec des feuilles de palmier; puis, assuré du succès d’une ruse si bien concertée, en homme qui a la conscience pure et innocente, il se rend à l’église avec les autres. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
La solennité s’achève dans l’ordre accoutumé. Alors, en présence de tous les frères, le malfaiteur porte sa plainte à Isidore, qui était, avant l’abba Paphnuce, le prêtre de ce désert. Il affirme qu’on est venu le voler dans sa cellule et qu’on a emporté son manuscrit. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Cependant, le délateur insistait : «Que tous les frères demeurent à l’église; et qu’on en choisisse quelques-uns, pour aller fouiller les cellules une par une.» Isidore commet l’affaire à trois anciens. Ceux-ci tournent et retournent partout les couchettes. Ils viennent enfin à la cellule de Paphnuce, et trouvent le manuscrit caché parmi les tresses de palmier, tout comme le traître l’avait placé. En hâte, ils le rapportent à l’église, et le produisent à tous les regards. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
L’esprit immonde le tourmenta durement et longtemps. Vainement la prière des saints qui habitaient ce désert et avaient reçu le charisme divin de commander aux esprits mauvais, s’employait-elle à le délivrer. Isidore lui-même n’y put réussir, malgré sa grâce singulière, lui à qui la munificence du Seigneur avait octroyé une puissance si grande, qu’on ne lui conduisit jamais un possédé, qui ne fût guéri, avant même de toucher le pas de sa cellule. Le Christ réservait cette gloire au jeune Paphnuce. Seule, la prière de celui qu’il avait si odieusement trahi devait libérer le coupable; c’est en invoquant le nom de qui sa haine jalouse avait cru pouvoir rabaisser l’honneur, qu’il devait recevoir le pardon de sa faute et voir la fin de ses supplices. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Secondement, tenons pour bien assuré que nous ne pouvons être en sûreté contre les orages des tentations et les attaques du démon, si nous plaçons la sauvegarde et l’espoir de notre patience, non dans la vigueur de notre homme intérieur, mais dans la clôture d’une cellule, l’éloignement de la solitude, la compagnie des saints, ou quelque autre soutien extérieur à nous. Si Celui qui a dit dans l’Évangile : «Le règne de Dieu est au-dedans de vous,» (Lc 17,21) ne fortifie notre âme par la vertu de sa protection, c’est en vain que nous nous flattons de vaincre les embûches des puissances de l’air, ou de les éviter par la distance des lieux, ou de leur fermer toute approche par le rempart d’une cellule. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
En revanche, le malheureux que l’envie précipita dans un si grand péché, ne jouissait-il pas du bienfait de la solitude, de la protection d’une cellule écartée, du commerce du bienheureux Isidore et des autres saints ? Mais l’ouragan suscité par le diable trouva sa maison fondée sur le sable; et, non content de la battre du dehors, il la jeta par terre. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Plusieurs ont poussé au delà des bornes ce relâchement funeste. Nous sommes loin de la goutte d’huile que nos prédécesseurs dans la vie érémitique, si supérieurs à nous par la rigueur de leur abstinence, laissaient tomber sur le vinaigre et la saumure mêlés, dans le dessein seulement d’éviter la vaine gloire. On brise, pour flatter la délicatesse du goût, du fromage d’Égypte, et l’on y répand l’huile plus qu’il ne serait nécessaire : deux mets qui ont chacun son agrément, et pourraient très, bien faire au moins deux régals différents, en des moments divers, s’unissent ainsi, pour caresser le palais plus délicieusement. Jusqu’où ne se porte pas cette fureur de posséder ? Je ne puis le rappeler sans rougir : les anachorètes se sont mis, sous prétexte d’hospitalité et d’accueil à faire aux étrangers, à posséder dans leur cellule une couverture ! Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN
Les frères, l’entourant comme une garde d’honneur, le reconduisirent à son monastère. Il n’y demeura que peu de temps. Offensé derechef des respects que lui valaient l’honneur et la primauté dont il était revêtu, il s’embarqua secrètement, et passa en Palestine, province de la Syrie. Il fut reçu, à titre de débutant et de novice, dans le monastère où nous étions; et l’abbé prescrivit qu’il habitât avec nous dans notre cellule. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Il nous reçut très affectueusement, et poussa la bonté jusqu’à nous faire l’honneur, au titre d’anciens compagnons de cellule, de nous recevoir aussi dans la sienne, qu’il avait construite dans le coin le plus retiré de son jardin. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
PINUFE. — Je sens un vif plaisir des fruits d’humilité que je remarque en vous. Autrefois déjà, lorsque je fus l’hôte de votre cellule, j’avais pu les considérer, non sans grand intérêt, et en concevoir une juste estime. Aujourd’hui, c’est pour moi un bonheur véritable, que vous receviez avec tant d’admiration la doctrine du dernier parmi les chrétiens, et qui n’a d’autre mérite, peut-être, que l’audace de ses paroles. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Il advint que l’abbé Théonas nous fit visite dans notre cellule, aux jours de la Pentecôte. Les prières du soir achevées, nous nous assîmes quelques instants par terre, et nous lui demandâmes avec instance pourquoi, durant toute cette période, l’on évitait chez eux avec tant de soin de fléchir les genoux pour la prière et de prolonger le jeûne jusqu’à la neuvième heure. Notre curiosité se montrait d’autant plus vive, que nous n’avions pas vu cet usage observé avec un tel scrupule dans nos monastères de Syrie. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Sept jours environ se passèrent; la solennité de la Pentecôte était finie. Avec les premières ombres de la nuit — c’était l’instant qui suit la synaxe du soir —, nous entrâmes dans la cellule de l’abbé Théonas, l’esprit tenu en suspens par l’attente où nous étions de la conférence promise. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
De qui pourra-t-on croire, fût-il de tous les justes et les saints le plus éminent, qu’il ait réussi, dans les liens de ce corps mortel, à posséder immuablement le bien souverain, ne s’écartant jamais de la contemplation divine, ne se laissant point distraire un instant, par les pensées terrestres, de Celui qui seul est bon ? Quelqu’un s’est-il rencontré, qui ne prit aucun souci de la nourriture, du vêtement ni des autres nécessités charnelles ? qui ne fût jamais préoccupé de la réception des frères, d’un changement de séjour, de la construction d’une cellule, jusqu’à désirer le secours des hommes, ou tomber, par un sentiment trop vif de sa détresse, sous le reproche du Seigneur : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez (Mt 6,25) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Celui qu’anime le souci toujours vigilant de la pureté de l’homme intérieur, doit rechercher des lieux qui ne le sollicitent pas à une culture absorbante par leur richesse et leur fertilité, ni ne l’empêchent de faire de sa cellule un séjour fixe et immuable, en le poussant à quelque travail en plein air. Ses pensées se donneraient alors carrière, pour ainsi parler, dans l’espace ouvert devant elles; et toute la direction de son âme, ce regard vers l’unique but, qui est quelque chose de si subtil, s’évanouirait parmi tant d’objets divers. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Pour soigneux et vigilant que l’on soit, il est impossible d’éviter cette dissipation, et même de s’en apercevoir, à moins de se tenir constamment cloîtré, corps et âme, entre les murs de sa cellule. Je suppose quelque pêcheur spirituel, qui chercherait sa nourriture selon la méthode apprise des apôtres. Attentif et sans mouvement, il guette dans les profondeurs tranquilles de son coeur la troupe nageante de ses pensées. Comme d’un écueil surplombant, il plonge jusqu’au fond un regard avide, et discerne d’un oeil sagace celles qu’il doit, avec sa ligne, tirer jusqu’à soi, celles aussi qu’il laissera de côté et écartera, tels des poissons mauvais et dangereux. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
La solitude qui les sépare de toutes villes et habitations humaines, est plus vaste que pour Scété; c’est à peine si sept ou huit jours de marche au travers d’un désert sans fin les conduisent à la retraite où sont cachées leurs cellules. Cependant, ils s’adonnent à l’agriculture, au lieu de rester enfermés. Aussi, lorsqu’ils viennent, soit en ces contrées affreuses où nous vivons, soit à Scété, c’est une effervescence de pensées, une anxiété telles, que, semblables à de nouveaux venus qui n’auraient jamais le moins du monde goûté des exercices de la solitude, ils ne peuvent supporter le séjour de la cellule ni les silences du repos. Ils en sortent aussitôt, pour tomber en proie à un trouble profond, tels des novices sans expérience. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Le moine est dans sa cellule : ses pensées, de même, s’y trouvent rassemblées, comme dans une étroite clôture. Rien d’étonnant, si la multitude de ses anxiétés l’oppresse. Il sort : elles se précipitent avec lui hors du logis qui les tenait captives, et incontinent se mettent a voltiger en tous sens, comme on voit galoper des chevaux sans frein. Sur l’heure, tandis qu’elles s’évadent ainsi du lieu qui les tenait enfermées, l’âme sent une brève et triste consolation. Mais il faut regagner la cellule : de nouveau toute la troupe des pensées accourt au gîte; et l’habitude même d’une licence invétérée fait surgir des aiguillons plus douloureux. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Supposez des moines qui ne peuvent ou ne savent pas encore résister aux poussées de leurs volontés. Voici que l’ennui attaque avec plus de violence leur coeur non accoutumé à de tels assauts, l’anxiété les saisit par dedans leur cellule. S’ils relâchent l’austérité de la règle, et s’accordent la liberté de sortir trop souvent, ils susciteront contre soi un fléau plus terrible, par cela même où ils pensent trouver un remède. Tels certains malades s’imaginent éteindre les ardeurs de la fièvre, en prenant de l’eau fraîche. Mais il est évident que c’est là exciter ce feu intérieur, plutôt que l’abattre; ce soulagement d’un instant sera suivi d’une douleur plus vive. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
GERMAIN. – C’est un utile précepte, de recommander les travaux qui peuvent se faire à l’intérieur de la cellule. Outre l’exemple de votre Béatitude, que nous voyons fondée en l’imitation des vertus apostoliques, le témoignage de notre propre expérience nous a rendu manifestes les avantages d’un tel choix. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Et l’abbé Apollon : Ignorez-vous qu’il y a vingt ans que je suis mort à ce monde, et que, du tombeau de cette cellule, je ne puis vous être d’aucun secours pour ce qui regarde la vie présente. Le Christ pourrait-il souffrir la moindre trêve à la vie de mortification que j’ai embrassée, pour vous aider à retirer votre boeuf ? Il n’a pas accordé un moment de délai pour la sépulture d’un père, qui était un office beaucoup plus prompt, plus digne, plus religieux ! Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM