C’est le précepte même du Seigneur qui nous invite à cette ressemblance avec le Père : «Soyez parfaits, dit-il, comme votre Père céleste est parfait.» (Mt 5,48). Dans les degrés inférieurs, l’amour du bien s’interrompt quelquefois, lorsque la tiédeur, le contentement ou le plaisir viennent détendre la vigueur de l’âme, et font perdre de vue, sur le moment, la crainte de l’enfer ou le désir du bonheur futur. Ils constituent néanmoins comme des échelons dans le progrès, un apprentissage. Après avoir évité le vice, au commencement, par crainte du châtiment ou l’espoir de la récompense, il nous devient possible de passer au degré de la charité, où la crainte ne se trouve plus : «Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais l’amour bannit la crainte : car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour. Nous donc aimons Dieu, parce qu’il nous a aimés le premier.» (1 Jn 4,18-19). Nul autre chemin, pour nous élever à la perfection véritable : comme Dieu nous a aimés le premier sans égard à rien d’autre que notre salut, ainsi devons nous l’aimer uniquement pour son amour. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Écoutez encore le bienheureux Apôtre. Il a dépassé jadis, par la vertu de la charité divine, ce degré de la crainte servile. Et maintenant, il proclame, avec une sorte de mépris pour cette vertu inférieure, qu’il a été enrichi de dons plus magnifiques : «Ce n’est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un Esprit de force, d’amour et de modération.» (2 Tim 1,7). Puis, il exhorte ceux qui brûlent pour le Père céleste de la dilection parfaite, et que l’adoption divine d’esclaves a rendus fils : «Vous n’avez pas reçu un Esprit de servitude, pour être encore dans la crainte; mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, en qui nous crions : Abba ! Père !» (Rom 8,15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
CHEREMON. — Ce serait la marque de la plus haute béatitude et d’un mérite singulier, de s’entretenir constamment de la charité qui nous unit au Seigneur, soit pour l’apprendre, soit pour l’enseigner. Nos jours et nos nuits, selon le mot du psalmiste, se consumeraient à la méditer; et nos âmes, dévorées d’une faim et d’une soif insatiables de la justice se nourriraient sans cesse de ce céleste aliment. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Je ne parle pas de ces conduites secrètes et cachées dont l’âme des saints se voit l’objet à toute heure; de cette infusion céleste de la joie spirituelle qui relève l’esprit abattu et lui rend l’allégresse; de ces transports brûlants, de ces consolations enivrantes que la bouche ne peut dire et que l’oreille n’a pas entendues, qui souvent nous éveillent d’une torpeur inerte et stupide, comme d’un profond sommeil, pour nous faire passer à la prière la plus fervente. C’est bien là cette joie dont le bienheureux Apôtre dit : «L’oeil de l’homme n’a pas vu, son oreille n’a pas entendu, le secret pressentiment de son coeur n’a point deviné.» (1 Cor 2,9). Mais il parle de celui qui, rendu stupide par les vices terrestres, est resté homme, rivé aux passions humaines et incapable de rien apercevoir de ces divines largesses. De lui-même, au contraire, et de ceux qui, d’ores et déjà étrangers à la manière de vivre des hommes lui sont devenus semblables, il dit aussitôt : «Mais à nous, Dieu l’a révélé par son Esprit.» (Ibid. 10). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Un sage aurait-il des assertions aussi contraires ? Vous affirmiez hier que la céleste pureté de la chasteté ne saurait devenir le partage d’un mortel, même avec la grâce de Dieu. Et maintenant, vous croyez que les païens eux-mêmes l’ont possédée par leur propre vertu ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Mais, si notre résistance ne prenait fin, si nous persévérions dans notre mauvaise volonté, Dieu ne ferait pas tout. D’autre part, toute l’affaire de notre salut doit être attribuée, non pas au mérite de nos oeuvres, mais à la grâce céleste. Ce sont là deux vérités que le Seigneur lui-même nous enseigne par ces paroles : «Vous vous souviendrez de vos voies et de tous les crimes dont vous vous êtes souillés; et vous commencerez à vous déplaire à vous-mêmes pour toutes les mauvaises actions que vous avez commises. Et vous saurez que je suis le Seigneur, lorsque je vous ferai du bien à cause de mon nom, et non selon vos voies mauvaises ni selon vos crimes détestables, maison d’Israël» (Ez 20,43-44). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La tropologie est une explication morale qui regarde la pureté de la vie et les principes de la conduite : comme si, par ces deux Alliances, nous entendions la pratique et la théorie, ou que nous voulions prendre Jérusalem ou Sion pour l’âme humaine, comme il nous est montré dans ces paroles : «Loue, Jérusalem, le Seigneur; loue ton Dieu, Sion.» (Ps 147,12). Les quatre figures peuvent se trouver réunies. Ainsi, la même Jérusalem revêtira, si nous le voulons, quatre acceptions différentes : au sens historique, elle sera la cité des Juifs; au sens allégorique, l’Église du Christ; au sens anagogique, la cité céleste, «qui est notre mère à tous;» au sens tropologique, l’âme humaine, que nous voyons souvent louer ou blâmer par le Seigneur sous ce nom. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Puis, après avoir banni tous les soins et les pensées terrestres, efforcez-vous de toutes manières de vous appliquer assidûment, que dis-je ? constamment à la lecture sacrée, tant que cette méditation continuelle imprègne enfin votre âme, et la forme, pour ainsi dire, à son image. Elle en fera de quelque façon l’arche de l’alliance, renfermant en soi les deux tables de pierre, c’est-à-dire l’éternelle fermeté de l’un et l’autre Testament; — l’urne d’or, symbole d’une mémoire pure, et sans tache qui conserve à jamais le trésor caché de la manne, entendez l’éternelle et céleste douceur des pensées spirituelles et du pain des anges; la verge d’Aaron, c’est-à-dire l’étendard, signe du salut, de notre Souverain, et véritable pontife Jésus Christ, toujours verdoyant dans un immortel souvenir : le Christ, en effet, est la verge qui, après avoir été coupée de la racine de Jessé, reverdit de sa mort avec une vigueur nouvelle. Toutes ces choses sont couvertes par deux chérubins, c’est-à-dire la plénitude de la science historique et spirituelle. Car chérubin signifie plénitude de science. Ils couvrent sans cesse le propitiatoire de Dieu, c’est-à-dire la tranquillité de votre coeur, et la protègent contre toutes les attaques des esprits malins. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
C’est donc l’humilité qui est la maîtresse de toutes les vertus, le fondement inébranlable de l’édifice céleste, le don propre et magnifique du Sauveur. Celui-là pourra faire sans péril d’élèvement tous les miracles que le Christ a opérés, qui cherche à imiter le doux Seigneur, non dans la sublimité de ses prodiges, mais dans la vertu de patience et d’humilité. Pour celui qu’agite le désir impatient de commander aux esprits immondes, de rendre la santé aux malades, de montrer aux foules quelque signe merveilleux, il peut bien invoquer le Nom du Christ au milieu de toute son ostentation; mais il est étranger au Christ, parce que son âme superbe ne suit pas le Maître de l’humilité. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Ceci est particulièrement vrai de ceux qui ne ferment pas les yeux sur leurs maladies, par découragement ou négligence, mais, loin de cacher leurs blessures ou de repousser insolemment le traitement de la pénitence, recourent d’une âme humble et pourtant vigilante au céleste médecin, pour les langueurs que l’ignorance, l’erreur et une malheureuse nécessité leur ont fait contracter. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN
Parfois, c’est l’intercession des saints qui obtient le pardon de nos fautes : «Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui ne va pas à la mort, qu’il prie; et Dieu donnera la vie à ce frère, dont le péché ne va pas à la mort.» (1 Jn 5,163). Et de nouveau : «Quelqu’un parmi vous est-il malade, qu’il appelle les prêtres de l’Église, et que ceux-ci prient sur lui, l’oignant d’huile au nom du Seigneur. Et la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le soulagera; et s’il a commis des péchés, ils lui seront remis.» (Jac 5,14-15). D’autres fois, c’est le mérite de la miséricorde et de la foi qui réduit la souillure de nos vices, selon cette parole : «Les péchés s’expient par la miséricorde et la foi.» (Pro 15,27). Souvent aussi, c’est la conversion et le salut de ceux que ramènent au bien nos avis et notre prédication : «Celui qui convertira un pécheur de l’égarement de ses voies, sauve cette âme de la mort et couvrira la multitude de ses propres péchés.» (Jac 5,20). Enfin, l’oubli et le pardon que nous accordons aux autres, nous méritent le pardon de nos propre méfaits : «Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos manquements.» (Mt 6,14). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Nous lisons dans l’Évangile que les Pharisiens jeûnaient, et les disciples de Jean aussi, tandis que les apôtres, comme amis et convives du céleste époux, n’avaient point la même pratique. Or, les disciples de Jean pensaient bien tenir dans leur jeûne la somme de la justice. Est-ce qu’ils ne suivaient pas la trace de cet extraordinaire prédicateur de la pénitence, modèle à tous les peuples par l’exemple de sa vie, qui ne se refusait pas seulement les mets variés dont les hommes font usage, mais ignorait le pain lui-même, qui forme la nourriture commune de tous ? Ils se plaignent donc au Seigneur : Pourquoi, tandis que nous et les Pharisiens, nous jeûnons fréquemment, vos disciples ne jeûnent-ils pas ? (Mt 9,14). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Le cas serait différent, s’il y avait de notre faute. Il faut alors comme citer en justice notre conscience, songeant avec tremblement à ces paroles de l’Apôtre : Celui qui mangera le pain et boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du Corps et du Sang du Seigneur. Que l’homme donc s’éprouve lui-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice. Celui qui mange le pain et boit le calice du Seigneur, indignement, mange et boit sa propre condamnation, parce qu’il ne discerne pas le Corps du Seigneur (1 Co 11,27-29); c’est-à-dire, parce qu’il ne distingue pas cette nourriture céleste des aliments communs et vils, parce qu’il ne sait pas discerner qu’il n’est loisible de la recevoir qu’avec une âme et un corps purs. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
La raison en est premièrement, que cette manne céleste possède une si haute majesté que, personne, en cette chair pétrie de limon, ne peut songer à la recevoir par la vertu de ses propres mérites, et non par une libéralité toute gratuite du Seigneur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Ensuite, de même que notre bonté se change en malice pour qui considère la Bonté céleste, de même notre justice, comparée à la Justice divine, est jugée semblable à un linge souillé : Comme un linge souillé sont toutes vos justices (Is 64,6), dit le prophète Isaïe. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Celui-là distribue des aumônes aux pauvres; hôte plein de bienveillance, il accueille la foule des survenants. Dans le moment que les besoins de ses frères occupent et sollicitent son esprit, portera-t-il ses regards vers l’océan sans bornes de la céleste béatitude? Agité des inquiétudes et des soucis de la vie présente, son coeur s’élèvera-t-il au-dessus de la poussière terrestre, pour considérer dans le lointain la condition du siècle à venir ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Même l’Apôtre Paul, dont la somme de souffrances a passé le labeur de tous les saints, n’a pas rempli cet idéal. Nous l’affirmons sans crainte, d’autant que c’est lui-même qui proteste aux disciples, dans les Actes : Vous savez que ces mains ont pourvu à ma subsistance et à celle de mes compagnons (Ac 22,34), et qui écrit aux Thessaloniciens : J’ai travaillé nuit et jour, dans la peine et la fatigue (2 Thess 3,8). Il acquérait de ce fait, j’y consens, des trésors de mérites. Néanmoins, son âme, pour sainte et sublime qu’elle fût, ne pouvait faire autrement que d’être quelquefois séparée de la céleste théorie, par l’application au travail terrestre. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Tel est le corps de mort qui les retire de la contemplation céleste et les abaisse aux choses de la terre; qui, durant qu’ils psalmodient ou se tiennent prosternés pour la prière, évoque dans leur pensée le souvenir de formes humaines, de paroles, d’affaires, d’actions superflues. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Mais, à s’écarter de la sorte de la voie royale, on ne parviendra pas à la sainte cité, notre mère, où notre course devrait invariablement se diriger sans cesse. L’Ecclésiaste exprime bien clairement cette vérité : Le travail des insensés leur est une affliction, eux qui ne savent pas même aller jusqu’à la ville (Ec 10,15), c’est-à-dire jusqu’à cette Jérusalern céleste, qui est notre mère à tous (Gal 4,26). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM