Or, nous voyons que beaucoup pour le Christ ont abdiqué leur fortune; et l’expérience témoigne qu’ils n’ont pas seulement renoncé à la possession de l’argent, mais qu’ils en ont encore retranché le désir de leur coeur. Ne devons-nous pas croire que l’on peut de la même manière éteindre le feu de la fornication ? L’Apôtre n’aurait pas joint le possible à l’impossible. S’il commande de mortifier pareillement l’un et l’autre vice, c’est qu’il savait la chose faisable pour tous deux. Il a tant de confiance que nous pouvons extirper de nos membres la fornication et l’impureté, que ce n’est pas assez, à ses yeux, de les mortifier; notre devoir va plus loin, jusqu’à ne pas même les nommer : «Que l’on n’entende pas seulement parler parmi vous, déclare-t-il, de fornication, ni de quelque impureté que ce soit, ni de convoitise. Qu’on n’y entende point de paroles déshonnêtes, ni de folles, ni de bouffonnes, toutes choses qui sont malséantes.» (Eph 5,3-4). Toutes choses aussi qui sont pareillement funestes et nous excluent au même titre du royaume de Dieu, comme il l’enseigne encore : «Sachez-le bien : nul fornicateur, nul impudique, nul homme adonné à l’avarice, ce qui est une idolâtrie, n’a d’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu»; (Ibid. 5) «Ne vous y trompez point : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu.» (1 Cor 6,9-10). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 3
Évitez donc de toute votre puissance de vous faire prendre à l’amour de la vaine gloire, de peur que vous ne puissiez avoir de part avec celui que le prophète loue de ce qu’ «il n’a point prêté son argent à intérêt.» (Ps 14,15). Il est dit, en effet, que «les paroles du Seigneur sont des paroles chastes, un argent éprouvé par le feu, purifié au creuset, raffiné sept fois.» (Ps 11,7). Quiconque les dispense par amour de la gloire humaine, donne son argent à intérêt. Mais, ce faisant, au lieu de mériter des louanges,il gagnera des supplices. Car il a préféré dissiper l’argent de son maître, pour en retirer lui-même un avantage temporel; plutôt que de le placer de manière que le Seigneur «à son retour, retirât avec un intérêt celui lui appartient». (Mt 25,27). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 17
Vous demandez encore : Où s’est-il fait comme s’il était lui-même sans loi, pour le salut de ceux qui ignoraient complètement la loi de Dieu ? — Lisez l’exorde de son discours d’Athènes, où régnait l’impiété païenne : «En passant, j’ai vu vos idoles, et un autel avec cette inscription : Au Dieu inconnu.» (Ac 17,23). Il prend son point de départ dans leur superstition. Comme, s’il était lui-même sans loi, c’est à l’occasion de cette inscription profane qu’il propose la foi du Christ : «Ce que vous adorez sans le connaître, je viens, vous l’annoncer.» (Ibid.) Peu après, comme s’il ignorait tout à fait la loi divine, il cite le vers d’un poète païen, plutôt que d’en appeler à la parole de Moïse ou à celle du Christ : «Ainsi que plusieurs de vos poètes l’ont dit : Nous sommes aussi de sa race.» (Ac 17,28). Il leur emprunte ces témoignages qu’ils ne peuvent récuser, pour les aborder; puis, il ajoute, se servant du faux pour établir le vrai : «Puisque nous sommes de la race de Dieu, nous ne devons point penser que la divinité soit semblable à l’or, à l’argent ou à la pierre, aux sculptures de l’art et du génie humain.» (Ibid. 29). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 20
Mais, soit qu’ils n’apportent au service de leur ambition qu’une âme pusillanime, dans une entreprise qui exige une force peu commune, soit que la seule nécessité les ait contraints à la profession monastique, ils se montrent aussi empressés à se parer du nom de moine, que peu disposés à en imiter la vie. Ils n’ont cure de la discipline cénobitique, ni de s’assujettir à l’autorité des anciens, ou d’apprendre d’eux à vaincre leurs volontés; nulle formation régulière, point de règle dictée par une sage discrétion. Mais c’est pour le public seulement qu’ils renoncent et à la face des hommes. Ou ils restent dans leurs demeures particulières, et, couverts par le privilège d’un nom glorieux, s’embarrassent des mêmes soins que devant. Ou bien ils se construisent des cellules, les décorent du nom de monastères, mais pour y vivre selon leur guise et en complète liberté. L’Évangile commande : Ne vous laissez prendre, ni par le souci du pain quotidien, ni par les embarras d’une fortune. Mais ils ne consentent point à courber la tête sous ce joug. Ceux-là seulement rempliront le précepte, sans les hésitations d’une âme infidèle, qui se dégagent entièrement des biens de ce monde, puis se soumettent aux supérieurs des communautés cénobitiques, jusqu’à faire profession de ne s’appartenir plus soi-même. Tels ne sont pas les sarabaïtes. Fuyant, comme on l’a dit, l’austérité cénobitique, ils habitent à deux ou trois dans des cellules. Leur moindre désir est d’être gouvernés par les soins et l’autorité d’un abbé. Bien au contraire, ils font leur principale affaire de rester libres du joug des anciens, afin de garder toute licence d’accomplir leurs caprices, de sortir, d’errer où il leur plaît, de faire ce qui les flatte. Chose curieuse, il arrive même qu’ils travaillent plus que les cénobites; mal contents d’y passer le jour, ils y donnent encore la nuit. Mais non pas dans les mêmes pensées de foi ni avec le même but. Ce qu’ils en font, n’est point du tout pour abandonner le fruit de leur travail à la libre disposition d’un économe, mais pour gagner de l’argent et le mettre en réserve. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 7
Mais je veux que parfois les sarabaïtes emploient mieux l’argent qu’ils n’ont pas amassé à bonne intention. Même alors, ils n’approchent pas de la vertu des cénobites ni de leur perfection. Ceux-ci, dans le temps qu’ils procurent au monastère de si gros revenus, et chaque jour en font un généreux abandon, persévèrent néanmoins dans une humilité et soumission profonde, n’ayant la libre disposition, ni de leur personne, ni de ce qu’ils gagnent à la sueur de leur front; de plus, par ce dépouillement quotidien du fruit de leur travail, ils renouvellent sans cesse la ferveur de leur premier renoncement. Ceux-là conçoivent de l’élèvement par là même qu’ils font quelque largesse aux pauvres, et chaque jour qui passe les précipite à leur perte. La patience et la fidélité rigoureuse avec lesquelles les premiers persévèrent dévotement dans la profession qu’ils ont une fois embrassée, n’accomplissant jamais leurs volontés, en fait tous les jours des crucifiés au monde et des martyrs vivants; la tiédeur et le caprice des seconds les ensevelit dans l’enfer. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 7
Aussi bien, personne ne doit se flatter d’obtenir un si beau résultat, avant d’avoir retranché, dans toute la ferveur de son esprit, ce qui fut la cause ou l’occasion de ses chutes. Par exemple, c’est par une dangereuse familiarité avec les personnes du sexe qu’il est tombé dans une faute grave : qu’il évite avec le plus grand soin jusqu’à leur aspect. — Ou bien il s’est laissé emporter à quelque excès de vin ou de bonne chère : qu’il réprime, par une rigoureuse austérité, les séductions de la gourmandise. — Peut-être, il a été induit au parjure, au vol ou à l’homicide par le désir et la passion de l’argent : il faut écarter les objets qui, en allumant son avarice, l’ont attiré dans le piège. — Enfin, c’est le vice de la superbe qui le pousse à la colère : il arrachera la racine même de l’orgueil par une profonde vertu d’humilité. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 11
S’il faut vaincre la gourmandise, ce n’est pas à cause d’elle seulement, et de peur qu’elle ne nous corrompe par le poids des aliments; ce n’est même pas uniquement par crainte qu’elle n’allume en nous les feux de la concupiscence charnelle; mais c’est encore afin qu’elle ne nous mette pas en l’esclavage de la colère, de la fureur, de la tristesse et des autres vices. Que l’on nous serve, en effet, le boire et le manger en moindre quantité, ou trop tard, ou sans les soins convenables : si la tyrannie de la gourmandise nous domine, nous serons fatalement piqués aussi des aiguillons de la colère. D’autre part, impossible de se délecter dans les saveurs voluptueuses et d’échapper en même temps à la passion de l’argent, reine des apprêts superflus et dispendieux où se plaît la délicatesse. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 3
Amour de l’argent, vaine gloire, superbe, toute la multitude des vices se tiennent par une indivisible société. L’un d’eux commence prendre force en nous : il est seul ? N’importe; il saura ménager la croissance des autres. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 3
La théorie, la contemplation de Dieu, voilà l’unique nécessaire dont le mérite surpasse tous les mérites des actions saintes, tous les efforts de la vertu. Assurément, les qualités que nous avons vu reluire chez l’apôtre Paul, étaient bonnes, étaient utiles, et plus encore, grandes et illustres. Mais l’étain, qui paraissait d’abord de quelque profit et beauté, s’avilit en regard de l’argent; toute la valeur de l’argent s’évanouit, si on le compare avec l’or, l’or lui-même est à mépris, comparé aux pierres précieuses; toute la beauté enfin des pierres précieuses pâlit devant l’éclat d’une seule perle. De même, tous les mérites de la sainteté, encore qu’ils ne soient pas bons et utiles seulement pour la vie présente, mais nous acquièrent aussi le bien de la vie éternelle, paraîtront vils et, si je puis dire, faits pour mettre à l’encan, au prix des mérites de la contemplation divine. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 3
Non pas, croyez-le bien, que nous n’eussions très volontiers suivi votre pratique, si les exemples des apôtres et les enseignements de nos anciens nous avaient appris qu’elle fût plus utile. Mais sachez qu’elle est cause d’un inconvénient non moins grave que celui dont nous parlions tout à l’heure : sain de corps et robuste comme vous êtes, c’est l’argent des autres qui doit fournir à votre subsistance; or ceci ne convient en bonne justice qu’aux personnes débiles. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 12
Des choses visibles passant aux invisibles, nous pouvons bien croire que l’énergie des vices se trouve aussi localisée dans les différentes parties et, si l’on peut dire, les membres de l’âme. Or, les sages y distinguent trois facultés, la raisonnable, l’irascible et la concupiscible. L’une ou l’autre sera nécessairement altérée, toutes les fois que le mal nous attaquera. Lors donc que la passion mauvaise touche quelqu’une de ces puissances, c’est d’après l’altération qu’elle y détermine, que le vice particulier reçoit sa dénomination. Si la peste vicieuse infecte la partie raisonnable, elle y engendre la vaine gloire, l’élèvement, la superbe, la présomption, la contention, l’hérésie. Si elle blesse la partie irascible, elle enfante la fureur, l’impatience, la tristesse, la cruauté. Si elle corrompt la partie concupiscible, elle produit la gourmandise, l’impureté, l’amour de l’argent, les pernicieux et terrestres désirs. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 15