Cassiano: amitié

philia

Vous le voyez donc, la perfection comporte différents degrés. D’un sommet, le Seigneur nous appelle à monter vers un sommet plus élevé. Celui qui s’est rendu bienheureux et parfait dans la crainte de Dieu, marchera, comme il est écrit, «de vertu en vertus», (Ps 83,8) et de perfection en perfection, c’est-à-dire qu’il s’élèvera, dans l’allégresse de son âme, de la crainte à l’espérance; puis, il entendra de nouveau l’appel divin l’inviter à un état plus saint encore, qui est l’amour. Celui qui se sera montre «serviteur fidèle et prudent», (Mt 24,45) passera au commerce intime de l’amitié et à l’adoption des fils. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Où l’amitié indissoluble a son origine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Parmi toutes les différentes amitiés, il ne s’en trouve qu’une sorte qui soit indissoluble : c’est celle qui a pour principe, non la faveur qu’une recommandation concilie, ni la grandeur des services ou des bienfaits reçus, ni quelque contrat, oui l’irrésistible poussée de la nature, mais la seule ressemblance de la vertu. C’est là, dis-je, l’amitié qu’aucun accident ne rompt, que la distance ou le temps ne peuvent désunir, ne peuvent effacer, bien plus, que la mort elle-même ne réussit point à briser. C’est là la vraie et indissoluble dilection, qui croît avec la perfection et la vertu des deux amis, et dont le noeud, une fois formé, n’est rompu, ni par la diversité des désirs ni par la lutte des volontés contraires. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Réponse : L’amitié constante ne saurait exister qu’entre les parfaits. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

JOSEPH. — C’est là justement pourquoi j’ai dit que la grâce de l’amitié ne saurait persévérer pleine et parfaite qu’entre les parfaits, chez qui se voit une égale vertu. Une même volonté, un commun idéal ne souffrent pas qu’il y ait chez eux, ou du moins très rarement, des vues différentes, ni quelque dissentiment sur ce qui touche au progrès de la vie spirituelle. S’ils se prennent à s’échauffer en de trop vives disputes, il est clair que leurs coeurs ne furent jamais unis selon la règle que j’ai dite. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Par quels procédés l’amitié se conserve inviolable. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Le premier fondement de l’amitié véritable est le mépris des biens de ce monde et le dédain de tout ce que nous avons. Ce serait la dernière injustice, un outrage à tout ce qu’il y a de plus sacré, si, après avoir renoncé à la vanité du monde et de tout ce qu’il renferme, nous préférions le vil instrument qui nous reste à l’affection si précieuse de notre frère. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Entre les frères charnels encore et faibles, le démon a tôt fait de semer la colère et la désunion à propos de choses viles et terrestres. Mais pour les spirituels, c’est par la diversité de sentiment qu’il fait naître chez eux la discorde. Telle est, sans aucun doute, la fréquente origine des disputes et des querelles que l’Apôtre condamne. (Cf. Gal 5,20). De celles-ci l’ennemi, envieux et méchant, prend ensuite occasion, afin de pousser à la rupture des frères qui n’avaient jusque là qu’une âme. Car elle est bien vraie, la parole du sage Salomon : «La dispute suscite la haine; mais pour tous ceux qui ne disputent point, l’amitié les protégera.» (Pro 10,12). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Si bien qu’il en faut revenir à la maxime, des anciens : l’amitié ne saurait durer jusqu’à la fin, stable et sans rupture, qu’entre des hommes d’égale vertu et de même propos. Autrement, il est fatal qu’elle se rompe un jour ou l’autre, quelque soin que le fort prenne de la conserver. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

JOSEPH. — Je n’ai pas dit non plus que la vertu ni la patience de celui qui est fort et robuste soient jamais vaincues. Mais ce sont les mauvaises dispositions du faible qui, entretenues par le support de l’autre, iront tous les jours de mal en pis. Les choses en viendront à tel point, qu’il ne devra plus être toléré davantage, ou que lui-même, présumant connues, et la patience de son frère, et sa honteuse impatience, aimera mieux s’en aller quelque jour, plutôt que de se voir supporter toujours par la magnanimité d’autrui. Et maintenant, je le déclare à ceux qui désirent garder inviolablement les sentiments de l’amitié, voici la loi qu’ils doivent, selon moi, observer avant tout. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Tandis qu’il se réserve pour la douceur de la concorde prochaine, il ne sentira pas l’amertume de la querelle présente, et fera de préférence telle réponse dont il n’ait pas à s’accuser lui-même ni à être repris par son frère, lorsque l’amitié sera rétablie. De cette façon, il accomplira la parole du prophète : «Dans la colère, souviens-toi de la miséricorde.» (Hab 3,2). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

L’expérience l’a montre bien souvent : ceux qui ont établi leur amitié sur le principe du serment, n’ont pu vivre toujours dans la concorde. C’est que le désir de la perfection, le souci d’obéir au précepte apostolique de l’amour ne les animaient point à la conserver; mais ils n’étaient retenus que par une affection tout humaine, oui par la nécessité et la contrainte du pacte qu’ils avaient formé. Ou bien ce fut l’artificieux ennemi qui les précipita à rompre le lien de l’amitié, afin de les faire manquer à leur serment. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Rien donc n’est plus certain que la maxime des hommes les plus éminents par la prudence : la vraie concorde, l’amitié indissoluble ne peut subsister qu’avec une vie sans reproche, et entre gens de même vertu et de même propos. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Tel fut le discours tout spirituel que le bienheureux Joseph nous fit sur le sujet de l’amitié; et il nous enflamma d’une plus vive ardeur à garder toujours l’amour qui nous unissait l’un à l’autre d’un si intime commerce. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH