Cassiano: âme

psyche

Donnez-moi une âme qui veut tendre à la perfection : elle doit laisser le premier degré, qui est celui de la crainte; état proprement servile, nous l’avons indiqué, et duquel il est écrit : «Lorsque vous aurez fait tout ce qu’on vous aura commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles.» (Lc 17,10). Qu’elle s’élève par un progrès continu jusqu’aux voies supérieures de l’espérance. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Un homme n’éteint en soi les flammes du vice que par peur de la géhenne ou l’espoir de la rétribution future. Cet autre se détourne avec horreur du mal et de l’impureté mêmes dans le sentiment de la divine charité. Il possède le bien de la pureté par le seul amour et désir de la chasteté. Ses yeux ne cherchent pas dans l’avenir la récompense promise, mais la conscience qu’il a du bien déjà présent lui est un profond délice. Il n’a jamais égard au châtiment, et n’agit que pour le bonheur qu’il trouve en la vertu. Entre les deux, la différence est grande. Le second, quand bien même il serait sans témoin, n’abusera pas de l’occasion, non plus qu’il ne laissera profaner son âme par les complaisances secrètes des pensées mauvaises. L’amour de la vertu a pénétré ses moelles; et loin qu’il donne accueil en son âme aux influences contraires, tout son être se soulève pour les rejeter. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Considérez, au contraire, celui qui s’est mis au-dessus des attaques du vice et jouit désormais de la sécurité de la paix, entièrement transformé en l’amour de la vertu. Il demeurera constant dans le bien auquel il appartient sans partage, parce qu’il n’existe pas, à ses yeux, de plus sensible dommage qu’une atteinte portée à la chasteté intime de son âme. La pureté qu’il a présente fait son plus cher et plus précieux trésor, comme le plus grave des châtiments serait de voir les vertus malheureusement blessées, ou d’éprouver la souillure empoisonnée du vice. La présence des hommes et la retenue qu’elle commande n’ajouteront rien à sa modestie, la solitude ne lui ôtera rien. Partout et toujours, il porte avec soi l’arbitre suprême de ses actes et de ses pensées mêmes, sa conscience; et toute son étude n’est que de plaire à ce juge, qu’il sait que l’on ne peut circonvenir, ni tromper, ni éviter. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Il embrasse aussi avec un égal amour la patience et la douceur. Les manquements des pécheurs n’irritent plus sa colère; mais plutôt implore-t-il leur pardon, pour la grande pitié et compassion qu’il ressent à l’endroit de leurs faiblesses. Ne se souvient-il pas d’avoir éprouvé l’aiguillon de passions semblables, jusqu’au jour qu’il plut à la divine miséricorde de l’en délivrer ? Ce ne sont pas ses propres efforts qui l’ont sauvé de l’insolence de la chair, mais la protection de Dieu. Dès lors, il comprend que ce n’est pas de la colère qu’il faut avoir pour ceux qui s’égarent, mais de la commisération; et, dans l’absolue tranquillité, de son coeur, il chante à Dieu ce verset : «C’est vous qui avez brisé mes chaînes, je vous offrirai un sacrifice d’action de grâces;» (Ps 115,16-17) et encore : «Si le Seigneur n’eût été mon soutien, peu s’en fallait que mon âme n’habitât l’enfer.» (Ps 93,17). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Au contraire, des péchés qui ne vont pas à la mort, et dont ceux-là mêmes qui servent fidèlement le Christ ne sauraient être exempts, quelque circonspects qu’ils soient à garder leur âme, il est ainsi parlé : «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous»; (Ibid. 1,8). «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous faisons Dieu menteur, et sa parole n’est pas en nous.» (1 Jn 1,10). Prenez, en effet, parmi les saints tel qu’il vous plaira, il n’en est point qui ne tombe fatalement en ces manquements minimes qui se font par paroles, par pensées, par ignorance et oubli, impulsion, volonté ou distraction, et qui, pour différer du péché qui va à la mort, ne sont point cependant sans faute ni reproche. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

C’est aussi bien la marque évidente d’une âme non purifiée encore de la lie des vices, que les fautes du prochain ne trouvent chez elle, au lieu de la miséricorde et de la compassion, que l’appréciation rigide d’un juge. Comment atteindre à la perfection du coeur, si l’on n’a ce qui consomme, au dire de l’Apôtre, la plénitude de la loi : «Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez la loi du Christ,» (Gal 6,2) si l’on ne possède cette vertu de charité qui «ne s’irrite, ni ne s’enfle, ni ne pense le mal, qui souffre tout, supporte tout» ? (1 Cor 13,4-7). Car «le juste a pitié des bêtes qui sont à lui, mais les entrailles des impies sont sans miséricorde.» (Pro 12,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

CHEREMON. — L’Écriture appelle notre liberté à différents degrés de perfection, selon l’état et la mesure de chaque âme en particulier. Aussi bien était-il impossible de proposer à tous uniformément la même couronne de sainteté, parce que tous non plus n’ont pas la même vertu, ni la même volonté, ni la même ferveur. La parole divine établit donc, pour ainsi dire, des degrés divers et diverses mesures dans la perfection. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Vous le voyez donc, la perfection comporte différents degrés. D’un sommet, le Seigneur nous appelle à monter vers un sommet plus élevé. Celui qui s’est rendu bienheureux et parfait dans la crainte de Dieu, marchera, comme il est écrit, «de vertu en vertus», (Ps 83,8) et de perfection en perfection, c’est-à-dire qu’il s’élèvera, dans l’allégresse de son âme, de la crainte à l’espérance; puis, il entendra de nouveau l’appel divin l’inviter à un état plus saint encore, qui est l’amour. Celui qui se sera montre «serviteur fidèle et prudent», (Mt 24,45) passera au commerce intime de l’amitié et à l’adoption des fils. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

C’est aussi de la crainte d’amour que parle le prophète, lorsqu’il décrit l’Esprit septiforme qui devait descendre sur l’Homme-Dieu en vertu de l’Incarnation : «Sur lui, dit-il, reposera l’Esprit du Seigneur : Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété,» (Is 11,2) puis, à la fin, comme le couronnement de tous ces dons : «Et l’Esprit de crainte du Seigneur le remplira.» (Ibid. 3). Sur quoi, il importe avant tout de bien considérer qu’il ne dit pas : «L’Esprit de crainte reposera sur lui,» comme il avait fait pour les autres, dons, mais : «L’Esprit de crainte le remplira.» Cet Esprit s’épanche, en effet, avec une telle abondance, que, lorsqu’il s’est emparé d’une âme, il la possède tout entière. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

L’Apôtre, en le citant, veut nous instruire sans aucun doute à rejeter tout désir du bien d’autrui; mieux encore, à mépriser d’un coeur magnanime nos biens propres, comme nous lisons, dans les Actes, que fit la multitude des fidèles : «La multitude des fidèles n’avait qu’un coeur et qu’une âme, nul ne disait sien ce qu’il possédait, mais tout était commun entre eux… Tous ceux qui possédaient terres ou maisons, les vendaient et en, mettaient le prix aux pieds des apôtres; on le distribuait ensuite à chacun, selon qu’il en avait besoin.» (Ac 4,32-34). Et, pour que l’on ne croie pas que cette perfection reste l’apanage du petit nombre, il atteste que la cupidité est une idolâtrie. Rien de plus juste. Ne pas secourir l’indigent dans ses nécessités; faire passer les préceptes du Christ après son argent, que l’on conserve avec la ténacité de l’infidèle : c’est bien tomber en effet dans le crime de l’idolâtrie, puisque l’on préfère à la charité divine l’amour d’une chose créée. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Que chacun s’anime d’ailleurs à sa conquête du même désir, du même amour, de la même impatiente ardeur qui se voient chez l’avare dévoré de la cupidité, chez l’ambitieux que possède la soif des honneurs, chez l’homme emporté par la violence intolérable d’une passion mauvaise. Brûlé d’un insatiable désir de la perpétuelle intégrité, il méprisera la nourriture, même désirable; la boisson, même nécessaire, lui donnera de l’aversion; il repoussera enfin le sommeil même qu’il doit à la nature, ou du moins ne le prendra qu’avec une âme toute saisie de crainte et en défiance contre un ennemi si perfide de la pureté, un adversaire si déclaré de la chasteté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Je serais fâché que l’on me fit dire qu’il ne s’en trouve point, pour être animés au parfait renoncement. Je prétends seulement que s’il en est qui s’empressent d’une volonté austère à cueillir la palme de la perfection proposée à nos ambitions, ils doivent triompher en quelque manière de leur nature. Car, lorsque l’ardente passion s’en est allumée dans une âme, elle la pousse à supporter, et la faim, et la soif, et les veilles, et la nudité, et toutes les fatigues corporelles, non seulement avec patience, mais de bon coeur : «L’homme, parmi la douleur, travaille pour soi-même, et empêche de force sa propre perte»; (Pro 16,26) «À l’homme pressé de la faim, même ce qui est amer devient doux.» (Ibid. 27,7). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

L’une des béatitudes exaltées par la bouche de notre Sauveur nous rend cette vérité manifeste : «Heureux les doux, parce qu’ils posséderont la terre.» (Mt 5,4). Nous n’avons point d’autre moyen de posséder notre terre, c’est-à-dire de soumettre à notre empire la terre rebelle de notre corps, que de fonder tout d’abord notre âme en la douceur de la patience; dans les combats que la passion suscite à notre chair, le triomphe ne s’obtient que si l’on revêt les armes de la mansuétude : «Les doux, dit le prophète, posséderont la terre,» et «ils y demeureront à jamais.» (Ps 36,11 et 29). Puis, il nous enseigne, dans la suite du psaume, la méthode pour conquérir cette terre : «Attends le Seigneur et garde sa voie; il t’élèvera, et tu posséderas la terre en héritage.» (Ps 36,34). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Celui-là donc pourra s’excuser sur la nécessité inhérente à la nature, qui sera parvenu par une application continuelle à un tel état de pureté, que son âme ne soit plus touchée des appas du vice, et qu’il n’ait plus à regretter que des souillures inconscientes et rares. Tel il sera durant le jour, tel il demeurera durant la nuit; le même dans le sommeil et à la prière, seul et en la compagnie des hommes. Jamais il ne s’apercevra tel dans le secret, qu’il rougisse d’être vu par autrui. Le regard inévitable de Dieu ne surprendra rien chez lui qu’il désire tenir caché à la vue des hommes. Mais la très suave lumière de la chasteté le comblera de continuelles délices, et il pourra dire avec le prophète : «La nuit même est devenue lumineuse, au sein des délices où je suis. Les ténèbres n’ont point d’obscurité pour vous; la nuit brille comme le jour, ses ténèbres ressemblent à la lumière.» (Ps 138,11-12). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Dans la pureté de son âme, le prophète en embrasse tout le détail; et tant en son propre nom qu’au nom de ceux qui parviennent à cet état merveilleux de paix et de chasteté, il s’écrie : «Admirables sont vos oeuvres, et mon âme se plaît à le reconnaître.» (Ps 138,14). Serait-ce lui faire dire rien de neuf ou de grand, que de voir dans ses paroles un autre sentiment, une allusion aux autres oeuvres de Dieu ? Est-il personne qui n’aperçoive, ne fut-ce que par la grandeur de la création, que merveilleux sont les divins ouvrages ? Mais les dons que Dieu dispense quotidiennement à ses saints et dont il les comble avec une munificence si particulière, nul ne les connaît que l’âme qui en jouit. Elle en est le témoin à un titre si unique, dans le secret de sa conscience, que redescendue de cette ferveur toute de flamme à la vue des choses matérielles et terrestres, elle manque de paroles pour dire ce qu’elle a éprouvé, l’intelligence même ou la réflexion sont inégales à le concevoir. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Il en va de même pour celui qui a mérité de parvenir à la hauteur de vertu dont nous parlons. Il repasse en son esprit les grandes choses que Dieu fait en lui par une grâce toute spéciale; et dans le transport où le jette la vue de tant de merveilles, il s’enflamme, il s’écrie du plus profond de son coeur : «Admirables sont vos oeuvres, et mon âme se plaît à le reconnaître.» (Ps 138,14). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Oui, c’est bien là le grand miracle de Dieu, qu’un homme de chair et vivant dans la chair ait rejeté tout penchant charnel, que parmi tant de circonstances diverses, tant d’assauts qui lui sont livrés, il garde son âme dans la même disposition et demeure immobile au milieu du flux incessant des événements. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Donc, le fait est constant, ils n’ont, pas même eu la notion de la vraie chasteté qu’on réclame de nous. Et il est aussi par là bien assuré que notre circoncision, spirituelle comme elle est, ne s’acquiert que par le don de Dieu, et se rencontre uniquement chez ceux qui le servent d’une âme profondément contrite. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Dieu n’a pas créé l’homme pour qu’il se perde, mais pour qu’il vive éternellement : ce dessein demeure immuable. Dès qu’il voit éclater en nous la plus petite étincelle de bonne volonté, ou qu’il la fait jaillir lui-même de la dure pierre de notre coeur, sa bonté en prend un soin attentif. Il l’excite, il la fortifie par son inspiration. Car «il veut que tous les hommes soient sauvés et qu’ils viennent à la connaissance de la vérité !» (1 Tim 2,4) «C’est la volonté de votre Père qui est dans les cieux, dit le Seigneur, qu’il ne se perde pas un seul de ces petits !» (Mt 18,4) Et il est écrit ailleurs : «Dieu ne veut pas qu’une seule âme périsse; mais il diffère l’exécution de son arrêt, afin que celui qui a été rejeté ne se perde pas sans retour.» (2 Rois 14,14) Dieu est véridique; et il ne ment pas, lorsqu’il assure avec serment : «Je suis vivant, dit le Seigneur Dieu : je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse de sa voie mauvaise et qu’il vive !» (Ez 33,11) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Il décrit encore, dans la comparaison suivante, les opiniâtretés et les dédains par lesquels notre âme rebelle répond à sa voix, lorsqu’il nous invite à revenir vers lui : «Et j’ai dit : Tu m’appelleras «mon Père», et tu ne cesseras pas de me suivre. Mais, ainsi qu’une femme méprise son amant, la maison d’Israël m’a méprisé, dit le Seigneur.» (Jér 3,19-20) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

La divine Écriture confirme l’existence de notre libre arbitre : «Garde ton coeur, dit-elle, en toute circonspection.» (Pro 4,23) Mais l’Apôtre manifeste son infirmité. «Que le Seigneur garde vos coeurs et vos intelligences dans le Christ Jésus.» (Phil 4,7) — David énonce sa vertu, lorsqu’il dit : «J’ai incliné mon coeur à observer tes commandements;» (ps 118) mais il enseigne aussi sa faiblesse, lorsqu’il fait cette prière : «Incline mon coeur vers tes enseignements, et non vers l’avarice;» (Ibid. 36) et de même Salomon : «Que le Seigneur incline vers lui nos coeurs, afin que nous marchions dans toutes ses voies, et que nous gardions ses commandements, ses cérémonies et ses jugements.» (3 Rois 8,58) — C’est la puissance de notre liberté que désigne le psalmiste, en disant : «Préserve ta langue du mal, et tes lèvres des paroles trompeuses;» (ps 33,14) mais nous attestons son infirmité dans cette prière : «Place, Seigneur, une garde à ma bouche, une sentinelle à la porte de mes lèvres.» (ps 140,3) — Le Seigneur déclare ce dont est capable notre volonté, lorsqu’il dit : «Détache les chaînes de ton cou, captive, fille de Sion» (Is 52,2); d’autre part, le prophète chante sa fragilité : «C’est le Seigneur qui délie les chaînes des captifs» (ps 145,7), et : «C’est toi qui as brisé mes chaînes; je t’offrirai un sacrifice d’action de grâces.» — Nous entendons le Seigneur nous appeler, dans l’Évangile, afin que, par un acte de notre libre arbitre, nous nous hâtions vers lui : «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai» (Mt 11,28); mais il proteste aussi de la faiblesse de l’humaine volonté, en disant : «Personne ne peut venir à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire.» (Jn 6,44) L’Apôtre révèle notre liberté dans ces paroles : «Courez de même, afin de remporter le prix» (1 Co 9,24) ; mais saint Jean le Baptiste atteste sa fragilité lorsqu’il dit : «L’homme ne peut rien prendre de lui-même, que ce qui lui a été donné du ciel.» (Jn 3,27) — Un prophète nous ordonne de garder notre âme avec sollicitude : «Prenez garde à vos âmes» (Jér 17,21), mais le même Esprit fait dire à un autre prophète : «Si le Seigneur ne garde la cité, celui qui la garde veille inutilement.» (ps 126,1) — L’Apôtre, écrivant aux Philippiens, leur dit, pour souligner leur liberté : «Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement» (Phil 2,12); mais il ajoute, pour leur en faire voir la faiblesse : «C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire, de par son bon plaisir» (Ibid. 13). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

On ne peut douter par conséquent que toute âme possède naturellement les semences des vertus, déposées en elle par le bienfait du Créateur. Mais, si le secours divin ne les éveille, elles ne parviendront pas à la parfaite croissance, parce que, selon le bienheureux Apôtre, «ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose; mais Dieu, qui donne la croissance, est tout» (1 Co 3,7). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Dieu prévient la volonté de l’homme : «La miséricorde de mon Dieu, est-il dit, me préviendra» (ps 58). Puis, il tarde, il s’arrête en quelque sorte pour notre bien, afin d’éprouver notre libre arbitre; et c’est notre volonté, alors, qui le prévient : «Au matin, ma prière vous préviendra» (ps 87,14), «J’ai devancé le matin et j’ai crié vers vous» (ps 118,147), «Mes yeux ont devancé le point du jour :» (Ibid. 148). — Il nous appelle et nous invite, lorsqu’il dit : «Tout le jour, j’ai tendu les mains vers un peuple incrédule et rebelle» (Rm 10,21); et nous l’invitons à notre tour, quand nous lui disons : «Tout le jour, j’ai tendu les mains vers vous» (ps 87,10). — Il nous attend : «Le Seigneur attend, dit le prophète, pour avoir pitié de vous.» (Is 30,18) Et nous l’attendons : «Je ne me suis point lassé d’attendre le Seigneur, et il m’a regardé» (ps 39,2); «J’ai attendu ton salut, Seigneur» (ps 118,166). — Il nous fortifie : «Je les ai instruits, et j’ai fortifié leurs bras, et ils ont médité le mal contre moi» (Os 7,15) et il nous exhorte à nous fortifier nous-mêmes : «Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui chancellent» (Is 35,3). — Jésus crie : «Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive !» (Jn 7,37). Et le prophète crie vers lui : «Je me suis épuisé à crier, ma gorge s’est enrouée; mes yeux se sont consumés, tandis que j’espère en mon Dieu.» (ps 58,4) — Le Seigneur nous cherche : «J’ai cherché, et il n’y avait point d’homme; j’ai appelé, et personne n’était là pour me répondre» (Cant 5,6). Et l’épouse le cherche lui-même avec ces plaintes pleines de larmes : «Sur ma couche, pendant la nuit, j’ai cherché celui que mon âme chérit; je l’ai cherché, et je ne l’ai pas trouvé; je l’ai appelé, et il ne m’a pas répondu» (Ibid. 3,1). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Il se peut qu’à notre tour nous soyons soumis à ce genre de tentation, afin d’avoir aussi le mérite de l’épreuve. Le Législateur le prédit bien clairement dans le Deutéronome : «S’il s’élève au milieu de toi un prophète ou quelqu’un qui dise avoir vu un songe, et qu’il te prédise un signe ou un prodige, et que ce qu’il a dit s’accomplisse, puis qu’il te dise : Allons, et suivons des dieux étrangers que tu ignores, et servons-les : tu n’écouteras pas les paroles de ce prophète ou de ce songeur, parce que le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin qu’il paraisse si vous l’aimez, ou non, de tout votre coeur et de toute votre âme.» (Deut 13,1-3) Quoi donc ? lorsque Dieu aura permis que surgisse ce prophète ou ce songeur, protégera-t-il ceux dont il veut éprouver la foi, de manière à ne point laisser de place à leur liberté, pour qu’ils luttent par leurs propres forces avec le tentateur ? Et quel besoin même de tentation, s’il les sait trop faibles et trop fragiles, pour être capables de résister par leurs propres forces au tentateur ? La justice du Seigneur n’aurait donc pas permis qu’ils fussent tentés, s’il ne leur avait connu une force de résistance égale à l’attaque, en sorte que l’on pût en toute équité les juger coupables ou dignes d’éloge, selon qu’ils auraient agi. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

La perfection active consiste en deux points. Le premier est de connaître la nature des vices et la méthode pour les guérir; le second, de discerner l’ordre des vertus, et de conformer si heureusement notre âme à leur perfection, qu’elle cesse dorénavant de les servir en esclave, comme si elle souffrait violence et se voyait soumise à un tyrannique empire, mais qu’elle s’y délecte et s’en nourrisse comme d’un bien connaturel, trouvant des délices à gravir la voie rude et étroite. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Prenez garde avant tout et vous particulièrement, Jean, que votre jeunesse engage plus encore à observer ce que je vais dire de commander à votre bouche le plus complet silence, si vous ne voulez pas qu’un vain élèvement rendent inutiles et votre ardeur à la lecture et vos labeurs pleins de saints désirs. C’est ici le premier pas dans la science pratique : recevoir les enseignements et les décisions de tous vos anciens d’une âme attentive, mais la bouche en quelque sorte muette; les déposer avec soin dans votre coeur, et vous empresser à les accomplir, plutôt qu’à faire le docteur. Au lieu des prétentions funestes de la vaine gloire, vous verrez se multiplier les fruits de la science spirituelle. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Puis, après avoir banni tous les soins et les pensées terrestres, efforcez-vous de toutes manières de vous appliquer assidûment, que dis-je ? constamment à la lecture sacrée, tant que cette méditation continuelle imprègne enfin votre âme, et la forme, pour ainsi dire, à son image. Elle en fera de quelque façon l’arche de l’alliance, renfermant en soi les deux tables de pierre, c’est-à-dire l’éternelle fermeté de l’un et l’autre Testament; — l’urne d’or, symbole d’une mémoire pure, et sans tache qui conserve à jamais le trésor caché de la manne, entendez l’éternelle et céleste douceur des pensées spirituelles et du pain des anges; la verge d’Aaron, c’est-à-dire l’étendard, signe du salut, de notre Souverain, et véritable pontife Jésus Christ, toujours verdoyant dans un immortel souvenir : le Christ, en effet, est la verge qui, après avoir été coupée de la racine de Jessé, reverdit de sa mort avec une vigueur nouvelle. Toutes ces choses sont couvertes par deux chérubins, c’est-à-dire la plénitude de la science historique et spirituelle. Car chérubin signifie plénitude de science. Ils couvrent sans cesse le propitiatoire de Dieu, c’est-à-dire la tranquillité de votre coeur, et la protègent contre toutes les attaques des esprits malins. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Votre âme, ainsi devenue, par son inséparable amour de la pureté, l’arche du divin Testament et le royaume sacerdotal, absorbée en quelque sorte dans les connaissances spirituelles, accomplira le commandement fait au pontife par le Législateur : «Il ne sortira pas du sanctuaire, de peur qu’il ne profane le sanctuaire de Dieu,» (Lev 21,12) c’est-à-dire son coeur, où le Seigneur promet de faire sa constante demeure : «J’habiterai parmi eux, et je marcherai au milieu d’eux.» (2 Cor 6,16). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Cependant, un vif sentiment de componction me remuait intérieurement. Il se traduisit bientôt par de profonds soupirs : «Toutes les pensées, dis-je, que vous avez développées avec tant d’éloquence, ajoutent encore au découragement dont j’avais à souffrir. Outre les captivités de l’âme qui sont communes à tous, et les distractions qui battent du dehors les esprits encore faibles, je trouve un obstacle particulier à mon salut dans la médiocre connaissance que je parais avoir de la littérature. Zèle du pédagogue, ou application de l’élève, je m’en suis imprégné jusqu’au fond. Avec un esprit de la sorte infecté des oeuvres des poètes, les fables frivoles, les histoires grossières dont je fus imbu dès ma petite enfance et mes premiers débuts dans les études, m’occupent même à l’heure de la prière. Je psalmodie, on j’implore le pardon de mes péchés; et voici que le souvenir effronté des poèmes jadis appris me traverse l’esprit, l’image des héros et de leurs combats semble flotter devant mes yeux. Tandis que ces fantômes se jouent de moi, mon âme n’est plus libre, d’aspirer à la contemplation des choses célestes. Cependant, les larmes que je répands chaque jour ne réussissent pas à les chasser. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Il arrivera par hasard que vous sachiez très bien ce que vous entendez en conférence. Ne prenez point prétexte de ce qu’il vous est connu, pour faire une moue dédaigneuse; mais confiez-le à votre coeur avec cette avidité que nous devons toujours avoir, soit à prêter l’oreille aux désirables paroles du salut, soit à les proférer nous-mêmes. Si fréquemment que les vérités saintes nous soient exposées, jamais une âme qui a soif de la vraie science n’en éprouvera de satiété ni d’aversion. Elles lui seront nouvelles chaque jour, chaque jour également désirées. Plus souvent elle s’en sera nourrie, plus elle se montrera avide de les entendre ou d’en parler. Leur répétition confirmera la connaissance qu’elle en a, loin que les conférences multipliées lui donnent un soupçon de dégoût. C’est l’indice évident d’une âme tiède et superbe, de recevoir avec ennui et indifférence la parole du salut, quand même il y aurait de l’excès dans l’assiduité qu’on met à la lui faire entendre : «Celui qui est rassasié foule aux pieds le rayon de miel; mais à celui qui est dans le besoin, cela même qui est amer parait doux.» (Pro 27,7). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Mais, nous l’avons dit, il est impossible de connaître ou d’enseigner ces choses, à moins d’en avoir l’expérience. Celui qui n’est pas capable même de les comprendre, comment le serait-il de les communiquer aux autres ? Que s’il a cependant la présomption d’en parler, son discours restera sans aucun doute inefficace et vain. Ses paroles frapperont l’oreille de ses auditeurs; elles ne pénétreront pas jusqu’à leur âme : parce que, triste fruit de la négligence et d’une stérile vanité, elles ne sortent pas du trésor d’une bonne conscience, mais ont leur principe dans la vaine présomption de la jactance. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

De là leur stratagème : on les voit prononcer avec effroi le nom de personnes qu’ils savent entièrement dépourvues de sainteté et de fruits spirituels, comme si leurs mérites étaient un enfer insupportable qui les chasse du corps des possédés. Mais de ces personnes, il est dit dans le Deutéronome : «S’il s’élève du milieu de toi un prophète ou quelqu’un qui dise avoir vu, un songe, et qu’il te prédise un signe ou un prodige, et que ce qu’il a dit s’accomplisse, puis qu’il le dise : Allons, et suivons des dieux étrangers que tu ignores, et servons-les : tu n’écouteras point les paroles de ce prophète ou de ce songeur, parce que le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin qu’il paraisse si vous l’aimez, ou non, de tout votre coeur et de toute votre âme.» (Dt 13,1-3). Il est dit de même dans l’Évangile : «Il s’élèvera de faux Christs et de faux prophètes, et ils feront de grands signes et de grands prodiges, jusqu’à induire dans l’erreur, s’il se pouvait, même les élus.» (Mt 24,24). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

C’est donc l’humilité qui est la maîtresse de toutes les vertus, le fondement inébranlable de l’édifice céleste, le don propre et magnifique du Sauveur. Celui-là pourra faire sans péril d’élèvement tous les miracles que le Christ a opérés, qui cherche à imiter le doux Seigneur, non dans la sublimité de ses prodiges, mais dans la vertu de patience et d’humilité. Pour celui qu’agite le désir impatient de commander aux esprits immondes, de rendre la santé aux malades, de montrer aux foules quelque signe merveilleux, il peut bien invoquer le Nom du Christ au milieu de toute son ostentation; mais il est étranger au Christ, parce que son âme superbe ne suit pas le Maître de l’humilité. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Aussi bien, est-ce un plus grand miracle d’extirper de sa propre chair le foyer de la luxure, que d’expulser les esprits immondes du corps d’autrui; un signe plus magnifique de contenir par la vertu de patience les mouvements sauvages de la colère, que de commander aux puissances de l’air. C’est quelque chose de plus, d’éloigner de son propre coeur les morsures dévorantes de la tristesse, que de chasser les maladies et les fièvres des autres. Enfin, c’est, à bien des titres, une plus noble vertu, un progrès plus sublime, de guérir les langueurs de son âme, que les faiblesses corporelles d’autrui. Plus l’âme est au-dessus de la chair, plus est préférable son salut; plus sa substance l’emporte par l’excellence et le prix, plus grave et funeste serait sa perte. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Le quatrième est de croire que pour aucun motif, juste ni injuste, il n’est permis de se mettre en colère. En cinquième lieu, il faut tâcher d’adoucir la colère que notre frère a conçue contre nous, même sans sujet, avec autant d’empressement que nous ferions la nôtre propre : sachant que nous souffrons le même préjudice de la tristesse d’autrui, que si nous étions émus nous-mêmes, à moins que nous ne cherchons, dans la mesure du possible, à la bannir de son âme. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

À quel propos se pourrait-il brouiller avec son ami ? En ne revendiquant rien comme sa propriété, il coupe la racine première des procès, qui naissent habituellement de petites choses et pour les objets les plus dépourvus de valeur; de toute sa force, il s’applique à observer ce que nous lisons dans les Actes des apôtres sur l’unité qui régnait parmi les fidèles : «La multitude des fidèles n’avait qu’un coeur et qu’une âme; nul ne disait sien ce qu’il possédait, mais tout était commun entre eux.» (Ac 4,32). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Entre les frères charnels encore et faibles, le démon a tôt fait de semer la colère et la désunion à propos de choses viles et terrestres. Mais pour les spirituels, c’est par la diversité de sentiment qu’il fait naître chez eux la discorde. Telle est, sans aucun doute, la fréquente origine des disputes et des querelles que l’Apôtre condamne. (Cf. Gal 5,20). De celles-ci l’ennemi, envieux et méchant, prend ensuite occasion, afin de pousser à la rupture des frères qui n’avaient jusque là qu’une âme. Car elle est bien vraie, la parole du sage Salomon : «La dispute suscite la haine; mais pour tous ceux qui ne disputent point, l’amitié les protégera.» (Pro 10,12). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Il est impossible d’éviter ce malheur, si l’on se lie à son propre sens. Mais il faut aimer et pratiquer la vraie humilité; il faut remplir, avec un coeur contrit, le voeu si pressant de l’Apôtre : «S’il est quelque consolation dans le Christ, s’il est quelque douceur et soulagement dans la charité, s’il est quelque tendresse et compassion, rendez ma joie parfaite; ayez une même pensée, un même amour, une même âme, un même sentiment; ne faites rien dans un esprit de contention ni par vaine gloire; mais tenez-vous en toute humilité pour supérieurs les uns aux autres.» (Phil 2,13). Il dit encore : «Prévenez-vous d’honneur les uns les autres.» (Rom 12,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Se sentent-ils émus contre leur frère, ou l’esprit de leur frère excité contre soi : ils s’appliquent à dissimuler la tristesse produite en leur âme, soit par leur propre émotion, soit par celle d’autrui. Et tout en s’éloignant de ceux qu’ils auraient dû apaiser par une humble satisfaction et de douces paroles, ils se mettent à chanter quelques versets des psaumes. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Une multitude énorme était venue pour saisir le Seigneur, avec des épées et des bâtons. Or, personne ne fut plus cruellement parricide contre l’Auteur de notre vie que le traître Judas, qui, prévenant tous les autres afin de lui offrir, en le saluant, un hypocrite hommage, lui donna le baiser d’une charité perfide. Et le Seigneur lui dit : «Judas, tu livres le Fils de l’homme par un baiser ? » (Lc 22,48) c’est-à-dire : Pour couvrir l’amertume de la persécution et de la haine, tu empruntes le signe fait pour exprimer la douceur du véritable amour ! Mais il exhale plus ouvertement et avec plus de véhémence la violence de sa douleur par la bouche du prophète : «Si c’était un ennemi qui m’eût outragé, je l’aurais supporté; et si c’était celui qui m’avait en haine qui se fût élevé contre moi dans ses paroles, je me serais caché de lui. Mais toi, tu n’avais qu’une âme avec moi; tu étais mon guide et mon ami; tu partageais avec moi une douce nourriture; nous allions de concert dans la maison de Dieu !» (Ps 54,13-15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Notre Seigneur et Sauveur a voulu nous former à une vertu profonde, qui ne fût pas seulement sur nos lèvres, mais demeurât au sanctuaire le plus intime de notre âme. Dans cette formule qu’il nous donne de la perfection évangélique : «Si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre,» il faut certainement sous-entendre, à la fin, le mot droite. Et par cette autre joue droite, l’on ne peut entendre, s’il m’est permis de parler ainsi, que la face de l’homme intérieur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

L’Apôtre ne parle pas autrement : «Ne vous vengez pas vous-mêmes, mais donnez place à la colère;» (Rom 12,19) c’est-à-dire : Ne courez pas à ta vengeance sous l’aveugle poussée de la passion, mais donnez place à la colère. Quoi encore ? Ne laissez pas resserrer vos coeurs par l’étroitesse de l’impatience et de la pusillanimité, tellement qu’ils ne puissent soutenir la tempête impétueuse de l’emportement, lorsqu’elle se déchaînera. Dilatez-les, au contraire, et recevez les flots ennemis de la passion dans les espaces élargis de la charité, qui «souffre tout, supporte tout.» (1 Cor 13,7). Que votre âme ainsi dilatée par la largeur de la longanimité et de la patience, possède en soi les retraites salutaires de la délibération et du conseil, on l’horrible fumée de la colère trouve, si l’on peut ainsi parler, une issue, se répande, et finalement se dissipe. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

On peut comprendre encore de la manière suivante. Nous donnons place à la colère, toutes les fois que nous plions d’une âme humble et tranquille devant l’émotion de notre frère, et que, nous reconnaissant en quelque façon dignes de toutes les injures, nous cédons à l’impatience déchaînée. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Voyez-les, en effet, sous le coup de cette grave accusation. Ce qui les abat, ce n’est pas le crime qu’on leur reproche faussement, mais le remords de celui qu’ils ont autrefois commis. «C’est justement que nous souffrons, se disent-ils les uns aux autres, parce que nous avons péché contre notre frère, parce que nous avons méprisé l’angoisse de son âme, lorsqu’il nous priait, et que nous ne l’avons pas écouté. Voilà pourquoi cette tribulation est venue sur nous.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH

Mais il lui vient un plan meilleur : il n’exécute pas ce qu’il avait promis, comme il le confesse lui-même de la façon la plus claire : «Est-ce donc qu’en formant ce dessein, j’aurais agi avec légèreté ? Ou bien les projets que je fais, est-ce que je les fais selon la chair, de sorte qu’il y ait en moi le oui et le non.» Il déclare enfin, et avec serment, pourquoi il a préféré manquer à sa parole, plutôt que leur causer par sa visite une pénible tristesse : «Pour moi, je prends Dieu à témoin sur mon âme que c’est pour vous épargner que je ne suis pas allé de nouveau à Corinthe. Je me suis promis à moi-même de ne pas retourner chez vous dans la tristesse.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH

La vie cénobitique prit naissance au temps de la prédication apostolique. C’est elle, en effet, que nous voyons paraître dans la multitude des fidèles, dont le livre des Actes nous trace ce tableau : «La multitude des fidèles n’avait qu’un coeur et qu’une âme; nul ne disait sien ce qu’il possédait, mais tout était commun entre eux»; (Ac 4,32) «Ils vendaient leurs terres et leurs biens, et ils en partageaient le prix entre tous, selon les besoins de chacun»; (Ibid. 2,45) «Il n’y avait pas d’indigent parmi eux : tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons, les vendaient et en mettaient le prix aux pieds des apôtres. On le distribuait ensuite à chacun, selon qu’il en avait besoin.» (Ibid. 4,35-36). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

C’est d’eux qu’il est parlé dans les psaumes : «Qu’ils le disent maintenant ceux qui furent rachetés par le Seigneur, ceux qu’Il a rachetés des mains de l’ennemi;» puis, un peu plus loin: «Ils erraient dans le désert, dans une solitude sans eau; et ils ne trouvaient pas le chemin d’une ville pour y demeurer. En proie à la faim, à la soif, ils sentaient leur âme défaillir. Dans leur détresse, ils crièrent vers le Seigneur; et Il les délivra de leurs angoisses.» (Ps 106,2). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Mais, soit qu’ils n’apportent au service de leur ambition qu’une âme pusillanime, dans une entreprise qui exige une force peu commune, soit que la seule nécessité les ait contraints à la profession monastique, ils se montrent aussi empressés à se parer du nom de moine, que peu disposés à en imiter la vie. Ils n’ont cure de la discipline cénobitique, ni de s’assujettir à l’autorité des anciens, ou d’apprendre d’eux à vaincre leurs volontés; nulle formation régulière, point de règle dictée par une sage discrétion. Mais c’est pour le public seulement qu’ils renoncent et à la face des hommes. Ou ils restent dans leurs demeures particulières, et, couverts par le privilège d’un nom glorieux, s’embarrassent des mêmes soins que devant. Ou bien ils se construisent des cellules, les décorent du nom de monastères, mais pour y vivre selon leur guise et en complète liberté. L’Évangile commande : Ne vous laissez prendre, ni par le souci du pain quotidien, ni par les embarras d’une fortune. Mais ils ne consentent point à courber la tête sous ce joug. Ceux-là seulement rempliront le précepte, sans les hésitations d’une âme infidèle, qui se dégagent entièrement des biens de ce monde, puis se soumettent aux supérieurs des communautés cénobitiques, jusqu’à faire profession de ne s’appartenir plus soi-même. Tels ne sont pas les sarabaïtes. Fuyant, comme on l’a dit, l’austérité cénobitique, ils habitent à deux ou trois dans des cellules. Leur moindre désir est d’être gouvernés par les soins et l’autorité d’un abbé. Bien au contraire, ils font leur principale affaire de rester libres du joug des anciens, afin de garder toute licence d’accomplir leurs caprices, de sortir, d’errer où il leur plaît, de faire ce qui les flatte. Chose curieuse, il arrive même qu’ils travaillent plus que les cénobites; mal contents d’y passer le jour, ils y donnent encore la nuit. Mais non pas dans les mêmes pensées de foi ni avec le même but. Ce qu’ils en font, n’est point du tout pour abandonner le fruit de leur travail à la libre disposition d’un économe, mais pour gagner de l’argent et le mettre en réserve. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Les cénobites, sans pensée du lendemain, offrent à Dieu le fruit de leurs sueurs comme une hostie agréable; les sarabaïtes étendent le souci de leur âme infidèle, non seulement au lendemain, mais à une longue suite d’années, et font Dieu menteur ou dénué de ressources, comme s’il ne pouvait ou ne voulait pas tenir sa promesse, de donner en suffisance le pain quotidien et le vêtement. Les premiers souhaitent de tous leurs voeux le dépouillement total et la pauvreté perpétuelle, les seconds, l’abondance de tous les biens. Les uns s’efforcent à l’envi de dépasser la mesure de travail prescrite, mais afin qu’après avoir suffi aux saints usages du monastère, le reste soit dépensé, selon le jugement de l’abbé, aux prisonniers, aux hospices pour les étrangers, aux hôpitaux, aux indigents; les autres n’ont pour but que de satisfaire, avec le superflu de leur gourmandise, une fantaisie dépensière ou une coupable avarice. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Secondement, tenons pour bien assuré que nous ne pouvons être en sûreté contre les orages des tentations et les attaques du démon, si nous plaçons la sauvegarde et l’espoir de notre patience, non dans la vigueur de notre homme intérieur, mais dans la clôture d’une cellule, l’éloignement de la solitude, la compagnie des saints, ou quelque autre soutien extérieur à nous. Si Celui qui a dit dans l’Évangile : «Le règne de Dieu est au-dedans de vous,» (Lc 17,21) ne fortifie notre âme par la vertu de sa protection, c’est en vain que nous nous flattons de vaincre les embûches des puissances de l’air, ou de les éviter par la distance des lieux, ou de leur fermer toute approche par le rempart d’une cellule. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Soyons vigilants, et nos ennemis intérieurs ne pourront plus nous blesser. Les gens de notre maison cessant de nous combattre, notre âme pacifiée possédera le royaume de Dieu. À bien prendre les choses, un autre homme ne saurait m’atteindre, quelque malice qu’il déploie, si mon coeur inapaisé ne me met en guerre contre moi-même. Suis-je blessé ? La faute n’en est pas à l’attaque d’autrui, mais à mon impatience. Ainsi en va-t-il de la nourriture forte et solide, bonne à qui est en santé, pernicieuse au malade. Elle ne peut faire mal à qui la prend, à moins qu’elle ne trouve dans sa faiblesse la force de nuire. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Cependant, je veux que vous le sachez, la maladie de l’envie vient plus difficilement à guérison que les autres vices. Lorsqu’une âme est infectée de son venin, j’oserais presque dire qu’il n’y a point de remède. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

La vie anachorétique, dont vous admirez si fort que je sois sorti, fit-il, est loin de m’inspirer de l’éloignement ou du mépris. Je la révère, au contraire, l’aime et l’approuve de toute mon âme. Après trente années passées dans un monastère de cénobites, j’en ai donné vingt au désert; et je me réjouis d’y avoir été tel, que je ne fusse point noté tout à fait de lâcheté parmi ceux qui s’y montraient au moins médiocres. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Si jamais personne se plut dans le secret de la solitude, au point d’oublier le commerce des hommes et de pouvoir dire avec Jérémie : «Je n’ai pas désiré le jour de l’homme, vous le savez,» (Jer 17,16) j’avoue que le Seigneur me fit la grâce de m’établir dans cette disposition, ou de m’efforcer au moins d’y parvenir. Je me souviens d’avoir été souvent ravi en de tels transports, par une faveur toute miséricordieuse de notre Seigneur, que j’en oubliais le fardeau de ce corps de fragilité. Mon âme s’isolait tout à coup des sens extérieurs, et sen allait si loin du monde matériel, que ni mes yeux ni mes oreilles ne s’acquittaient plus de leur fonction. La pensée des choses de Dieu et la contemplation spirituelle remplissaient mon coeur à tel point, que fréquemment, je ne savais, le soir, si j’avais pris de la nourriture durant le jour, et restais incapable de décider, le lendemain, si j’avais rompu le jeûne le jour d’auparavant. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Je ne dis rien de tant que choses qui pèsent particulièrement à une âme toute transportée et constamment attentive à la contemplation spirituelle : le concours des frères; les devoirs qu’imposent la réception et la conduite des hôtes; un tracas sans fin de conversations et d’affaires, dont la seule attente préoccupe encore, dans le temps même qu’elles paraissent cesser; l’esprit entretenu dans l’agitation par une inquiétude sans cesse renouvelée. La liberté du désert succombe sous les chaînes; le coeur ne s’élève jamais à cette allégresse ineffable dont nous avons parlé, et ne réussit plus à cueillir le fruit de la profession érémitique. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

GERMAIN. — Nous sommes justement de ceux qui ont recherché la solitude avec une formation cénobitique insuffisante, et avant d’avoir expulsé tous leurs vices. Quel remède nous secourra, nous, et nos pareils pour la fragilité comme pour le flegré médiocre de l’avancement ? Le moyen d’obtenir la constance d’une âme qui ne connaît plus le trouble, et l’inébranlable fermeté de la patience, maintenant que nous avons prématurément abandonné, avec notre monastère, l’école même et le lieu authentique de ces exercices ? C’est là que nous aurions dû parfaire notre première éducation et la conduire à son terme. Solitaires aujourd’hui, comment acquérir la perfection de la longanimité et de la patience ? Comment le regard de notre conscience, qui explore les mouvements intérieurs de l’âme, discernera-t-il en nous la présence ou l’absence de ces vertus ? N’est-il pas a craindre que, séparés du commerce des hommes et n’ayant jamais rien à souffrir de leur part, une fausse persuasion ne nous abuse, et ne nous fasse croire que nous sommes parvenus à l’inébranlable tranquillité de l’âme ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Ceci est particulièrement vrai de ceux qui ne ferment pas les yeux sur leurs maladies, par découragement ou négligence, mais, loin de cacher leurs blessures ou de repousser insolemment le traitement de la pénitence, recourent d’une âme humble et pourtant vigilante au céleste médecin, pour les langueurs que l’ignorance, l’erreur et une malheureuse nécessité leur ont fait contracter. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Nous sommes dans la solitude. Un frère survient, ou demeure quelque peu. Or, notre esprit ne le souffre pas sans agitation ni anxiété : c’est le signe qu’il existe en nous un foyer très vivace d’impatience. — Au contraire, nous attendons la visite d’un frère. Mais, pour une raison quelconque, il se fait attendre. Et voilà qu’une indignation secrète s’élève dans nos coeurs, pour blâmer ce retard; notre âme se trouble dans une attente inquiète et hors de propos : notre conscience trouve là une preuve que le vice de la colère et de la tristesse réside en nous. — Un autre nous demande à lire un manuscrit ou à se servir de quelque objet nous appartenant. Sa demande nous attriste, ou nous le rebutons : il n’est pas douteux que nous ne soyons dans les chaînes de l’avarice. — Une pensée jaillit soudainement ou au cours de la lecture sacrée, qui nous trouble : sachons que le feu de l’impureté n’est pas encore éteint dans nos membres. – À la comparaison de notre austérité avec le relâchement d’autrui, un soupçon d’élèvement effleure notre âme : il est sûr que nous sommes infectés du terrible fléau de l’orgueil. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

C’est ainsi que le solitaire lui-même peut reconnaître à des indices certains si la racine de tel ou tel vice existe au fond de son âme. À la condition toutefois qu’il ne fasse point montre de sa pureté, mais qu’il s’applique à l’offrir inviolée aux regards de Celui à qui ne sauraient échapper les secrets du coeur les plus intimes. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Quelque jour, une invitation l’appellera à l’assemblée des frères : ce qui ne peut manquer d’arriver aux solitaires même les plus stricts. S’il s’aperçoit que son âme s’est émue dans cette circonstance, et pour des riens, qu’il se fasse le censeur impitoyable de ses mouvements secrets. Il se remontrera sur-le-champ les injures extrêmes par lesquelles il s’exerçait tous les jours à la parfaite patience, et il ira se gourmandant et s’invectivant soi-même : «Est-ce toi, ô grand homme de bien, qui, durant que tu t’exerçais dans ta solitude, te flattais de vaincre tous les maux par ta constance; qui naguère, lorsque tu te représentais à l’esprit les plus âpres invectives et, mieux encore, des supplices intolérables, te croyais assez fort pour demeurer inébranlable à toutes les tempêtes ? Comment la plus légère parole, te frôlant de son aile, a-t-elle confondu cette patience invincible ? Ta maison était, à ce qu’il te semblait, puissamment assise sur le roc solide : comment le moindre souffle l’a-t-il fait trembler ? Rempli d’une vaine assurance, tu appelais la guerre au milieu de la paix : où sont les belles paroles que tu redisais si haut : «Je suis prêt, et je ne me suis point troublé »? (Ps 118,60). Avec le prophète, souvent tu t’écriais : «Éprouvez-moi, Seigneur, et sondez-moi; faites passer au creuset mes reins et mon coeur»; (Ps 25,2). «Éprouvez-moi, Seigneur, et connaissez mon coeur; interrogez-moi, et connaissez mes sentiers, et voyez s’il est en moi une voie d’iniquité .» (Ps 138,23-24). Cet appareil de combat si formidable, comment une ombre d’ennemi l’a-t-elle mis en déroute ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Donnez-moi un homme tout entier dans la pensée de satisfaire et dans les gémissements de la pénitence. Aussi longtemps que l’idée des fautes commises, ou d’autres fautes semblables, vient se jouer devant ses regards; tant que, je ne dis pas la délectation, mais seulement le souvenir continue d’infester les retraites profondes de son âme : à ces marques, il peut reconnaître qu’il n’est point délivré parfaitement. Ainsi, l’âme que je désir de faire satisfaction pour ses péchés tient sans cesse en éveil, saura son acquittement et son pardon à ce signe, que leur séduction ni leur image même ne l’effleureront plus. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

Tout le temps, en effet, que dure la pénitence et que nous sentons le remords de nos actes vicieux, il faut que les larmes d’un humble aveu, tombant sur notre âme comme une pluie bienfaisante, y viennent éteindre le feu vengeur, allumé par notre conscience. Mais on est resté longtemps dans cette humilité de coeur et contrition d’esprit, adonné sans trêve au labeur et aux gémissements. Et voici que le souvenir du mal commis s’est assoupi; par une grâce de la divine miséricorde, l’épine du remords est arrachée des moelles de l’âme : c’est le signe certain que l’on est parvenu au terme de la satisfaction; on a gagné son pardon; toute souillure est lavée des fautes d’autrefois. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

Au demeurant, nul autre chemin, pour atteindre à cet oubli, que l’abolition des tares et des passions de notre première vie, une parfaite et entière pureté de coeur. Qui néglige, par indolence ou mépris, de corriger ses vices, ne le connaîtra jamais. C’est la conquête privilégiée de celui qui, à force de gémissements, de soupirs et de sainte tristesse, aura réduit jusqu’à la moindre trace de ses souillures passées, et, du plus profond de son âme, criera en toute vérité vers le Seigneur : «J’ai fait connaître mon péché et je n’ai point couvert mon injustice»; (Ps 31,5) «Mes larmes sont ma nourriture jour nuit.» (Ps 41,4). Car voici la réponse qu’il méritera d’entendre : «Que ta voix cesse de gémir; et tes yeux, de pleurer : ton labeur aura sa récompense, dit le Seigneur.» (Jer 31,16). Et la Voix divine lui dira encore : «J’ai effacé comme une nuée tes iniquités, et tes péchés comme un nuage»; (Is 44,22) «C’est Moi, c’est Moi seul qui efface tes iniquités pour l’amour de Moi, et de tes péchés Je ne me souviendrai plus.» (Ibid. 43,25). Délivré «des liens de ses péchés, où chacun se trouve engagé»,(Pro 5,22) il chantera au Seigneur ce cantique d’actions de grâces : «Vous avez rompu mes liens, je vous offrirai un sacrifice de louange.» (Ps 115,16-17). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

Parfois, c’est l’intercession des saints qui obtient le pardon de nos fautes : «Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui ne va pas à la mort, qu’il prie; et Dieu donnera la vie à ce frère, dont le péché ne va pas à la mort.» (1 Jn 5,163). Et de nouveau : «Quelqu’un parmi vous est-il malade, qu’il appelle les prêtres de l’Église, et que ceux-ci prient sur lui, l’oignant d’huile au nom du Seigneur. Et la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le soulagera; et s’il a commis des péchés, ils lui seront remis.» (Jac 5,14-15). D’autres fois, c’est le mérite de la miséricorde et de la foi qui réduit la souillure de nos vices, selon cette parole : «Les péchés s’expient par la miséricorde et la foi.» (Pro 15,27). Souvent aussi, c’est la conversion et le salut de ceux que ramènent au bien nos avis et notre prédication : «Celui qui convertira un pécheur de l’égarement de ses voies, sauve cette âme de la mort et couvrira la multitude de ses propres péchés.» (Jac 5,20). Enfin, l’oubli et le pardon que nous accordons aux autres, nous méritent le pardon de nos propre méfaits : «Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos manquements.» (Mt 6,14). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

Toute âme qui souhaite de parvenir à l’indulgence plénière de ses fautes, en a ici les moyens; qu’elle s’étudie seulement à s’y conformer. Mais surtout, que personne ne rende inefficace, par l’obstination d’un coeur endurci, un remède si salutaire; que personne ne se ferme la source surabondante préparée par la Toute-Bonté ! Car, ferions-nous toutes les oeuvres qui viennent d’être énumérées, elles ne suffiraient point à expier nos crimes; c’est à la Bonté du Seigneur, à sa Clémence qu’il appartient de les effacer. Mais aussitôt qu’Il découvre en nous quelques marques de nos sentiments religieux, sacrifice offert par une âme suppliante, Il récompense ces pauvres et chétifs efforts avec une libéralité sans mesure : «C’est Moi, dit-il, c’est Moi seul qui efface les iniquités pour l’amour de Moi, et de tes péchés je ne me souviendrai plus.» (Is 43,25). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

C’est ce glaive dont les salutaires blessures répandent le sang corrompu, sève vivante du péché. Toutes végétations charnelles et terrestres qu’il rencontre en notre âme il les coupe et retranche, nous faisant mourir au vice, afin de vivre à Dieu, dans la vigueur des vertus spirituelles. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

Pour ce que vous avez dit tout à l’heure, que vous rappeliez à dessein la mémoire de vos péchés passés, c’est une chose qu’il faut absolument éviter. Bien plus, si ce souvenir se glisse en vous malgré vous, chassez-le à l’instant. C’est que, principalement chez le solitaire, il a beaucoup de force, pour retirer l’âme de la contemplation, en l’engageant, comme il fait, dans les souillures du monde, où l’infection des vices lui ôte la respiration. Nous prétendez repasser dans votre esprit les fautes que vous avez commises par ignorance ou intempérance, en suivant le prince de ce siècle ? Je veux bien vous accorder que vous ne serez point touché de la délectation mauvaise, à l’occasion d’une telle pensée. Mais assurez-vous que la seule contagion de votre gangrène d’antan infectera nécessairement votre âme de senteurs repoussantes, et chassera le parfum spirituel des vertus, je veux dire la suavité de la bonne odeur. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

C’est pourquoi, désertant toute pensée mauvaise et, plus encore, toute pensée terrestre, il faut élever toujours l’attention de notre âme aux choses célestes : «Où je suis, là aussi sera mon serviteur,» (Jn 12,29) dit le Seigneur. Eh quoi ? n’arrive-t-il pas fréquemment aux gens dépourvus d’expérience, que, revenant en pensée sur leurs propres chutes ou sur celles des autres, comme pour les déplorer, la pointe subtile du consentement mauvais les blesse; et ce qui avait commencé avec les couleurs de la piété, s’achève dans le péché de l’impudicité : «Il est des voies qui paraissent, droites à l’homme, mais dont l’issue est au fond de l’enfer.» Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

Tous ces saints personnages ne se contentèrent pas d’offrir la dîme de ce qu’ils avaient; mais, renonçant à leurs domaines eux-mêmes, ils offrirent à Dieu leur personne et leur âme, cette âme pour laquelle l’homme n’a point de compensation à donner, selon que le Seigneur l’atteste dans l’Évangile : Qu’est-ce que l’homme donnera en échange de son âme ? (Mt 16,26). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Il commence par se faire à lui-même une objection, comme parlant en leur nom : Pourquoi avons-nous jeûné, sans que vous regardiez ? Pourquoi avons-nous humilié nos âmes, sans que vous y preniez garde ? (Is 58,3). Il reprend aussitôt, et fait connaître les raisons pour lesquelles ils ne méritent pas d’être exaucés : C’est, dit-Il, que votre volonté propre se trouve au jour de votre jeûne, et redemandez vs créances à tous vos débiteurs. Voici : vous jeûnes, pour faire des procès et des querelles; et vous frappez du poing méchamment. Ne jeûnez plus comme vous l’avez fait jusqu’à ce jour, si vous voulez que votre cri soit entendu là-haut. Est-ce là un jeûne qui me plaise, que l’homme afflige son âme durant un jour ? Courber la tête comme un cercle, se coucher sur le sac et la cendre : est-ce là ce que vous appelez un jeune, un jour agréable au Seigneur ? (Is 87,3-5). Puis, il enseigne la manière, pour celui qui jeûne, de rendre agréable son abstinence, et prononce évidemment que le jeûne, par soi-même, n’est utile à rien, à moins de s’entourer des conditions suivantes : Le jeûne qui m’agrée, n’est-ce pas celui-ci ? Dénouez les chaînes d’impiété, déliez les fardeaux qui accablent, renvoyez libres les opprimés, brisez tous les jougs. Rompez votre pain à celui qui a faim, faites entrer dans votre maison les pauvres et les sans-abri. Si vous voyez un homme nu, couvrez-le, et ne méprisez point votre propre chair. Alors, votre lumière éclatera comme un matin, et la santé vous viendra promptement; la justice marchera devant votre face, et la Gloire du Seigneur sera votre arrière-garde. Alors, vous appellerez, et le Seigneur vous entendra; vous crierez, et il vous dira : Me voici. (Is 57,6-9) Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Tenons fermement ces notions sur la nature du jeûne. Nous pourrons ensuite nous y porter de toutes les forces de notre âme, sachant qu’il nous sera bon, si nous y observons le temps, la qualité, la mesure convenable, sans mettre en lui le terme de notre espérance, mais avec la pensée de parvenir par son moyen à la pureté du coeur et à la charité apostolique. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

THÉONAS. — Pesons tous nos actes sur la balance de la raison; et, pour ce qui regarde la pureté du coeur, consultons toujours notre conscience, non le jugement d’autrui : moyennant quoi, cette trêve ne saurait assurément faire tort à une juste austérité. Mais, encore une fois, il faut, d’une âme impartiale, faire la mesure égale à l’indulgence et à l’abstinence, et les maintenir en équilibre, de façon à corriger tout excès, d’une part comme de l’autre; distinguer, à la lumière de la véritable discrétion, si le poids des délices déprime la partie spirituelle, ou si l’excessive rigueur de notre jeûne déprime l’autre plateau, qui est celui du corps; appuyer, enfin, sur le plateau que nous voyons s’élever, et soulever celui que nous voyons s’abaisser. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Précautions d’autant plus nécessaires, que c’est à l’ennemi une habileté bien connue, de s’attaquer à notre pureté, lorsqu’il nous voit moins sur nos gardes parmi la célébration de quelque solennité. Il faut beaucoup veiller à ne jamais laisser la vigueur de notre âme s’énerver dans de flatteuses douceurs, afin, comme je l’ai dit, de ne point perdre, dans le repos et la sécurité de la Pentecôte, la parfaite chasteté acquise par le continuel labeur du carême. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Nous ne pouvons remplir, en effet, ce qui se chante dans le psaume : J’ai devancé le matin, et j’ai crié vers vous; (Ps 118,147). Mes yeux ont devancé le point du jour, pour méditer votre parole; (Ibid. 148) Le matin, ma prière vous préviendra, (Ps 87,14 que si, rappelés à la lumière du jour après le repos du sommeil, comme du sein des ténèbres et de la mort, nous n’osons rien prélever pour nos propres besoins, des fonctions de notre âme ni de notre corps. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Cependant, après la trêve que votre bienveillance vient de me concéder si royalement, je ne veux pas non plus apporter de retard à payer ma dette. Soin fort agréable pour moi, en vérité ! Car les richesses que nous donnons de la sorte se multiplient entre nos mains; elles enrichissent celui qui les reçoit, sans que celui qui en fait largesse se trouve appauvri. Le dispensateur de la doctrine spirituelle fait double gain, en effet : au profit de l’auditeur, s’unit l’avantage personnel, qu’il obtient à parler; en instruisant les autres, il s’enflamme non moins lui-même au désir de la perfection. Ainsi, votre ardeur est cause pour moi de progrès; et votre sollicitude, de componction. Mon âme, elle aussi, resterait abîmée dans la torpeur, et ne songerait à rien de ce que vous réclamez, si votre feu, votre attente ne l’excitaient de son sommeil au souvenir des choses spirituelles. C’est donc le moment, s’il vous plaît, d’énoncer le problème dont la brièveté du temps nous avait persuadés naguère de remettre la solution. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Le cas serait différent, s’il y avait de notre faute. Il faut alors comme citer en justice notre conscience, songeant avec tremblement à ces paroles de l’Apôtre : Celui qui mangera le pain et boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du Corps et du Sang du Seigneur. Que l’homme donc s’éprouve lui-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice. Celui qui mange le pain et boit le calice du Seigneur, indignement, mange et boit sa propre condamnation, parce qu’il ne discerne pas le Corps du Seigneur (1 Co 11,27-29); c’est-à-dire, parce qu’il ne distingue pas cette nourriture céleste des aliments communs et vils, parce qu’il ne sait pas discerner qu’il n’est loisible de la recevoir qu’avec une âme et un corps purs. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Voulons-nous parvenir à cette gloire sublime des vierges : recherchons de toutes nos forces la chasteté de l’âme et de l’esprit, de peur que nous ne tombions dans le nombre des vierges folles, à qui leur virginité ne fut pas comptée. Elles s’étaient bornées à la chasteté du corps; et c’est pourquoi le nom de vierges leur est donné, mais de vierges folles, parce que, dans leurs vases, manquait l’huile de la pureté intérieure, et que dès lors s’éteignait tout l’éclat et toute la splendeur de leur virginité corporelle. Car il faut que l’intérieure pureté conserve et entretienne par son rayonnement la chasteté de l’homme extérieur, l’animant à persévérer toujours dans la perpétuelle intégrité. Aussi, les vierges folles, malgré leur titre de vierges, ne méritent-elles pas l’entrée glorieuse dans la chambre nuptiale de l’Époux avec les vierges sages, qui, elles, ont sans reproche gardé leur esprit, leur âme et leur corps intacts pour le jour de notre Seigneur Jésus Christ. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Quels sont donc, en effet, les vierges du Christ, véritables et sans tache ? Ceux qui redoutent le mal ? Ceux qui n’y ont pas de complaisance ? Ceux qui, refrènent le vice ? Non pas; mais ceux qui ont étouffé jusque dans leur âme le plus léger souffle de la volupté, les plus imperceptibles mouvements de la passion; ceux qui ont tellement réduit, si je puis ainsi parler, le sens de la chair, qu’ils n’en ressentent plus la moindre atteinte. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

On pouvait penser qu’Il portait une chair pécheresse, aussi bien que les autres, lorsque, dans le péril de mort et frappé de terreur à la vue des supplices qui Le menaçaient, Il faisait cette prière : Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de Moi ! (Mt 26,39) ou qu’Il disait : Mon âme est triste jusqu’à la mort (Ibid., 38). Mais cette tristesse ignorait la souillure du péché, parce que l’Auteur de la vie ne pouvait redouter la mort. Il dit, en effet : Personne ne Me prend ma Vie, c’est de Moi-même que Je la donne; J’ai le pouvoir de la donner, et J’ai le pouvoir de la reprendre (Jn 10,18). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Celui-ci délivre le malheureux de la main des plus forts, le pauvre et l’indigent de ceux qui le dépouillent (Ps 34,10); il brise la mâchoire des injustes et arrache la proie d’entre leurs dents (Jb 29,17). Tandis qu’il exerce son rôle de justicier, élèvera-t-il le regard d’une âme tranquille vers la Gloire de la divine Majesté ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Même l’Apôtre Paul, dont la somme de souffrances a passé le labeur de tous les saints, n’a pas rempli cet idéal. Nous l’affirmons sans crainte, d’autant que c’est lui-même qui proteste aux disciples, dans les Actes : Vous savez que ces mains ont pourvu à ma subsistance et à celle de mes compagnons (Ac 22,34), et qui écrit aux Thessaloniciens : J’ai travaillé nuit et jour, dans la peine et la fatigue (2 Thess 3,8). Il acquérait de ce fait, j’y consens, des trésors de mérites. Néanmoins, son âme, pour sainte et sublime qu’elle fût, ne pouvait faire autrement que d’être quelquefois séparée de la céleste théorie, par l’application au travail terrestre. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Donc, afin d’obtenir le bien souverain, qui consiste à jouir de la vue de Dieu et rester perpétuellement uni au Christ, il souhaite de voir se briser les liens de son corps. Caduc comme il est, et empêché par les mille nécessités qui naissent de sa fragilité, il est impossible, en effet, que notre corps mortel ne soit quelquefois séparé de la société du Christ ? Il n’est pas jusqu’à l’âme elle-même, distraite par tant de soins, entravée de tant d’inquiétudes diverses autant que fâcheuses qui ne soit incapable de jouir sans cesse de la contemplation de Dieu. Quelle application si persévérante, quelle vie si austère, qui ne soit de temps en temps sujette aux illusions de l’insidieux et rusé adversaire ? S’est-il trouvé personne, passionné du secret de la solitude et appliqué à fuir le commerce des mortels, au point de ne jamais glisser dans les pensées superflues, ni déchoir, ou par la vue des choses d’ici-bas, ou par le souci des occupations terrestres, de la contemplation divine, qui seule est bonne ? Qui put jamais garder si bien la ferveur de l’esprit, que la pente trop facile de ses pensées ne l’ait parfois emporté loin de sa prière, et soudain précipité du ciel sur la terre ? À qui d’entre nous n’est-il pas arrivé, pour ne rien dire des autres moments de divagation, d’être saisi d’une sorte de stupeur et de tomber d’une chute profonde, à l’heure même qu’il élevait au ciel son âme pleine de supplications ? Offense involontaire, je l’accorde; c’était pourtant offenser Dieu, par où l’on pensait obtenir son pardon. – Qui est tellement exercé et vigilant, qu’il ne se laisse en aucune façon distraire du sens de l’Écriture, tandis qu’il chante un psaume à Dieu ? tellement entré dans l’intimité divine, qu’il puisse se réjouir d’avoir accompli un seul jour le précepte de l’Apôtre, de prier sans cesse ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Tels les saints. Ce sont eux, les voyants, si je puis dire. Dans leur zèle extrême pour la perfection, ils découvrent en soi avec une rare pénétration et condamnent sans merci des choses que notre regard intérieur, enténébré comme il est, ne sait pas apercevoir. Où, selon le jugement de notre négligence, le péché la plus véniel n’a pas terni la blancheur de la conscience, éclatante comme une neige, eux se voient couverts de taches. Et quand cela ? Lorsque, je ne dis pas une pensée vaine s’est glissée dans le sanctuaire de leur âme, mais le souvenir du psaume à réciter a fait dévier leur attention dans le temps de la prière. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

En vérité, n’est-ce pas se rendre coupable, je ne dis pas seulement d’une faute légère, mais d’une impiété grave, si, tandis que l’on répand sa prière devant Dieu, on s’écarte de sa Présence, comme on ferait d’un aveugle et d’un sourd, pour suivre la vanité d’une folle pensée ? Mais ceux qui couvrent les yeux de leur coeur du voile épais des vices, et, selon la parole du Sauveur, en voyant ne voient pas, en entendant n’entendent ni ne comprennent (Mt 13,13), à peine aperçoivent-ils, dans les profondeurs de leur conscience, les péchés mortels : comment auraient-ils le pur regard qu’il faut pour discerner l’apparition insensible des pensées, ou les mouvements fugitifs et cachés de la concupiscence, qui blessent l’âme d’une pointe légère et subtile, ou les distractions qui les retiennent captifs ? Errant sur tous objets au gré d’une imagination sans retenue, ils n’ont pas l’idée de s’affliger, lorsqu’ils sont arrachés de la divine contemplation, qui est quelque chose d’infiniment simple. Mais quoi ? ils n’ont rien dont ils puissent déplorer la perte ! Ouvrant leur âme toute grande au flot envahissant des pensées, ils n’ont point, en effet, de but fixe auquel ils se tiennent sur toutes choses, et vers lequel ils fassent converger tous leurs désirs. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Nous voilà donc à part du nombre des voyants, du fait de notre impuissance à dé couvrir la multitude des taches légères accumulées en nous. Mais aussi quel état ! Nul sentiment de componction, si la maladie de la tristesse est venue troubler notre âme; nulle douleur des suggestions de vaine gloire qui nous ébranlent; point de larmes pour notre lenteur à prier ou pour notre tiédeur. Que, durant l’oraison et la psalmodie, il nous vienne dans l’esprit des pensées étrangères à l’oraison ou au psaume : nous ne le comptons pas pour faute. Beaucoup de choses que la honte nous arrêterait de dire ou de faire devant les hommes, nous ne rougissons pas d’en occuper notre coeur, ne serait-ce que par moments, sous le regard de Dieu qui nous voit : et nous n’avons point horreur de nous-mêmes. Dans l’exercice de la charité, tandis que nous subvenons aux besoins des frères ou que nous distribuons l’aumône aux pauvres, un nuage vient obscurcir la sérénité de notre joie : hésitation de l’avarice ! Et nous n’avons point de gémissements, pour le déplorer. Nous pensons ne souffrir aucun détriment, si nous quittons le souvenir de Dieu, pour songer aux choses temporelles et corruptibles; et l’oracle de Salomon s’applique à nous fort justement : On me frappe, mais je ne l’ai pas senti; ou me joue, et je ne m’en suis pas aperçu (Prov 23,35). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Au contraire, ceux qui mettent toute douceur, joie et béatitude dans la contemplation des choses divines et spirituelles. Si des pensées tyranniques les en arrachent sans leur aveu et seulement un instant, ils pensent avoir commis une sorte de sacrilège, qu’une pénitence immédiate vient aussitôt punir. Quelles larmes, pour avoir préféré à leur Créateur la vile créature qui a détourné le regard de leur âme ! Ils se taxent, je dirais presque d’impiété; et, encore que leur promptitude soit extrême à ramener vers la clarté de la Gloire divine les veux de leur coeur, les ténèbres, même fugitives, des pensées charnelles leur sont une chose insupportable, et ils ont en exécration tout ce qui retire leur esprit de cette vraie lumière. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

C’est ainsi que les saints mettent en mépris toute la substance de ce monde. Mais il est impossible qu’ils ne soient emportés jusqu’à elle, du moins par de brèves distractions; et nul parmi les hommes, notre Seigneur et Sauveur excepté, n’a pu contenir dans la contemplation divine la naturelle mobilité de son âme, au point de ne s’en laisser détacher et de ne pécher jamais par l’affection d’une chose créée. L’Écriture dit en effet : Les astres eux-mêmes ne sont pas purs devant Lui (Jb 25,5); et de nouveau : Il ne se fie pas à ses saints, et dans ses anges Il trouve des défauts, ou, selon une version plus exacte : Parmi ses saints eux-mêmes, nul n’est immuable, et les cieux ne sont pas purs devant sa Face (Ibid., 15,15). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Nous fûmes donc porter à l’abbé Abraham l’aveu plein d’anxiété du combat que nous livraient nos pensées. En notre âme, chaque jour, nouveaux orages : nous nous sentions violemment pressés de regagner notre province et de revoir nos parents. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

En outre, nous repaissions notre âme de l’espérance de vaines joies. Notre imagination escomptait une moisson merveilleuse; nous convertissions quantité de gens, que notre exemple et nos avis conduisaient dans la voie du salut ! Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Celui qu’anime le souci toujours vigilant de la pureté de l’homme intérieur, doit rechercher des lieux qui ne le sollicitent pas à une culture absorbante par leur richesse et leur fertilité, ni ne l’empêchent de faire de sa cellule un séjour fixe et immuable, en le poussant à quelque travail en plein air. Ses pensées se donneraient alors carrière, pour ainsi parler, dans l’espace ouvert devant elles; et toute la direction de son âme, ce regard vers l’unique but, qui est quelque chose de si subtil, s’évanouirait parmi tant d’objets divers. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Pour soigneux et vigilant que l’on soit, il est impossible d’éviter cette dissipation, et même de s’en apercevoir, à moins de se tenir constamment cloîtré, corps et âme, entre les murs de sa cellule. Je suppose quelque pêcheur spirituel, qui chercherait sa nourriture selon la méthode apprise des apôtres. Attentif et sans mouvement, il guette dans les profondeurs tranquilles de son coeur la troupe nageante de ses pensées. Comme d’un écueil surplombant, il plonge jusqu’au fond un regard avide, et discerne d’un oeil sagace celles qu’il doit, avec sa ligne, tirer jusqu’à soi, celles aussi qu’il laissera de côté et écartera, tels des poissons mauvais et dangereux. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Ainsi en va-t-il de notre âme. Si le moine ne fait de la charité le centre immobile autour duquel toutes ses oeuvres rayonnent; s’il ne redresse ses pensées ou ne les rejette, en se guidant, pour ainsi dire, par le compas très sûr de la charité : il ne réussira jamais à construire avec une véritable habileté l’édifice spirituel dont l’apôtre Paul est l’architecte (cf. 1 Co 3,10); il ne connaîtra pas la beauté de ce temple intérieur que le bienheureux David désirait de présenter à Dieu, lorsqu’il s’écriait : Seigneur, j’ai aimé la beauté de ta Demeure et le lieu où réside ta Gloire (Ps 25,8). Mais il élèvera sans art, dans son coeur, un temple sans beauté, indigne du saint Esprit et destiné à s’abîmer sans retard. Loin d’avoir la gloire d’y habiter avec l’Hôte divin, il sera écrasé misérablement sous ses ruines. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Puis, non content de ce discours, le bienheureux Antoine élargit le champ de la discussion : Ce n’est point là, dit-il, le seul détriment que vous inflige la grande tiédeur où vous vivez. Détriment que, à la vérité, vous ne sentez pas vous-même aujourd’hui; et il semble que vous fassiez écho à cette sentence des Proverbes : On me frappe, mais je ne l’ai pas senti; on me joue, et je ne m’en suis pas aperçu (Pro 23,35), ou à cette parole du prophète : Des étrangers ont dévoré sa force, et il ne l’a pas su (Os 7,9). Détriment notable toutefois, puisque votre âme change tous les jours suivant les événements qui surviennent, et qu’elle se voit sans cesse abîmée dans les pensées terrestres. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Si donc vous voulez connaître la source et l’origine du mal dont vous souffrez, sachez que c’est la partie raisonnable de votre âme qui a été blessée; car c’est d’elle que pullulent les vices de la présomption et de la vaine gloire. Et par conséquent, il faut traiter ce membre principal, si je puis dire, par le jugement de la discrétion et la vertu d’humilité : puisque c’est ensuite de son altération que, pensant être parvenus au sommet de la perfection et vous jugeant capables de former les autres, l’élèvement de la vaine gloire vous a emportés dans les futiles divagations que vous m’avez confessées. Il vous sera facile de retrancher toutes ces frivolités, lorsque vous serez une fois fondés, comme je viens de le dire, dans la vertu d’humilité. Alors, touchés de contrition, vous verrez quelle oeuvre laborieuse et malaisée c’est pour chacun de sauver son âme; et vous acquerrez la conviction profonde que, bien éloignés de pouvoir enseigner les autres, vous avez encore besoin vous-mêmes du secours d’un maître. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Appliquez donc au membre ou à la partie de votre âme qui a été spécialement blessée, le remède de l’humilité. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Ici encore, il en va comme du corps humain. Lorsque survient une occasion fâcheuse, par excès de fatigue ou par suite d’un air corrompu, ce sont les parties les plus faibles qui se laissent entamer et succombent tout d’abord; et c’est seulement lorsque la maladie s’y est installée, qu’elle contamine de là les parties demeurées saines. De même pour notre âme. Quelque souffle de pestilence vient-il à passer, elle sera fatalement touchée par le côté qui, plus délicat et plus faible, offre moins de résistance aux chocs violents de l’ennemi, et courra le risque d’être prise par où la garde imprudente ouvre à la trahison un plus facile accès. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

C’est en cette manière que Balaam conclut avec certitude à la possibilité de surprendre le peuple de Dieu. Connaissant le faible des enfants d’Israël, il conseilla de leur tendre de ce côté le piège où ils se prendraient. Il ne douta pas de leur chute immédiate, si on leur offrait une occasion de luxure, parce qu’il savait que c’était la partie concupiscible de leur âme qui souffrait la corruption (cf. Nb 31,16; 25,1-2). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

C’est aussi de cette méthode que la malignité perfide des puissances spirituelles s’emploie à nous tenter. Elles tendent principalement leurs pièges insidieux par les côtés de l’âme où elles la sentent malade. Voient-elles, par exemple, que la partie raisonnable est viciée en nous, elles s’efforcent de nous tromper par le même procédé qui servit jadis aux Syriens pour le roi Achab, selon que l’Écriture nous le raconte : Nous savons, dirent les Syriens, que les rois d’Israël sont cléments. Mettons donc des sacs sur nos reins et des cordes à notre cou; sortons vers le roi d’Israël, et nous lui dirons : Ton serviteur Benadab dit : Je t’en prie, que mon âme vive ! (3 Rois 20,31-32) Et Achab, ému du vain éloge que l’on faisait de sa miséricorde, plutôt que de vraie clémence : S’il vit encore, dit-il, il est mon frère. (Ibid.,32) Ainsi les démons s’efforcent-ils de nous abuser quant à la partie raisonnable, afin de nous faire offenser Dieu par où nous penserions obtenir une récompense et recevoir le prix de la clémence. Mais alors, nous entendrions à notre tour le reproche fait à Achab : Parce que tu as laissé échapper de tes mains un homme digne de mort, ta vie répondra pour sa vie, et ton peuple pour son peuple (Ibid., 42) Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Que peut-il y avoir de pénible, que peut-il y avoir de dur pour celui qui a embrassé le joug du Christ de toute son âme, et qui, affermi dans la vraie humilité, le regard toujours attaché aux souffrances du Christ, parmi toutes les injures qui lui sont faites se réjouit et dit : C’est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les opprobres, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les détresses pour le Christ; car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort (2 Co 12,10). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Quelle atteinte à son patrimoine fera souffrir celui qui, glorieux de son parfait dénuement, a rejeté volontairement pour le Christ toutes les pompes de ce monde, et regarde toutes ses convoitises comme de l’ordure, afin de gagner le Christ (cf. Phil 3,8); qui méprise et écarte de son coeur toute angoisse que lui pourrait donner la perte de ses biens, par la méditation continuelle qe ce précepte évangélique : Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme ? Ou qu’est-ce que l’homme donnera en échange de son âme ? (Mt 16,26). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Encore ne saurait-on profiter de tous ces biens dans une lâche tranquillité, une jouissance paresseuse, mais, selon la Parole du Seigneur, avec des persécutions, c’est-à-dire parmi les afflictions de la vie présente et les angoisses de la souffrance. Le sage l’atteste : Celui qui vit dans les douceurs et sans souffrance, sera dans le dénuement (Pro 14,23). Ce ne sont point les paresseux, les lâches, les délicats, les mous, mais les violents qui emportent le royaume des cieux. Quels violents ? Ceux qui font, non pas aux autres, mais à leur âme, une glorieuse violence; qui, par un vol plein d’honneur, la dépouillent de toute volupté des choses présentes. Ce sont eux que la Voix du Seigneur déclare de glorieux voleurs, et qui par cette rapine, pénètrent de force dans le royaume des cieux : Le royaume des cieux, dit-il, est emporté de force, et les violents s’en emparent (Mt 11,12). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Oui, violents avec gloire, ceux qui font violence à leur perdition : L’homme, parmi les douleurs, travaille pour lui-même, et empêche de force sa propre perte (Prov 16,26). Notre perdition, c’est le plaisir de la vie présente, et, pour parler plus nettement, l’accomplissement de nos désirs et de nos volontés. Celui qui les éloigne de son âme et les mortifie, fait en vérité une glorieuse et utile violence à sa perdition, car il renonce à ce qu’il a de plus cher. Ce sont, aussi bien, nos volontés propres que la Parole divine accuse maintes fois par le ministère du prophète : Votre volonté propre se trouve au jour de votre jeûne (Is 58,3) et encore : Si tu t’abstiens de voyager le jour du sabbat, et de faire ta volonté au jour qui M’est consacré; si tu l’honores, en ne suivant point tes voies, en ne faisant pas ta volonté et en ne disant point de paroles vaines (Ibid., 13); puis, aussitôt elle joint la récompense promise à qui en agit de la sorte : Alors, tu trouveras tes délices dans le Seigneur, et je t’élèverai sur les hauteurs du pays, et je te donnerai, pour le nourrir, l’héritage de ton père Jacob. La bouche du Seigneur a parlé (Ibid., 14). Et c’est pourquoi notre Seigneur et Sauveur, pour nous donner l’exemple de ce renoncement à la volonté propre : Je ne suis pas venu, dit-Il, pour faire ma Volonté, mais la Volonté de Celui qui M’a envoyé (Jn 6,38) et de nouveau : Non pas comme Je veux, mais comme Tu veux (Mt 26,39). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

C’est le précepte même du Seigneur qui nous invite à cette ressemblance avec le Père : «Soyez parfaits, dit-il, comme votre Père céleste est parfait.» (Mt 5,48). Dans les degrés inférieurs, l’amour du bien s’interrompt quelquefois, lorsque la tiédeur, le contentement ou le plaisir viennent détendre la vigueur de l’âme, et font perdre de vue, sur le moment, la crainte de l’enfer ou le désir du bonheur futur. Ils constituent néanmoins comme des échelons dans le progrès, un apprentissage. Après avoir évité le vice, au commencement, par crainte du châtiment ou l’espoir de la récompense, il nous devient possible de passer au degré de la charité, où la crainte ne se trouve plus : «Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais l’amour bannit la crainte : car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour. Nous donc aimons Dieu, parce qu’il nous a aimés le premier.» (1 Jn 4,18-19). Nul autre chemin, pour nous élever à la perfection véritable : comme Dieu nous a aimés le premier sans égard à rien d’autre que notre salut, ainsi devons nous l’aimer uniquement pour son amour. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Excellence de l’âme qui s’écarte du vice par le mouvement de l’amour Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Que la perfection de la charité consiste à prier pour ses ennemis, et à quel signe se reconnaît l’âme qui n’est pas encore purifiée Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Au surplus, que l’on ne s’imagine point maîtriser ou bannir le désir des choses présentes, si en la place de ces penchants mauvais, que l’on aspire à retrancher, l’on n’en fait succéder de bons. La force vitale de l’âme ne lui permet pas de rester sans quelque sentiment de désir ou de crainte, de joie ou de tristesse; il n’est que de la bien occuper. Nous voulons chasser de notre coeur les convoitises de la chair : livrons incontinent la place aux joies spirituelles. Prise à cet heureux filet, l’âme aura désormais où se fixer, et rejettera les séductions des joies présentes, des bonheurs qui passent. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Ce n’est pas à la gauche de ses saints que le Seigneur se tient toujours, parce que le saint n’a rien en soi qui gauchisse, mais à leur droite. Les pécheurs et les impies, eux, ne le voient pas : ils n’ont point cette droite où le Seigneur se tient, et ne peuvent dire avec le prophète : «Mes yeux sont tournés constamment vers le Seigneur, car c’est lui qui dégagera mes pieds du lacet.» (Ps 24,15). De telles paroles ne sont vraies que dans la bouche de celui qui considère toutes les choses de ce monde comme pernicieuses ou superflues, comme inférieures du moins à la vertu consommée, et dirige tous ses regards, son étude et ses soins à la garde de son coeur, vers la chasteté très pure. L’esprit se lime, pour ainsi dire, à ces exercices; il se polit à mesure qu’il progresse. La sainteté parfaite de l’âme et du corps est au bout de la carrière. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Mais, lorsque le Seigneur, imposant silence aux guerres, l’aura délivré de tous les emportements de la chair, il parviendra à un merveilleux état de pureté. La confusion s’évanouira, qui lui donnait de l’horreur pour lui-même, je veux dire pour sa chair, durant qu’il en était combattu; et il commencera d’y prendre ses délices comme dans une demeure très pure. «Le mal ne viendra pas jusqu’à lui; nul fléau n’approchera de sa tente.» (Ps 90,10). Par la vertu de patience se trouvera rempli l’oracle prophétique : le mérite de sa mansuétude lui aura donné la terre en héritage, et plus encore, «il goûtera les délices d’une paix débordante.» (Ps 36,11). Tandis qu’il n’y a point de paix débordante pour l’âme où survit l’inquiétude du combat. Car remarquez qu’il n’est pas dit : Ils goûteront les délices de la paix; mais «d’une paix débordante». Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Jusqu’à ce que l’âme soit parvenue à l’état de la pureté parfaite, elle passera fréquemment par ces alternatives, nécessaires à sa formation; tant qu’enfin la grâce de Dieu comble ses désirs, en l’y affermissant pour toujours. Alors, elle pourra dire en toute vérité : «Je ne me suis point lassée d’attendre le Seigneur, et il m’a regardée. Il a exaucé ma prière, et il m’a retirée de la fosse de misère, de la fange du bourbier; il a dressé mes pieds sur le rocher, il a affermi mes pas» (Ps 39,2-3). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Une longue expérience l’y conduira, ainsi que la pureté du coeur, unies à la lumière de la parole divine, dont le bienheureux Apôtre dit : «Elle est vivante, la parole de Dieu, et efficace, plus acérée que nulle épée à deux tranchants, si pénétrante, qu’elle va jusqu’à séparer l’âme de l’esprit, les jointures et les moelles; et elle discerne les pensées et les sentiments du coeur.» (Heb 4,12). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Elle ne se garde bien, croyez-vous, que durant la veille, moyennant l’austérité de la vie; dans le sommeil, les ressorts de l’âme se détendent, et il devient par suite impossible de sauver son intégrité. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Le bienheureux David a bien marqué, sous l’inspiration du saint Esprit, ces deux étapes distinctes : «Dieu, dit-il, s’est fait connaître en Judée,» (Ps 75,2) c’est-à-dire dans l’âme qui doit confesser ses péchés, car Judée signifie confession; mais «en Israël», c’est-à-dire en celui qui voit Dieu ou, selon une autre version, en l’homme parfaitement droit devant Dieu, Dieu n’est pas seulement connu, mais «grand est son nom.» (Ibid. 4). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Ce sont là en vérité les divines merveilles que l’âme du prophète et celles qui lui ressemblent, découvrent avec étonnement dans une contemplation pleine de miracles. Ce sont là les prodiges que Dieu a opérés sur la terre, et dont la vue fait dire au même prophète, en appelant tous les peuples à les admirer : «Venez et voyez les oeuvres de Dieu, les prodiges qu’il a opérés sur la terre; il a brisé l’arc et rompu les armes, et consumé par le feu les boucliers.» (Ps 45,9-10). Car quel plus grand prodige, que de voir en un moment les publicains cupides devenir apôtres, les persécuteurs farouches se charger en prédicateurs de l’Évangile et propager au prix de leur sang la foi qu’ils poursuivaient ? Tels sont les divins ouvrages que le Fils atteste qu’il accomplit chaque jour en union avec son Père : «Mon Père agit jusqu’aujourd’hui, et moi aussi j’agis.» (Jn 5,17). Telles sont les oeuvres de Dieu que le bienheureux David chante en esprit : «Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui seul fait des prodiges !» (Ps 71,18). C’est d’elles que parle le prophète Amos : «Il a fait toutes choses, et il les change; il change en matin l’ombre de la mort.» (Amos 5,18). «Ce sont là, en effet, les changements de la droite du Très-Haut.» (Ps 76,11). C’est au sujet de cet ouvrage de salut que le prophète adresse au Seigneur cette prière : «Affermissez, ô Dieu, ce que vous avez fait en nous !» (Ps 67,29). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Je ne parle pas de ces conduites secrètes et cachées dont l’âme des saints se voit l’objet à toute heure; de cette infusion céleste de la joie spirituelle qui relève l’esprit abattu et lui rend l’allégresse; de ces transports brûlants, de ces consolations enivrantes que la bouche ne peut dire et que l’oreille n’a pas entendues, qui souvent nous éveillent d’une torpeur inerte et stupide, comme d’un profond sommeil, pour nous faire passer à la prière la plus fervente. C’est bien là cette joie dont le bienheureux Apôtre dit : «L’oeil de l’homme n’a pas vu, son oreille n’a pas entendu, le secret pressentiment de son coeur n’a point deviné.» (1 Cor 2,9). Mais il parle de celui qui, rendu stupide par les vices terrestres, est resté homme, rivé aux passions humaines et incapable de rien apercevoir de ces divines largesses. De lui-même, au contraire, et de ceux qui, d’ores et déjà étrangers à la manière de vivre des hommes lui sont devenus semblables, il dit aussitôt : «Mais à nous, Dieu l’a révélé par son Esprit.» (Ibid. 10). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Plus l’âme est pure et limpide, plus sublime est sa contemplation. Et plutôt son admiration grandit-elle au fond d’elle-même qu’elle ne trouve de mots pour la rendre, de discours pour l’expliquer. De même que celui qui n’a pas éprouvé cette joie ne la peut concevoir, celui qui en a fait l’expérience ne peut non plus la dire. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Là s’arrêta le discours de l’abbé Cheremon sur la chasteté parfaite; telle fut la conclusion qu’il donna à son admirable doctrine sur la pureté la plus sublime. Si grande cependant était notre stupeur, que nous restions comme oppressés. Mais lui, voyant que la plus grande part de la nuit était déjà passée, nous conseilla de ne point dérober à la nature le sommeil qu’elle réclame, de crainte que la torpeur du corps n’alanguît l’âme à son tour, et ne lui fit perdre sa vigoureuse et sainte ardeur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Tout d’abord, il ne faut pas croire que les philosophes soient jamais parvenus à la chasteté d’âme qui est exigée de nous; car songez à ce qui nous est enjoint : ce n’est pas seulement la fornication, c’est l’impureté même qui ne doit pas être nommée parmi nous ! Mais ils eurent une certaine chasteté partielle, qui consistait à pratiquer la continence extérieure, sans réprimer davantage les passions de la chair. Quant à la pureté intérieure de l’âme, à la pureté constante du corps, ils n’ont pu, je ne dirai pas l’obtenir en effet, mais en avoir seulement l’idée. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Nous lisons qu’il épancha sa grâce avec la même surabondance lors de la guérison du paralytique. Celui-ci ne demandait que d’être délivré de la langueur qui avait énervé tous les ressorts de son pauvre corps; le Seigneur commence par lui donner la santé de l’âme : «Aie confiance, mon fils, tes péchés te sont remis» (Mt 9,2). Là-dessus, comme les Scribes ne voulaient pas croire qu’il pût remettre les péchés des hommes, pour confondre leur incrédulité, il rend encore, par la parole de sa puissance, la santé à ses membres paralysés : «Pourquoi pensez-vous le mal dans vos coeurs ? Lequel est le plus facile, de dire : Tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a, sur la terre, le pouvoir de remettre les péchés: Lève-toi, dit-il au paralytique, prends ton lit, et retourne à ta maison» (Ibid. 4-6). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Sachons-le pourtant, il nous coûtera deux fois plus de labeur et de peine pour expulser les vices que pour acquérir les vertus. Je ne parle point ici par conjecture personnelle. C’est une vérité qui nous est mise en tout son jour par le propre jugement de Celui qui seul connaît les forces et la condition de la créature qu’il a faite : «Voici, dit-il, que je t’ai établi aujourd’hui sur les nations et les royaumes, afin que tu arraches et que tu détruises, que tu perdes et que tu dissipes, que tu édifies et que tu plantes.» (Jer 1,10). Pour ôter ce qui est mauvais, il a marqué quatre choses nécessaires, qui sont d’arracher et de détruire, de perdre et de dissiper: mais deux seulement, édifier et planter, pour se rendre parfait dans les vertus et acquérir tout ce qui regarde la justice. D’où il ressort évidemment qu’il est plus difficile d’arracher et déraciner les vices invétérés du corps et de l’âme, que d’édifier et planter les vertus spirituelles. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

La tropologie est une explication morale qui regarde la pureté de la vie et les principes de la conduite : comme si, par ces deux Alliances, nous entendions la pratique et la théorie, ou que nous voulions prendre Jérusalem ou Sion pour l’âme humaine, comme il nous est montré dans ces paroles : «Loue, Jérusalem, le Seigneur; loue ton Dieu, Sion.» (Ps 147,12). Les quatre figures peuvent se trouver réunies. Ainsi, la même Jérusalem revêtira, si nous le voulons, quatre acceptions différentes : au sens historique, elle sera la cité des Juifs; au sens allégorique, l’Église du Christ; au sens anagogique, la cité céleste, «qui est notre mère à tous;» au sens tropologique, l’âme humaine, que nous voyons souvent louer ou blâmer par le Seigneur sous ce nom. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Vous voulez élever dans votre coeur le sacré tabernacle de la science spirituelle : purifiez-vous de la souillure des vices, dépouillez tout souci du siècle présent. Il est impossible que l’âme occupée, même légèrement, des soins de ce monde, mérite le don de la science, ou soit féconde en pensées spirituelles, ou retienne avec fermeté les saintes lectures qu’elle a faites. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Ne vous laissez pas entraîner à donner des leçons aux autres par l’exemple de quelques-uns. Ils ont acquis de l’habileté à discourir, une parole aisée qui semble couler de source; et parce qu’ils savent disserter élégamment et avec abondance sur tout sujet qu’il leur plaît, ils passent pour posséder la science spirituelle aux yeux de ceux qui n’ont pas appris à en discerner le véritable caractère. Mais c’est tout autre chose, d’avoir quelque facilité de parole et de l’éclat dans le discours, ou d’entrer jusqu’au coeur et à la moelle des paroles célestes, et d’en contempler du regard très pur de l’âme les mystères profonds et cachés. Ceci, la science humaine ne le donne pas, ni la culture du siècle, mais la seule pureté de l’âme, par l’illumination du saint Esprit. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Oui, si vous voulez parvenir à la science véritable des Écritures, fondez-vous d’abord inébranlablement dans l’humilité du coeur. C’est elle qui vous conduira, non à la science qui enfle, mais à celle qui illumine, par la consommation de la charité. Il est impossible encore une fois que l’âme qui n’est pas pure obtienne le don de la science spirituelle. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Ayons le zèle d’apprendre par coeur la suite des Écritures, et de les repasser sans cesse dans notre mémoire. Cette méditation continuelle nous procurera un double fruit. D’abord, tandis que l’attention est occupée à lire et étudier, les pensées mauvaises n’ont pas le moyen de rendre l’âme captive dans leurs filets. Puis, il se trouve qu’après avoir maintes fois parcouru certains passages, en travaillant à les apprendre de mémoire, nous n’avons pu, sur l’heure, les comprendre, parce que notre esprit manquait de la liberté nécessaire. Mais, lorsqu’ensuite, loin de l’enchantement des occupations diverses et des objets qui remplissent nos yeux, nous les repassons en silence, surtout pendant les nuits, ils nous apparaissent, dans une plus grande lumière. Il est ainsi des sens très profonds, dont nous n’avions pas le plus léger soupçon durant la veille; et c’est quand nous reposons, plongés, pour ainsi dire, dans la léthargie d’un lourd sommeil, que l’intelligence nous en est révélée. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Recueillie avec empressement, soigneusement déposée dans les retraites de l’âme, munie du cachet du silence, il en sera de la doctrine comme de vins au parfum suave, qui réjouissent le coeur de l’homme. Ainsi que la vieillesse fait le vin, la sagesse, qui tient lieu à l’homme de cheveux blancs, et la longanimité de la patience la mûriront. Lorsqu’ensuite elle paraîtra sur vos lèvres, ce sera en exhalant des flots de senteurs embaumées. Il en sera d’elle encore comme d’une fontaine sans cesse jaillissante. Ses eaux bienfaisantes, multipliées par l’expérience et la pratique des vertus, iront se débordant; et du fond de votre coeur, d’où elle sourdra comme d’un secret abîme, elle se répandra en fleuves intarissables. Il arrivera de vous ce qui est dit dans les Proverbes à l’homme pour qui toutes ces choses sont devenues des réalités : «Bois l’eau de tes citernes et de la source de tes puits. Que les eaux de ta source débordent, que tes eaux se répandent sur tes places !» (Pro 5,15-16).Selon la parole du prophète Isaïe, «vous serez comme un jardin bien arrosé, comme une source d’eau qui jamais ne tarit. Les lieux déserts depuis des siècles seront par vous bâtis; vous relèverez les fondements posés de génération en génération; et l’on dira de vous : c’est le réparateur des haies, le restaurateur de la sûreté des chemins.» (Is 58,11-12). La béatitude promise par le même prophète vous sera donnée en partage : «Le Seigneur ne fera plus s’éloigner de toi ton maître, et tes yeux verront ton précepteur. Tes oreilles entendront la voix de celui qui t’avertira, criant derrière toi : Voici le chemin; marchez-y; ne vous en détournez ni à droite ni à gauche.» Et vous verrez cette merveille, que non seulement toute la direction de votre coeur et son étude, mais les écarts mêmes de vos pensées et leur vagabondage incertain ne seront plus qu’une sainte et incessante méditation de la loi divine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Non, celui dont l’âme n’est point pure ne saurait acquérir la science spirituelle, quelque peine qu’il se donne, si assidu qu’il puisse être à la lecture. L’on’ ne confie point à un vase fétide et corrompu un parfum de qualité, un miel excellent, une liqueur précieuse. Le vase pénétré de senteurs repoussantes, infectera plus facilement le parfum le plus odorant, qu’il n’en recevra lui-même quelque suavité ou agrément; car ce qui est pur se corrompt plus vite que ce qui est corrompu ne se purifie. Ainsi le vase de notre coeur. S’il n’est d’abord entièrement purifié de la contagion fétide des vices, il ne méritera pas de recevoir ce parfum de bénédiction dont parle le prophète : «Comme l’huile précieuse qui, répandue sur la tête, coule sur la barbe d’Aaron et descend sur le bord de son vêtement;» (Ps 132,2) non plus qu’il ne gardera sans souillure la science spirituelle ou les paroles de l’Écriture, «qui sont plus douces que le miel et que le rayon rempli de miel». (Ps 18,11). «Car, quelle communication y a-t-il de la justice avec l’iniquité ? Quelle société de la lumière avec les ténèbres? Quel accord entre le Christ et Bélial ?» (2 Cor 6,14-15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Si vous désirez, vous aussi, garder inviolable votre amitié, hâtez-vous d’expulser vos vices et de mortifier vos volontés propres; puis, n’ayant plus qu’une même ambition, un même idéal, accomplissez vaillamment l’oracle qui comblait de délices l’âme du prophète : «Qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères d’habiter ensemble !» (Ps 67,7). Ce qui doit s’entendre, non de ceux qui habitent en un même lieu, mais de ceux qui vivent dans un même esprit. Il ne sert de rien d’être unis dans une habitation commune, si l’on est séparé par la vie et par le but que l’on se propose; au contraire, pour ceux qui sont également fondés en vertu, la distance des lieux ne constitue pas un obstacle. Devant Dieu, c’est l’unité de conduite, et non point celle des lieux, qui fait habiter les frères dans une même demeure; et la paix ne se conservera jamais entière, où les volontés sont divergentes. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Le Seigneur désire donc extirper complètement des plus profondes retraites de l’âme le foyer de la colère. Il veut que l’homme extérieur se voyant frapper sur la joue droite par un injuste agresseur, votre homme intérieur présente aussi à frapper sa joue droite, en consentant humblement à l’affront; qu’il prenne part à la souffrance de l’homme extérieur, soumettant et abandonnant en quelque sorte son propre corps à l’injure. Car il ne faut pas que l’homme intérieur s’émeuve, même silencieusement, du coup reçu par l’homme extérieur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Mais il estime que la colère doit être tenue secrète, si, par une fatalité inhérente à l’humaine faiblesse, elle vient à faire irruption dans l’âme, afin que, sagement cachée sur l’heure, elle disparaisse pour toujours. Telle est, en effet, sa nature différée, elle languit et meurt; manifestée, elle s’enflamme de plus en plus. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

GERMAIN — Tout cela est parfaitement raisonnable; c’est le langage de la prudence. Et si nous ne regardions qu’à la force de vos discours, nous n’aurions pas de peine à lever le scrupule de notre promesse. Mais une chose nous effraye très fort. Notre exemple semblera fournir aux faibles une occasion de mentir, lorsqu’ils apprendront que l’on peut licitement déroger à la foi du serment. Il y a, pour interdire le mensonge, des paroles si graves et si menaçantes : «Vous perdrez tous ceux qui disent le mensonge»; (Ps 5,7) «La bouche qui ment donne la mort à l’âme »! (Sag 1,11) Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH

Conservez donc la véritable humilité du coeur, laquelle ne consiste pas en démonstrations et paroles affectées, mais dans un abaissement profond de l’âme. Elle brillent par votre patience, qui en sera le signe le plus évident. Et cela, non point lorsque vous clamerez sur votre sujet des crimes que personne ne croira, mais lorsque vous demeurerez insensible aux accusations arrogantes que l’on débitera contre vous, et supporterez en toute mansuétude et égalité d’âme les injures qui vous seront faites. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Un tel grief jette une émotion indicible dans l’âme de tous les frères, et particulièrement de leur vénérable prêtre. Ils ne Savent que penser ni à quoi se résoudre, tant les esprits demeurent stupéfaits a l’annonce d’un forfait si nouveau et absolument inouï jusque-là. Personne ne se souvenait que jamais pareille chose se fût encore produite en ce désert; et, du reste, on n’en vit point d’exemple par la suite. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Afin que le basilic ne tue pas, d’une seule de ses morsures empoisonnées, tout ce qui est vivant en nous et, pour ainsi dire, animé par le mouvement vital du saint Esprit Lui-même, il nous faut implorer sans cesse le secours de Dieu, à qui rien n’est impossible. Car, pour le venin des autres serpents — et par ce venin, j’entends les péchés ou les vices charnels —, autant l’humaine fragilité est prompte à y succomber, autant il est facile de l’en délivrer. Les blessures qu’ils font se reconnaissent à de certaines marques extérieures et corporelles; et, pour dangereuse que puisse être l’enflure qu’elles déterminent, si quelque enchanteur, habile à se servir des formules magiques de l’Écriture, y applique le remède des paroles salutaires, le poison n’ira pas jusqu’à donner la mort à l’âme. Mais l’envie, tel le venin jeté par le basilic, détruit la religion et la foi jusque dans les racines de leur vie, avant que la blessure ait paru au dehors. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Certes, je n’y puis prétendre davantage dans la communauté où je suis et parmi la foule des frères. Du moins la paix de l’âme et la tranquillité d’un coeur libre de soucis ne me font-elles point défaut. Et si ceux qui demeurent dans la solitude, ne les ont pas à leur portée, comme moi, ils soutiennent les labeurs de la vie anachorétique, tout en étant frustrés de son fruit, qui ne se conquiert que par la stabilité et la paix de l’esprit. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Au surplus, si l’on veut parvenir à une perpétuelle et ferme patience, il est un principe qu’il faut tenir avec une constance inébranlable. Nous n’avons pas le droit, nous à qui la loi divine interdit, non seulement de venger nos injures, mais encore de nous en souvenir, nous n’avons pas le droit de nous abandonner à la colère pour quelque tort ou contrariété que ce soit. Quel plus grave dommage peut-il advenir à l’âme, que d’être privée par l’aveuglement subit où son trouble la jette, de la clarté de la vraie et éternelle lumière, et de se retirer de la contemplation de Celui qui est «doux et humble de coeur »? (Mt 11,29) Qu’y a-t-il, je vous le demande, de plus pernicieux, qu’y a-t-il de plus laid que de voir un homme perdre le sentiment des bienséances, oublier les règles et les principes du juste discernement, et commettre, sain d’esprit et à jeun, ce qu’on ne lui pardonnerait pas en état d’ivresse et privé de sens ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Si l’on pèse tous ces inconvénients et les autres de même sorte, on supportera sans peine et on méprisera tous les torts, toutes les injures et souffrances qui peuvent venir de la part des hommes même les plus cruels; car on jugera que rien n’est plus dommageable que la colère, rien plus précieux que la tranquillité de l’âme et la constante pureté du coeur. Ce trésor mérite que pour lui on dédaigne, je ne dis pas seulement les avantages charnels, mais aussi ceux qui semblent spirituels, s’ils ne se peuvent, acquérir ou réaliser, sans que cette paix soit troublée. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

GERMAIN. — Vous nous avez montré le remède des passions de la colère, de la tristesse et de l’impatience, dans la représentation des objets qui sont de nature à les contrarier. Nous voudrions être instruits pareillement du genre de traitement qu’il convient d’appliquer à l’esprit de fornication. Le feu de la concupiscence se peut-il éteindre, en lui proposant de plus grands sujets de l’exciter, comme dans les cas précédents ? Ce procédé, selon nous, serait assez nuisible à la chasteté, non seulement s’il s’agissait d’exagérer en nous les aiguillons de la passion, mais même si l’âme devait, ne fut-ce qu’en passant, poser son regard sur ces choses. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Dès que le souvenir de nos vices passés a frappé notre esprit, fuyons-le, comme, sur la voie publique, un homme vertueux et grave se sauve de la courtisane impudente et effrontée qui s’approche pour le tenter. S’il ne s’arrache en toute hâte à son déshonorant contact, et s’arrête à l’entretenir l’espace d’un moment : lors même qu’il refuserait tout consentement au mal, son bon renom ne sera pas sans en souffrir dans le jugement des passants, et l’on ne manquera, pas de le blâmer. Ainsi devons-nous, lorsqu’un souvenir malsain nous entraîne vers des pensées de cette nature, nous écarter d’elles au plus vite. Nous remplirons de la sorte le précepte de Salomon, qui dit : «Sortez vite, ne vous attardez pas où demeure la femme insensée et ne jetez point les yeux sur elle.» (Pro 9,8). Autrement, les anges, nous voyant occupés, d’idées impures et honteuses, ne pourraient dire de nous, en passant : «La bénédiction de Dieu soit sur vous !» (Ps 128,8) Il est tellement impossible que l’âme s’attache à de bonnes pensées, lorsque, par la partie principale d’elle-même, elle se dégrade à des considérations indignes et terrestres ! La parole de Salomon est véritable : «Si tes yeux voient l’étrangère, ta bouche dira des paroles perverses, et tu seras comme un homme couché au coeur de la mer, comme un pilote au milieu d’une grande tempête. Tu diras : On me frappe, mais je ne l’ai pas senti; on m’a joué, et je ne m’en suis pas aperçu.» (Pro 23,33-35). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

Or, ces notes auxquelles se reconnaît le bien essentiel, ne sauraient être attribuées au jeûne en aucune façon. — Il n’est pas bon de soi, ni nécessaire pour lui-même : ce qui en fait la pratique salutaire, c’est qu’elle se propose d’acquérir la pureté de coeur et de corps, et de réconcilier l’âme purifiée avec son Auteur, en émoussant les aiguillons de la chair. — Il n’est pas toujours et immuablement bon; car il nous arrive fréquemment de l’interrompre, sans en éprouver aucun dommage. Bien plus, il tourne à la perte de l’âme, lorsqu’on s’y livre à contretemps. — Son contraire, c’est-à-dire le plaisir que l’on trouve naturellement à manger, n’est pas non plus un mal essentiel, car, s’il ne s’accompagne d’intempérance, de luxure ou de quelque autre vice, on ne peut dire qu’il soit mauvais : Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme. (Mt 15,11). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Il importe donc de garder notre coeur constamment attentif et circonspect, en toute prudence et sagacité. Car quel malheur, si le jugement de notre discrétion venant à errer, nous nous laissions enflammer par le désir d’une abstinence inconsidérée ou séduire par l’amour d’une excessive douceur ! Ce serait peser nos forces sur une balance fausse. Eh bien, non ! Mettant sur un plateau la pureté de l’âme, sur l’autre notre vigueur corporelle, pesons-les selon le jugement véridique de la conscience, de manière à n’être entraînés ni d’une part ni de l’autre, par une affection prépondérante et vicieuse. Si nous inclinions la balance, ou vers une austérité sans mesure, ou vers un trop grand relâchement, il nous serait dit pour cet excès : Si vous avez bien offert et que vous n’ayez pas bien partagé, n’avez-vous point péché ? (Gen 7,7). Les sacrifices extorqués à notre pauvre estomac, au prix de convulsions violentes, nous avons beau les croire offerts à Dieu selon la droiture; Celui qui aime la miséricorde et la justice, (Ps 32,5) les exècre : Je suis le Seigneur, dit-il, qui aime la justice, et qui hais l’holocauste venant de rapine. (Is 46,8). Par ailleurs, ceux qui consacrent le principal de leurs offrandes, je veux dire de leur service et de leurs actes, à favoriser la chair et à satisfaire leurs propres besoins, ne réservant au Seigneur que des restes, une part insignifiante, la divine parole les condamne à leur tour comme des ouvriers infidèles : Maudit soit celui qui fait l’oeuvre de Dieu avec fraude. (Jer 48,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

On observera donc la solennité de la Pentecôte, de manière que les adoucissements consentis durant cette période profitent au bien du corps et de l’âme, plutôt que de leur nuire. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Cette mesure, bienfaisante aux faibles, n’était pas capable de préjudicier aux parfaits. Vivant sous la grâce de l’Évangile, leur dévotion volontaire va plus loin que la loi, afin de parvenir à la béatitude exprimée par l’Apôtre : Le péché ne dominera pas en vous, parce que vous n’êtes pas sous la Loi, mais sous la grâce. (Rom 6,14). Le péché ne saurait, en effet, exercer sa domination sur l’âme qui est fidèle à demeurer sous la liberté de la grâce. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

La deuxième cause de tels accidents est celle-ci. L’âme se trouve vide : nulle occupation, nul exercice spirituels. Elle n’essaye plus de vivre selon les disciplines de l’homme d’intérieur; et, sa continuelle torpeur dégénérant en habitude, elle s’enveloppe comme d’une rouille de paresse. Ou bien elle prend peu de garde aux influences des pensées mauvaises, et en vient à désirer si mollement le degré sublime de la pureté du coeur qu’elle fait consister toute la somme de la perfection et de la chasteté dans l’affliction de l’homme extérieur. Erreur et nonchalance qui ont une suite funeste. La multitude vagabonde des pensées fait irruption, avec une impudente audace, dans le secret de l’âme; bien plus, les semences y persévèrent de tous les vices passés. Or, tant que celles-ci demeurent cachées dans ses replis profonds, les jeûnes les plus rigoureux dont on châtie le corps, n’empêcheront pas les songes voluptueux de venir inquiéter le sommeil… C’est bien pourquoi il importe avant tout de réprimer les divagations de la pensée, de peur que l’âme ne s’accoutume à ces écarts, puis ne se laisse entraîner, durant le sommeil, jusqu’aux impressions plus regrettables du vice. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Il est, au demeurant, une chose dont il faut bien se persuader. Pourquoi ne devons-nous laisser subsister aucun des vices ? Parce que ses mouvements tumultueux occupent notre, esprit ! Sans doute. Mais pour ce motif aussi, que, non content d’exercer sa tyrannie indépendamment des autres, il introduit toute leur bande, plus cruelle que lui, et dévaste, en la livrant à mille tyrans, l’âme qui lui est sujette. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Ils ont accoutumé de dire : Si nous supplions quelque personnage élevé en dignité, non pour avoir la vie sauve, mais seulement en vue de quelque avantage temporel : rivés à lui par les yeux et par toute l’âme, suspendus dans une attente pleine d’alarmes à un signe de sa tête, nous tremblons qu’un mot inopportun ou maladroit ne vienne à détourner sa miséricorde. Ou bien, voici que nous sommes à l’audience, devant le tribunal des juges de ce monde. En face, se tient notre partie. Si, au beau milieu des débats, nous nous prenions à tousser, cracher, rire, bâiller ou dormir, combien la haine vigilante de notre ennemi serait-elle prompte à exciter, pour notre perte, la sévérité du juge ! Eh ! lorsque nous supplions le Juge divin, infaillible témoin de tous les secrets, afin qu’Il écarte le péril de mort éternelle dont nous sommes menacés, ayant en face de nous surtout celui qui est à la fois notre perfide séducteur et notre accusateur, avec quelle attention, quelle ferveur de prière devons-nous implorer sa Clémence ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

GERMAIN. – Selon nous, ces textes ne conviennent pas plus à ceux qui vivent dans les péchés mortels, qu’à l’Apôtre ou aux parfaits qui ont atteint sa mesure. Proprement, ils doivent s’entendre de ceux qui, après avoir reçu la Grâce divine et connu la Vérité, désirent s’abstenir des vices charnels, mais se voient entraînés vers leurs convoitises invétérées, par la force d’une habitude ancienne qui domine tyranniquement dans leurs membres, telle une loi de nature. L’habitude et la répétition du mal deviennent, en effet, comme une loi naturelle. Inhérente aux membres de la faible humanité, celle-ci captive et emporte au vice les inclinations de l’âme insuffisamment formée aux pratiques de la vertu et, si l’on peut ainsi dire, de chasteté novice encore et tendre. Elle la soumet, en vertu de l’antique condamnation, à la mort et au joug tyrannique du péché, ne lui permettant pas d’atteindre au bien de la pureté qu’elle aime, mais la contraignant plutôt de faire le mal qu’elle déteste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Aussi bien, plus l’âme progresse, plus grande est la pureté de contemplation où elle est parvenue; plus aussi elle se voit impure, comme dans le miroir de sa propre pureté. Quelqu’un se porte-t-il de tout lui-même vers une contemplation plus sublime; le regard en avant, sans cesse habite-t-il par le désir dans de plus hautes régions : nécessairement, il méprise le degré où il se trouve comme inférieur et vil. L’oeil sain distingue plus de choses; une vie sans reproche que l’on se reprend avec plus de douleur; l’amendement des moeurs et le zèle vigilant de la vertu multiplient gémissements et soupirs. Impossible de se satisfaire avec le degré où l’on est parvenu. Plus l’âme est pure; plus elle se voit souillée, et trouve en soi des raisons de s’humilier, plutôt que de s’élever. Plus elle est rapide dans son vol vers les cimes, plus elle voit grandir devant soi l’espace à parcourir. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Nous ne devons pas toutefois nous suspendre nous-mêmes de la communion du Seigneur, parce que nous avons conscience d’être pécheurs. Au contraire, nous irons la recevoir avec une avidité plus grande, afin d’y trouver la santé de l’âme et la pureté de l’esprit, mais dans les sentiments de l’humilité et de la foi, nous jugeant indignes d’une telle Grâce, et cherchant uniquement le remède à nos blessures. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Le moine est dans sa cellule : ses pensées, de même, s’y trouvent rassemblées, comme dans une étroite clôture. Rien d’étonnant, si la multitude de ses anxiétés l’oppresse. Il sort : elles se précipitent avec lui hors du logis qui les tenait captives, et incontinent se mettent a voltiger en tous sens, comme on voit galoper des chevaux sans frein. Sur l’heure, tandis qu’elles s’évadent ainsi du lieu qui les tenait enfermées, l’âme sent une brève et triste consolation. Mais il faut regagner la cellule : de nouveau toute la troupe des pensées accourt au gîte; et l’habitude même d’une licence invétérée fait surgir des aiguillons plus douloureux. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Ainsi parla le bienheureux Antoine en réponse à ce frère. Cet exemple nous instruit nous-mêmes à fuir les pernicieuses complaisances de nos parents et de tous ceux dont la charité pourrait fournir à notre entretien, comme aussi les agréments d’un séjour délicieux. Il nous apprend encore à mettre au-dessus de toutes les richesses de ce monde, des sables naturellement amers et stériles, des régions brûlées par l’inondation marine et sur lesquelles aucun homme vivant n’exerce droit ni domaine : cela, dans la vue, sans doute, d’éviter les foules humaines à l’abri d’une retraite inaccessible; mais aussi pour que la fécondité du sol ne nous sollicite point a quelque culture absorbante, par où l’âme, distraite de son objet essentiel, se condamnerait au vide et à la stérilité spirituelle. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Réponse : Du triple mouvement de l’âme. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

ABRAHAM – Tous les vices n’ont qu’une même source et une identique origine. Mais, selon la partie, et, pour ainsi parler, le membre qui est vicié dans l’âme, elle reçoit les vocables divers des passions et maladies spirituelles. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Des choses visibles passant aux invisibles, nous pouvons bien croire que l’énergie des vices se trouve aussi localisée dans les différentes parties et, si l’on peut dire, les membres de l’âme. Or, les sages y distinguent trois facultés, la raisonnable, l’irascible et la concupiscible. L’une ou l’autre sera nécessairement altérée, toutes les fois que le mal nous attaquera. Lors donc que la passion mauvaise touche quelqu’une de ces puissances, c’est d’après l’altération qu’elle y détermine, que le vice particulier reçoit sa dénomination. Si la peste vicieuse infecte la partie raisonnable, elle y engendre la vaine gloire, l’élèvement, la superbe, la présomption, la contention, l’hérésie. Si elle blesse la partie irascible, elle enfante la fureur, l’impatience, la tristesse, la cruauté. Si elle corrompt la partie concupiscible, elle produit la gourmandise, l’impureté, l’amour de l’argent, les pernicieux et terrestres désirs. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

C’est la partie raisonnable de l’âme qui est corrompue dans le cas présent. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

La partie la plus faible de l’âme succombe la première aux tentations du diable. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Il se forgeait une idée toute semblable de notre Seigneur; et c’est pourquoi il Le tenta par les trois puissances de l’âme, puisque c’est par l’une ou l’autre de ces trois portes que tout le genre humain est fait captif. Mais toutes ses habilités insidieuses ne purent rien gagner. Il attaque la partie concupiscible, en disant : Ordonne que ces pierres se changent en pains (Mt 4,3); l’irascible, lorsqu’il Le pousse à convoiter la puissance du siècle présent et les royaumes de ce monde; la raisonnable, quand il dit : Si Tu es le Fils de Dieu, jette-Toi en bas (Ibid., 6). Cependant, ses illusions restent sans effet, parce que, contrairement à la conjecture qu’il avait formée faussement, il ne trouve rien en Lui de vicié : Le prince de ce monde vient, et il ne trouvera rien en Moi (Jn 14,30), dit le Seigneur. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Sachez-le, la ruse la plus subtile du démon, le piège le mieux dissimulé où il précipite les pauvres imprudents, consiste à leur ravir, tandis qu’il leur promet de plus grands biens, le gain nécessaire du progrès quotidien. Il leur persuade qu’ils devraient chercher des solitudes plus cachées et plus vastes, qu’il peint à leur imagination toutes fleuries des agréments les plus merveilleux. Mieux encore, il leur donne le mirage de lieux ignorés, inexistants; ils les voient, comme s’ils les connaissaient, ils se les imaginent tout prêts à les recevoir, abandonnés à leur discrétion; nulle difficulté à en prendre possession. Quant aux habitants, le menteur les représente traitables et faciles à conduire au chemin du salut : l’âme cueillera là-bas des fruits plus abondants. Mais, à la faveur de ces promesses, il ne veut que l’amuser et lui ravir le profit présent. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Aussi bien, la trêve agréable que l’hospitalité nous accorde parfois à l’occasion de la visite d’un frère, et où vous ne voyez, vous, qu’une importunité à fuir, ne laisse pas d’être utile et salutaire tant au corps qu’à l’âme. Écoutez plutôt. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM