caché (Orígenes)

Qu’est-ce donc que Jésus « a promis » et n’a pas accompli ? Que Celse l’établisse et le prouve ! Mais il en sera bien incapable : pour la raison majeure qu’il croit tirer ses arguments contre Jésus et contre nous soit d’histoires mal comprises, soit même de lectures évangéliques, soit de récits juifs. De plus, puisque le Juif répète : « Nous l’avons convaincu, condamné, jugé digne du supplice », qu’on nous montre comment ceux qui cherchaient à établir de faux témoignages contre lui l’ont convaincu ! A moins peut-être que la grande charge contre Jésus ne fût cette déposition des accusateurs : « Cet homme a affirmé : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours » ? Mais « il parlait du temple de son corps ». Tandis qu’ils croyaient, ne sachant l’interpréter au sens de son auteur, que le propos concernait le temple de pierre, plus honoré chez les Juifs que Celui qu’il aurait fallu honorer comme le véritable temple du Dieu Logos, de la Sagesse, de la Vérité. Et que l’on dise comment Jésus « s’est caché et a fui de la manière la plus honteuse » ! Qu’on y montre une conduite digne de blâme ! Il affirme encore qu’« il fut pris ». Je pourrais répliquer : si « être pris » implique que c’était contre son gré, Jésus ne fut pas pris. De lui-même, au moment voulu, il ne s’est pas gardé de tomber aux mains des hommes, comme « Agneau de Dieu », afin « d’ôter le péché du monde ». « Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! C’est moi ! leur dit-il. Judas, qui le livrait se tenait là avec eux. Quand Jésus leur eut dit : C’est moi ! ils reculèrent et tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-là. » De plus, à celui qui, voulant le secourir, frappa le serviteur du grand-prêtre et lui coupa l’oreille, il dit : « Remets ton glaive au fourreau ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Comment alors s’accompliraient les Écritures, d’après lesquelles il devait en être ainsi ? » Fiction des évangélistes que tout cela, croira-t-on ? Pourquoi la fiction ne serait-elle pas plutôt dans les paroles inspirées par l’hostilité et la haine contre le Christ et les chrétiens, et la vérité, dans le témoignage de ceux qui ont prouvé la sincérité de leur attachement à Jésus en supportant pour ses paroles toutes sortes de peines ? Les disciples de Jésus auraient-ils reçu une telle patience et constance à résister jusqu’à la mort, s’ils avaient été disposés à des inventions mensongères au sujet de leur maître ?… Qu’ils aient été convaincus de la vérité de ce qu’ils ont écrit ressort, avec une évidence manifeste pour tout bon esprit, des cruelles et multiples souffrances qu’ils ont supportées pour celui qu’ils croyaient être Fils de Dieu. LIVRE II

C’est bien en vain que Celse ajoute : Car assurément il ne craignait plus personne puisqu’il avait subi la mort et, dites-vous, qu’il était Dieu, et il ne fut pas envoyé principalement pour demeurer caché. En fait, il fut envoyé non seulement pour être connu, mais aussi pour demeurer cache. Car la totalité de son être n’était pas connue même de ceux qui le connaissaient, mais quelque chose leur en échappait, et à certains, il restait absolument inconnu. Mais il ouvrit les portes de la lumière à ceux qui étaient fils des ténèbres et de la nuit, et qui se consacrèrent à devenir fils du jour et de la lumière. Et le Seigneur vint en Sauveur comme un bon médecin, plutôt pour nous pleins de pèche que pour les justes. LIVRE II

Mais pour quelle raison le Juif de Celse a-t-il dit que Jésus se cachait ? Car il dit de lui : Quel messager envoyé en mission se cacha-t-il jamais au lieu d’exposer l’objet de son mandat ? Non, il ne se cachait pas, puisqu’il dit à ceux qui cherchaient à le prendre : « Chaque jour j’étais dans le temple à enseigner librement, et vous n’osiez m’arrêter. » A la suite, où Celse ne fait que se répéter, j’ai déjà répondu une fois, je me bornerai donc à ce qui est déjà dit. Car plus haut se trouve écrite la réponse à l’objection : Est-ce que, de son vivant, alors que personne ne le croyait, il prêchait à tous sans mesure, et, quand il aurait affermi la foi par sa résurrection d’entre les morts, ne se laissa-t-il voir en cachette qu’à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie ? Ce n’est pas vrai : il n’est pas apparu seulement à une femmelette, car il est écrit dans l’Évangile selon Matthieu : « Après le sabbat, dès l’aube du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent visiter le sépulcre. Alors il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre. » Et peu après, Matthieu ajoute : « Et voici que Jésus vint à leur rencontre ? évidemment, les Marie déjà nommées ?, et il leur dit : « Je vous salue ». Elles s’approchèrent, embrassèrent ses pieds et se prosternèrent devant Lui. » On a également répondu à sa question : Est-ce donc que, durant son supplice, il a été vu de tous, mais après sa résurrection, d’un seul – en réfutant l’objection qu’il n’a pas été vu de tous. Ici j’ajouterai : ses caractères humains étaient visibles de tous ; ceux qui étaient proprement divins – je ne parle pas de ceux qui le mettaient en relation avec les autres êtres, mais de ceux qui l’en séparaient – n’étaient pas intelligibles à tous. De plus, note la contradiction flagrante où Celse s’empêtre. A peine a-t-il dit : « Il s’est laissé voir en cachette à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie », qu’il ajoute : « durant son supplice, il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu. » Entendons ce qu’il veut dire par « durant son supplice il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu». A en juger par son expression, il voulait une chose impossible et absurde : que, durant son supplice, il soit vu d’un seul, après sa résurrection, de tous ! Ou comment expliquer : « c’est le contraire qu’il aurait fallu »? Jésus nous a enseigné qui l’avait envoyé, dans les paroles : « Personne n’a connu le Père si ce n’est le Fils », « Personne n’a jamais vu Dieu : mais le Fils unique, qui est Dieu, qui est dans le sein du Père, lui, l’a révélé» . C’est lui qui, traitant de Dieu, annonça à ses disciples véritables les caractéristiques de Dieu. Les indices qu’on en trouve dans les Écritures nous offrent des points de départ pour parler de Dieu : on apprend, ici, que « Dieu est lumière et il n’y a point en lui de ténèbres », là, que « Dieu est esprit, et ses adorateurs doivent l’adorer en esprit et en vérité ». De plus, les raisons pour lesquelles le Père l’a envoyé sont innombrables : on peut à son gré les apprendre soit des prophètes qui les ont annoncées d’avance, soit des évangélistes ; et on tirera bien des connaissances des apôtres, surtout de Paul. En outre, si Jésus donne sa lumière aux hommes pieux, il punira les pécheurs. Faute d’avoir vu cela, Celse écrit : Il illuminera les gens pieux et aura pitié des pécheurs ou plutôt de ceux qui se sont repentis. Après cela, il déclare : S’il voulait demeurer caché, pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la mort ? Il pense par là montrer la contradiction entre ce qui est écrit de lui, sans voir que Jésus ne voulait ni que tous ses aspects fussent connus de tous, même du premier venu, ni que tout ce qui le concerne demeurât caché. En tout cas, la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu », au témoignage de l’Écriture, n’a pas été dite de façon à être entendue de la foule, comme l’a cru le Juif de Celse. De plus, la voix venant de la nuée, sur la haute montagne, a été entendue de ceux-là seuls qui avaient fait l’ascension avec lui ; car c’est le propre de la voix divine d’être entendue seulement de ceux à qui il « veut » faire entendre sa parole. Et je n’insiste pas sur le fait que la voix de Dieu, mentionnée dans l’Écriture, n’est certainement pas de l’air en vibration, ou un ébranlement d’air, ou tout autre définition des traites sur la voix : elle est donc entendue par une oreille supérieure et plus divine que l’oreille sensible Et comme Dieu qui parle ne veut pas que sa voix soit audible à tous, qui a des oreilles supérieures entend Dieu, mais qui est sourd des oreilles de l’âme est insensible à la parole de Dieu. Voilà pour répondre à la question : « Pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? » Et la suivante : « S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la mort ? » trouve une réponse suffisante dans ce qu’on a dit longuement de sa passion dans les pages précédentes. LIVRE II

Ensuite, il ne comprend pas le sens de l’expression : « Quiconque s’élève sera abaissé », il n’a même pas appris de Platon que l’honnête homme s’avance « humble et rangé », il ne sait même pas que nous disons : « Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu pour qu’il vous élève au bon moment », et il déclare : Des hommes, qui président correctement à un procès, ne tolèrent pas qu’on déplore les fautes en discours à lamentations, de peur que la pitié plus que la vérité ne dicte leur sentence; Dieu, donc, juge en fonction non de la vérité mais de la flatterie. Quelle flatterie, quel discours à lamentations y a-t-il dans les divines Écritures? Le pécheur dit dans sa prière à Dieu : « Je t’ai fait connaître mon péché, je ne t’ai point caché mon iniquité ; j’ai dit : je veux m’accuser de mon iniquité au Seigneur, etc. » Peut-il prouver qu’un tel aveu de pécheurs qui s’humilient devant Dieu dans leurs prières n’est pas capable d’obtenir la conversion ? De plus, troublé par son ardeur à accuser, il se contredit. Tantôt il semble connaître un homme sans péché et juste qui, dans sa vertu originelle lève ses regards vers Dieu, tantôt il approuve ce que nous disons : « Quel est l’homme parfaitement juste, quel est l’homme sans péché ? » car c’est bien approuver cela que d’ajouter : Il est probablement vrai que la race humaine a une propension native à pécher. Ensuite, comme si tous les hommes n’étaient point appelés par le Logos, il objecte : Il eût donc fallu appeler tous les hommes sans exception, si en fait tous sont pécheurs. Mais j’ai montré plus haut que Jésus a dit : « Venez, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. » Tous les hommes donc, « qui peinent et ployent sous le fardeau » à cause de leur nature pécheresse, sont appelés au soulagement près du Logos de Dieu, car Dieu envoya « son Logos, les guérit et les préserva de leurs corruptions ». LIVRE III

Celse aurait dû reconnaître la sincérité des auteurs des divines Écritures à ce qu’ils n’ont pas caché des actes même déshonorants, et en conséquence, regarder comme authentiques les autres histoires encore plus étonnantes. Il a fait tout le contraire et, sans examiner la lettre ni rechercher l’esprit, a appelé plus abominable que les crimes de Thyeste l’histoire de Lot et de ses filles. Il n’est pas nécessaire d’exposer ici ce que signifient allégoriquement ce passage, et Sodome, et la parole des anges à celui qu’ils sauvaient de là : « Ne regarde pas en arrière et ne t’arrête pas dans toute la plaine d’alentour ; sauve-toi vers la montagne de peur que tu périsses avec les autres » ; ou ce que signifient Lot, sa femme changée « en colonne de sel » pour s’être retournée, ses filles enivrant leur père pour devenir mères grâce à lui. Essayons pourtant d’atténuer en quelques mots les inconvenances de l’histoire. Les Grecs aussi ont cherché la nature des actions bonnes, mauvaises, indifférentes. Ceux d’entre eux qui en ont le mieux traité font dépendre les bonnes et les mauvaises de la seule liberté ; ils disent indifférentes au sens propre toutes celles qui sont recherchées indépendamment de la liberté : la liberté en use-t-elle comme il convient, elle est louable, dans le cas contraire blâmable. Ils disent donc, à cette question des actions « indifférentes », que s’unir à sa fille est au sens propre indifférent, quoiqu’il ne faille point le faire dans les sociétés constituées. Par manière d’hypothèse, pour montrer le caractère indifférent d’un tel acte, ils ont supposé le cas d’un sage, laissé avec sa fille seule après la destruction de tout le genre humain et se demandent s’il serait convenable que le père s’unît à sa fille pour éviter, d’après l’hypothèse, la perte du genre humain tout entier. LIVRE IV

Bien plus, supposant que les Juifs regardent le ciel comme dieu, il ajoute que c’est absurde et leur reproche d’adorer le ciel mais non le soleil, la lune et les étoiles, et ainsi de se comporter comme s’il était admissible que le tout soit dieu et que ses parties ne soient pas divines ; il semble dire que le ciel est le tout, et le soleil, la lune et les étoiles sont ses parties. Or il est bien clair que ni Juifs ni chrétiens ne disent que le ciel est dieu. Mais accordons qu’il ait raison de dire que les Juifs nomment dieu le ciel, supposons même que le ciel, la lune et les étoiles soient des parties du ciel, – ce qui n’est pas absolument vrai, pas plus que les animaux sur la terre ne sont parties de la terre – : serait-il donc vrai, même aux yeux des Grecs, que si le tout est dieu alors aussi ses parties soient divines ? Sans aucun doute ils disent que le monde en sa totalité est dieu, les Stoïciens, qu’il est le premier, les Platoniciens le second, certains d’entre eux le troisième. Est-ce donc que d’après eux, puisque le monde en sa totalité est dieu, alors aussi ses parties sont divines : si bien que non seulement les hommes mais encore tous les animaux sans raison, comme parties du monde, sont des êtres divins, et en plus d’eux même les plantes ? Et si les montagnes, les fleuves et les mers sont des parties du monde est-ce que, le monde en sa totalité étant dieu, alors aussi les fleuves et les mers sont des dieux ? Mais non, les Grecs ne diraient point cela : ce sont les êtres, démons sans doute, ou dieux selon l’appellation de certains, préposés aux fleuves et aux mers qu’ils appelleraient dieux. Même pour les Grecs qui admettent la Providence, est fausse l’affirmation générale de Celse : si le tout est dieu, nécessairement ses parties sont divines. Il suit de son argument que, si le monde était dieu, toutes les choses qui y sont, étant des parties du monde, seraient divines. A ce compte, les animaux seraient divins : mouches, vers de bois, vers de terre, chaque espèce de serpents, et encore, d’oiseaux et de poissons ; assertion que ne tiendraient pas même ceux qui disent que le monde est dieu. Mais les Juifs, qui vivent selon la loi de Moïse, même s’ils ne savent pas interpréter la signification obscure de la loi dans son sens caché, ne diront jamais que le ciel ou les anges sont des dieux. LIVRE V

« Dieu donne donc à chacun un corps à son gré » : aux plantes ainsi semées, comme aux êtres qui sont pour ainsi dire semés dans la mort et qui reçoivent en temps opportun, de ce qui est semé, le corps assigné par Dieu à chacun selon son mérite. Nous entendons aussi l’Écriture qui enseigne longuement la différence entre le corps pour ainsi dire semé et celui qui en est comme ressuscité. Elle dit : « Semé dans la corruption, il ressuscite incorruptible ; semé dans l’abjection, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. » A celui qui le peut, de savoir encore sa pensée dans ce passage : « Tel le terrestre, tels seront aussi les terrestres, tel le céleste, tels seront aussi les célestes. Et comme nous avons porté l’image du terrestre, de même nous porterons l’image du céleste. » Cependant l’Apôtre veut laisser caché le sens mystérieux du passage, qui ne convient pas aux simples et à l’entendement commun de ceux que la foi suffît à amender. Il est néanmoins forcé ensuite, pour nous éviter des méprises sur le sens des ses paroles, de compléter l’expression : « Nous porterons l’image du céleste » par celle-ci : « Je l’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité1. » Et sachant bien le mystérieux sens caché qu’il y avait dans ce passage, comme il convient à un auteur laissant par écrit à la postérité l’expression de sa pensée, il ajoute : «Voici que je vais vous dire un mystère. » C’est précisément la formule d’introduction aux doctrines profondes et mystérieuses, justement cachées à la foule. Ainsi encore il est écrit dans le livre de Tobie : « Il est bon de tenir caché le secret du roi » ; puis, à l’égard de ce qui est glorieux et adapté à la foule, en dosant la vérité : « Il est bon de révéler les oeuvres de Dieu pour sa gloire. » Dès lors notre espérance n’est pas celle des vers et notre âme ne regrette pas le corps putréfié ; sans doute a-t-elle besoin d’un corps pour passer d’un lieu à un autre ; mais, ayant médité la sagesse selon la parole : « La bouche méditera la sagesse », elle sait qu’il y a une différence entre l’habitation terrestre où se trouve la tente et qui est vouée à la destruction, et la tente où les justes gémissent accablés, non parce qu’ils veulent se dévêtir de la tente, mais « pardessus elle se revêtir » (d’une autre) afin que, ainsi revêtus, « ce qu’il y a de mortel soit englouti par la vie ». « Il faut en effet », toute la nature corporelle étant corruptible, que cette tente « corruptible revête l’incorruptibilité », et que d’autre part, ce qui est « mortel » et destiné à la mort, conséquence immédiate du péché, « revête l’immortalité ». Ainsi, quand « cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité et cet être mortel l’immortalité, alors s’accomplira » l’antique prédiction des prophètes, la fin du triomphe de la mort qui dans son triomphe nous avait soumis à elle, et la perte de l’aiguillon dont elle pique l’âme incomplètement protégée, lui infligeant les blessures qui viennent du péché. LIVRE V

Ensuite, dans la mesure où le permet la forme du récit qui, tout en ayant en lui-même une certaine vérité historique, manifeste en outre un sens caché, il faut voir que certains ont conservé leur langue originelle, parce qu’ils ne se sont pas éloignés du Levant mais restent au Levant et dans la langue du Levant ; il faut comprendre que ceux-là seuls sont devenus la part du Seigneur et son peuple du nom de Jacob, et devenus aussi « le lot de son héritage, Israël » ; ceux-là seuls ont été soumis à un souverain qui n’a pas reçu comme les autres ses sujets pour les punir. Que l’on observe, autant qu’on le peut humainement, que dans la société de ceux qui ont été attribués au Seigneur comme sa part de choix des péchés ont été commis, d’abord tolérables et ne méritant pas à leurs auteurs un complet abandon, ensuite plus nombreux mais encore tolérables. Comprenons que cette situation dura assez longtemps et qu’alors il y avait toujours un remède, et qu’ils se convertissaient par intervalles. Il faut voir qu’en proportion des péchés qu’ils commettaient, ils ont été abandonnés aux puissances maîtresses des autres contrées. D’abord modérément frappés de châtiments et de peines pour ainsi dire éducatrices, ils sont revenus dans leur patrie ; mais ensuite, il faut considérer qu’ils ont subi la tyrannie très rude des Assyriens, puis des Babyloniens comme les nomme l’Écriture. Ensuite il faut voir que, malgré l’application de ces remèdes, ils ont néanmoins multiplié leurs péchés et, pour cette raison, ont été dispersés dans les autres parties de la terre par les chefs des autres nations qui ravagèrent leur pays. Mais leur chef les laisse à dessein démembrer par les chefs du reste des nations afin qu’à son tour, comme par vengeance personnelle, ayant reçu la faculté d’arracher au reste des nations ceux qu’il pourrait, il l’exerçât avec raison, leur donnât des lois et leur proposât le genre de vie à suivre, afin de les conduire au but où il a conduit ceux du premier peuple qui n’ont pas péché. LIVRE V

Aux esprits sensibles à de si hautes vérités, cette histoire montre combien supérieur aux autres puissances fut Celui qui a obtenu en partage ceux qui d’abord n’ont pas péché. Il a pu prendre des hommes choisis dans la part de toutes, les délivrer de celles qui les avaient reçus pour les punir et les amener aux lois et au genre de vie qui les aident à l’oubli de leurs fautes passées. Mais, comme on l’a dit, cette histoire doit être présentée par nous avec un sens caché pour établir les vérités déformées par ceux qui ont dit : Les différentes parties de la terre ont été dès l’origine attribuées à différentes puissances tutélaires et réparties en autant de gouvernements ; et c’est la manière dont elles sont administrées. C’est à eux que Celse a emprunté les paroles citées. LIVRE V

Les prophètes, suivant la volonté de Dieu, ont dit sans aucun sens caché tout ce qui pouvait être compris d’emblée par les auditeurs comme utile et profitable à la réforme des m?urs. Mais tout ce qui était plus mystérieux et plus secret, relevant d’une contemplation qui dépasse l’audience commune, ils l’ont fait connaître sous forme d’énigmes, d’allégories, de « discours obscurs », de « paraboles ou proverbes » ; et cela, afin que ceux qui ne renâclent pas devant l’effort, mais supportent tout effort pour l’amour de la vertu et de la vérité, après avoir cherché trouvent, après avoir trouvé se conduisent comme la raison l’exige. Mais le noble Celse, comme irrité de ne pas comprendre ces paroles prophétiques, en vint à l’injure : A ces outrecuidances, ils ajoutent aussitôt des termes inconnus, incohérents, totalement obscurs, dont aucun homme raisonnable ne saurait découvrir la signification tant ils sont dépourvus de clarté et de sens, mais qui fournissent en toute occasion à n’importe quel sot ou charlatan le prétexte de se les approprier dans le sens qu’il désire. Voilà, à mon avis, des propos de fourbe, dits pour détourner autant qu’il pouvait les lecteurs des prophéties d’en rechercher et d’en examiner le sens : disposition analogue à celle que dénote la question posée au sujet d’un prophète venu prédire l’avenir : « Qu’est allé faire chez toi cet insensé ? » Il est sans doute des raisons bien au-dessus de mes capacités pour établir que Celse ment et que les prophéties sont inspirées de Dieu. Je n’en ai pas moins tâché de le faire dans la mesure où je le pouvais, en expliquant mot à mot les termes incohérents et totalement obscurs, comme les qualifie Celse, dans mes Commentaires d’Isaïe, d’Ézéchiel et de quelques-uns des Douze. Et si Dieu permet d’avancer dans sa Parole, au moment où il voudra, viendront s’ajouter aux commentaires déjà cités sur ces auteurs ceux de tout le reste ou du moins ce que je parviendrai à élucider. Mais il y en a d’autres qui, désireux d’examiner l’Écriture et possédant l’intelligence, sauraient en découvrir la signification. Elle est vraiment dépourvue de clarté en bien des endroits, mais nullement dépourvue de sens, comme il dit. Il est non moins faux qu’un sot ou un charlatan puisse les éclaircir et se les approprier dans le sens qu’il désire. Seul, le véritable sage dans le Christ peut expliquer tout l’enchaînement des passages prophétiques qui ont un sens caché, en « comparant les choses spirituelles aux spirituelles » et en interprétant d’après le style habituel des Écritures tout ce qu’il découvre. LIVRE VI