A águia, emblema do Cristo condutor das almas para Deus
Notre langage savant d’aujourd’hui a fait à celui des Grecs anciens l’emprunt de deux mots un peu lourds et sans grâce, mais qui sont pleins, dirait Rabelais, de substantificque moelle ». Et le mot « psychagogue » qualifie tout ce qui contribue à la conduite, à la direction des âmes, et « psychopompe » s’applique à tout ce qui les élève, les attire en haut et les pousse ainsi vers le Beau, vers le Bien, vers la Divinité enfin, qui est la perfection même en toutes choses.
Le rôle de conducteur des âmes « vers les dieux célestes » que les Anciens donnaient à l’aigle fut conservé fort à propos à l’Aigle-Christ, car non seulement c’est Lui, le Rédempteur, qui a ouvert aux âmes les portes des divins domaines, mais, pendant leur vie terrestre même, n’est-ce pas Lui qui, par l’infusion intérieure de sa grâce, élève vers Dieu et vers les hauteurs spirituelles, leurs pensées que la matière veut appesantir ?
Aussi tous les anciens docteurs des églises d’Orient et d’Occident ont-ils appliqué à Jésus-Christ le passage du Cantique de Moïse, dans le Deutéronome : « Pareil à l’aigle qui excite sa couvée et voltige au-dessus de ses petits, ainsi Yahweh, le Seigneur, a déployé ses ailes. »
L’auteur de la Vigne Mystique, au XIIe siècle environ, a écrit dans le même esprit en ce passage où il s’adresse au Christ-Rédempteur : « Vous êtes plus puissant que l’aigle dans votre vol, car vous vous êtes élancé à pas de géant dans la carrière de votre vie’ pour y accomplir le mystère de votre incarnation, jusqu’au moment où, semblable à l’aigle qui appelle ses petits, vous avez étendu vos bras comme des ailes sur la croix, et là, planant sur nous, vous nous avez appelés à vous, vous nous avez placés sur vos épaules’, et d’un vol puissant, vous nous avez élevés jusqu’à votre tabernacle, jusqu’à l’heureux séjour où vous prodiguez les tendresses de votre amour, les splendeurs de votre gloire, jusqu’à ce repas céleste ou vous invitez vos amis… » L’Aigle-Christ est donc bien vu ici comme le « psychagogue » et le « psychopompe » qui conduit et élève nos âmes jusqu’au ciel.
Ainsi les Anciens nous l’ont montré emportant vers l’Empyrée les âmes des souverains, celle d’Antonin, par exemple.
La fable de l’aigle portant vers le dieu suprême des Grecs, vers Zeus, le jeune Ganymède « devint, dit Franz Cumont, malgré le caractère équivoque de ce conte érotique un symbole de l’ascension de l’âme vers les astres ; ses épisodes apparaissent sur les pierres tumulaires et les sarcophages. ». Il est bien évident, qu’en faisant figurer sur ces graves monuments l’enlèvement de Ganymède, les inspirateurs de ces sculptures n’avaient en vue que le rôle de l’oiseau sacré, et qu’ils faisaient abstraction complète du reste de la fiction.
Les premiers chrétiens des pays classiques, en se posant, bien entendu, sur le même terrain, ont-ils accepté de se servir aussi dans leur symbolisme de cette même fiction, comme ils ont adopté à Rome, dans l’art des Catacombes, le thème des amours d’Éros et de Psyché ?
Des érudits l’ont pensé, et ont attribué à l’art chrétien plusieurs représentations de cet épisode mythologique, notamment une mosaïque de la catacombe romaine de Saint-Sébastien et un morceau d’étoffe sassanide brodée. Dom Leclercq met fortement en doute les origines chrétiennes de ces deux documents en se basant surtout sur le caractère impur de la fiction de Ganymède. Il me semble pourtant possible que les chrétiens d’alors, comme les Pythagoriciens de leur temps, aient fait abstraction complète du côté condamnable de la légende pour n’y regarder que l’aspect didactique et élevé du rôle de l’aigle dans l’épisode en question. Nous avons connaissance de hardiesses plus grandes.
C’est à propos de cette scène de l’enlèvement de Ganymède que Jupiter a été nommé par les Anciens « l’Aigle simulé* ». Il est pourtant bien probable que ce n’est pas lui, mais Jésus-Christ, agissant en conducteur de l’âme, que l’on a voulu évoquer en représentant sur l’une des portes de Saint-Pierre de Rome l’enlèvement de Ganymède.
Un vase antique, que reproduit Cloquet, montre un aigle qui enlève une femme voilée au lieu de Ganymède ; ne serait-ce pas déjà une image de l’âme que représente pour nous l’enfant que Zeus aimait ? cette âme qui peut dire avec Cathmor le héros d’Irlande : « Je monte sur les ailes d’un aigle pour saisir la gloire. »
« L’aigle de Jupiter, dit Guimet, prend une valeur de vie éternelle utilisée notamment sur les représentations des tombeaux de Syrie. »