Antéchrist (Orígenes)

Paul nous parle de l’« Antéchrist », enseigne et établit, non sans quelque réserve mystérieuse, la manière, la date et la raison de sa venue au genre humain. Et vois si l’exposé qu’il en donne n’est pas du plus grand sérieux, sans mériter la moindre raillerie. Il s’exprime en ces termes : « Nous vous le demandons, frères, à propos de l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ et de notre rassemblement auprès de lui, ne vous laissez pas trop vite troubler l’intelligence ni alarmer par un esprit, une parole, une lettre soi-disant de nous, annonçant que le Jour du Seigneur est déjà là. Que personne ne vous abuse d’aucune manière ; car il faut d’abord que vienne l’apostasie, et que se révèle l’homme impie, l’être perdu, l’Adversaire, celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. Ne vous souvient-il pas que je vous le disais quand j’étais encore près de vous ? Et vous savez que ce qui le retient présentement de façon qu’il ne se révèle qu’à son moment. LIVRE VI

Qu’on nous dise dès lors si un trait du texte de l’Évangile ou de l’Apôtre peut prêter au soupçon que la sorcellerie soit prédite dans ce passage ! Et quiconque le désire pourra extraire en outre de Daniel la prophétie sur l’Antéchrist. Mais Celse calomnie les paroles de Jésus : il n’a pas dit que d’autres se présenteraient, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers, comme Celse le lui fait dire. En effet, la puissance des incantations d’Egypte n’est point pareille à la grâce miraculeuse dont disposait Moïse : l’issue a manifesté que les actions des Egyptiens étaient des sorcelleries, et celles de Moïse des oevres divines. De la même façon, les actions des antéchrists et de ceux qui prétendent faire des miracles à l’égal des disciples de Jésus sont qualifiées de « signes et de prodiges mensongers, sévissant dans toutes les séductions du mal à l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition » ; celles du Christ et de ses disciples, au contraire, ont pour fruit non la séduction mais le salut des âmes. Qui donc peut raisonnablement soutenir que la vie vertueuse qui réduit chaque jour à un plus petit nombre les actions mauvaises provient d’une séduction ? Celse a deviné un trait de l’Écriture, quand il fait dire à Jésus qu’un certain Satan serait habile à contrefaire ces prodiges. Mais il ajoute une pétition de principe en affirmant que Jésus ne nie pas en eux tout caractère divin, mais qu’il y voit l’oevre de méchants. C’est renfermer dans une même catégorie des choses de catégorie différente. Comme le loup n’est pas de même espèce que le chien, malgré une ressemblance apparente dans la forme du corps et dans la voix, ni le pigeon ramier de même espèce que la colombe, ainsi une oevre de la puissance de Dieu n’a rien de pareil à ce qui provient de la sorcellerie. Autre réponse aux déloyautés de Celse : est-ce que des méchants démons feraient des miracles par sorcellerie, sans que la nature divine et bienheureuse en accomplisse aucun ? L’existence humaine est-elle accablée de maux, sans la moindre place pour les biens ? Or voici mon avis : dans la mesure où l’on doit admettre le principe général que là où l’on suppose un mal de même espèce que le bien, il existe nécessairement en face de lui un bien, de même aussi, en regard des actes exécutés par sorcellerie il en existe nécessairement qui sont dus à l’activité divine dans l’existence. En conséquence du même principe on peut ou supprimer les deux membres de l’affirmation et dire que ni l’un m l’autre ne se réalise, ou, posé l’un, ici le mal, reconnaître aussi le bien. Mais admettre les effets de la sorcellerie et nier les effets de la puissance divine équivaut, me semble-t-il, à soutenir qu’il y a des sophismes et des arguments plausibles éloignés de la vérité bien qu’ils feignent de l’établir, mais que la vérité et la dialectique étrangère aux sophismes n’ont aucun droit de cité parmi les hommes. Admet-on l’existence de la magie et de la sorcellerie exercée par les méchants démons, charmés par des incantations spéciales et dociles aux invitations des sorciers ? Il s’ensuit que doivent exister parmi les hommes les effets de la puissance divine. Alors pourquoi ne pas examiner soigneusement ceux qui prétendent faire des miracles et voir si leur vie, leurs moers, les résultats de ces miracles nuisent aux hommes ou redressent leurs moers ? Qui donc, au service des démons, obtient de tels effets au moyen de pratiques incantatoires et magiques. Qui au contraire, après s’être uni à Dieu, dans un lieu pur et saint, par son âme, son esprit et je croîs aussi par son corps, et avoir reçu un esprit divin, accomplit de tels actes pour faire du bien aux hommes et les exhorter à croire au vrai Dieu ? Admet-on la nécessité de chercher, sans tirer une conclusion précipitée des miracles, qui accomplit ces prodiges par un principe bon et qui, par un principe mauvais, de manière à éviter soit de tout déprécier, soit de tout admirer et accueillir comme divin ? Comment alors ne sera-t-il pas évident, d’après les événements du temps de Moïse et du temps de Jésus, puisque des nations entières se sont constituées à la suite de leurs miracles, que c’est par une puissance divine qu’ils ont accompli les oevres que la Bible atteste ? Car la méchanceté et la magie n’auraient pas constitué une nation entière qui a dépasse non seulement les idoles et les monuments construits par les hommes, mais encore toute nature créée, et qui s’élève jusqu’au principe incréé du Dieu de l’univers. LIVRE II

Celse rejette encore notre doctrine sur « l’Antéchrist », sans avoir lu ce qu’en disent Daniel et Paul, ni ce que le Sauveur prédit dans les Évangiles au sujet de sa Parousie; il faut en traiter brièvement. « Pas plus que ne se ressemblent leurs visages, les coeurs des hommes ne se ressemblent. » Il est clair que des différences peuvent se trouver entre les coeurs des hommes : soit entre ceux qui ont opté pour le bien, mais n’ont pas tous également et de même manière été marqués et transformés dans leur élan vers lui ; soit entre ceux qui méprisent le bien et se précipitent en sens contraire. Car parmi eux le débordement du vice est violent chez les uns et moindre chez les autres. LIVRE VI

Est-il donc absurde qu’il y ait dans l’humanité pour ainsi dire deux extrêmes, l’un de bien, l’autre de son contraire, l’extrême du bien étant dans l’homme que l’esprit discerne en Jésus, lequel est source inépuisable pour le genre humain de conversion, de guérison et d’amélioration, et l’extrême opposé étant dans l’Antéchrist? Dieu, dont la prescience embrasse toutes choses, voyant ce qui les concerne tous deux, a voulu les faire connaître aux hommes par les prophètes, pour que ceux qui comprendraient leurs paroles s’unissent intimement au bien et se défendent du contraire. Il fallait que l’un des deux extrêmes, le meilleur, fût appelé Fils de Dieu, à cause de sa suréminence, et l’autre, diamétralement contraire, fils du démon pervers, de Satan, du diable. Ensuite, comme le propre du mal est que la malice se répande au maximum en prenant l’apparence du bien, pour cette raison le mauvais est environné de signes, de prodiges, de miracles mensongers grâce à la coopération de son père le diable. Car l’aide donnée aux sorciers par les démons qui trompent les hommes pour leur plus grand mal est dominée par cette coopération du diable en personne pour tromper le genre humain. LIVRE VI

Elucider chacun de ces points ne répond pas à notre propos actuel. Il y a aussi dans Daniel la prophétie sur l’Antéchrist, bien capable de porter le lecteur sensé et judicieux à admirer ces paroles véritablement inspirées et prophétiques : elles renferment l’histoire des empires futurs depuis l’époque de Daniel jusqu’à la destruction du monde. Chacun peut la lire si bon lui semble. D’ailleurs vois si la prédiction de l’Antéchrist n’a pas ce caractère : « Et à la fin de leur règne, quand ils seront au comble de leurs péchés, se lèvera un roi au visage impudent, au fait des questions ; sa force sera puissante, il fera des ravages prodigieux, il réussira dans ses entreprises, il détruira les puissants et le peuple saint ; le joug de sa chaîne sera prospère ; la ruse dans la main, la fierté dans le coeur, il détruira par ruse beaucoup de gens ; il se tiendra debout pour la perte de beaucoup et, comme des oeufs, il les brisera dans sa main. » Et ce qui est dit chez Paul, dans le passage que j’ai cité de lui : « Il ira jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu en se produisant lui-même comme Dieu », a également été dit dans Daniel de cette manière : « Et sur le temple sera l’abomination de la désolation, et jusqu’à l’accomplissement du temps sera accomplie la désolation. » LIVRE VI

Voilà entre bien d’autres témoignages tout ce que j’ai cru raisonnable de citer pour que le lecteur ait du moins une idée de l’enseignement des divines Ecritures sur le diable et l’Antéchrist. Ils peuvent nous suffire. Voyons maintenant un autre passage de Celse et combattons le de notre mieux. LIVRE VI

En effet, comme nous avons appris que « l’Antéchrist vient », et néanmoins savons qu’il y a dans le monde « un grand nombre d’antéchrists », de la même manière nous savons que le Christ est venu et nous voyons aussi que par lui il y a dans le monde un grand nombre de christs qui, à son exemple, ont « aimé la justice et haï l’injustice ». Voilà pourquoi Dieu, le Dieu du Christ, leur a donné à eux aussi « l’onction d’une huile d’allégresse ». Mais lui-même « a aimé la justice et haï l’iniquité » plus que ceux qui ont part avec lui : il a reçu les prémices de l’onction et, si j’ose dire, dans sa plénitude l’onction de l’huile d’allégresse ; et ceux qui ont part avec lui, chacun à sa mesure, ont participé de même à son onction. Voilà pourquoi, le Christ étant « tête de l’Église », au point que le Christ et l’Église ne sont qu’un seul corps, « l’huile précieuse, répandue sur la tête » est descendue « sur la barbe d’Aaron », type de l’homme parfait, et cette huile est parvenue en descendant «jusqu’à la bordure de sa robe ». LIVRE VI