Aussi bien laïcs que religieux, appartenant à des milieux sociaux divers, les Amis de Dieu ne formaient pas une congrégation organisée. Par une piété personnelle intense, à qui n’était pas étrangère une certaine lassitude de la scolastique, ils entendaient réagir contre la médiocrité de la vie spirituelle chez les fidèles & dans le clergé comme aussi contre les désordres dont l’Eglise n’était pas exempte. C’est en demeurant dans l’Eglise & dans le siècle qu’ils tentaient une régénération du corps chrétien : le Christ n’avait pas demandé que ses disciples & ses amis fussent retirés du monde (Jean 15, 14 ; 17, 15), &, loin d’être favorables au monachisme, ils estimaient que mieux valait secourir les pauvres plutôt que de bâtir des couvents. Les Amis de Dieu eurent une communauté importante à Strasbourg à l’époque où Tauler y prêcha (1347) ; elle recevait une bonne part de sa nourriture spirituelle d’ouvrages d’un mystérieux Ami de Dieu de l’Oberland, du Pays-d’En-haut. Ce personnage fictif, vivant dans une région élevée de la géographie, mais surtout de l’âme, était probablement de fait le riche changeur strasbourgeois Rulman Merswin (1307-1382) : après une crise religieuse, il avait renoncé aux affaires, un peu comme Pierre Valdo deux siècles auparavant, pour consacrer son existence aux choses de Dieu ; il eut pour directeur Tauler &, inversement, il aurait été à l’origine d’une seconde conversion du dominicain, si, du moins, on accorde quelque créance à ce que rapporte Le livre du maître, attribuable pour une part à Merswin, où un ermite, Ami de Dieu, convertit un maître en théologie sacrée à une foi plus intérieure & plus vivante ; mais la critique a établi que, dans ce texte, les intentions d’édification l’emportent de loin sur la fidélité à la réalité & qu’il s’agit, somme toute, d’un roman pieux. Il est important de signaler que l’auteur ou les auteurs de deux autres textes très répandus parmi les Amis de Dieu, le Livre des neuf rochers & le Livre des cinq hommes, stipulent que leurs lecteurs ne doivent pas chercher à connaître par l’intermédiaire de qui Dieu fit rédiger ces ouvrages : humilité ? crainte de difficultés avec le magistère ecclésiastique ? Ami de Dieu, l’auteur de la TG nous demeure ainsi inconnu & le rédacteur de cette notice biographique liminaire respecte aussi cette volonté d’anonymat, comme l’observe également Luther dans son édition de 1518 : compte ce que Dieu fait dire & non par qui il le fait dire.
ANSTETT, Jean-Jacques. Une Théologie Germanique. Traduction du Manuscrit de 1497. Paris: PUF, 1983.