amour (Orígenes)

J’ose même dire que la défense que tu me demandes de composer peut affaiblir celle qui est dans les faits et la puissance de Jésus, manifeste à quiconque n’est pas stupide. Cependant, pour ne point paraître hésiter devant la tâche que tu m’as prescrite, j’ai fait de mon mieux pour répliquer à chacun des griefs écrits par Celse ce qui m’a paru propre à retourner ses discours, bien qu’ils soient incapables d’ébranler aucun fidèle. Puisse-t-il, du moins, ne se trouver personne qui, après avoir reçu cet amour infini de Dieu « dans le Christ Jésus », soit ébranlé dans sa détermination par les dires de Celse ou d’un de ses pareils ! Paul, dressant une liste des épreuves sans nombre qui d’ordinaire séparent l’homme de « l’amour du Christ » et de « l’amour de Dieu dans le Christ Jésus », toutes surmontées par l’amour de Dieu qui était en lui, n’a point rangé le discours parmi les causes de séparation. Note en effet qu’il commence par dire : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, la détresse, la persécution, la faim, la nudité, le péril, le glaive ? — selon le mot de l’Ecriture. A cause de toi l’on nous met à mort tout le long du jour nous avons passe pour des brebis d’abattoir — Mais en tout cela nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimes » Ensuite, donnant une autre série de causes qui sont de nature à séparer (de cet amour) les gens d’une piété instable, il dit « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur » PRÉFACE

Pour nous, c’est un juste titre de gloire que «la tribulation » et ce qu’énumère la suite ne nous séparent point , mais non pour Paul, ou les apôtres et quiconque leur ressemble il est si au-dessus de tels obstacles qu’il dit « En tout cela nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimes », indiquant plus qu’une simple victoire. Et si même les apôtres doivent se glorifier de n’être point sépares « de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur », ils peuvent se glorifier de ce que « ni mort ni vie, ni anges ni principautés », ni quoi que ce soit du reste ne peut « les séparer de l’amour de Dieu dans le Christ-Jésus notre Seigneur ». Aussi je déplore qu’on puisse croire au Christ d’une foi susceptible d’être ébranlée par Celse, qui ne vit même plus la vie commune parmi les hommes, mais qui est mort depuis longtemps, ou par quelque force persuasive du discours. Et je ne sais dans quelle catégorie il faut ranger celui qui a besoin de discours écrits dans des livres en réponse aux charges de Celse contre les chrétiens, pour ressaisir et remettre debout une foi qui chancelle. Néanmoins, comme il se trouve peut-être, dans la foule de ceux qui passent pour fidèles, des gens que pourrait ébranler et retourner l’ouvrage de Celse, mais que la réponse par des raisons capables de ruiner les propos de Celse et d’établir la vérité pourrait guérir, j’ai décidé d’obéir à ton ordre et de répondre au traité que tu m’as envoyé : bien que, à mon avis, nul de ceux qui ont fait le moindre progrès en philosophie n’y reconnaisse un véritable discours, comme l’a intitulé Celse. PRÉFACE

De plus, je le demande, au sujet de la foule des croyants qui se sont échappés de l’immense flot du vice où ils se roulaient auparavant : lequel était préférable pour eux ? D’avoir, dans une foi non réfléchie, un peu réformé leurs moeurs et trouvé secours dans la croyance aux châtiments des fautes et aux récompenses des bonnes oeuvres, ou bien de différer leur conversion par simple foi jusqu’à ce qu’ils puissent se livrer à l’examen des doctrines ? Il est clair que tous les hommes, sauf de très rares exceptions, ne pourraient ainsi obtenir l’avantage retiré de la simple foi, mais resteraient dans une vie corrompue. Aux autres preuves que l’amour du Logos pour les hommes n’est point parvenu à la vie des hommes sans l’action de Dieu, il faut donc ajouter celle-là. L’homme pieux ne croira pas qu’un simple médecin des corps qui a ramené nombre de malades à la santé vient résider dans les villes et les nations sans l’action de Dieu : car aucun bienfait n’arrive aux hommes sans l’action de Dieu. Mais si celui qui a soigné les corps d’une multitude et les a ramenés à la santé ne guérit pas sans l’action de Dieu, combien est-ce plus vrai de Celui qui a soigné, converti, amélioré les âmes d’une multitude, les a soumises au Dieu suprême, leur a appris à conformer toute action à son bon plaisir et à éviter tout ce qui peut déplaire à Dieu, jusqu’à la moindre des paroles, des actions, ou même des pensées ! LIVRE I

Et après avoir promis de “continuer son enseignement sur le judaïsme”, Celse engage le débat sur notre Sauveur devenu notre chef à notre naissance comme chrétiens, et il affirme : “Cet homme, il y a bien peu d’années, inaugura cet enseignement et les chrétiens ont cru qu’il était Fils de Dieu”. Sur son existence même, il y a peu d’années, voici la réponse. Pouvait-il arriver sans l’aide de Dieu qu’en si peu d’années, ayant formé le projet de répandre sa doctrine et son enseignement, Jésus ait pu le réaliser au point de convertir à sa doctrine en beaucoup d’endroits de notre terre un grand nombre de Grecs et de barbares, de savants et d’ignorants, qui préfèrent mourir en luttant pour le christianisme plutôt que de l’abjurer, chose inouïe dans l’histoire d’une autre doctrine ? Quant à moi, sans flatter la doctrine, mais tentant d’examiner à fond l’histoire, je puis dire : même les médecins qui traitent de nombreux corps malades n’atteignent pas sans l’aide de Dieu leur but de rendre la santé au corps. Mais qu’un homme puisse délivrer les âmes du flot de vice, du désordre, de l’injustice et du mépris de la divinité, et donner en preuve d’un tel acte une centaine de convertis, pour prendre un chiffre, n’aura-t-on point raison de dire qu’il n’a pu implanter sans l’aide de Dieu dans une centaine d’hommes une doctrine délivrant de tous ces maux ? Un examen judicieux fera convenir qu’aucune amélioration n’arrive aux hommes sans l’aide de Dieu ; combien plus hardiment le dira-t-on de Jésus en comparant l’ancienne conduite de nombreux convertis à sa doctrine avec celle qu’ils ont menée depuis, en réfléchissant à l’abîme de licence, d’injustice et de convoitise où chacun d’eux se trouvait plongé avant, pour prendre l’expression de Celse et de ses adeptes, “d’être égarés et d’embrasser”, c’est leur mot, “une doctrine nuisible à la vie humaine”. De quelle manière au contraire, depuis qu’ils ont reçu cette doctrine, ils ont acquis plus de raison, de sérieux et de fermeté, si bien que certains d’entre eux, par désir d’une éminente pureté et pour honorer d’un culte plus pur la divinité, refusent même de goûter les plaisirs de l’amour permis par la loi ! LIVRE I

Un examen des faits montre que Jésus osa une entreprise qui dépasse la nature humaine et que ce qu’il osa, il l’accomplit. Dès l’origine, tout s’opposait à la diffusion de sa doctrine par toute la terre : les empereurs successifs, leurs généraux et chefs d’armées, en un mot tous ceux qui détenaient une autorité quelconque, et en outre les gouverneurs de chaque cité, les soldats, le peuple. Il fut vainqueur, puisqu’il était par nature, en tant que Logos de Dieu, impossible à arrêter, et, plus fort que ces puissants adversaires, il a conquis toute la Grèce, et, plus encore, la barbarie, et converti des âmes innombrables à la religion qu’il enseignait. Or il était inévitable, dans la foule de ceux qui étaient conquis par la doctrine, où “les gens simples et illettrés” sont plus nombreux que les gens formés par la culture, que les gens simples et illettrés fussent plus nombreux que les intelligents. Mais Celse ne veut pas le comprendre. Il pense que l’amour du Logos pour l’humanité, qui s’étend à chaque âme depuis le lever du soleil, “est simple et, à cause de sa simplicité et de son manque absolu de culture, n’a conquis que les simples”. Pourtant, même Celse ne dit pas que les seuls gens simples aient été conduits par cette doctrine à la religion selon Jésus, car il avoue :” Il y a aussi parmi eux des gens modérés, raisonnables, intelligents et prêts à comprendre l’allégorie”. LIVRE I

Paul aussi, dans sa deuxième Epître aux Thessaloniciens, fait connaître de quelle manière sera révèlé un jour « l’homme impie, le Fils de perdition, l’Adversaire, celui qui s’élève au dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui même comme Dieu ». Et il redit aux Thessaloniciens « Et vous savez ce qui le retient présentement de façon a ne se révéler qu’à son moment. Des maintenant, oui, le mystère de l’impiété est à l’oevre. Mais que seulement celui qui le retient soit d’abord écarté, alors l’Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa bouche, l’anéantira par le resplendissement de sa Venue. Sa venue à lui, l’Impie, aura été marquée, sous l’influence de Satan, par toute espèce de miracles, de signes et de prodiges mensongers, ainsi que toutes les séductions du mal sévissant sur ceux qui sont voués à la perdition. » Il indique également la cause pour laquelle l’Impie a permission de vivre : « Parce qu’ils ont refusé d’accepter pour leur salut l’amour de la vérité. Voilà pourquoi Dieu leur envoie une influence qui les égare et les pousse à croire le mensonge, pour la condamnation de tous ceux qui auront refusé de croire la vérité et pris parti pour le mal. » LIVRE II

Ensuite, son Juif dit, évidemment pour s’accommoder aux croyances des Juifs : Oui certes ! nous espérons ressusciter un jour dans notre corps et mener une vie éternelle, et que Celui qui nous est envoyé en sera le modèle et l’initiateur, prouvant qu’il n’est pas impossible à Dieu de ressusciter quelqu’un avec son corps. Je ne sais pas si le Juif dirait que le Christ attendu doit montrer en lui-même un modèle de la résurrection. Mais soit ! Accordons qu’il le pense et le dise. De plus, quand il dit nous avoir fait des citations de nos écrits, je réponds : n’as-tu pas, mon brave, en lisant ces écrits grâce auxquels tu prétends nous accuser, trouvé l’explication détaillée de la résurrection de Jésus, et qu’il est « le premier-né d’entre les morts » ? Ou, de ce que tu refuses de le croire, s’ensuit-il qu’il n’en ait rien été dit ? Mais puisque le Juif continue en admettant chez Celse la résurrection des corps, je pense que ce n’est pas ici l’occasion d’en traiter avec un homme qui croit et avoue qu’il y a une résurrection des corps, soit qu’il se l’explique nettement et puisse en fournir convenablement la preuve, soit qu’il ne le puisse pas mais donne à la doctrine une adhésion superficielle. Voilà donc notre réponse au Juif de Celse. Et puisqu’il dit encore : Où donc est-il, pour que nous puissions voir et croire ? nous lui répondrons : où donc est maintenant celui qui parle par les prophètes et qui a fait des prodiges, pour que nous puissions voir et croire que le Juif « est la part de Dieu ». Ou bien vous est-il permis de vous justifier du fait que Dieu ne s’est pas continuellement manifesté au peuple juif, tandis qu’à nous la même justification n’est pas accordée pour le cas de Jésus qui, une fois ressuscité, persuada ses disciples de sa résurrection ? Et il les persuada au point que par les épreuves qu’ils souffrent, ils montrent à tous que, les yeux fixés sur la vie éternelle et la résurrection, manifestée à eux en parole et en acte, ils se rient de toutes les épreuves de la vie. Après cela, le Juif dit : N’est-il descendu que pour nous rendre incrédules ? On lui répondra : il n’est pas venu pour provoquer l’incrédulité de Juifs ; mais, sachant d’avance qu’elle aurait lieu, il l’a prédite et il a fait servir l’incrédulité des Juifs à la vocation des Gentils. Car, par la faute des Juifs le salut est venu aux Gentils, à propos desquels le Christ dit chez les prophètes : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est soumis à moi ; l’oreille tendue, il m’obéit » ; « Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas, j’ai apparu à ceux qui ne m’interrogeaient pas. » Et il est manifeste que les Juifs ont subi en cette vie le châtiment d’avoir traité Jésus comme ils l’ont fait. Les Juifs peuvent dire, s’ils veulent nous critiquer : Admirable est à votre égard la providence et l’amour de Dieu, de vous châtier, de vous avoir privés de Jérusalem, de ce qu’on nomme le sanctuaire, du culte le plus sacré ! Car s’ils le disent pour justifier la providence de Dieu, nous aurions un argument plus fort et meilleur ; c’est que la providence de Dieu est admirable, d’avoir fait servir le péché de ce peuple à l’appel par Jésus des Gentils au Royaume de Dieu, de ceux qui étaient étrangers aux alliances et exclus des promesses. Voilà ce que les prophètes ont prédit, disant qu’à cause du péché du peuple hébreu, Dieu appellerait non pas une nation, mais des élites de partout, et qu’ayant choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde », il ferait que la nation inintelligente vienne aux enseignements divins, le Règne de Dieu étant ôté à ceux-là et donné à ceux-ci. Il suffît, entre bien d’autres, de citer à présent cette prophétie du cantique du Deutéronome sur la vocation des Gentils, attribuée à la personne du Seigneur : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles. Et moi je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai par une nation inintelligente.» Enfin, pour tout conclure, le Juif dit de Jésus : Il ne fut donc qu’un homme, tel que la vérité elle-même le montre et la raison le prouve. Mais s’il n’eût été qu’un homme, je ne sais comment il eût osé répandre sur toute la terre sa religion et son enseignement, et eût été capable sans l’aide de Dieu d’accomplir son dessein et de l’emporter sur tous ceux qui s’opposent à la diffusion de son enseignement, rois, empereurs, Sénat romain, et partout les chefs et le peuple. Comment attribuer à une nature humaine qui n’aurait eu en elle-même rien de supérieur la capacité de convertir une si vaste multitude ? Rien d’étonnant s’il n’y avait eu que des sages ; mais il s’y ajoutait les gens les moins raisonnables, esclaves de leurs passions, d’autant plus rebelles à se tourner vers la tempérance qu’ils manquaient de raison. Et parce qu’il était puissance de Dieu et sagesse du Père, le Christ a fait tout cela et le fait encore, malgré les refus des Juifs et des Grecs incrédules à sa doctrine. LIVRE II

Que ce ne soit pas non plus « la crainte des étrangers » qui maintienne notre société, la preuve en est dans le fait que, par la volonté de Dieu, elle a cessé voici longtemps déjà. Mais il est probable que la sécurité pour leur vie dont jouissent les croyants va cesser, lorsque de nouveau ceux qui calomnient de toute manière notre doctrine penseront que la révolte, poussée au point où elle en est, a sa cause dans la multitude des croyants et le fait qu’ils ne sont plus persécutés par les gouverneurs comme au temps jadis. Nous avons appris en effet de l’Évangile en temps de paix à ne point nous relâcher ni nous abandonner à la mollesse, et dans la guerre que nous fait le monde, à ne point perdre courage ni nous écarter de l’amour qu’en Jésus-Christ nous portons au Dieu de l’univers. Nous montrons donc clairement le caractère sacré de notre origine, loin de le cacher comme le croit Celse : car nous inspirons à ceux qui viennent d’être initiés le mépris des idoles et de toutes les images, et en outre, élevant leurs pensées les détournant de servir les créatures plutôt que Dieu, nous les faisons monter vers le Créateur de l’univers. Nous mettons en pleine lumière Celui qui fut prophétisé, soit par les prophéties à son sujet qui sont nombreuses, soit par les Évangiles et les discours des apôtres soigneusement transmis par ceux qui sont capables les comprendre à fond. LIVRE III

Qu’on ne me suspecte pas de désaccord avec la doctrine chrétienne quand j’ai mobilisé contre Celse les philosophes partisans de l’immortalité et de la survie de l’âme : nous avons avec eux des positions communes. Je prouverai, en temps plus convenable, que la vie bienheureuse à venir n’appartiendra qu’à ceux qui ont adopté la religion de Jésus, et une piété à l’égard du Créateur de l’univers absolument pure et sans mélange avec quoi que ce soit de créé. Mais quels biens supérieurs persuadons-nous insidieusement les hommes de mépriser ? Le montre qui voudra ! Et qu’il leur confronte cette fin bienheureuse, selon nous, près de Dieu dans le Christ, c’est-à-dire le Logos, la Sagesse et toute vertu, cette fin qui surviendra à tous ceux qui ont vécu d’une manière pure et irréprochable, et ont reçu l’amour sans division ni séparation pour le Dieu de l’univers, cette fin accordée par un don de Dieu ! Qu’il la confronte avec la fin proposée par chaque école philosophique chez les Grecs et les barbares, ou promise par les mystères ! Qu’il montre que la fin présentée par l’un d’entre eux est supérieure à la nôtre, que c’est une conception convenable parce qu’elle est vraie, alors que la nôtre ne convient ni au don de Dieu, ni à ceux dont la vie fut vertueuse ; ou bien qu’elle n’a pas été révélée par l’Esprit divin qui avait rempli l’âme pure des prophètes ! Montre qui voudra que des doctrines reconnues par tous comme tout humaines sont supérieures à celles qui sont démontrées divines et proclamées par inspiration divine ! Mais encore, quels sont les biens supérieurs dont nous dirions qu’il est avantageux de s’abstenir ? En effet, sans prétention orgueilleuse, il apparaît d’emblée qu’on ne peut rien concevoir de supérieur à l’acte de se confier au Dieu suprême et de s’en remettre à l’enseignement qui détache de tout le créé pour conduire, par le Logos animé et vivant, qui est aussi Sagesse vivante et Fils de Dieu, au Dieu suprême. Mais comme le troisième livre de ma réponse au traité de Celse atteint ici une dimension suffisante, j’en arrêterai l’argumentation, pour combattre dans la suite ses objections ultérieures. LIVRE III

Mais l’être descendu vers les hommes existait auparavant « en forme de Dieu », et c’est par amour pour les hommes qu’« il s’est anéanti », afin de pouvoir être reçu par les hommes. Non point certes qu’il ait subi un changement du bien au mal, car « il n’a pas fait de péché », ni de la beauté à la laideur, car « il n’a pas connu de péché » ; et il n’est pas venu de la félicité à l’infortune, mais « il s’est humilié lui-même » et n’en était pas moins heureux même lorsque pour le bienfait de notre race il s’humiliait lui-même. De plus, il ne subit pas de changement de l’état le meilleur au pire, car en quel sens la bonté et l’amour pour l’homme seraient-elles ce qu’il y a de pire ? Autant dire alors qu’à voir des horreurs et à toucher des choses répugnantes afin de guérir les malades, le médecin va du bien au mal, de la beauté à la laideur, de la félicité à l’infortune. Et encore le médecin qui voit des horreurs et touche des choses répugnantes n’évite-t-il pas absolument la possibilité de contracter le même mal. Mais celui qui guérit les blessures de nos âmes par le Logos de Dieu présent en lui était lui-même hors d’atteinte de tout mal. Même si, en prenant un corps mortel et une âme d’homme, le Logos, Dieu immortel, paraît à Celse se changer et se transformer, qu’il apprenne que le Logos, qui reste Logos par son essence, ne souffre rien des souffrances du corps ou de l’âme. Mais il condescend parfois à la faiblesse de celui qui ne peut voir l’éclat et la splendeur de sa divinité et il se fait pour ainsi dire « chair », est exprimé corporellement, permettant à celui qui l’a reçu sous cette forme, rapidement élevé par le Logos, de pouvoir contempler aussi, pour ainsi dire, sa forme principale. LIVRE IV

Je donnerai même ici à leur propos cet exemple. Notre Sauveur et Seigneur, ayant entendu un jour qu’on l’appelait : « Bon Maître », renvoya son interlocuteur à son Père : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu le Père seul. » Avec raison, en sa qualité d’Image de la bonté de Dieu, le Fils de l’amour du Père a prononcé cette parole ; mais avec combien plus de raison le soleil ne pourrait-il pas dire à ceux qui l’adorent : Pourquoi m’adores-tu ? « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul. » C’est lui que, moi aussi et tous ceux qui m’accompagnent, nous adorons et nous servons. Serait-on loin de cette hauteur, qu’on n’en prie pas moins le Logos de Dieu, capable de nous guérir, et bien davantage son Père qui même aux justes d’autrefois « envoya son Logos et les guérit, et les fit échapper à leurs corruptions. » LIVRE V

Voyons aussi les paroles suivantes de Celse, dont très peu concernent les chrétiens et la plupart concernent les Juifs : ” Si donc, en vertu de ce principe, les Juifs gardaient jalousement leur propre loi on ne saurait les blâmer, mais bien plutôt ceux qui ont abandonné leurs traditions pour adopter celles des Juifs. Mais s’ils veulent s’enorgueillir d’une sagesse plus profonde et fuir la société des autres qu’ils estiment moins purs, ils ont déjà la réponse : même leur doctrine sur le ciel ne leur est pas propre, mais, pour omettre tous les autres exemples, c’était aussi depuis longtemps la doctrine des Perses, comme l’indique quelque part Hérodote: « Ils ont coutume de monter sur les plus hauts sommets pour offrir des sacrifices à Zeus, appelant Zeus tout le cercle du ciel. » Or je pense qu’il est indifférent d’appeler Zeus Très-Haut, Zen, Adonaï, Sabaoth, Amon comme chez les Égyptiens, Papaeos comme les Scythes. Et certainement les Juifs ne sont pas plus saints que les autres peuples pour être circoncis : les Égyptiens et les Colchidiens l’ont été avant eux ; ni pour s’abstenir des porcs: ainsi font les Égyptiens qui s’abstiennent en outre des chèvres, des brebis, des b?ufs et des poissons ; ainsi font Pythagore et ses disciples qui s’abstiennent de fèves et de tout être animé vivant. Il n’est pas du tout vraisemblable qu’ils jouissent de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres, ni que des anges soient envoyés du ciel à eux seuls, comme s’ils avaient obtenu en partage une terre de bienheureux: nous voyons assez quel traitement ils ont mérité eux et leur pays. LIVRE V

Celse ajoute cette remarque sur les Juifs : Il n’est pas vraisemblable qu’ils jouissent de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres, ni que des anges soient envoyés à eux seuls, comme s’ils avaient obtenu en partage une terre de bienheureux : nous voyons assez quel traitement ils ont mérité, eux et leur pays. Je réfuterai donc cela en disant : ce peuple a joui de la faveur de Dieu comme le montre déjà le fait que le Dieu suprême est appelé « Dieu des Hébreux », même par ceux qui sont étrangers à notre foi. Et justement parce qu’ils jouissaient de sa faveur tant qu’ils ne furent point abandonnés par lui, ils continuaient malgré leur petit nombre à être protégés par la puissance divine : ainsi, sous Alexandre de Macédoine ils n’ont rien souffert de sa part, bien que certaines conventions et serments les aient empêchés de prendre les armes contre Darius. On dit même qu’alors le grand-prêtre des Juifs, revêtu de sa robe sacrée, fut adoré par Alexandre qui dit avoir eu durant son sommeil l’apparition d’un être revêtu de ce costume, lui promettant qu’il soumettrait l’Asie entière. Nous donc, chrétiens, nous déclarons : il leur est bel et bien arrivé de jouir de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres. Mais cette disposition favorable s’est portée sur nous quand Jésus eut transféré la puissance, en action chez les Juifs, à ceux des Gentils qui ont cru en lui. Voilà pourquoi les Romains, malgré leurs nombreux desseins contre les chrétiens pour les empêcher de subsister davantage, n’ont pas pu y réussir. En effet, la main divine assurait leur défense pour que la parole de Dieu se répandît d’un coin de la terre de Judée à tout le genre humain. LIVRE V

Dès maintenant, oui, le mystère de l’impiété est à l’oeuvre, seulement jusqu’à ce que celui qui le retient encore ait disparu. Et alors l’Impie se révélera, et le Seigneur Jésus le détruira du souffle de sa bouche, l’anéantira par l’éclat de sa venue. La venue de l’Impie se fera, par l’action de Satan, avec toutes sortes d’oeuvres de puissance, de signes, de prodiges mensongers, et avec toutes les séductions de l’injustice pour ceux qui se perdent, faute d’avoir accueilli l’amour de la vérité pour être sauvés. Voilà pourquoi Dieu leur envoie une influence qui les égare, pour qu’ils croient au mensonge, afin que soient condamnés tous ceux qui, ayant refusé de croire à la vérité, se sont complus dans l’injustice. » LIVRE VI

Quant à Celse et aux ennemis du divin Logos qui n’examinent pas les enseignements du christianisme avec l’amour de la vérité, d’où pourraient-ils savoir la signification des différentes formes de Jésus ? Et j’ajoute même : la signification des différents âges de sa vie, et tout ce qu’il a pu faire soit avant sa passion, soit après sa résurrection des morts. LIVRE VI

Les prophètes, suivant la volonté de Dieu, ont dit sans aucun sens caché tout ce qui pouvait être compris d’emblée par les auditeurs comme utile et profitable à la réforme des m?urs. Mais tout ce qui était plus mystérieux et plus secret, relevant d’une contemplation qui dépasse l’audience commune, ils l’ont fait connaître sous forme d’énigmes, d’allégories, de « discours obscurs », de « paraboles ou proverbes » ; et cela, afin que ceux qui ne renâclent pas devant l’effort, mais supportent tout effort pour l’amour de la vertu et de la vérité, après avoir cherché trouvent, après avoir trouvé se conduisent comme la raison l’exige. Mais le noble Celse, comme irrité de ne pas comprendre ces paroles prophétiques, en vint à l’injure : A ces outrecuidances, ils ajoutent aussitôt des termes inconnus, incohérents, totalement obscurs, dont aucun homme raisonnable ne saurait découvrir la signification tant ils sont dépourvus de clarté et de sens, mais qui fournissent en toute occasion à n’importe quel sot ou charlatan le prétexte de se les approprier dans le sens qu’il désire. Voilà, à mon avis, des propos de fourbe, dits pour détourner autant qu’il pouvait les lecteurs des prophéties d’en rechercher et d’en examiner le sens : disposition analogue à celle que dénote la question posée au sujet d’un prophète venu prédire l’avenir : « Qu’est allé faire chez toi cet insensé ? » Il est sans doute des raisons bien au-dessus de mes capacités pour établir que Celse ment et que les prophéties sont inspirées de Dieu. Je n’en ai pas moins tâché de le faire dans la mesure où je le pouvais, en expliquant mot à mot les termes incohérents et totalement obscurs, comme les qualifie Celse, dans mes Commentaires d’Isaïe, d’Ézéchiel et de quelques-uns des Douze. Et si Dieu permet d’avancer dans sa Parole, au moment où il voudra, viendront s’ajouter aux commentaires déjà cités sur ces auteurs ceux de tout le reste ou du moins ce que je parviendrai à élucider. Mais il y en a d’autres qui, désireux d’examiner l’Écriture et possédant l’intelligence, sauraient en découvrir la signification. Elle est vraiment dépourvue de clarté en bien des endroits, mais nullement dépourvue de sens, comme il dit. Il est non moins faux qu’un sot ou un charlatan puisse les éclaircir et se les approprier dans le sens qu’il désire. Seul, le véritable sage dans le Christ peut expliquer tout l’enchaînement des passages prophétiques qui ont un sens caché, en « comparant les choses spirituelles aux spirituelles » et en interprétant d’après le style habituel des Écritures tout ce qu’il découvre. LIVRE VI

Celse pense que Dieu est connu soit par la synthèse qui domine les autres choses, semblable à la synthèse dont parlent les géomètres, soit par l’analyse qui le distingue des autres choses, soit encore par une analogie semblable à la leur, si toutefois on est capable d’arriver par cette méthode au vestibule du Bien. Mais en disant : « Personne ne connaît le Père que le Fils et celui à qui le Fils le révèle » le Logos de Dieu déclare qu’on connaît Dieu par une faveur divine, inséparable d’une action de Dieu dans l’âme qui y produit une sorte de transport divin. Il est bien normal que la connaissance de Dieu dépasse la nature humaine ; de là, dans l’humanité, tant d’erreurs sur Dieu. Mais grâce à la bonté et à l’amour de Dieu pour les hommes, par une faveur miraculeuse proprement divine, cette connaissance de Dieu parvient à tous ceux qui y ont été prédestinés, du fait que Dieu savait d’avance qu’ils vivraient d’une manière digne de Dieu qu’ils auraient connu : ils ne falsifieraient en rien la religion envers lui, même si ceux qui n’ont aucune idée de la religion et l’imaginent tout autre qu’elle n’est réellement les conduisaient à la mort, même s’ils les jugeaient ridicules à l’excès. LIVRE VI

Et s’il faut montrer que les mêmes doctrines, si paradoxal que semble le propos, ont été mieux exprimées par les prophètes des Juifs ou les discours des chrétiens, on peut établir la thèse par un exemple concernant la nourriture et la façon de l’apprêter. Supposons qu’un aliment sain et fortifiant soit apprêté de manière spéciale, assaisonné de condiments déterminés, et qu’il soit pris non par les paysans qui, élevés dans les chaumières et la pauvreté, n’ont point appris à manger de mets pareils, mais seulement par les riches efféminés. Supposons qu’on l’apprête non de cette façon chère aux gens qui passent pour distingués, mais comme ont appris à le manger les pauvres, les gens plus vulgaires, la majorité des hommes, et qu’alors toutes les multitudes s’en nourrissent. Or, si l’on accorde que la première façon d’apprêter entretient la santé des seuls qui passent pour raffinés, puisque nul parmi la foule ne touche de mets pareils, et que la seconde améliore la santé des foules humaines, qui donc préférer, au nom du bien commun, pour la préparation de saines nourritures ? Ceux qui le font au profit des seuls connaisseurs, ou ceux qui le font au profit des foules ? Admettons qu’une égale santé et un égal réconfort proviennent des aliments préparés de l’une ou l’autre façon : il est manifeste que l’amour des hommes et le bien commun font considérer le médecin qui pourvoit à la santé de la multitude comme plus utile à la communauté que celui qui le fait pour un petit nombre. LIVRE VI

Considère toi-même la disposition qui agréera davantage au Dieu suprême dont la puissance est inégalable en tout ordre de choses, spécialement pour répandre sur les hommes les bienfaits de l’âme, du corps, des biens extérieurs. Sera-ce la consécration totale de soi-même à Dieu, ou la minutieuse recherche des noms, des pouvoirs, des activités des démons, des incantations, des plantes particulières aux démons, des pierres avec leurs inscriptions correspondant aux formes traditionnelles des démons symboliquement ou de tout autre manière ? Il est évident, même à une réflexion sommaire, que la disposition simple et sans vaine curiosité qui, de ce fait, se consacre au Dieu suprême, sera agréée de Dieu et de tous ses familiers. Au contraire, pour la santé physique, l’amour du corps, la réussite dans les choses indifférentes, se préoccuper des noms des démons, chercher comment charmer les dénions par des incantations, c’est vouloir être abandonné par Dieu, comme un être mauvais, impie et démoniaque plutôt qu’humain, aux démons qu’on choisit en prononçant ces formules, pour être tourmenté soit par les pensées que chacun d’eux suggère, soit par d’autres malheurs. Car il est vraisemblable que ces êtres, étant mauvais et, comme l’avoue Celse, rivés au sang, au fumet de graisse, aux incantations et autres choses de ce genre, ne gardent, même envers ceux qui leur offrent ces jouissances, ni leur foi ni, si l’on peut dire, leurs engagements. Car, que d’autres les invoquent contre ceux qui leur ont rendu un culte et qu’ils achètent leur service avec plus de sang, de fumet de graisse et de ce culte qu’ils exigent, ils peuvent s’en prendre à qui hier leur rendait un culte et leur donnait une part de ce festin qui leur est cher. LIVRE VIII

Si l’on devait reprocher leur vie antérieure à ceux qui se sont convertis, il serait temps d’accuser aussi Phédon, tout philosophe qu’il ait été, puisque Socrate, comme l’atteste l’histoire, le fit passer d’un lieu de débauche à l’étude de la philosophie. De plus, le libertinage de Polémon, successeur de Xénocrate, on irait le reprocher à la philosophie. Alors que, dans ces exemples à sa louange, il faut dire que la raison s’est montrée capable, en ceux qui ont manié la persuasion, de retirer de vices si graves ceux qui d’abord y avaient été plongés. Et parmi les Grecs, le seul Phédon — j’ignore s’il y en eut un second — et le seul Polémon passèrent d’une vie de débauche effrénée à la pratique de la philosophie ; dans le cas de Jésus, non seulement les Douze d’alors, mais sans cesse et en bien plus grand nombre ceux qui sont devenus un choeur de sages disent de leur vie antérieure : « Car nous aussi nous étions naguère des insensés, des rebelles, des égarés, esclaves de toutes sortes de convoitises et de plaisirs, vivant dans la malice et l’envie, odieux et nous haïssant les uns les autres ; mais le jour où apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes », « par le bain de régénération et de rénovation de l’Esprit qu’il a répandu sur nous », nous sommes devenus ce que nous sommes. Car Dieu « a envoyé sa parole et il les a guéris et il les a tirés de leurs corruptions », comme l’enseigne le prophète des psaumes. A ces citations, je pourrais ajouter ceci : Chrysippe, pour réprimer les passions des âmes humaines, sans se mettre en peine du degré de vérité d’une doctrine, tente dans son ” Art de guérir les passions ” de soigner suivant les différentes écoles ceux dont l’âme était plongée dans ces passions, et dit : Si le plaisir est la fin, c’est dans cette perspective qu’il faut soigner les passions ; s’il y a trois espèces de biens, ce n’est pas moins suivant cette doctrine qu’il faut délivrer de leurs passions ceux qu’elles entravent. Mais les accusateurs du christianisme ne voient pas le grand nombre d’hommes dont les passions et le débordement sont réprimés ou dont les caractères sauvages se trouvent adoucis en raison de notre doctrine. C’était un devoir, à ces gens qui préconisent le bien commun, d’avouer leur reconnaissance à cet Évangile qui par une nouvelle méthode a retiré les hommes de tant de vices ; bien plus, de rendre témoignage, sinon à sa vérité, du moins à son utilité pour le genre humain. LIVRE I

Après cela, il dit : ” S’il avait pris cette décision, et si c’est par obéissance à son Père qu’il a été puni, il est évident que, puisqu’il était Dieu et qu’il le voulait, les traitements spontanément voulus pouvaient ne lui causer ni douleurs ni peines “. Et il n’a même pas vu la contradiction où il s’empêtre ! Car s’il accorde que Jésus a été puni parce qu’il en avait pris la décision, et qu’il s’est livré par obéissance à son Père, il est clair que Jésus a été puni et qu’il lui était impossible d’éviter les douleurs que lui infligent les bourreaux ; car la douleur échappe au contrôle de la volonté. Si au contraire, puisqu’il le voulait, les traitements ne pouvaient lui causer ni douleurs ni peines, comment Celse a-t-il accordé qu’il a été puni ? C’est qu’il n’a pas vu que Jésus, ayant une fois pris un corps par sa naissance, il l’a pris exposé aux souffrances et aux peines qui arrivent aux corps, si par peine on entend ce qui échappe à la volonté. Donc, de même qu’il l’a voulu et qu’il a pris un corps dont la nature n’est pas du tout différente de la chair des hommes, ainsi avec ce corps il a pris les douleurs et les peines ; et il n’était pas maître de ne pas les éprouver, cela dépendait des hommes disposés à lui infliger ces douleurs et ces peines. J’ai déjà expliqué plus haut que s’il n’avait pas voulu tomber entre les mains des hommes, il ne serait pas venu. Mais il est venu parce qu’il le voulait pour la raison déjà expliquée : le bien que retirerait tout le genre humain de sa mort pour les hommes. Ensuite il veut prouver que ce qui lui arrivait lui causait douleurs et peines, et qu’il lui était impossible, l’eut-il voulu, d’empêcher qu’il en fût ainsi, et il dit : ” Pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il, pour échapper à la crainte de la mort, cette sorte de prière : «Père, si ce calice pouvait s’éloigner»? ” En ce point encore, vois la déloyauté de Celse. Il refuse d’admettre la sincérité des évangélistes, qui auraient pu taire ce qui, dans la pensée de Celse, est motif d’accusation, mais ne l’ont pas fait pour bien des raisons que pourra donner opportunément l’exégèse de l’Évangile ; et il accuse le texte évangélique au moyen d’exagérations emphatiques et de citations controuvées. On n’y rencontre pas que Jésus exhale des gémissements. Il altère le texte original : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne. » Et il ne cite pas, au delà, la manifestation immédiate de sa piété envers son Père et de sa grandeur d’âme, qui est ensuite notée en ces termes : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Et même la docilité de Jésus à la volonté de son Père dans les souffrances auxquelles il était condamné, manifestée dans la parole , « Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » il affecte ne de pas l’avoir lue. Il partage l’attitude des impies qui entendent les divines Écritures avec perfidie et « profèrent des impiétés contre le ciel » Ces gens semblent bien avoir entendu l’expression « Je ferai mourir », et ils nous en font souvent un reproche , ils ne se souviennent plus de l’expression « Je ferai vivre » Mais le passage tout entier montre que ceux dont la vie est ouvertement mauvaise et la conduite vicieuse sont mis à mort par Dieu, mais qu’est introduite en eux une vie supérieure, celle que Dieu peut donner à ceux qui sont morts au péché. De même, ils ont entendu « Je frapperai », mais ils ne voient plus « C’est moi qui guérirai » expression semblable à celle d’un médecin qui a incisé des corps, leur a fait des blessures pénibles pour leur enlever ce qui nuit et fait obstacle à la santé, et qui ne se borne pas aux souffrances et à l’incision, mais rétablit par ce traitement les corps dans la santé qu’il avait en vue. De plus, ils n’ont pas entendu dans son entier la parole « Car il fait la blessure et puis il la bande », mais seulement « il fait la blessure ». C’est bien ainsi que le Juif de Celse cite « Père, si ce calice pouvait s’éloigner », mais non la suite, qui a prouve la préparation de Jésus a sa passion et sa fermeté Et c’est même là une matière offrant un vaste champ d’explication par la sagesse de Dieu, qu’on pourrait avec raison transmettre à ceux que Paul a nommes « parfaits » quand il dit « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits » , mais, la remettant à une occasion favorable, je rappelle ce qui est utile à la question présente. Je disais donc déjà plus haut il y a certaines paroles de celui qui est en Jésus le premier-né de toute créature, comme « Je suis la voie, la vérité, la vie » et celles de même nature, et d’autres, de l’homme que l’esprit discerne en lui, telles que « Mais vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de mon Père » Dés lors, ici même, il exprime dans sa nature humaine et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l’esprit la faiblesse, « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi » , la promptitude de l’esprit, « cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » De plus, s’il faut être attentif a l’ordre des paroles, observe qu’est d’abord mentionnée celle qui, pourrait-on dire, se rapporte a la faiblesse de la chair, et qui est unique , et ensuite, celles qui se rapportent à la promptitude de l’esprit, et qui sont multiples. Voici l’exemple unique « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Voici les exemples multiples « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux », et « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » Il faut noter aussi qu’il n’a pas dit « Que ce calice s’éloigne de moi », mais que c’est cet ensemble qui a été dit pieusement et avec révérence : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. » Je sais bien qu’il y a une interprétation du passage dans le sens que voici : Le Sauveur, à la vue des malheurs que souffriraient le peuple et Jérusalem en punition des actes que les Juifs ont osé commettre contre lui, voulut, uniquement par amour pour eux, écarter du peuple les maux qui le menaçaient, et dit : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi », comme pour dire : puisque je ne peux boire ce calice du châtiment sans que tout le peuple soit abandonné de toi, je te demande, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi, afin que la part de ton héritage ne soit pas, pour ce qu’elle a osé contre moi, entièrement abandonné de toi. » Mais encore si, comme l’assure Celse, ce qui est arrivé en ce temps n’a causé à Jésus ni douleur, ni peine, comment ceux qui vinrent après auraient-ils pu proposer Jésus comme modèle de patience à supporter les persécutions religieuses, si au lieu d’éprouver des souffrances humaines il avait seulement semblé souffrir ? Le Juif de Celse s’adresse encore aux disciples de Jésus comme s’ils avaient inventé tout cela : ” En dépit de vos mensonges, vous n’avez pu dissimuler vos fictions d’une manière plausible.” A quoi la réplique sera : il y avait un moyen facile de dissimuler les faits de ce genre : n’en rien écrire du tout ! Car si elles n’étaient contenues dans les Evangiles, qui donc aurait pu nous faire un reproche des paroles que Jésus prononça au temps de l’Incarnation ? Celse n’a pas compris qu’il était impossible que les mêmes hommes, d’une part aient été dupes sur Jésus qu’ils croyaient Dieu et prédit par les prophètes, et de l’autre aient sur lui inventé des fictions qu’ils savaient évidemment n’être pas vraies ! Donc, ou bien ils ne les ont pas inventées, mais les croyaient telles et les ont écrites sans mentir , ou bien ils mentaient en les écrivant, ne les croyaient pas authentiques et n’étaient point dupés par l’idée qu’il était Dieu. LIVRE II

Après cela, le Juif nous dit encore : ” Nous reprochez-vous donc, gens d’une crédulité extrême, de ne pas le considérer comme Dieu, et de ne pas convenir avec vous qu’il ait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité, afin que nous aussi nous puissions mépriser les supplices ?” Voici notre réponse. Nous reprochons aux Juifs, nourris de la loi et des prophètes qui annoncent d’avance le Christ, de ne pas réfuter les preuves que nous leur donnons qu’il est vraiment le Christ, bien qu’ils allèguent cette réfutation pour justifier leur incrédulité, et, malgré l’absence de réfutation, de ne pas croire en celui qui avait été prédit. Mais Jésus a prouvé de manière éclatante, en ceux qui ont été ses disciples même après le temps de son incarnation, qu’il avait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité. Le but de son premier avènement ne fut pas de juger les actions des hommes avant de leur avoir donné l’enseignement et l’exemple du devoir, ni de punir les méchants et sauver les bons, mais de répandre miraculeusement sa doctrine avec une puissance divine à travers tout le genre humain, comme l’avaient aussi montré les prophètes. Nous leur reprochons encore d’avoir refusé de croire à la manifestation de la puissance dont il disposait, mais d’avoir dit que c’était par Beelzébul prince des démons qu’il chassait les démons des âmes des hommes. Nous leur reprochons de calomnier même son amour pour les hommes et, alors qu’il ne dédaigna ni une ville, ni même un village de la Judée, pour annoncer partout le règne de Dieu, de l’accuser calomnieusement d’avoir été un vagabond menant une vie errante et inquiète dans un corps sans noblesse. Ce n’est pas sans noblesse qu’il endura tant de fatigues pour l’utilité de ceux qui, en tout lieu, étaient capables de comprendre. LIVRE II

Mais vois si les doctrines de notre foi, en parfaite harmonie dès l’origine avec les notions communes, ne transforment pas les auditeurs judicieux. Car même si la perversion, soutenue par une ample culture, a pu implanter dans la foule l’idée que les statues sont des dieux, et que les objets d’or, d’argent, d’ivoire, de pierre, sont dignes d’adoration, la notion commune exige de penser que Dieu n’est absolument pas une matière corruptible et ne peut être honoré sous les formes façonnées par les hommes dans des matières inanimées qui seraient « à son image » ou comme des symboles. Aussi, d’emblée, est-il dit des images qu’« elles ne sont pas des dieux » et de ces objets fabriqués qu’ils ne sont pas comparables au Créateur, étant si minimes par rapport au Dieu suprême qui créa, maintient et gouverne l’ensemble de l’univers. Et d’emblée, comme si elle reconnaissait sa parenté, l’âme raisonnable rejette ceux qui lui avaient jusque-là paru être des dieux, et recouvre son amour naturel pour le Créateur ; et, à cause de cet amour, elle accueille aussi Celui qui le premier a donné ces enseignements à toutes les nations, par les disciples qu’il a établis et envoyés avec puissance et autorité divines prêcher la doctrine sur Dieu et sur son Règne. LIVRE III

Comme nous enseignons : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, et n’habitera pas dans un corps tributaire du péché », nous disons aussi : « Quiconque a les mains pures » et, pour cette raison, élève vers Dieu « des mains innocentes », et parce qu’offrant des sacrifices sublimes et célestes, peut dire : « L’élévation de mes mains est un sacrifice du soir » : qu’il vienne à nous ! Quiconque a la langue avisée, parce qu’il médite « jour et nuit » la loi du Seigneur, et que « ses facultés ont été formées par la pratique au discernement du bien et du mal », qu’il ne craigne pas d’en venir aux solides nourritures spirituelles qui conviennent aux athlètes de la piété et de toutes les vertus. Et comme « la grâce de Dieu est avec tous ceux qui aiment d’un amour incorruptible » le Maître qui enseigne l’immortalité, quiconque a les mains pures, non seulement de toute souillure, mais encore des fautes regardées comme plus légères, qu’il se fasse hardiment initier aux mystères de la religion de Jésus, qui ne sont raisonnablement transmis qu’aux saints et aux purs. Le myste de Celse peut dire : Que celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal vienne ; mais celui qui, selon Jésus, conduit les initiés à Dieu, dira à ceux dont l’âme est purifiée : Celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal depuis longtemps, et surtout depuis qu’il est venu se faire guérir par le Logos, que celui-là entende aussi ce que Jésus a découvert en particulier à ses véritables disciples. Ainsi donc, dans le contraste qu’il établit entre l’initiation des Grecs et celle que donnent les maîtres de la doctrine de Jésus, Celse n’a pas vu la différence entre l’appel des méchants à la guérison de leurs âmes et l’appel des hommes déjà très purs à de plus profonds mystères. LIVRE III

Et quand bien même nous détournerions de la philosophie d’Épicure, et de ses adeptes les prétendus médecins épicuriens, les victimes de leurs tromperies ! N’est-ce pas un acte très raisonnable de les écarter de la grave maladie inoculée par les médecins de Celse qui fait nier la Providence et présenter le plaisir comme le bien? Admettons que nous écartons des autres médecins philosophes ceux que nous attirons à notre doctrine : des Péripatéticiens, par exemple, qui nient la Providence à notre égard et la relation entre hommes et Dieu ; ne serait-ce point, de notre part, un acte de piété de préparer et de guérir ceux que nous avons attirés, en leur persuadant de se consacrer au Dieu suprême, et en libérant des profondes blessures causées par les doctrines des prétendus philosophes ceux que nous aurons persuadés ? De plus, accordons que nous en détournons d’autres encore des médecins stoïciens, qui présentent un dieu corruptible, lui donnent une essence corporelle, susceptible de changement intégral, d’altération, de transformation, pensent qu’un jour tout doit périr et Dieu subsister seul ; comment ne pas détourner d’aussi pernicieuses doctrines ceux qui nous croient, et ne pas les conduire à la pieuse doctrine qui leur inculque l’adoration du Créateur, l’émerveillement devant l’auteur du dogme des chrétiens qui, dans son extrême amour pour les hommes, opère leur conversion et a pris soin de répandre ses instructions pour les âmes dans tout le genre humain ? Même si nous guérissons ceux qu’infesté la folie de la métensomatose, venant de médecins qui ravalent la nature raisonnable tantôt jusqu’à toute nature privée de raison, tantôt même jusqu’à celle qui est dénuée de représentation, ne rendons-nous pas meilleures les âmes de ceux qui croient à notre doctrine ? Car elle n’enseigne pas que le méchant subira en guise de châtiment la perte de la sensibilité ou de la raison ; elle démontre que les peines et les châtiments infligés par Dieu aux méchants sont des remèdes pour produire la conversion. Voilà ce que pensent les chrétiens intelligents, bien qu’ils l’adaptent aux plus simples, comme font les pères aux tout petits enfants. LIVRE III

En l’âme de Jésus, si l’on suppose un changement à sa venue dans un corps, nous demanderons ce qu’on veut dire par là. Est-ce un changement de l’essence? On ne l’accorde pas de cette âme, ni même d’une autre âme raisonnable. Veut-on la dire affectée par le corps auquel elle est mélangée et par le lieu où elle est venue ? En quoi cela répugne-t-il au Logos qui dans son immense amour pour les hommes fait descendre un Sauveur au genre humain? Aucun de ceux qui auparavant avaient promis de le guérir n’avait pu faire tout ce dont cette âme a fait preuve même en descendant librement à la condition mortelle des hommes pour le salut de notre race. Telle est la pensée du divin Logos exprimée en maints passages des Écritures ; il suffit pour l’instant de citer un seul passage de Paul : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus : Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclaves. » « S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom. » LIVRE IV

Celse abomine la haine, celle, je pense, que nourrissait contre Jacob Ésaü, dont la méchanceté est reconnue par l’Écriture ; puis, sans citer clairement l’histoire de Siméon et de Lévi qui cherchèrent à venger leur soeur violée par le fils du roi de Sichem, il les accuse tous deux. Il parle des frères qui vendent : les fils de Jacob ; du frère qui est vendu : Joseph ; du père qui se laisse tromper : Jacob, qui n’eut aucun soupçon quand ses fils lui montrèrent « la tunique multicolore » de Joseph, mais les crut et « pleura », comme s’il était mort, Joseph devenu esclave en Egypte. Voilà bien la haine sans amour de la vérité avec laquelle Celse entasse les traits de l’histoire. Là où elle lui paraît contenir des motifs de blâme, il la cite ; mais là où elle prouve la mémorable chasteté de Joseph, refusant, malgré ses prières et ses menaces, de céder à la passion de celle qui était légalement sa maîtresse, il ne se souvient plus de l’histoire. De manière bien supérieure aux actions que l’on rapporte de Bellérophon, on voit, en effet, Joseph préférer la prison à la perte de sa chasteté : du moins, quand il eût pu se défendre et se justifier contre son accusatrice, sa magnanimité lui fit garder le silence et remettre sa cause à Dieu. LIVRE IV

Si Celse avait lu les Évangiles sans haine ni animosité, mais par amour du vrai, il eût examiné ceci : pourquoi donc prendre pour le comparer au riche le chameau, animal difforme entre tous par nature, et quel sens avait le chas étroit de l’aiguille dans l’affirmation que « la voie est étroite et resserrée qui conduit les hommes à la vie ». Pourquoi d’après la loi, cet animal est-il réputé impur, acceptable en ce qu’il rumine, mais blâmable en ce qu’il est solipède ? Il eût aussi cherché combien de fois le chameau dans les saintes Écritures est pris comme comparaison et avec quoi, pour comprendre le sens de la parole sur les riches. Il n’eût pas omis d’examiner les passages où Jésus proclame la béatitude des pauvres et le malheur des riches, pour voir s’il s’agissait de pauvres et de riches dans l’ordre des choses sensibles, ou si le Logos entendait bénir absolument une certaine pauvreté et blâmer absolument la richesse, car n’importe qui n’aurait pas loué sans discernement les pauvres, dont la plupart ont des moeurs détestables. Mais en voilà assez sur la question. LIVRE VI

Bien plus, à en croire non seulement les chrétiens et les Juifs mais encore beaucoup d’autres Grecs et barbares, l’âme humaine vit et subsiste après sa séparation d’avec le corps ; et il est établi par la raison que l’âme pure et non alourdie par les masses de plomb du vice s’élève jusqu’aux régions des corps purs et éthérés, abandonnant ici-bas les corps épais et leurs souillures ; au contraire l’âme méchante, tirée à terre par ses péchés et incapable de reprendre haleine, erre ici-bas et vagabonde, celle-ci autour « des tombeaux » où l’on voit « les fantômes » des âmes comme des ombres, celle-là simplement autour de la terre. Quelle nature faut-il attribuer à des esprits enchaînés à longueur de siècles, pour ainsi dire, à des édifices et à des lieux, soit par des incantations, soit à cause de leur perversité ? Evidemment la raison exige de juger pervers ces êtres qui emploient la puissance divinatrice, par elle-même indifférente, à tromper les hommes et à les détourner de la piété pure envers Dieu. Une autre preuve de cette perversité est qu’ils nourrissent leurs corps de la fumée des sacrifices, des exhalaisons du sang et de la chair des holocaustes ; qu’ils y prennent plaisir comme pour assouvir leur amour de la vie, à la façon des hommes corrompus, sans attrait pour la vie pure détachée du corps, qui, désireux des plaisirs corporels, s’attachent à la vie du corps terrestre. LIVRE VI

Et quels sont donc les sages ou philosophes auprès desquels Celse veut nous faire apprendre maintes vérités divines ? Car il veut nous faire abandonner Moïse, le serviteur de Dieu, les prophètes du Créateur de l’univers qui, véritablement inspirés, ont dit tant de vérités. Il veut nous faire abandonner Celui-là même qui a illuminé le genre humain, annoncé la voie de la véritable piété ; qui, autant qu’il dépendait de lui, n’a laissé personne sans participation à ses mystères ; qui, au contraire, dans l’excès de son amour pour les hommes, peut donner aux esprits plus intelligents une conception de Dieu capable d’élever l’âme au-dessus des affaires d’ici-bas ; qui néanmoins condescend à venir en aide aux pauvres moyens des hommes ignorants, des simples femmes, des esclaves, bref, de ceux qui n’ont de secours de personne sinon de Jésus seul pour leur faire mener une vie meilleure autant que possible, avec les doctrines qu’ils ont pu recevoir sur Dieu. LIVRE VI

Elle est assurément sublime et non point méprisable, la sentence de Platon. Mais vois si la divine Écriture ne représente point avec un plus grand amour de l’humanité le Dieu Logos, qui était « au commencement près de Dieu », se faisant chair pour que pût parvenir à tous les hommes le Logos dont Platon dit que, une fois découvert, le dire à tous est impossible. Libre à Platon de dire : « Découvrir l’auteur et le père de cet univers est laborieux » : il laisse entendre qu’il n’est pas impossible pour la nature humaine de découvrir Dieu comme il le mérite ou, sinon comme il le mérite, du moins davantage et mieux que la foule. LIVRE VI

C’est bien la manière dont les disciples de Jésus considèrent ce qui est sujet à la génération, s’en servant comme d’un degré pour arriver à comprendre la nature des réalités intelligibles. Car « les ?uvres invisibles de Dieu », c’est-à-dire les réalités intelligibles, « depuis la création du monde, grâce aux choses créées se laissent voir » par l’acte de l’esprit. Cependant, après s’être élevés des choses créées du monde aux ?uvres invisibles de Dieu, ils ne s’arrêtent pas. Mais, après s’être suffisamment exercés par elles et les avoir comprises, ils montent jusqu’à l’éternelle puissance de Dieu, bref, à sa divinité. Il savent que Dieu dans son amour pour les hommes a manifesté la vérité et ce qu’on peut connaître de lui-même non seulement à ceux qui lui sont consacrés, mais encore à ceux qui sont étrangers à la pure religion et à la piété envers lui. Malheureusement, certains, élevés par la Providence de Dieu à la connaissance de si hautes réalités, ont une conduite indigne de cette connaissance, commettent l’impiété, retiennent « la vérité captive dans l’injustice » et, du fait de leur connaissance de ces hautes réalités, ils ne sauraient plus trouver une chance d’excuse auprès de Dieu. LIVRE VI

Pour nous, ce que nous voulons principalement, à cause des raisons innombrables qui nous ont persuadés de vivre selon le christianisme, c’est familiariser tous les hommes autant que possible avec toutes les doctrines chrétiennes. Mais nous arrive-t-il d’en trouver qui soient circonvenus par la calomnie contre les chrétiens au point de s’imaginer que les chrétiens ne sont pas religieux, et de refuser même d’entendre ceux qui professent enseigner les mystères du divin Logos ? Alors notre amour de l’humanité nous porte à employer toutes nos forces pour établir les thèses au sujet du châtiment éternel réservé aux impies, et pour en inculquer la doctrine même à ceux qui ne veulent pas vivre en chrétiens. LIVRE VIII

Celse en tout cas devine qu’il de la connaissance de ces pratiques à la magie et, conscient du dommage qui en résulterait pour ses auditeurs, il dit : Il faut toutefois, quand on s’unit à ces démons, prendre garde qu’on ne soit absorbé par le culte à leur rendre et que par amour du corps on ne se détourne des biens supérieurs et on ne soit retenu loin d’eux en les oubliant. Peut-être ne faut-il pas refuser de croire les sages : ils disent que la plupart des démons terrestres, absorbés dans la génération, rivés au sang et au fumet de graisse, liés par des incantations et d’autres pratiques de ce genre, ne peuvent rien de mieux que de guérir les corps, prédire leur destinée prochaine d l’individu et à la cité, et que leur science et leur puissance ne s’étendent qu’aux activités mortelles. LIVRE VIII

Est-ce que ces récits, surtout compris comme il faut, ne paraissent pas beaucoup plus dignes de respect que celui de Dionysos, trompé par les Titans, précipité du trône de Zeus et mis en pièces par eux, et ensuite reconstitué et semblant revenir à la vie et monter au ciel ? Est-il permis aux Grecs d’en faire l’application à la doctrine de l’âme et de l’interpréter au figuré, tandis qu’on nous ferme la porte, nous interdisant une interprétation logique, concordante et harmonisée en tous points avec les Écritures inspirées par l’Esprit divin qui habite les âmes pures ? Celse n’a donc pas vu du tout l’intention de nos Écritures ; aussi est-ce sa propre interprétation qu’il attaque, et non celle des Écritures. S’il avait compris la destinée de l’âme dans l’éternelle vie future, et ce qu’impliquent son essence et son origine, il n’aurait point raillé de la sorte la venue de l’être immortel dans un corps mortel, expliquée non suivant la théorie platonicienne de la métensomatose, mais dans une perspective plus haute. Il aurait vu, au contraire, une descente extraordinaire due à un excès d’amour pour les hommes, en vue de ramener, suivant l’expression mystérieuse de la divine Écriture, « les brebis perdues de la maison d’Israël », descendues des montagnes, et vers lesquelles, le berger de certaines paraboles, « est descendu » laissant sur les montagnes celles qui ne s’étaient pas égarées. LIVRE IV

Mais il est déraisonnable de ne point rire de la première histoire comme d’un mythe, d’en admirer au contraire le sens philosophique sous le voile du mythe, et pour la seconde, en n’appliquant son esprit qu’à la lettre seule, de railler et de penser qu’elle est sans raison. Car s’il fallait, d’après la simple lettre, mettre en cause la signification allégorique, vois si les vers d’Hésiode, auteur que tu dis inspiré, ne vont pas davantage encourir la raillerie. Voici ce qu’il a écrit : « Et courroucé, Zeus qui assemble les nuées lui dit : ” Fils de Japet, qui en sais plus long que tous les autres, puisses-tu rire d’avoir volé le feu et trompé mon âme, pour ton plus grand malheur, à toi, comme aux hommes à naître ! Moi, en place de feu, je leur ferai présent d’un mal, en qui tous, au fond du coeur, se complairont à entourer d’amour leur propre malheur.” Il dit et exécute le père des dieux et des hommes ; il commande à l’illustre Héphaistos de tremper d’eau un peu de terre sans tarder, d’y mettre la voix et les forces d’un être humain et d’en former, à l’image des déesses immortelles, un beau corps aimable de vierge ; Athénée lui apprendra ses travaux, le métier qui tisse mille couleurs ; Aphrodite d’or sur son front répandra la grâce, le douloureux désir, les soucis qui brisent les membres, tandis qu’un esprit impudent, un coeur artificieux seront, sur l’ordre de Zeus, mis en elle par Hermès, le Messager, tueur d’Argos. Il dit, et tous obéissent au seigneur Zeus, fils de Cronos. En hâte, l’illustre Boiteux modèle dans la terre la forme d’une chaste vierge, selon le vouloir du Cronide. La déesse aux yeux pers, Athéné, la pare et lui noue sa ceinture. Autour de son cou les Grâces divines, l’auguste Persuasion mettent des colliers d’or ; tout autour d’elle les Heures aux beaux cheveux disposent en guirlandes des fleurs printanières. Pallas Athéné ajuste sur son corps toute sa parure. Et dans son sein, le Messager, tueur d’Argos, crée mensonges, mots trompeurs, coeur artificieux, ainsi que le veut Zeus aux lourds grondements. Puis, héraut des dieux, il met en elle la parole, et à cette femme il donne le nom de Pandore, parce que ce sont tous les habitants de l’Olympe qui, avec ce présent, font présent du malheur aux hommes qui mangent le pain. » LIVRE IV