J’étais assis hier en un lieu où je dis un petit mot qui se trouve dans le Pater Noster et déclare : « Que ta volonté soit ! » Plutôt : ce serait mieux : « Que volonté soit tienne » ; que ma volonté soit ta volonté, que je sois lui ; c’est cela que vise le Pater Noster. Ce mot a deux sens. Le premier est : sois en sommeil de toutes choses ! c’est-à-dire que tu ne saches rien ni de temps ni de créatures ni d’images – les maîtres disent : Un homme qui dormirait pour de bon, dormirait-il cent ans, il ne saurait ( rien ) d’aucune créature, il ne saurait ( rien ) de temps ni d’anges – et alors tu peux percevoir ce que Dieu opère en toi. C’est pourquoi l’âme dit sans le Livre de l’amour : « Je dors et mon coeur veille. » C’est pourquoi : si toutes créatures dorment en toi, alors tu peux percevoir ce que Dieu opère en toi. Eckhart: Sermon 30
Voici maintenant le second sens : « Il l’envoya dans le monde ». Or nous devons entendre ( par là ) le monde immense que contemplent les anges. Comment devons-nous être ? Nous devons, avec tout notre amour et tout notre désir, être là, comme le dit Saint Augustin : Ce que l’homme aime, il le devient dans l’amour. Devons-nous dire alors : lorsque l’homme aime Dieu, il devient Dieu ? Voilà qui sonne comme de l’incroyance. L’amour qu’un homme donne, là ils ne sont pas deux, plutôt un et union, et dans l’amour je suis plus Dieu que je ne suis en moi-même. Le prophète dit : « J’ai dit, vous êtes des dieux et enfants du Très-Haut. » Cela sonne de façon merveilleuse que l’homme que l’homme puisse ainsi devenir Dieu dans l’amour ; pourtant cela est vrai dans la vérité éternelle. Notre Seigneur Jésus Christ l’atteste. Eckhart: Sermon 5 a
On trouve des gens qui goûtent bien Dieu selon un mode et non selon un autre, et veulent avoir Dieu uniquement selon un type de ferveur et non selon un autre. Je laisse passer, mais pour lui ( Dieu ? ) c’est totalement injuste. Qui veut prendre Dieu de façon juste doit le prendre de façon égale en toutes choses, dans l’âpreté comme dans le bien-être, dans les pleurs comme dans les joies, en tout il doit pour toi être égal. Si, n’ayant ni ferveur ni componction sans l’avoir mérité par des péchés mortels, alors que tu aurais volontiers ferveur et componction, tu t’imagines que tu n’as pas Dieu pour cette raison que tu n’as pas ferveur et componction, ( et que ) cela t’est souffrance, c’est cela même qui maintient est ( pour toi ) ferveur et componction. C’est pourquoi vous ne devez vous attachez à aucun mode, car Dieu n’est dans aucun mode, ni ceci ni cela. C’est pourquoi ceux qui là prennent Dieu de cette façon lui font injustice. Ils prennent le mode et non pas Dieu. C’est pourquoi retenez cette parole, que vous ayiez Dieu en vue et le recherchiez de façon limpide. Quelques soient les modes qui vous échoient, contentez-vous-en totalement. Car votre visée doit être limpidement Dieu, et rien d’autre Alors, quoi qui vous agrée ou ne vous agrée pas, cela est juste envers lui, et sachez qu’autrement cela est totalement injuste pour lui. Ils poussent Dieu sous un banc ceux qui tant de modes veulent avoir. Que ce soient pleurs ou soupirs, ou tant de choses de ce type, tout cela n’est pas Dieu. Si cela vous échoit prenez-le et soyez satisfaits ; si cela n’advient pas, soyez pourtant satisfaits, et prenez ce que Dieu veut vous donner en cet instant, et demeurez en tout temps en humble anéantissement et abjection, et il doit vous sembler en tout temps que vous êtes indignes de quelque bien que ce soit que Dieu pourrait vous faire s’il le voulait. Ainsi se trouve exposée la parole que saint Jean écrit : « En cela s’est trouvé révélé pour nous l’amour de Dieu » ; si nous étions ainsi, ce bien serait révélé en nous. Qu’il nous soit caché, il n’en est d’autre cause que nous. Nous sommes cause de tous nos obstacles. Garde-toi de toi-même, ainsi auras-tu fait bonne garde. Et y a-t-il des choses que nous ne voulons pas prendre, il nous a pourtant destinés à cela ; si nous ne les prenons pas, il nous faudra le regretter, et cela nous sera grandement reproché. Si nous ne parvenons pas là où ce bien se trouve pris, cela ne tient pas à lui, mais à nous. Eckhart: Sermon 5 a
« En ceci nous a été montré et nous est apparu l’amour de Dieu pour nous, que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions avec le Fils et dans le Fils et par le Fils » ; car tous ceux qui ne vivent pas par le Fils, ceux-là ne sont vraiment pas comme il faut. Eckhart: Sermon 5 b
Qui sont ceux qui sont ainsi égaux ? Ceux qui à rien ne sont égaux, ceux-là seuls sont égaux à Dieu. L’être de Dieu n’est égal à rien, en lui n’est ni image ni forme. Les âmes qui sont ainsi égale, à elles le Père donne de façon égale et ne leur retient rien de rien. Quoi que le Père puisse accomplir, il le donne à cette âme de façon égale, oui, si elle se tient pas plus égale à elle-même qu’à un autre, et elle doit ne pas être plus proche de soi que d’un autre. Son honneur propre, son utilité et quoi qu’elle ait, elle ne doit pas davantage le désirer ni y prêter attention qu’au ( bien propre ) d’un étranger. Ce qui est à quiconque, cela ne doit lui être ni étranger ni lointain, que ce soit mauvais ou bon. Tout l’amour de ce monde est bâti sur l’amour-propre. Si tu l’avais laissé, tu aurais laissé le monde entier. Eckhart: Sermon 6
Quel peuple est en Dieu ? Saint Jean dit : « Dieu est l’amour, et qui demeure dans l’amour, celui-là demeure en Dieu et Dieu en lui. » Bien que saint Jean dise que l’amour unit, l’amour ne transporte jamais en Dieu ; tout au plus fait-il adhérer. Amour n’unit pas, d’aucune manière ; ce qui est uni, il l’assemble et le noue. Amour unit en une oeuvre, non en un être. Les meilleurs maîtres disent que l’intellect dépouille pleinement et prend Dieu nu, tel qu’il est être limpide en lui-même. Connaissance fait sa percée par vérité et bonté, et tombe dans l’être limpide, et prend Dieu nûment, tel qu’il est sans nom. Je dis : Ni connaissance ni amour n’unissent. Amour prend Dieu lui-même en tant qu’il est bon, et si le nom de bonté faisait défaut à Dieu, amour n’irait jamais plus loin. Amour prend Dieu sous un pelage, sous un vêtement. Cela, l’intellect ne le fait pas ; l’intellect prend Dieu tel qu’il est connu en lui ( = dans l’intellect ) ; là il ne peut jamais le saisir dans la mer de son insondabilité. Je dis : Au-dessus de ces deux, connaissance et amour, il y a miséricorde ; là Dieu opère miséricorde, dans le plus élevé et le plus limpide que Dieu puisse opérer. Eckhart: Sermon 7
Or l’homme est tout à fait comme il faut qui vit dans les vertus, car j’ai dit il y a huit jours que les vertus sont dans le coeur de Dieu. Qui vit dans la vertu et opère dans la vertu, il est tout à fait comme il faut. Qui ne recherche pas ce qui est sien en aucune chose, ni en Dieu ni en créatures, celui-là demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Pour cet homme c’est joie que de laisser et de mépriser toutes choses, et c’est joie que d’accomplir toutes choses jusqu’à leur plus haut point. Saint Jean dit : « Dieu est charité », « Dieu est l’amour », et l’amour est Dieu, « et qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui ». Celui qui là demeure en Dieu, il a bon gîte et est un héritier de Dieu, et celui en qui Dieu habite, il a de dignes compagnons près de lui. Or un maître dit qu’à l’âme se trouve donné de par Dieu un don par quoi l’âme se trouve mue aux choses intérieures. Un maître dit que l’âme se trouve touchée sans intermédiaire par le Saint Esprit, car dans l’amour où Dieu s’aime soi-même, dans cet amour il m’aime, et l’âme aime Dieu dans le même amour où il s’aime soi-même, et cet amour dans lequel Dieu aime l’âme ne serait-il pas que l’Esprit Saint ne serait pas. C’est une ardeur et un épanouissement du Saint Esprit où l’âme aime Dieu. Eckhart: Sermon 10
Il est à déplorer que certaines gens s’estiment très élevés et très unis à Dieu qui ne se sont pas pleinement laissés et sont encore attachés à de petites choses dans l’amour et dans la souffrance. Ils en sont bien plus éloignés qu’ils ne l’imaginent. Ils visent beaucoup et veulent tout autant. J’ai dit une fois : Qui ne cherche rien, de ce qu’il ne trouve rien à qui peut-il s’en plaindre ? Il a trouvé ce qu’il cherchait. Qui cherche ou vise quelque chose, il cherche et vise ( le ) néant, et qui demande quelque chose, il lui advient ( le ) néant. Mais qui ne cherche rien ni ne vise rien que Dieu limpidement, à lui Dieu découvre et lui donne tout ce qu’il a de caché dans son coeur divin, en sorte que cela lui advienne en propre, comme cela est en propre à Dieu, ni moins ni plus, à condition qu’il le vise lui seul, sans intermédiaire. Que le malade ne goûte les mets ni le vin, quoi d’étonnant à cela ? Car il n’absorbe pas le vin ni les mets selon leur goût propre. La langue a une couverture et un vêtement au travers desquels elle éprouve, et cela est amer conformément à la nature de la maladie. Cela n’atteint pas au point où cela devrait être goûté ; cela paraît amer au malade, et il a raison, car il faut que cela soit amer du fait du vêtement et du fait de l’intermédiaire. Si l’intermédiaire n’est pas ôté, cela n’est pas goûté selon ce qui est son propre. Aussi longtemps qu’intermédiaire n’est pas ôté en nous, Dieu n’est jamais goûté de nous selon ce qui lui est propre, et notre vie nous est souvent lourde et amère. Eckhart: Sermon 11
J’ai dit une fois : Les vierges suivent l’agneau partout où il va, sans intermédiaire. Ici se trouvent quelques vierges, et quelques-unes ici ne sont pas vierges qui pourtant croient l’être. Celles qui sont les vraies vierges, partout où va l’agneau elles le suivent dans la souffrance comme dans l’amour. Certaines suivent l’agneau lorsqu’il va dans la douceur et dans le confort ; mais lorsqu’il va dans la douleur et dans l’inconfort et dans les travaux, elles s’en retournent et ne le suivent point. Pour vrai, elles ne sont pas vierges, quand bien même elles le paraissent. Certaines disent : Hélas, Seigneur, je veux bien venir là dans les honneurs et dans la richesse et dans le confort. Pour vrai, si l’agneau a ainsi vécu et s’il ( nous ) a ainsi précédés, je tiens pour bon que vous ( le ) suiviez ainsi, car les vierges s’aventurent derrière l’agneau par passes étroites et au large et partout où il s’aventure. Eckhart: Sermon 11
Il est trois choses qui nous empêchent d’entendre la parole éternelle. La première est corporéité, la seconde multiplicité, la troisième temporalité. L’homme aurait-il outrepassé ces trois choses qu’il habiterait dans l’éternité et habiterait dans l’esprit et habiterait dans l’unité et dans le désert, et là il entendrait la parole éternelle. Or Notre Seigneur dit : « Personne n’entend ma parole ni mon enseignement qu’il ne se soit laissé soi-même. » Car qui doit entendre la parole de Dieu, il lui faut être totalement laissé. Cela même qui là entend, c’est cela même qui là se trouve entendu dans la Parole éternelle. Tout ce qu’enseigne le Père éternel, c’est son être et sa nature et toute sa déité, ce qu’il nous révèle pleinement dans son Fils unique, et ( il ) nous enseigne que nous sommes ce même Fils. L’homme qui là serait sorti de telle sorte qu’il serait le Fils unique, à celui-là serait en propre ce qui là est en propre au Fils unique. Ce que Dieu opère et ce qu’il enseigne, tout cela il l’opère et l’enseigne dans son Fils unique. Dieu opère toute son oeuvre pour que nous soyons le Fils unique. Lorsque Dieu voit que nous sommes le Fils unique, alors Dieu a si grande hâte envers nous et se presse tant et fait justement comme si son être divin voulait se briser et s’anéantir en lui-même, en sorte qu’il nous révèle tout l’abîme de sa déité et la plénitude de son être et de sa nature ; alors Dieu se presse pour que cela soit notre propre comme cela est son propre. Ici Dieu a plaisir et délices en plénitude. Cet homme se tient dans la connaissance de Dieu et dans l’amour de Dieu, et ne devient rien d’autre que ce que Dieu est lui-même. Eckhart: Sermon 12
L’homme qui se tient dans l’amour de Dieu, celui-là doit être mort à lui-même et à toutes choses créées, de sorte qu’il prête à soi-même aussi peu d’attention qu’à celui qui est distant de mille lieues. Cet homme demeure dans l’égalité et demeure dans l’unité et demeure tout à fait égal ; en lui ne tombe aucune inégalité. Cet homme, il lui faut s’être laissé soi-même et le monde entier. Y aurait-il un homme à qui appartiendrait ce monde entier, et le laisserait-il aussi nûment pour Dieu qu’il le reçut, à celui-là Notre Seigneur voudrait donner à nouveau ce monde entier et aussi la vie éternelle. Et y aurait-il un autre homme qui n’aurait rien qu’une volonté bonne, et penserait-il : Seigneur, ce monde serait-il mien, et aurais-je encore un monde et un autre, ce qui ferait trois, de sorte qu’il en viendrait à désirer ceci : Seigneur, je veux les laisser et moi-même aussi nûment que je les ai reçus de toi, à cet homme Dieu donnerait autant que si tout cela il l’avait dispensé de sa main. Un autre homme qui n’aurait à laisser ni à donner rien de corporel ni de spirituel, cet homme-là aurait laissé au plus au point. Qui se laisserait pleinement ( ne fût-ce qu’ ) un instant, à celui-là il serait donné pleinement. Et y aurait-il un homme laissé ( pendant ) vingt ans, s’il se reprenait soi-même ( ne fût-ce qu’ ) un instant, il n’aurait encore jamais été laissé. L’homme qui a laissé et qui est laissé, et qui jamais plus ne regarde ( ne fût-ce qu’ ) instant ce qu’il a laissé, et s’il demeure constamment immobile en lui-même et immuable, c’est cet homme seul qui est laissé. Eckhart: Sermon 12
« Lève-toi, Jérusalem, et sois illuminée. » D’autres maîtres disent, qui divisent aussi l’âme en trois : il nomme la puissance supérieure une puissance irascible ; ils l’assimilent au Père. Celui-ci mène toujours une guerre et un courroux contre le mal. La colère aveugle l’âme, et l’amour submerge les sens ( … ) La première puissance a son siège dans le foie, la seconde dans le coeur, la troisième dans le cerveau. Dieu mène une guerre contre la nature ( … ). La première ( puissance ) n’a jamais de repos avant que d’avoir atteint ce qui est le plus élevé ; s’il se trouvait quelque chose de plus élevé que Dieu, elle ne voudrait pas de Dieu. La seconde ne se satisfait que du tout meilleur ; y aurait-il quelque chose de meilleur que Dieu, elle ne voudrait pas de Dieu. La troisième ne se satisfait que d’un bien ; y aurait-il un bien ( plus grand ) que Dieu, elle ne voudrait pas de Dieu. Elle ne repose en rien que dans un bien permanent, en lequel tous biens sont inclus, en sorte qu’en lui ils sont un ( seul ) être. Dieu lui-même ne repose pas là où ( il ) est un commencement de tout être. Il repose là où ( il ) est une fin et un commencement de tout être. Eckhart: Sermon 14
Maintenant « tiens-toi à la porte dans la maison de Dieu ». La maison de Dieu est l’unité de son être ! Ce qui est un, cela se garde le plus volontiers seul. C’est pourquoi l’unité se tient auprès de Dieu et tient Dieu dans sa totalité et ne lui ajoute rien. Là il réside dans l’extrême de lui-même, dans son esse, tout en lui, nulle part hors de lui. Mais, quand il se diffuse, il se diffuse à l’extérieur. Son acte de se diffuser, c’est sa bonté, comme j’ai dit maintenant à propos de connaissance et d’amour. La connaissance délie, car la connaissance est meilleure que l’amour. Mais deux sont meilleurs qu’un, car la connaissance porte l’amour en elle. L’amour s’éprend follement de la bonté et s’y attache, et dans l’amour je suis ainsi attaché à la porte, et l’amour serait aveugle s’il n’y avait connaissance. Une pierre aussi a de l’amour, et son amour recherche le fond. Si je suis attaché à la bonté, dans le premier acte de diffuser, et si je le ( = Dieu ) prends là où il est bon, alors je prends la porte, je ne prends pas Dieu. C’est pourquoi la connaissance est meilleure, car elle dirige l’amour. Mais amour veut désir, appropriation. Quant à la connaissance, elle n’ajoute pas une seule pensée, plutôt : elle délie et se sépare et court de l’avant et touche Dieu nu et le saisit uniquement dans son être. Eckhart: Sermon 19
« Un homme fit un repas du soir, un grand festin. » Celui qui fait un festin le matin, celui-là invite toutes sortes de gens ; mais pour le festin du soir, on invite des gens importants et des gens aimés et des amis très intimes. On célèbre aujourd’hui dans la chrétienté le jour de la Cène que le Seigneur prépara à ses disciples, à ses amis intimes, lorsqu’il leur donna son saint corps en nourriture. C’est le premier point. Il est un autre sens à la Cène. Avant que l’on en vienne au soir, il faut qu’il y ait eu un matin et un midi. La lumière divine se lève dans l’âme et fait un matin, et l’âme s’élève dans la lumière, gagne en ampleur et en hauteur jusqu’au midi ; après cela vient le soir. Maintenant nous parlons du soir en un autre sens. Lorsque la lumière décline, alors vient le soir ; lorsque tout ce monde décline de l’âme, alors c’est le soir, alors l’âme parvient au repos. Or saint Grégoire dit de la Cène : Quand on mange le matin, après cela vient un autre repas ; mais après le repas du soir ne vient aucun autre repas. Lorsque l’âme, à la Cène, goûte la nourriture et ( que ) la petite étincelle de l’âme saisit la lumière divine, elle n’a besoin d’aucune nourriture en sus et ne recherche rien à l’extérieur et se tient toute dans la lumière divine. Or saint Augustin dit : Seigneur, si tu te dérobes à nous, donnes-nous alors un autre toi, nous ne trouvons satisfaction en rien d’autre qu’en toi, car nous ne voulons rien que toi. Notre Seigneur se déroba à ses disciples comme Dieu et homme et se donna à eux à nouveau comme Dieu et homme, mais selon une autre manière et dans une autre forme. Tout comme là où il y a une chose grandement sacrée, on ne la laisse pas toucher ni regarder nue ; on l’enserre dans un cristal ou dans quelque chose d’autre. C’est ainsi que fit Notre Seigneur lorsqu’il se donna comme un autre soi. Dieu se donne, en tout ce qu’il est, dans la Cène, en nourriture à ses chers amis. Saint Augustin était pris de frayeur devant cette nourriture ; alors une voix lui parla en esprit : « Je suis une nourriture de gens adultes ; grandis et développe-toi et consomme-moi. Tu ne me transformes pas en toi, plutôt : tu te trouves transformé en moi. » La nourriture et le breuvage que j’ai pris il y a quinze jours, de cela une puissance de mon âme prit le plus limpide et le plus subtil et porta cela dans mon corps et unit cela avec tout ce qui est en moi, en sorte qu’il n’est rien de si petit, où l’on puisse ficher une aiguille, qui ne se soit uni avec lui ; et c’est aussi proprement un avec moi que ce qui se trouva reçu dans le corps de ma mère, là où ma vie me fut infusée en premier. Aussi proprement la puissance du Saint Esprit prend-elle le plus limpide et le plus subtil et le plus élevé, la petite étincelle de l’âme, et le porte tout entier vers le haut dans la fournaise, dans l’amour, comme je te le dis maintenant de l’arbre : La puissance du soleil prend dans la racine de l’arbre le plus limpide et le plus subtil et le tire tout entier vers le haut jusqu’au rameau, là il est une fleur. Ainsi de toute manière la petite étincelle dans l’âme se trouve emportée vers le haut dans la lumière et dans le Saint Esprit et ainsi emportée vers le haut dans la première origine, et se trouve ainsi tout a fait une avec Dieu et tend ainsi tout à fait à l’Un et est plus proprement une avec Dieu que la nourriture ne l’est avec mon corps, oui, bien davantage, d’autant plus qu’elle est plus pure et plus noble. C’est pourquoi il dit : « Un grand festin du soir ». Or David dit : « Seigneur, combien grande et combien multiple est la douceur et la nourriture que tu as cachée pour tous ceux qui te craignent » ; et celui qui reçoit cette nourriture avec crainte, celui-là ne la goûte jamais comme il convient, il faut qu’on la reçoive avec amour. C’est pourquoi une âme aimant Dieu a pouvoir sur Dieu de sorte qu’il lui faut se donner pleinement à elle. Eckhart: Sermon 20b
L’autre parole : « Ami, monte plus haut, va plus haut. » De ces deux, j’en fais une. Lorsqu’il dit : « Ami, monte plus haut, va plus haut », c’est un dialogue entre l’âme et Dieu, et il lui fut répondu : « Un Dieu et Père de tous ». Un maître dit : Amitié se trouve dans volonté. Pour autant qu’amitié se trouve dans volonté, elle n’unit pas. Je l’ai dit également souvent : Amour n’unit pas. Il unit certes en une oeuvre, non pas en un être. C’est pourquoi il ( = l’amour ) dit seulement : « Un Dieu », « monte plus haut, va plus haut ». Dans le fond de l’âme rien ne peut ( être ) que limpide déité. Même l’ange le plus élevé, si proche qu’il soit de Dieu et si apparenté ( à lui ) et si riche soit ce que de Dieu il a en lui – ses oeuvres sont constamment en Dieu, il est uni à Dieu en un être, non en une oeuvre, il a un demeurer-intérieur en Dieu et un constant séjourner auprès ( de lui ) – si noble soit l’ange, c’est pour sûr merveille, il ne peut pourtant entrer dans l’âme. Un maître dit : Toutes les créatures qui possèdent distinction sont indignes de ce que Dieu lui-même opère en elles. L’âme dans elle-même, étant donné qu’elle est au-dessus du corps, est si limpide et si délicate qu’elle n’aime rien que déité nue limpide. Cependant Dieu ne peut pas ( entrer ) en elle, à moins que lui soit retirer tout ce qui lui est ajouté. C’est pourquoi il lui fut répondu : « Un Dieu ». Eckhart: Sermon 21
J’ai pensé parfois, tandis que je venais ici, que l’homme dans le temps peut en venir à pouvoir contraindre Dieu. Si j’étais ici en haut et disais à quelqu’un : « Monte ! », cela serait difficile. Si je disais plutôt : « Assieds-toi ! », cela serait facile. Ainsi fait Dieu. Lorsque l’homme s’humilie, Dieu ne peut pas se retenir, de par sa bonté propre, il lui faut s’abaisser et s’épancher dans l’homme humble, et là celui qui est le plus petit il se donne le plus et se donne à lui pleinement. Ce que Dieu donne, c’est son être, et son être fait sa bonté, et sa bonté fait son amour. Toute souffrance et toute joie proviennent d’amour. J’ai pensé en chemin, lorsque je devais venir ici, que je ne voulais pas venir ici, car je serais inondé ( de larmes ) par amour. Quand avez-vous été inondés ( de larmes ) par amour, laissons cela. Joie et souffrance proviennent d’amour. L’homme ne doit pas craindre Dieu, car celui qui le craint celui-là le fuit. Cette crainte est une crainte dommageable. ( Mais ) c’est une crainte comme il faut ( qu’éprouve ) celui qui craint de perdre Dieu. L’homme ne doit pas le craindre, il doit l’aimer, car Dieu aime l’homme avec toute sa perfection la plus haute. Les maîtres disent que toutes choses opèrent selon qu’elles veulent engendrer et veulent s’égaler au Père, et disent : La terre fuit le ciel ; si elle fuit vers le bas, elle parvient au ciel vers le bas ; fuit-elle vers le haut, elle parvient à ce qui du ciel est le plus bas. La terre ne peut fuir si bas que la terre ne se déverse en elle et ne la rende fertile, que ce lui soit agréable ou non. Ainsi fait l’homme qui s’imagine fuir Dieu et ne peut pourtant pas le fuir ; tous les recoins lui sont une révélation. Il s’imagine fuir Dieu et s’engouffre ( pourtant ) dans son sein. Dieu engendre son Fils unique en toi, que ce te soit agrément ou souffrance, que tu dormes ou que tu veilles, il fait ce qui est sien. Je disais récemment, qu’est-ce ( donc ) qui serait responsable de ce que l’homme ne le goûte pas, et dis ( que ) serait responsable le fait que sa langue serait chargée d’autre impureté, c’est-à-dire des créatures. De même façon que chez un homme à qui toute nourriture est amère et n’a pas de goût pour lui. Qu’est-ce qui est responsable de ce que la nourriture n’a pas de goût pour nous ? Responsable le fait que nous n’avons pas de sel. Le sel est l’amour divin. Aurions-nous l’amour divin, nous goûterions Dieu et toutes les oeuvres que Dieu a jamais opérées, et nous recevrions toutes choses de Dieu, et opérerions toutes les mêmes oeuvres qu’il opère. Dans cette égalité nous sommes tous un Fils unique. Eckhart: Sermon 22
La troisième question, était-il en Dieu ou Dieu en lui ? Je dis : Dieu connaissait en lui, et lui comme ( n’étant ) pas en Dieu. Prenez une comparaison : le soleil luit à travers le verre et tire l’eau de la rose ; cela vient de la finesse de la matière du verre et de la puissance génératrice du soleil ; c’est ainsi que le soleil engendre dans le verre et non le verre dans le soleil. Il en fut ainsi de saint Paul : lorsque le clair soleil de la déité illumina son âme, alors se trouva tiré de la rose lumineuse de son esprit le flot de l’amoureuse contemplation divine dont parle le prophète : « L’impétuosité du flot réjouit ma cité », c’est-à-dire de mon âme ; et cela lui advint certes de par la clarté de son âme ; c’est par là que l’amour pénétra de par la puissance d’engendrement de la déité. Eckhart: Sermon 23
Or notez le premier petit mot qu’il dit : « C’est là mon commandement. » A ce propos je veux dire un petit mot afin qu’il « demeure auprès de vous ». « C’est là mon commandement que vous aimiez. » Que veut-il dire lorsqu’il dit : « Que vous aimiez » ? Il veut dire un petit mot, notez-le : amour est si limpide, si nu, si détaché en lui-même que les meilleurs maîtres disent que l’amour avec lequel nous aimons est le Saint Esprit. Ils s’en trouva qui voulurent le contredirent. C’est toujours vrai : tout le mouvement par lequel nous nous trouvons mus vers amour, là rien d’autre ne nous meut que le Saint Esprit. Amour en ce qu’il y a de plus limpide, en ce qu’il y a de plus détaché en lui-même, n’est rien d’autre que Dieu. Les maîtres disent que la fin de l’amour, pour laquelle amour opère toute son oeuvre, est bonté, et la bonté est Dieu. Aussi peu mon oeil peut-il parler et ma langue connaître la couleur, aussi peu l’amour peut-il s’incliner à autre chose qu’à bonté et à Dieu. Eckhart: Sermon 27
Or notez-le ! Que veut-il dire ici qu’il lui tient tant à coeur que nous aimions ? Il veut dire que l’amour avec lequel nous aimons doit être si limpide, si nu, si détaché qu’il ne doit être incliné ni vers moi, ni vers mon ami, ni ( vers quoi que ce soit ) à côté de soi. Les maîtres disent que l’on ne peut nommer aucune oeuvre bonne oeuvre bonne, ni aucune vertu vertu, qu’elle n’advienne dans l’amour. Vertu est si noble, si détachée, si limpide, si nue en elle-même qu’elle ne peut rien connaître de mieux que soi et Dieu. Eckhart: Sermon 27
Or il dit : « Comme je vous ai aimés. » Comment Dieu nous a-t-il aimés ? Il nous aima alors que nous n’étions pas et alors que nous étions ses ennemis. Telle nécessité a Dieu de notre amitié qu’il ne peut attendre que nous le priions ; il vient au-devant de nous et nous prie que nous soyons ses amis, car il désire de nous que nous voulions qu’il nous pardonne. De là Notre Seigneur dit fort bien : « C’est là ma volonté que vous priiez pour ceux qui vous font du mal. » C’est ainsi que doit nous tenir à coeur de prier ( pour ) ceux qui nous font du mal. Pourquoi ? – Pour que nous fassions la volonté de Dieu, pour que nous ne devions pas attendre que l’on nous prie ; nous devrions dire : « Ami, pardonne-moi de t’avoir attristé ! » Et c’est ainsi que devrait nous tenir à coeur ce qui regarde la vertu. C’est ainsi que doit être ton amour, car amour ne veut être nulle part que là où sont égalité et Un. Un maître qui a un valet, là il n’est pas de paix, car là il n’est pas d’égalité. Une femme et un homme sont inégaux l’un à l’autre ; mais dans l’amour ils sont tout à fait égaux. De là l’Ecriture dit fort bien que Dieu a pris la femme de la côte et du côté de l’homme, non de la tête ni des pieds, car là où il y a deux, là est déficience. Pourquoi ? L’un n’est pas l’autre, car ce « ne pas », qui là fait différence, n’est rien d’autre qu’amertume, car là il n’est pas de paix. Si j’ai une pomme dans la main, elle procure du plaisir à mes yeux, mais la bouche se trouve spoliée de sa douceur Mais que je la mange, alors je spolie mes yeux du plaisir que j’ai là. C’est ainsi que deux ne peuvent être ensemble, car il faut que l’un perde son être. Eckhart: Sermon 27
C’est pourquoi il dit : « Aimez-vous les uns les autres ! », c’est-à-dire : les uns dans les autres. De quoi l’Ecriture parle fort bien. Saint Jean dit : « Dieu est l’amour, et qui est dans l’amour, celui-là est en Dieu, et Dieu est en lui. » Oui, il dit fort bien : Dieu serait-il en moi et ne serais-je point en Dieu, ou serais-je en Dieu et Dieu ne serait-il pas en moi, alors tout serait ( séparé ) en deux. Mais puisque Dieu est en moi et que je suis en Dieu, alors je ne suis pas plus bas ni Dieu plus haut. Or vous pourriez dire : « Seigneur, tu dis que je dois aimer et je ne peux pas aimer. » C’est pourquoi Notre Seigneur parle fort bien lorsqu’il dit à saint Pierre : « Pierre, m’aimes-tu ? » – « Seigneur, tu sais bien que je t’aime. » Me l’as-tu donné, Seigneur, alors je t’aime ; ne me l’as-tu pas donné, alors je ne t’aime pas. Eckhart: Sermon 27
Ces paroles que j’ai dites en latin, on les lit aujourd’hui dans le saint évangile de la fête d’un saint qui s’appelait Barnabé, et l’Ecriture dit communément que c’est un Apôtre, et Notre Seigneur dit : « Je vous ai élus, je vous ai choisis du monde entier, je vous ai mis à part du monde entier et de toutes choses créées, pour que vous alliez et portiez beaucoup de fruit et que ce fruit vous demeure », car il est tout à fait agréable que quelque chose porte du fruit et que ce fruit lui demeure, et à celui-là le fruit lui demeure qui demeure et qui habite dans l’amour. A la fin de cet évangile, Notre Seigneur dit : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai éternellement aimés » ; « et comme mon Père m’a aimé éternellement, ainsi vous ai-je aimés ; gardez mon commandement, ainsi demeurez-vous dans mon amour. » Eckhart: Sermon 28
Tous les commandements de Dieu viennent d’amour et de la bonté de sa nature ; car s’ils ne venaient pas d’amour, ils ne pourraient être alors commandements de Dieu ; car le commandement de Dieu est la bonté de sa nature, et sa nature est sa bonté dans son commandement. Qui maintenant habite dans la bonté de sa nature, celui-là habite dans l’amour de Dieu, et l’amour n’a pas de pourquoi. Aurais-je un ami et l’aimerais-je pour la raison que me viendrait de lui du bien et toute ma volonté, je n’aimerais pas mon ami, mais moi-même. Je dois aimer mon ami pour sa bonté propre et pour sa vertu propre et pour tout ce qu’il est en lui-même : c’est alors que j’aime mon ami comme il faut, lorsque je l’aime ainsi qu’il est dit ci-dessus. Ainsi en est-il de l’homme qui se tient dans l’amour de Dieu, qui ne cherche pas ce qui est sien en Dieu ni en lui-même ni en aucune chose, et qui aime Dieu seulement pour sa bonté propre et pour la bonté de sa nature et pour tout ce qu’il est en lui-même, et c’est là amour juste. Amour de la vertu est une fleur et un ornement et une mère de toute vertu et de toute perfection et de toute béatitude, car il est Dieu, car Dieu est fruit de la vertu, Dieu féconde toutes les vertus et est un fruit de la vertu, et le fruit demeure à l’homme. L’homme qui opérerait en vue d’un fruit et que ce fruit lui demeure, ce lui serait fort agréable ; et s’il y avait un homme qui possédât une vigne ou un champ et les confiât à son serviteur pour qu’il les travaille et pour que le fruit lui demeure, et s’il lui donnait aussi tout ce qui est requis pour cela, ce lui serait fort agréable que le fruit lui demeure sans dépense de sa part. Ainsi est-il fort agréable à l’homme qui habite dans le fruit de la vertu, car celui-là n’a aucune contrariété ni aucun trouble, car il a laissé soi-même et toutes choses. Eckhart: Sermon 28
Or certains hommes disent : « Si je possède Dieu et l’amour de Dieu, alors je peux bien faire ce que je veux ». Ces mots ils ne les entendent pas de façon juste. Aussi longtemps que tu peux chose quelconque qui est contre Dieu et contre son commandement, alors tu n’as pas l’amour de Dieu ; tu peux bien tromper le monde, comme si tu l’avais. L’homme qui se tient dans la volonté de Dieu et dans l’amour de Dieu, lui sont agréables à faire toutes choses qui sont chères à Dieu et à laisser toutes choses qui sont contre Dieu ; et il lui est aussi impossible de laisser chose aucune que Dieu veut avoir opérée que de faire chose aucune qui est contre Dieu ; exactement comme à celui dont les jambes seraient liées, à cet homme il serait impossible de marcher, comme il serait impossible à l’homme qui est dans la volonté de Dieu de se livrer à aucun vice. Quelqu’un disait : Dieu aurait-il ordonné de se livrer au vice et d’éviter la vertu, je ne voudrais pourtant pas me livrer au vice. Car personne n’aime la vertu que celui qui est lui-même la vertu. L’homme qui a laissé soi-même et toutes choses, qui ne recherche pas ce qui est sien en chose aucune et opère toute son oeuvre sans pourquoi et par amour, cet homme est mort au monde entier et vit en Dieu et Dieu en lui. Eckhart: Sermon 29
Or donc, prêtez attention maintenant ! Qui étaient les gens qui là achetaient et vendaient, et qui sont-ils encore ? Maintenant prêtez-moi grande attention ! Je ne veux pour ce coup prêcher maintenant qu’à propos de gens de bien. Néanmoins je veux montrer pour cette fois qui étaient là et qui sont encore les marchands qui achetaient et vendaient et le font encore, eux que Notre Seigneur chassa et jeta dehors. En cela il le fait encore à tous ceux qui là achètent et vendent dans ce temple : il n’en veut laisser un seul au-dedans. Voyez, ce sont tous des marchands ceux qui se préservent de péchés grossiers et seraient volontiers de gens de bien et font leurs bonnes oeuvres pour honorer Dieu, comme de jeûner, veiller, prier, et quoi que ce soit, toutes sortes d’oeuvres bonnes, et ils les font cependant pour que Notre Seigneur leur donne quelque chose en retour, ou pour que Dieu leur fasse en retour quelque chose qui leur soit agréable : ce sont tous des marchands. Il faut l’entendre en ce sens grossier, car ils veulent donner une chose pour l’autre, et veulent ainsi commercer avec Notre Seigneur. En ce commerce ils sont trompés. Car tout ce qu’ils ont et tout ce qu’ils sont en mesure d’opérer, donneraient-ils pour Dieu tout ce qu’ils ont et se livreraient-ils pleinement pour Dieu, pour autant Dieu ne serait en rien de rien tenu envers eux de donner ou de faire, à moins qu’il ne veuille le faire gratuitement de bon gré. Car ce qu’ils sont ils le sont de par Dieu et ce qu’ils ont ils l’ont de par Dieu, et non par eux-mêmes. C’est pourquoi Dieu n’est en rien de rien tenu par leurs oeuvres et leurs dons, à moins que de bon gré il ne veuille le faire de par sa grâce et non en raison de leurs oeuvres ni en raison de leur don, car ils ne donnent rien qui soit leur et n’opèrent pas non plus à partir d’eux-même, ainsi que dit Christ lui-même : « Sans moi vous ne pouvez rien faire. » Ce sont des fous fieffés ceux qui veulent ainsi commercer avec Notre Seigneur ; ils ne connaissent de la vérité que peu de chose ou rien. C’est pourquoi Notre Seigneur les chassa hors du temple et les jeta dehors. Il ne se peut que demeure ensemble la lumière et les ténèbres. Dieu est la vérité et une lumière dans soi-même. Lors donc que Dieu vient dans ce temple, il rejette au-dehors l’ignorance, c’est-à-dire les ténèbres, et se révèle soi-même avec lumière et avec vérité. Alors les marchands sont partis lorsque la vérité se trouve connue et la vérité n’a nulle envie de mercantilisme. Dieu ne cherche pas ce qui est sien ; dans toutes ses oeuvres il est dépris et libre et les opère par juste amour. Ainsi aussi fait cet homme qui est uni à Dieu ; il se tient lui aussi dépris et libre dans toutes ses oeuvres, et les opère seulement pour honorer Dieu, et ne recherche pas ce qui est sien, et Dieu l’opère en lui. Eckhart: Sermon 1
Lors donc que ce temple se trouve vide de tous obstacles que sont attachement au moi propre et ignorance, alors il reluit de façon si belle et brille de façon si limpide et claire, par-delà tout ce que Dieu a créé et à travers tout ce que Dieu a créé, que personne ne peut l’égaler en éclat, si ce n’est le Dieu incréé seul. Et en juste vérité, à ce temple personne non plus n’est égal, si ce n’est le Dieu incréé seul. Tout ce qui est au-dessous des anges, cela ne s’égale en rien de rien à ce temple. Les anges les plus élevés eux-mêmes égalent quelque peu ce temple de l’âme noble, mais pas pleinement. Qu’ils soient égaux à l’âme en quelque mesure, c’est en connaissance et en amour. Cependant un but leur est fixé ; ils ne peuvent l’outrepasser. L’âme le peut certes assurément. Une âme se trouverait-elle égale à l’ange le plus élevé, ( l’âme ) de l’homme qui vivrait encore dans le temps, l’homme pourrait néanmoins, dans sa libre capacité, parvenir incomparablement plus haut au-dessus de l’ange, à nouveau, à tout maintenant, sans nombre, c’est-à-dire sans mode et au-dessus du mode des anges et de tout intellect créé. Et Dieu est seul libre et incréé, et c’est pourquoi lui seul lui est égal ( = est égal à l’âme ) quant à la liberté, et non quant au caractère-incréé, car elle est créée. Lorsque l’âme parvient à la lumière sans mélange, elle se précipite dans son néant de néant, si loin de quelque chose créé, dans ce néant de néant, qu’elle n’est aucunement en mesure de revenir, de par sa force, dans son quelque chose créé. Et Dieu, par son caractère-incréé, soutient son néant de néant et maintient l’âme dans son quelque chose de quelque chose. L’âme a couru le risque d’en venir au néant et ne peut non plus par elle-même atteindre à elle-même, si loin de soi elle est allée, et ( cela ) avant que Dieu ne l’ait soutenue. Il faut de nécessité qu’il en soit ainsi. Car, ainsi que j’ai dit plus haut : Jésus était entré dans le temple et avait jeté dehors ceux qui là achetaient et vendaient, et se mit à dire aux autres : « Enlevez-moi ça ! », et ils l’enlevèrent. Voyez, il n’y avait là plus personne que Jésus seul, et ( il ) se mit à parler dans le temple. Voyez, tenez-le pour vrai : quelqu’un d’autre que Jésus seul veut-il discourir dans le temple, c’est-à-dire dans l’âme, alors Jésus se tait, comme s’il n’était pas chez lui, et il n’est certes pas chez lui dans l’âme quand elle a des hôtes étrangers avec lesquels elle s’entretient. Mais Jésus doit-il discourir dans l’âme, alors il faut qu’elle soit seule et il faut qu’elle-même se taise, si elle doit entendre Jésus discourir. Ah, il entre alors et commence à parler. Que dit le Seigneur Jésus ? Il dit ce qu’il est. Qu’est-il donc ? Il est une Parole du Père. Dans cette même Parole le Père se dit soi-même et toute la nature divine et toute ce que Dieu est, tel aussi qu’il la connaît ( = la Parole ), et il la connaît telle qu’elle est. Et parce qu’il est parfait dans sa connaissance et dans sa puissance, de là il est également parfait dans son dire. En disant la Parole, il se dit et ( dit ) toutes choses dans une autre Personne, et lui donne la même nature qu’il a lui-même, et dit dans la même Parole tous les esprits doués d’intellect, égaux à cette même Parole selon l’image, en tant qu’elle demeure à l’intérieur, ( mais ) selon qu’elle luit au dehors, en tant que tout un chacun est près de lui-même, non égaux en toute manière à cette même Parole, plutôt : ils ont reçu la capacité de recevoir égalité par grâce de cette même Parole ; et cette même Parole, telle qu’elle est en elle-même, le Père l’a dite toute, la Parole et toute ce qui est dans cette Parole. Eckhart: Sermon 1
Le second sens est : procure ton avantage en toutes choses ! c’est-à-dire : « Aime Dieu par-dessus toutes choses et ton prochain comme toi-même ! », et c’est là un commandement de Dieu. Mais je dis que ce n’est pas seulement un commandement, plutôt : c’est aussi ce que Dieu a donné et ce que Dieu a promis de donner. Et si tu aimes cent marks davantage en toi qu’en un autre, c’est un tort. Si tu aimes un homme plus que les autres, c’est un tort ; et aimes-tu ton père et ta mère et toi-même plus qu’un autre homme, c’est un tort ; et si tu aimes plus la béatitude en toi qu’en un autre, c’est un tort. « A Dieu ne plaise ! Que dites-vous ? Ne dois-je pas aimer la béatitude en moi plus qu’en un autre ? » Il se trouve bien des gens instruits qui ne comprennent pas cela, et estiment que c’est bien difficile ; mais ce n’est pas difficile, c’est tout à fait facile. Je te montrerai que ce n’est pas difficile. Voyez, la nature poursuit ( deux visées ) dans la mesure où un membre quelconque opère en l’homme. La première visée qu’il ( = le membre ) vise dans ses oeuvres, c’est qu’il serve pleinement le corps et en outre chaque membre de façon particulière comme lui-même et pas moins qu’en lui-même, et qu’il ne se vise pas soi-même davantage dans ses oeuvres qu’un autre membre. Bien plus encore doit-il en être ainsi de la grâce. Dieu doit être une règle et un fondement de ton amour. La visée première de ton amour doit être nûment vers Dieu et en outre vers ton prochain comme toi-même et pas moins que toi-même. Et si tu aimes la béatitude davantage en toi qu’en un autre, alors tu t’aimes toi-même ; là où tu t’aimes, là Dieu n’est pas nûment ton amour et c’est alors un tort. Car si tu aimes la béatitude sans saint Pierre et dans saint Paul autant qu’en toi-même, tu possèdes la même béatitude qu’ils ont eux aussi. Et si tu aimes la béatitude dans les anges autant qu’en toi, et si tu aimes la béatitude en Notre Dame autant qu’en toi, tu jouis proprement de la même béatitude qu’elle-même : elle est tienne aussi proprement qu’à elle. C’est pourquoi l’on dit dans le Livre de la Sagesse : « Il l’a fait égal à ses saints. » Eckhart: Sermon 30
Or tu pourrais peut-être dire : Comment est-ce que je sais si c’est la volonté de Dieu ou non ? Sachez-le : si ce n’était volonté de Dieu, ce ne serait pas non plus. Tu n’as ni maladie ni rien de rien que Dieu ne le veuille. Et lorsque que tu sais que c’est volonté de Dieu, tu devrais avoir en cela tant de plaisir et de satisfaction que tu n’estimerais aucune peine comme peine ; même si cela en venait au plus extrême de la peine, éprouverais-tu la moindre peine ou souffrance, alors ce n’est pas du tout dans l’ordre ; car tu dois le recevoir de Dieu comme ce qu’il y a de meilleur, car il faut de nécessité que ce te soit ce qu’il y a de meilleur. Car l’être de Dieu tient en ce qu’il veut le meilleur. C’est pourquoi je dois le vouloir aussi et aucune chose ne doit m’agréer davantage. Y aurait-il un homme auquel en tout zèle je voudrais plaire, saurais-je alors pour de vrai que je plairais davantage à cet homme dans un vêtement gris qu’en un autre, si bon qu’il soit pourtant, aucun doute que ce vêtement me serait plus plaisant et plus agréable qu’aucun autre, si bon qu’il soit pourtant. Serait-ce que je veuille plaire à quelqu’un, si je savais alors qu’il prendrait plaisir que ce soit à des paroles ou à des oeuvres, c’est cela que je ferais et pas autre chose. Eh bien, éprouvez-vous vous-mêmes ce qu’il en va de votre amour ! Si vous aimiez Dieu, aucune chose ne pourrait vous être plus plaisante que ce qui lui plairait le mieux et que sa volonté accomplie le plus complètement en nous. Si lourds paraissent la peine ou le préjudice, si tu n’as pas en cela aussi grand plaisir, alors ce n’est pas dans l’ordre. Eckhart: Sermon 4
Paraît difficile ce que Notre Seigneur a commandé, que l’on doive aimer son frère chrétien comme soi-même. Ce que disent communément des gens grossiers, c’est que ce devrait être ainsi : on devrait les aimer eu égard au bien dont on s’aime soi-même. Non, ce n’est pas ainsi. On doit les aimer autant que soi-même, et cela n’est pas difficile. Veuillez bien le noter, amour est plus digne de récompense qu’un commandement. Le commandement semble difficile, et la récompense est désirable. Qui aime Dieu comme il doit l’aimer et aussi comme il faut qu’il l’aime, qu’il le veuille ou ne le veuille pas, et comment l’aiment toutes les créatures, il lui faut aimer son prochain comme soi-même et se réjouir de ses joies et désirer son honneur autant que son honneur propre, et l’étranger comme l’un des siens. Et c’est ainsi que l’homme est en tout temps en joie, en honneur et en prospérité, ainsi est-il exactement comme dans le royaume des cieux, et c’est ainsi qu’il a davantage de joie que s’il se réjouissait uniquement de son bien. Et sachez-le dans la vérité : ton propre honneur t’apporte-t-il plus de satisfaction que celui d’un autre, alors c’est injuste pour lui. Eckhart: Sermon 4
Saint Jean dit: « En cela amour de Dieu nous est révélé qu’il a envoyé son Fils dans le monde, afin que nous vivions par lui » et avec lui. Et donc notre nature humaine est immensément exhaussée du fait que le Très-Haut est venu et a pris sur lui l’humanité. Eckhart: Sermon 5 a
On doit donner joie aux anges et aux saints. Ah, merveille au-delà de toute merveille ! Un homme dans cette vie, peut-il donner joie à ceux qui sont la vie éternelle ? Oui, pour de vrai ! Chaque saint a si grand plaisir et joie si inexprimable de chaque oeuvre bonne, d’une volonté bonne ou d’un désir ils ont si grande joie qu’aucune bouche ne peut l’exprimer, et qu’aucun coeur ne peut imaginer quelle grande joie ils ont de là ! Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu’ils aiment Dieu de façon tellement démesurée et l’aiment d’un amour si vrai que son honneur leur est plus cher que leur béatitude. Pas seulement les saints ni les anges, plus : Dieu lui-même a si grand plaisir de là, exactement comme si c’était sa béatitude, et son être tient à cela et sa satisfaction et son plaisir. Ah, notez-le maintenant ! Si nous ne voulons servir Dieu pour aucune autre raison que la grande joie qu’ont en cela ceux qui sont dans la vie éternelle, et Dieu lui-même, nous devrions le faire volontiers et avec tout ( notre ) zèle. Eckhart: Sermon 6
Pharisien veut dire la même chose que quelqu’un qui est séparé, et ne connaît pas de limite. Ce qui appartient à l’âme, cela doit être pleinement délié. Plus les puissances sont nobles, plus elles délient. Certaines puissances sont tellement au-dessus du corps et tellement à part qu’elles dépouillent et séparent pleinement. Un maître dit une belle parole : Ce qui une fois touche une chose corporelle, cela ne pénètre jamais à l’intérieur ( de ces puissances ). En second lieu ( « pharisien » veut dire ) que l’on est délié et retiré ( de l’extérieur ) et attiré à l’intérieur. De là on tire qu’un homme non instruit peut, par amour et par désir, acquérir un savoir et l’enseigner. En troisième lieu ( « pharisien » ) veut dire que l’on n’a aucune limite et que l’on n’est enfermé nulle part et que nulle part l’on n’est attaché et tellement transporté dans la paix que l’on ne sache rien de l’absence de paix, de telle sorte que l’homme se trouve transporté en Dieu par les puissances qui sont absolument déliées. C’est pourquoi le prophète dit : « Seigneur, du peuple qui est en toi, aie pitié. » Eckhart: Sermon 7
Saint Philippe dit : « Seigneur, montre-nous le Père, cela nous suffit. » Or personne ne parvient au Père si ce n’est pas le Fils. Qui voit le Père voit le Fils, et le Saint Esprit est leur amour à tous deux. L’âme est si simple en elle-même qu’elle ne peut percevoir en elle que la présence d’une ( seule ) image. Lorsqu’elle perçoit l’image de la pierre, elle ne perçoit pas l’image de l’ange, et lorsqu’elle perçoit l’image de l’ange elle n’en perçoit aucune autre ; et l’image même qu’elle perçoit, il lui faut l’aimer dans la présence. Percevrait-elle mille anges, que cela serait autant que deux anges, et elle n’en percevrait pourtant pas plus qu’un ( seul ). Or l’homme doit s’unifier en lui-même. Maintenant saint Paul dit : « Etes-vous libérés de vos péchés que vous êtes devenus serviteurs de Dieu. » Le Fils unique nous a libérés de nos péchés. Or Notre Seigneur dit de façon plus précise que saint Paul : « Je ne vous ai pas appelés serviteurs, je vous ai appelés mes amis. » « Le serviteur ne sait pas la volonté de son maître », mais l’ami sait tout ce que sait son ami. « Tout ce que j’ai entendu de mon Père, cela je vous l’ai annoncé », et tout ce que sait mon Père je le sais, et toute ce que je sais vous le savez ; car moi et mon Père avons un seul esprit. L’homme qui maintenant sait tout ce que Dieu sait, celui-là est un homme qui-sait-Dieu. Cet homme saisit Dieu dans sa propriété même et dans son unité même et dans sa présence même et dans sa vérité même ; pour cet homme tout est rectifié. Mais pour l’homme qui n’est pas accoutumé aux choses intérieures, il ne sait pas ce qu’est Dieu. Comme un homme qui a du vin dans sa cave et n’en aurait bu ni goûté ne sait pas qu’il est bon. Il en est de même des gens qui vivent dans l’ignorance : ils ne savent pas ce qu’est Dieu et ils croient et s’imaginent vivre. Ce savoir n’est pas de Dieu. Il faut qu’un homme ait un savoir limpide clair de la vérité divine. L’homme qui a une visée droite dans toutes ses oeuvres, pour lui, le principe de sa visée est Dieu, et l’oeuvre de cette visée est lui-même ( = Dieu ) et est de nature divine limpide et s’achève dans la nature divine en lui-même. Eckhart: Sermon 10
Or un évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui je me complais. » Or un autre évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui toutes choses me plaisent. » Or le troisième évangéliste écrit : « C’est là mon Fils bien aimé, en qui je me complais moi-même. » Tout ce qui plait à Dieu, cela lui plaît dans son Fils unique ; tout ce que Dieu aime, il l’aime dans son Fils unique. Or l’homme doit vivre de telle sorte qu’il soit un avec le Fils unique et qu’il soit le Fils unique. Entre le Fils unique et l’âme, il n’est pas de différence. Ente le serviteur et le maître, jamais amour ne sera égal. Aussi longtemps je suis serviteur, je suis très loin du Fils unique et inégal à lui. Si je voulais voir Dieu avec mes yeux, les yeux au moyen desquels je vois la couleur, je ne serais pas du tout comme il faut, car c’est temporel ; car tout ce qui est temporel, cela est loin de Dieu et étranger ( à lui ). Lorsque l’on prend le temps, et le prend-on au plus réduit, ( un ) maintenant, cela est temps et subsiste en soi-même. Aussi longtemps l’homme a-t-il temps et espace et nombre et multiplicité et quantité, il n’est pas du tout comme il faut, et Dieu lui est lointain et étranger. C’est pourquoi Notre Seigneur dit : Qui veut devenir mon disciple, il lui faut se laisser soi-même ; personne ne peut entendre ma parole ni mon enseignement qu’il ne se soit laissé soi-même. Toutes créatures, en elles-mêmes, ne sont rien. C’est pourquoi j’ai dit : Laissez le rien et saisissez-vous d’un être accompli, là où la volonté est droite. Qui a laissé toute sa volonté, celui-là goûte ma doctrine et entend ma parole. Or un maître dit que toutes les créatures prennent leur être de Dieu sans intermédiaire ; c’est pourquoi il en est ainsi des créatures que, par droite nature, elles aiment Dieu plus qu’elles-mêmes. L’esprit connaîtrait-il son nu détachement, il ne pourrait avoir inclination à chose aucune, il lui faudrait s’en tenir à son nu détachement. C’est pourquoi il dit : « Il lui a plu en ses jours ». Eckhart: Sermon 10
Or il ( = le texte ) dit : « Il est trouvé intérieurement ». Est intérieur ce qui habité dans le fond de l’âme, dans le plus intérieur de l’âme, dans l’intellect, et ne sort pas et ne porte le regard sur aucune chose. Là toutes les puissances de l’âme sont également nobles ; c’est là qu’il est trouvé intérieurement juste. Cela est juste qui est égal dans amour et dans souffrance et dans amertume et dans douceur, et à qui absolument aucune chose n’est contraire au fait qu’il se trouve un dans la justice. L’homme juste est un avec Dieu. Egalité se trouve aimée. Amour aime toujours ( ce qui lui est ) égal ; c’est pourquoi Dieu aime l’homme juste qui lui est égal. Eckhart: Sermon 10
« Qu’adviendra-t-il d’étonnant de cet enfant ? » J’ai dit récemment devant certaines personnes, qui peut-être sont aussi présentes ici, un petit mot, et j’ai donc affirmé : Rien n’est si caché qui ne doive se trouver découvert. Tout ce qui est néant doit être déposé et tellement caché qu’il ne doit même jamais se trouver pensé. Du néant nous ne devons rien savoir, et avec le néant nous ne devons rien avoir en commun. Toutes les créatures sont un pur néant. Ce qui n’est ni ici ni là, et là où est un oubli de toutes créatures, là est plénitude de tout être. J’ai dit alors : Rien en nous ne doit être caché que nous ne devions le découvrir pleinement à Dieu et le lui donner pleinement. Où que nous puissions nous trouver, que ce soit dans fortune ou dans infortune, dans amour ou dans souffrance, à quoi que nous nous trouvions inclinés, de cela nous devons sortir. En vérité, si nous lui découvrons tout, alors il nous découvre en retour tout ce qu’il a, et ne nous cache en vérité absolument rien de ce qu’il peut offrir, sagesse ni vérité ni intimité ni déité ni rien de rien. Cela est en vérité aussi vrai que Dieu vit, à condition que nous ne lui découvrons pas ( ce qui est à nous ), rien d’étonnant à ce qu’alors il ne nous découvre ( ce qui est à lui ) ; car il faut que cela soit exactement égal, nous envers lui comme lui envers nous. Eckhart: Sermon 11
Il dit : Ils avaient leur nom et le nom de leur Père inscrits sur leurs fronts. Quel est notre nom et quel est le nom de notre Père ? Notre nom est que nous devons être engendrés, et le nom du Père est engendrer, car la déité rayonne hors de la limpidité première, qui est une plénitude de toute limpidité, ainsi que je l’ai dit au Mariengarten. Philippe dit : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. » Il vise en premier que nous devons être Père ; en second lieu, nous devons être grâce, car le nom du Père est engendrer ; il engendre en moi son égal. Si je vois un mets qui est égal à moi, alors provient de là un amour. Il en est de même : le Père céleste engendre en moi son égal, et de cette égalité provient un amour, c’est l’Esprit Saint. Celui qui est le père, celui-là engendre l’enfant de façon naturelle ; celui qui présent l’enfant au baptême, celui-là n’est pas son père. Boèce dit : Dieu est un bien qui se tient immobile et qui meut toutes choses. Que Dieu soit immobile, cela met toutes choses en mouvement. Il y a quelque chose de si heureux et met toutes choses en mouvement, en sortent qu’elles retournent de là où elles ont flué, et cela demeure immobile en lui-même. Et plus une chose quelconque est noble, plus elle se meut de façon constante. Le fond les pousse toutes. Sagesse et bonté et vérité ajoutent quelque chose ; Un n’ajoute rien que le fond de l’être. Eckhart: Sermon 13
Tu dois être constant et ferme, c’est-à-dire : tu dois te tenir égal dans amour et souffrance, dans fortune et infortune, et dois avoir en toi la noblesse de toutes les pierres précieuses, c’est-à-dire que toutes le vertus soient enfermées en toi et fluent essentiellement de toi. Tu dois traverser et surpasser toutes les vertus, et dois prendre la vertu dans le fond, là où elle est un avec la nature divine. Et pour autant que tu es plus uni à la nature divine que ne l’est l’ange, dans cette mesure il lui faut recevoir par toi. Pour que nous devenions Un, qu’à cela Dieu nous aide. Amen. Eckhart: Sermon 16 b
Ce qui de l’âme est dans ce monde ou lorgne vers ce monde, et ce qui d’elle est atteint en quelque chose et lorgne vers l’extérieur, elle doit le haïr. Un maître dit que l’âme, dans ce qu’elle a de plus élevé et de plus limpide, est au-dessus du monde. Rien n’attire l’âme vers ce monde qu’amour seulement. Parfois elle a un amour naturel qu’elle porte au corps. Parfois elle a un amour de volonté, qu’elle porte à la créature. Un maître dit : Aussi peu l’oeil a à faire avec le chant et l’oreille avec la couleur, aussi peu l’âme dans sa nature a-t-elle à faire avec tout ce qui est dans ce monde. C’est pourquoi nos maîtres ( ès sciences ) naturelles disent que le corps est davantage dans l’âme que l’âme n’est dans le corps. Tout comme le vase contient davantage le vin que le vin le vase, ainsi l’âme contient-elle davantage en elle le corps que le corps l’âme. Ce que l’âme aime dans ce monde, de cela elle est nue dans sa nature. Un maître dit : Il est de la nature et de la perfection naturelle de l’âme qu’elle devienne dans elle un monde doué d’intellect, là où Dieu a formé dans elle les images de toutes choses. Qui dit alors qu’il est parvenu à sa nature, celui-là doit trouver toutes choses formées en lui dans la limpidité, comme elles sont en Dieu, non comme elles sont dans leur nature, plutôt : comme elles sont en Dieu. Ni esprit ni ange ne touchent le fond de l’âme pas plus que la nature de l’âme. C’est en cela qu’elle parvient dans ce qui est premier, dans le commencement, où Dieu jaillit avec bonté dans toutes les créatures. Là elle prend toutes choses en Dieu, non dans la limpidité, telles qu’elles sont dans leur limpidité naturelle, plutôt : dans la limpide simplicité, telles qu’elles sont en Dieu. Dieu a fait tout ce monde comme en charbon. L’image qui est en or est plus ferme que celle qui est en charbon. C’est ainsi que toutes choses dans l’âme sont plus limpides et plus nobles qu’elles ne le sont dans ce monde. La matière dont Dieu a fait toutes choses est plus médiocre que ne l’est le charbon en regard de l’or. Qui veut faire un pot, celui-là prend un peu de terre ; c’est là sa matière, avec laquelle il opère. Après il lui donne une forme, qui est en lui, qui est en lui plus noblement que la matière. Ici j’estime que toutes choses sont immensément plus nobles dans le monde doué d’intellect qu’est l’âme qu’elles ne le sont dans ce monde ; exactement comme l’image qui est taillée et gravée dans l’or, ainsi les images de toutes choses sont-elles simples dans l’âme. Un maître dit : L’âme a en elle une capacité que les images de toutes choses se trouvent imprimées en elle. Un autre dit : Jamais l’âme n’est parvenue à sa nature qu’elle ne trouve toutes choses formées en elle dans ce monde doué d’intellect, qui est incompréhensible ; aucune pensée n’y parvient. Grégoire dit : Ce que nous énonçons des choses divines, il nous faut le balbutier, car il faut qu’on le dise avec des mots. Eckhart: Sermon 17
Une femme posa une question à Notre Seigneur, où devait-on prier. Alors Notre Seigneur dit : « Le temps viendra et c’est à présent où les vrais adorateurs prieront en esprit et en vérité. Parce que Dieu est esprit, on doit le prier en esprit et en vérité. » Ce que la vérité est elle-même, nous ne le sommes pas, plutôt : nous sommes certes vrais, ( mais il y a ) en cela quelque chose de non vrai. Ainsi n’en est-il pas en Dieu. Plutôt : dans le premier jaillissement, là où la vérité jaillit et s’élance, à la porte de la maison de Dieu, l’âme doit se tenir et doit proclamer et proférer la parole. Tout ce qui est dans l’âme doit parler et louer, et cette voix personne ne doit l’entendre. Dans le silence et dans le repos – comme j’ai dit maintenant des anges, qui résident près de Dieu dans le choeur de la sagesse et de l’embrasement – là Dieu dit dans l’âme et se dit pleinement dans l’âme. Là le Père engendre son Fils, et a si grand plaisir dans la Parole et éprouve en sus si grand amour qu’il ne cesse jamais de dire en tout temps la Parole, c’est-à-dire au-dessus du temps. Cela vient bien à nos propos que de dire : « A ta maison convient sainteté » et louange, et qu’il n’y ait rien d’autre là que ce qui te loue. Eckhart: Sermon 19
Saint Luc nous écrit dans son évangile : « Un homme avait préparé un repas ou un festin du soir. » Qui l’a préparé ? Un homme. Que veut dire le fait qu’il le nomme un repas du soir ? Un maître dit que cela veut dire un grand un amour, car Dieu n’y convie personne, à moins qu’il ne soit familier de Dieu. En second lieu, il veut dire combien limpides doivent être ceux qui bénéficient de ce repas du soir. Or soir jamais ne se trouve que n’ait été auparavant un jour entier. N’y aurait-il pas de soleil qu’il n’y aurait jamais de jour. Dès que le soleil se lève, c’est la lumière du matin ; après quoi il luit de plus en plus jusqu’à ce que vienne le midi. Ainsi de la même manière la lumière divine se lève-t-elle dans l’âme pour de plus en plus illuminer les puissances de l’âme, jusqu’à ce que vienne un midi. En aucune manière il n’y aura jamais de jour spirituel dans l’âme qu’elle n’ait reçu une lumière divine. En troisième lieu il veut dire : Qui doit prendre dignement ce repas du soir, celui-là doit venir le soir. Lorsque la lumière de ce monde décline, c’est le soir. Or David dit : « Il monte dans le soir, et son nom est le Seigneur. » Ainsi Jacob, quand ce fut le soir, se coucha et s’endormit. Cela veut dire repos de l’âme. En quatrième lieu, cela veut dire aussi, comme dit saint Grégoire, qu’après le repas du soir il ne vient pas d’autre nourriture. A qui Dieu donne cette nourriture, elle est si douce et si succulente que celui-là ne peut jamais plus apprécier aucune autre nourriture. Saint Augustin dit : Dieu est de telle venue que celui qui le comprend, celui-là ne peut plus jamais trouver de repos en rien. Saint Augustin dit : Seigneur, si tu te dérobes à nous, donne-nous un autre toi, ou bien nous n’aurons jamais de repos ; nous ne voulons rien d’autre que toi. Or un saint dit d’une âme aimant Dieu qu’elle l’ensorcelle pleinement, en sorte qu’il ne peut lui refuser tout ce qu’il est. Il se déroba sous un mode et se donna sous un autre mode : il se déroba Dieu et homme, et se donna Dieu et homme comme un autre soi dans un réceptacle caché. Quelque chose de très saint, on ne le laisse pas volontiers toucher ni voir nu. C’est pourquoi il s’est revêtu du vêtement de la figure du pain, tout ainsi que la nourriture corporelle se trouve transformée par mon âme, en sorte qu’il n’est recoin dans ma nature qui en cela ne se troue uni. Car il est une puissance dans la nature qui sépare le plus grossier et le jette dehors, et elle porte le plus noble vers le haut, de sorte qu’il n’est nulle part ne fût-ce qu’une pointe d’aiguille qui n’y soit unie. Ce que j’ai mangé il y a quinze jours, c’est aussi un avec mon âme que ce que j’ai reçu dans le corps de ma mère. Il en est ainsi de celui qui reçoit limpidement cette nourriture : il devient aussi vraiment un avec elle que chair et sang sont un avec mon âme. Eckhart: Sermon 20a
Le bien le plus grand que Dieu ait jamais fait à l’homme, ce fut qu’il devint homme. Ici je raconterai une histoire qui convient bien à cela. Il y avait un homme riche et une femme riche. Un accident arriva à la femme qui fit qu’elle perdit un oeil ; elle en fut fort affligée. Alors l’homme vint à elle et dit : « Dame, pourquoi êtes-vous si affligée ? Vous ne devez pas vous affliger de ce que vous avez perdu un oeil. » Alors elle dit : « Seigneur, je ne m’afflige pas de ce que j’ai perdu un oeil ; je m’afflige de ce qu’il me semble que vous m’en aimerez moins. » Alors il dit : « Dame, je vous aime. » Peu de temps après, il s’arracha lui-même un oeil et vint trouver la femme et dit : « Dame, pour que vous croyiez que je vous aime, je me suis fait égal à vous ; moi aussi je n’ai qu’un oeil. » Ainsi de l’homme, il put à peine croire que Dieu l’a en si grand amour jusqu’au jour où Dieu s’arracha lui-même un oeil et revêtit la nature humaine. C’est ce que veut dire « est devenu chair ». Notre Dame dit : « Comment cela adviendra-t-il ? » Alors l’ange dit : « Le Saint Esprit descendra en toi d’en haut », du trône le plus élevé, du Père de la lumière éternelle. Eckhart: Sermon 22
Lorsque Dieu créa l’âme, il la créa selon sa plus haute perfection, pour qu’elle soit une fiancée du Fils unique. Etant donné que celui-ci le savait bien, il voulut sortir hors de sa chambre secrète du trésor de la paternité éternelle, dans laquelle il a sommeillé éternellement, demeurant à l’intérieur inexprimé. In principio. Dans le premier commencement de la limpidité première, le Fils a ouvert la tente de sa gloire éternelle, et pour cette raison est venu de là, du Très-Haut, parce qu’il voulait élever son amie à qui le Père l’avait fiancé éternellement, en sorte qu’il l’a reconduise au Très-Haut dont elle est venue, et il est écrit en un autre lieu : « Vois ! ton roi vient à toi. » C’est pourquoi il sortit et s’en vint en bondissant comme un chevreau et souffrit sa peine par amour ; et il ne sortit pas qu’il ne veuille rentrer à nouveau dans sa chambre avec sa fiancée. Cette chambre est la ténèbre silencieuse de la paternité cachée. Quand il sortit du Très-Haut, il voulut rentrer à nouveau avec sa fiancée dans le tout-limpide, et voulut lui révéler l’intimité cachée de sa déité cachée, là où il repose avec lui-même et avec toutes les créatures. Eckhart: Sermon 22
Il est comme naturel à propos de toutes choses, qu’en tout temps les plus élevées fluent dans les inférieures, aussi longtemps que les inférieures sont tournées vers les supérieures ; car les plus élevées ne reçoivent jamais des inférieures, plutôt : ce sont les inférieures qui reçoivent des supérieures. Or puisque Dieu est au-dessus de l’âme, alors Dieu en tout temps flue dans l’âme et ne peut jamais manquer à l’âme. L’âme peut certes lui manquer, mais aussi longtemps que l’homme se maintient ainsi sous Dieu, aussi longtemps il reçoit immédiatement l’influx divin nûment de Dieu., et n’est sous aucune autre chose : ni sous crainte ni sous amour ni sous souffrance ni sous aucune chose que Dieu n’est pas. Maintenant jette-toi pleinement totalement sous Dieu, alors tu reçois l’influx divin pleinement et nûment. Comment l’âme reçoit-elle de Dieu ? L’âme reçoit de Dieu non pas comme quelque chose d’étranger, ainsi que l’air reçoit lumière du soleil : celui-ci reçoit selon une étrangèreté. Mais l’âme reçoit Dieu non pas selon une étrangèreté ni comme ( étant ) au-dessous de Dieu, car ce qui est sous quelque chose d’autre, cela a étrangèreté et éloignement. Les maîtres disent que l’âme reçoit comme une lumière de la lumière, car là il n’est pas d’étranger ni de lointain. Eckhart: Sermon 24
Or Notre Seigneur dit : « Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, ni personne le Fils si ce n’est le Père. » En vérité, devons-nous connaître le Père, il nous faut alors être Fils. J’ai parfois dit trois petits mots, prenez-les comme trois fortes noix de muscade et buvez ensuite : en premier lieu, voulons-nous être fils, il nous faut avoir un père, car personne ne peut dire qu’il est fils qu’il n’ait un père ni personne n’est père qu’il n’ait un fils. Le père est-il mort, il dit alors : « Il était mon père ». Le fils est-il mort, il dit alors : « Il était mon fils », car la vie du fils est suspendue au père, et la vie du père est suspendue au fils ; et c’est pourquoi personne ne peut dire : « Je suis fils », qu’il n’ait alors un père, et l’homme es en vérité fils qui opère toute son oeuvre par amour. En second lieu, ce qui par-dessus tout fait de l’homme un fils, c’est égalité. Est-il malade, qu’il soit aussi volontiers malade que bien portant, bien portant que malade. Perd-il son ami – en nom Dieu ! Un oeil lui est-il arraché – en nom Dieu ! – La troisième chose qu’un fils doit avoir, c’est qu’il ne puisse jamais incliner la tête si ce n’est sur son père. Ah, combien noble est la puissance qui se tient au-dessus du temps et qui se tient sans lieu ! Car dans le fait qu’elle se tient au-dessus du temps, elle a enclos en elle tout temps et est tout temps, et si peu que l’on posséderait de ce qui est au-dessus du temps, cet homme serait très vite devenu riche, car ce qui est au-delà de la mer, ce n’est pas plus éloigné de cette puissance que ce qui maintenant est présent. Eckhart: Sermon 26
Or il dit : « C’est là mon commandement. » Qui me commande ce qui m’est doux, ce qui m’est utile et ce en quoi est ma béatitude, cela m’est très doux. Lorsque j’ai soif, alors la boisson me commande ; lorsque j’ai faim, alors la nourriture me commande. Et c’est ainsi que fait Dieu : oui, de façon si douce que tout ce monde ne peut rien offrir d’égal. Et qui a goûté une fois à la douceur, pour vrai, aussi peu Dieu peut-il se détourner de sa déité, aussi peu l’homme peut-il, avec son amour, se détourner de bonté et de Dieu ; oui, et il lui est plus facile de renoncer à soi-même et à toute sa béatitude et de demeurer avec son amour auprès de bonté et auprès de Dieu. Eckhart: Sermon 27
Or il dit : « Que vous vous aimiez les uns les autres. » Ah, ce serait une vie noble, ce serait une vie bienheureuse ! Ne serait-ce pas une vie noble que tout un chacun soit tourné vers la paix de son prochain comme vers sa propre paix, et que son amour soit si nu et si limpide et si détaché en lui-même qu’il ne vise rien que bonté et Dieu ? Qui demanderait à un homme bon : « Pourquoi aimes-tu bonté ? » – « A cause de la bonté » ; « Pourquoi aimes-tu Dieu ? » – « A cause de Dieu ». Et ton amour est-il si limpide, si détaché, si nu en lui-même que tu n’aimes rien d’autre que bonté et Dieu, alors c’est là une vérité certaine que toutes les vertus que tous les hommes ont jamais pratiquées sont tiennes aussi parfaitement que si tu les avais toi-même pratiquées, et plus limpidement et mieux ; car, que le pape soit pape, cela lui procure souvent de grands travaux ; la vertu, tu l’as de façon plus limpide et plus détachée et avec repos, et elle est plus tienne que sienne, s’il se trouve que ton amour est si limpide, si nu en lui-même que tu ne vises ni n’aimes rien d’autre que bonté et Dieu. Eckhart: Sermon 27
Ainsi ai-je dit une fois ici – il n’y a pas longtemps de cela : Qui aime la justice, la justice le fait sien, et ( il ) se trouve saisi par la justice, et il est la justice. J’ai écrit une fois dans mon livre : L’homme juste n’a besoin ni de Dieu ni des créatures, car il est libre ; et plus il est proche de la justice, plus il est la liberté elle-même et plus il est la liberté. Tout ce qui est créé, ce n’est pas libre. Aussi longtemps chose quelconque est au-dessus de moi qui n’est pas Dieu lui-même, cela m’opprime, si petit que ce soit ou quoi que ce soit, et serait-ce même intellect et amour, pour autant qu’ils sont créés et ne sont pas Dieu lui-même, cela m’opprime, car c’est non-libre. L’homme injuste sert la vérité, que ce lui soit joie ou souffrance, et ( il ) sert le monde entier et toutes les créatures et est un serviteur du péché. Eckhart: Sermon 28