amitié (Eckhart)

Si tu t’aimes toi-même, alors tu aimes tous les hommes comme toi-même. Aussi longtemps que tu aimes un seul homme moins que toi-même, tu n’es jamais parvenu à t’aimer toi-même en vérité, à moins que tu n’aimes tous les hommes comme toi-même, dans un homme tous les hommes, et cet homme est Dieu et homme ; alors cet homme est comme il faut qui s’aime soi-même et tous les hommes comme soi-même, et il en va pour lui tout à fait comme il faut. Or certaines gens disent : J’aime mon ami, par qui me vient le bien, davantage qu’un autre homme. Celui-là n’est pas comme il faut, c’est imparfait. Pourtant il faut le souffrir, tout ainsi qu’il est certaines gens qui traversent la mer par vent médiocre et néanmoins parviennent au-delà. Ainsi en est-il de ces gens qui aiment un homme davantage que l’autre ; c’est naturel. L’aimerais-je autant que moi-même, quoi qu’il lui arrive alors d’agrément ou de souffrance, que ce soit mort ou vie, il me serait aussi agréable que cela m’advienne à moi comme à lui, et cela serait droite amitié. Eckhart: Sermon 12

Or il dit : « Comme je vous ai aimés. » Comment Dieu nous a-t-il aimés ? Il nous aima alors que nous n’étions pas et alors que nous étions ses ennemis. Telle nécessité a Dieu de notre amitié qu’il ne peut attendre que nous le priions ; il vient au-devant de nous et nous prie que nous soyons ses amis, car il désire de nous que nous voulions qu’il nous pardonne. De là Notre Seigneur dit fort bien : « C’est là ma volonté que vous priiez pour ceux qui vous font du mal. » C’est ainsi que doit nous tenir à coeur de prier ( pour ) ceux qui nous font du mal. Pourquoi ? – Pour que nous fassions la volonté de Dieu, pour que nous ne devions pas attendre que l’on nous prie ; nous devrions dire : « Ami, pardonne-moi de t’avoir attristé ! » Et c’est ainsi que devrait nous tenir à coeur ce qui regarde la vertu. C’est ainsi que doit être ton amour, car amour ne veut être nulle part que là où sont égalité et Un. Un maître qui a un valet, là il n’est pas de paix, car là il n’est pas d’égalité. Une femme et un homme sont inégaux l’un à l’autre ; mais dans l’amour ils sont tout à fait égaux. De là l’Ecriture dit fort bien que Dieu a pris la femme de la côte et du côté de l’homme, non de la tête ni des pieds, car là où il y a deux, là est déficience. Pourquoi ? L’un n’est pas l’autre, car ce « ne pas », qui là fait différence, n’est rien d’autre qu’amertume, car là il n’est pas de paix. Si j’ai une pomme dans la main, elle procure du plaisir à mes yeux, mais la bouche se trouve spoliée de sa douceur Mais que je la mange, alors je spolie mes yeux du plaisir que j’ai là. C’est ainsi que deux ne peuvent être ensemble, car il faut que l’un perde son être. Eckhart: Sermon 27