Il semble avec habileté prendre le parti de ceux qui vont jusqu’à mourir pour rendre témoignage au christianisme “Et je ne veux pas dire que celui qui a embrassé une bonne doctrine, s’il vient à courir un danger de la part des hommes, doive y renoncer, qu’il en feigne l’abandon ou la renie” Il condamne assurément ceux qui, tout en ayant des sentiments chrétiens, affectent de ne pas les avoir ou les nient, lorsqu’il dit : il ne faut pas que celui qui adhère à la doctrine en feigne l’abandon ou la renie. Aussi peut-on convaincre Celse de contradiction. A ses autres écrits, on reconnaît l’Epicurien , ici, parce que son accusation contre le christianisme paraîtra plus plausible s’il ne professe pas les thèses d’Épicure, il feint d’admettre qu’il y a dans l’homme une part supérieure au terrestre, apparentée à Dieu, et dit “Ceux en qui elle est en bon état — l’âme — tendent de toutes leurs forces à ce qui lui est apparente — Dieu —, brûlent du désir de toujours en entendre parler et de s’en ressouvenir”. Vois donc la duplicité de son âme. Il vient de dire « Celui qui a embrasse une bonne doctrine, vint-il à courir un danger de la part des hommes à cause d’elle, ne doit pas renoncer a cette doctrine, qu’il en feigne l’abandon ou la renie », et lui-même tombe dans l’attitude contradictoire. Il savait bien qu’en s’avouant Epicurien il n’aurait eu aucun crédit dans son accusation contre ceux qui de quelque façon admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers. Mais j’ai entendu dire qu’il y eut deux Celse épicuriens, l’un sous Néron, celui-ci sous Hadrien et plus tard. LIVRE I
Un examen des faits montre que Jésus osa une entreprise qui dépasse la nature humaine et que ce qu’il osa, il l’accomplit. Dès l’origine, tout s’opposait à la diffusion de sa doctrine par toute la terre : les empereurs successifs, leurs généraux et chefs d’armées, en un mot tous ceux qui détenaient une autorité quelconque, et en outre les gouverneurs de chaque cité, les soldats, le peuple. Il fut vainqueur, puisqu’il était par nature, en tant que Logos de Dieu, impossible à arrêter, et, plus fort que ces puissants adversaires, il a conquis toute la Grèce, et, plus encore, la barbarie, et converti des âmes innombrables à la religion qu’il enseignait. Or il était inévitable, dans la foule de ceux qui étaient conquis par la doctrine, où “les gens simples et illettrés” sont plus nombreux que les gens formés par la culture, que les gens simples et illettrés fussent plus nombreux que les intelligents. Mais Celse ne veut pas le comprendre. Il pense que l’amour du Logos pour l’humanité, qui s’étend à chaque âme depuis le lever du soleil, “est simple et, à cause de sa simplicité et de son manque absolu de culture, n’a conquis que les simples”. Pourtant, même Celse ne dit pas que les seuls gens simples aient été conduits par cette doctrine à la religion selon Jésus, car il avoue :” Il y a aussi parmi eux des gens modérés, raisonnables, intelligents et prêts à comprendre l’allégorie”. LIVRE I
Revenons aux paroles attribuées au Juif, où il est écrit que “la mère de Jésus a été chassée par le charpentier qui l’avait demandée en mariage, pour avoir été convaincue d’adultère et être devenue enceinte des oeuvres d’un soldat nommé Panthère”, et voyons si les auteurs de cette fable de l’adultère de la Vierge avec Panthère et de son renvoi par le charpentier ne l’ont point forgée aveuglément pour nier la conception miraculeuse par le Saint-Esprit. Ils auraient pu, en effet, à cause de son caractère tout à fait miraculeux, falsifier l’histoire d’une autre manière, même sans admettre involontairement pour ainsi dire que Jésus n’était pas né d’un mariage humain ordinaire. Il était tout naturel que ceux qui n’admettent pas la naissance miraculeuse de Jésus forgent quelque mensonge. Mais l’avoir fait sans vraisemblance et en maintenant que la Vierge n’avait pas conçu Jésus de Joseph faisait éclater le mensonge à tout homme capable de discerner et de réfuter les fictions. Serait-ce une chose raisonnable, en effet : l’homme qui a tant osé entreprendre pour le salut du genre humain afin que tous, Grecs et barbares, autant qu’il dépend de lui, dans l’attente du jugement de Dieu, s’abstiennent du vice et fassent tout pour plaire au Créateur de l’univers, cet homme n’aurait pas eu de naissance miraculeuse, mais la plus illégitime et la plus honteuse de toutes les naissances ? Je le demande aux Grecs et en particulier à Celse qui, partageât-il ou non ses idées, en tout cas cite Platon : Celui qui fait descendre les âmes dans les corps des hommes va-t-il pousser à la naissance plus honteuse qu’aucune autre, sans même l’introduire dans la vie des hommes par un mariage légitime, l’être qui allait tant oser entreprendre, instruire tant de disciples, détourner du flot du vice une foule d’hommes ? N’est-il pas plus raisonnable que chaque âme, introduite dans un corps pour des raisons mystérieuses — je parle ici d’après la doctrine de Pythagore, Platon, Empédocle, dont Celse fait souvent mention —, soit ainsi introduite pour son mérite et son caractère antérieurs ? Il est donc probable que cette âme, plus utile par sa venue à la vie des hommes que celle d’un grand nombre, pour ne point paraître préjuger en disant de tous, ait eu besoin d’un corps qui, non seulement se distingue des corps humains, mais encore est supérieur à tous. LIVRE I
Admettons que telle âme, pour des motifs mystérieux, méritant d’habiter le corps non d’un être totalement dépourvu de raison, ni non plus d’un être purement raisonnable, revête un corps monstrueux où la raison ne peut s’épanouir dans l’être ainsi conformé, à la tête disproportionnée au reste du corps et bien trop petite ; admettons que telle autre reçoive un corps lui permettant d’être un peu plus raisonnable que la précédente, et une autre mieux encore, la nature du corps faisant plus ou moins obstacle à l’emprise de la raison : pourquoi n’y aurait-il pas aussi une âme qui recevrait un corps totalement miraculeux, avec quelque chose de commun aux hommes afin de pouvoir vivre parmi eux, mais aussi quelque chose d’exceptionnel afin de pouvoir demeurer exempte de péché ? Admettons qu’il y ait du vrai dans la doctrine des physiognomonistes Zopyros, Loxos, Polémon, et de tous ceux qui ont écrit sur le sujet, se targuant d’un savoir étonnant sur la parenté de chaque corps avec le caractère de son âme : dès lors à cette âme, destinée à vivre miraculeusement et à accomplir de grandes actions, il fallait un corps, non pas comme le croit Celse, né d’un adultère entre Panthère et la Vierge, car d’une union aussi impure aurait dû plutôt sortir un fou nuisible aux hommes, maître d’intempérance, d’injustice et des autres vices, et non pas de maîtrise de soi, de justice et des autres vertus. Mais, comme l’ont encore prédit les prophètes, il fallait un corps né d’une Vierge, enfantant, suivant l’annonce du signe, l’enfant dont le nom qualifierait l’oeuvre, montrant qu’à sa naissance Dieu serait avec les hommes. LIVRE I
Le Juif continue :” Comment pouvions-nous considérer comme Dieu celui qui, entre autres choses qu’on lui reprochait, n’exécuta rien de ce qu’il promettait; qui, quand nous l’eûmes convaincu, condamné, jugé digne du supplice, alors qu’il se cachait et cherchait la fuite la plus honteuse, fut pris, livré par ceux qu’il nommait ses disciples ? Pourtant il ne lui était pas possible, s’il était Dieu, ni de s’enfuir, ni de se laisser emmener enchaîné; et encore bien moins, s’il était considéré comme le Sauveur, le Fils et l’Envoyé du Dieu très grand, d’être abandonné et trahi par ses compagnons qui avaient partagé en tout point son intimité et le tenaient pour maître.” A quoi je répondrai : nous ne pensons pas non plus que le corps de Jésus, visible alors et perceptible aux sens, est Dieu. Et que dis-je, le corps ? Pas même l’âme, dont il est dit : « Mon âme est triste à en mourir. » Mais, selon la doctrine des Juifs, on croit que c’est Dieu, usant de l’âme et du corps du prophète comme d’un instrument, qui dit : « C’est moi, le Seigneur, Dieu de toute chair », et : « Avant moi aucun Dieu n’a existé, et il n’y en aura pas après moi. » Selon les Grecs, on tient que c’est un dieu qui parle et qu’on entend par l’entremise de la Pythie, et qui déclare : « Je sais le nombre des grains de sable et les dimensions de la mer, je comprends le sourd-muet, j’entends celui qui ne parle pas. » De la même manière selon nous, c’est le Logos Dieu et Fils du Dieu de l’univers qui, en Jésus, disait : « Je suis la voie, la vérité, la vie », « Je suis la porte », « Je suis le pain vivant descendu du ciel » et autres expressions semblables. LIVRE II
Nous reprochons donc aux Juifs de ne l’avoir pas tenu pour Dieu, alors que les prophètes ont souvent attesté qu’il est une grande puissance et un dieu au-dessous du Dieu et Père de l’univers. A lui, disons-nous, dans l’histoire de la création racontée par Moïse, le Père a donné l’ordre : « Que la lumière soit », « Que le firmament soit » et tout le reste dont Dieu a ordonné la venue à l’existence. A lui, il a été dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et le Logos, l’ordre reçu, a fait tout ce que le Père lui avait commande. Nous le disons en nous fondant non sur des conjectures, mais sur la foi aux prophéties reçues chez les Juifs, ou il est dit en propres termes de Dieu et des choses créées : « Il a dit et les choses furent, il a ordonné et elles furent créées. » Si donc Dieu donna l’ordre et les créatures furent faites, quel pourrait être, dans la perspective de l’esprit prophétique, celui qui fut capable d’accomplir le sublime commandement du Père, sinon Celui qui est, pour ainsi dire, Logos vivant et Vérité ? D’autre part, les Evangiles savent que celui qui dit en Jésus « Je suis la voie, la vérité, la vie » n’est pas circonscrit au point de n’exister en aucune manière hors de l’âme et du corps de Jésus. Cela ressort de nombreux passages dont nous citerons le peu que voici Jean-Baptiste, prophétisant que le Fils de Dieu allait bientôt paraître, sans se trouver seulement dans ce corps et cette âme mais présent partout, dit de lui « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Or s’il avait pensé que le Fils de Dieu est là seulement ou se trouvait le corps visible de Jésus, comment eut-il affirme : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » ? De plus, Jésus lui-même élevé l’intelligence de ses disciples à de plus hautes conceptions du Fils de Dieu, quand il dit : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et telle est la signification de sa promesse à ses disciples : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Lorsque nous disons cela, nous ne séparons point le Fils de Dieu de Jésus, car c’est un seul être, après l’incarnation, qu’ont formé avec le Logos de Dieu l’âme et le corps de Jésus. Si en effet, selon l’enseignement de Paul qui dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui », quiconque a compris ce que c’est qu’être uni au Seigneur et s’est uni à lui est un seul esprit avec le Seigneur, de quelle manière bien plus divine et plus sublime le composé dont nous parlions est-il un seul être avec le Logos de Dieu ! Il s’est, de fait, manifesté parmi les Juifs comme « la Puissance de Dieu », et cela par les miracles qu’il accomplit, n’en déplaise à ceux qui le soupçonnent comme Celse de mettre en oevre la sorcellerie, et comme les Juifs d’alors, instruits à je ne sais quelle source sur Béelzébul, de chasser les démons « par Béelzébul prince des démons ». Notre Sauveur les convainquit alors de l’extrême absurdité de leurs dires par le fait que le règne du mal n’avait pas encore pris fin. Ce sera évident à tous les lecteurs sensés du texte évangélique ; il est hors de propos de l’expliquer maintenant. LIVRE II
Ensuite qu’il ait été livré par ceux qu’il appelait ses disciples, le Juif de Celse l’a appris des Evangiles, bien qu’il désigne comme plusieurs disciples le seul Judas, afin de paraître corser l’accusation. Mais il n’a pas sérieusement examiné tout ce qui est écrit de Judas : Judas était tiraillé par des jugements opposés et contradictoires, il ne mit pas toute son âme à être hostile à Jésus, ni toute son âme à garder le respect d’un disciple envers son maître. Car, à la troupe venue pour s’emparer de Jésus, « le traître avait donné ce signe : Celui que je baiserai, c’est lui, arrêtez-le. » Il gardait un reste de respect envers son maître, sinon, il l’aurait livré ouvertement, sans baiser hypocrite. N’est-ce donc point suffisant pour persuader tout le monde que, dans sa détermination, Judas, avec l’avarice et la décision perverse de livrer son maître, avait dans son âme quelque chose de mêlé, suscité en lui par les paroles de Jésus, et qui ressemblait, pour ainsi dire, à un reste de bonté ? Car il est écrit « Alors Judas qui l’avait livré, voyant que Jésus avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les trente pièces d’argent aux grands-prêtres et aux anciens « J’ai péché, dit-il, en livrant un sang juste » Ceux-ci répondirent « Que nous importe ? A toi de voir ! » Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre “. Mais si Judas, qui était avare et volait ce qu’on jetait dans la bourse pour le compte des pauvres, « pris de remords, rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens », il est clair que les enseignements de Jésus avaient pu susciter en lui quelque remords, et que le traître ne les avait pas totalement méprisés et rejetés. Bien plus le « J’ai péché en livrant un sang innocent » était l’aveu public du péché commis. Vois donc la véhémence et l’excès du chagrin que lui donna le remords de ses péchés il ne pouvait plus supporter de vivre, mais, après avoir jeté les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. En se faisant justice, il montra combien avait eu de puissance l’enseignement de Jésus même dans un pécheur comme Judas, voleur et traître, incapable de mépriser totalement ce qu’il avait appris de Jésus. Les partisans de Celse diront-ils que ces preuves manifestes que l’apostasie de Judas ne fut pas totale, en dépit même de ce qu’il osa contre son maître, ne sont que des fictions, tandis que le seul fait avéré est la trahison d’un des disciples, et ajouteront-ils au récit qu’il l’a encore trahi de toute son âme ? Ce qui est sans force persuasive, c’est, à partir des mêmes textes, de tout faire en esprit de haine, soit donner sa créance, soit la refuser. LIVRE II
Puisque le récit de la résurrection est pour des incroyants un objet de raillerie, je citerai Platon Er, fils d’Armenios, raconte-t-il, après douze jours, s’est relevé de son bûcher et a raconté ses aventures chez Hades. Et, à l’adresse d’incroyants, le récit de la femme privée de respiration chez Heraclide ne sera pas non plus, ici, sans utilité. On raconte encore que beaucoup sont sortis de leurs tombeaux, non seulement le jour même, mais aussi le lendemain. Qu’y a-t-il donc d’étonnant que l’auteur de tant de prodiges à caractère surhumain, et si évidents que ceux qui ne peuvent en nier la réalité les déprécient en les assimilant à des actes de sorcellerie, ait eu jusque dans sa mort quelque chose d’extraordinaire, au point que son âme soit sortie librement de son corps, et après l’accomplissement de certains ministères hors de lui, y soit revenue quand elle l’a voulu ? Or il est écrit chez Jean que Jésus prononça cette parole : « Personne ne m’ôte la vie, mais c’est moi qui la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, et j’ai le pouvoir de la reprendre. » Et peut-être la raison de sa hâte à sortir de son corps était-elle de le conserver intact et d’éviter que ses jambes ne fussent brisées comme celles des brigands crucifiés avec lui : « Car les soldats brisèrent les jambes du premier, puis du second qui avaient été crucifiés avec lui, mais, arrivés à Jésus, et voyant qu’il avait expiré, ils ne lui brisèrent pas les jambes. » LIVRE II
Il accuse ensuite ” les chrétiens d’user de sophismes quand ils disent que le Fils de Dieu est son propre Logos “, et il croît renforcer son accusation en disant que ” tout en proclamant que le Logos est Fils de Dieu, nous présentons au lieu du Logos pur et saint, un homme ignominieusement battu de verges et conduit au supplice “. Sur ce point aussi on a déjà sommairement répondu aux accusations de Celse, en montrant que, premier-né de toute créature, il avait pris un corps et une âme d’homme, que Dieu avait prononcé un ordre sur la multitude des choses qui sont dans le monde, qu’elles avaient été créées, et que Celui qui avait reçu cet ordre était le Dieu Logos. Puisque c’est un Juif qui parle ainsi chez Celse, il sera fort à propos d’utiliser la citation « Il a envoyé son Logos et il les guérit, et il les a tirés de leurs corruptions » Je l’ai rappelée plus haut. Pour ma part, dans mes entretiens avec de nombreux Juifs renommés pour leur science, je n’en ai entendu aucun qui approuvât l’opinion que le Logos fût le Fils de Dieu, comme l’a dit Celse en l’attribuant au personnage du Juif à qui il fait dire ” Si vraiment le Logos est pour vous Fils de Dieu, nous aussi nous approuvons “. J’ai déjà dit que Jésus ne peut être ni arrogant ni charlatan. Aussi n’est-il pas nécessaire d’y revenir, pour éviter de répondre aux redites de Celse par mes propres redites. Mais dans ses critiques de la généalogie, il ne fait nulle mention des recherches existant même chez les chrétiens, ni des griefs que certains tirent de la discordance des généalogies. Celse en effet, cet arrogant véritable qui se vante de tout savoir du christianisme, ne sait pas élever un doute prudent sur l’Écriture. Il déclare ” Quelle présomption de rattacher la généalogie de Jésus au premier homme et aux rois des Juifs “. Et il se figure ajouter un trait d’esprit en disant ” La femme du charpentier, si elle avait été de race si illustre, ne l’eût pas ignore “. Qu’est-ce que cela vient faire dans la question ? Admettons qu’elle ne l’ait pas ignoré quel inconvénient en résulterait-il ? Qu’elle l’ait ignoré au contraire, comment, de ce qu’elle ignorait, conclure qu’elle ne descendait pas du premier homme et que sa race ne remontait point aux rois des Juifs ? Est-il nécessaire, au jugement de Celse, que les pauvres naissent d’ancêtres tous pauvres, ou que les rois naissent des rois ? S’attarder à cet argument me paraît vain, car il est clair que, même de notre temps, des gens plus pauvres que Marie sont issus d’ancêtres riches et glorieux, tandis que des rois et des chefs de nations sont nés de gens fort obscurs. LIVRE II
Mais comment n’est-ce pas un mensonge flagrant que l’assertion du Juif de Celse : ” De toute sa vie, n’ayant persuadé personne, pas même ses disciples, il fut châtié et endura ces souffrances ! ” Car d’où vient la haine excitée contre lui par les grands-prêtres, les anciens et les scribes, sinon de ce que les foules étaient persuadées de le suivre jusqu’aux déserts, conquises non seulement par la logique de ses discours, toujours adaptés à ses auditeurs, mais encore par ses miracles qui frappaient d’étonnement ceux qui ne croyaient pas à la logique de son discours ? Comment n’est-ce pas un mensonge flagrant de dire qu’il ne persuada pas même ses disciples. Ils ont bien ressenti alors une lâcheté tout humaine, car ils n’étaient pas encore d’un courage éprouvé, mais sans toutefois se départir de leur conviction qu’il était le Christ. Car Pierre, aussitôt après son reniement, eut conscience de la gravité de sa chute, et «sortant dehors, il pleura amèrement» » ; les autres, bien que frappés de découragement à son sujet, car ils l’admiraient encore, furent affermis par son apparition à croire qu’il était Fils de Dieu d’une foi encore plus vive et plus ferme qu’auparavant. Par un sentiment indigne d’un philosophe, Celse imagine que la supériorité de Jésus sur les hommes ne consistait pas dans sa doctrine du salut et la pureté de ses moers. Il aurait dû agir contrairement au caractère du rôle qu’il avait assumé : ayant assumé une nature mortelle, il aurait dû ne pas mourir ; ou il devait mourir, mais non d’une mort qui pût servir d’exemple aux hommes : car cet acte leur apprendrait à mourir pour la religion, et à en faire hardiment profession en face de ceux qui sont dans l’erreur en matière de piété et d’impiété et qui tiennent les gens pieux pour très impies, et pour très pieux ceux qui, fourvoyés dans leurs idées sur Dieu, appliquent à tout plutôt qu’à Dieu la juste notion qu’ils ont de lui ; et leur erreur est au comble quand ils massacrent avec fureur ceux qui, saisis par l’évidence de l’unique Dieu suprême, se sont consacrés de toute leur âme jusqu’à la mort. Celse met dans la bouche du Juif un autre reproche contre Jésus :” Il ne s’est pas montré pur de tout mal.” De quel mal Jésus ne s’est-il pas montré pur ? Que le lettré de Celse le dise ! S’il entend que Jésus ne s’est pas montré pur du mal au sens strict, qu’il fasse clairement la preuve d’un acte mauvais accompli par lui ! Si, au contraire, il entend par mal la pauvreté, la croix, la conspiration d’hommes insensés, il est évident qu’on peut dire que du mal est arrivé aussi à Socrate, qui n’a pas pu prouver qu’il était pur de ce mal. Mais qu’il est nombreux chez les Grecs le choer des philosophes qui furent pauvres et d’une pauvreté volontairement choisie ! La plupart des Grecs le connaissent par leurs histoires : Démocrite laissa son bien abandonné en pâturage aux brebis ; Cratès se libéra en gratifiant les Thébains de l’argent que lui avait procuré la vente de tout ce qu’il possédait ; de plus, Diogène, par exagération de pauvreté, vivait dans un tonneau, et nulle personne d’intelligence même modérée n’en conclut que Diogène vivait dans le mal. De plus, puisque Celse veut que ” Jésus n’ait pas même été irréprochable,” c’est à lui de montrer lequel de ceux qui ont adhéré à sa doctrine a rapporté de Jésus quoi que ce soit de vraiment répréhensible. Ou bien, si ce n’est pas d’après eux qu’il l’accuse d’être répréhensible, qu’il montre d’après quelle source il a pu dire qu’il n’était pas irréprochable. Jésus a tenu ses promesses en faisant du bien à ceux qui se sont attachés à lui. Et en voyant sans cesse accomplis les événements qu’il avait prédits avant qu’ils arrivent, l’Évangile prêché dans le monde entier, ses disciples partis annoncer sa doctrine à toutes les nations, en outre, leur procès devant gouverneurs et rois sans autre motif que son enseignement, nous sommes remplis d’admiration pour lui et nous fortifions chaque jour notre foi en lui. Mais je ne sais pas de quelles preuves plus fortes et plus évidentes Celse voudrait qu’il ait confirmé ses prédictions ; à moins peut-être qu’ignorant, à ce qu’il semble, que le Logos est devenu l’homme Jésus, il eût voulu qu’il n’éprouvât rien d’humain et ne devînt pas pour les hommes un noble exemple de la manière de supporter l’adversité. Mais peut-être celle-ci apparaît-elle à Celse lamentable et des plus répréhensibles, puisqu’il regarde la peine comme le plus grand des maux et le plaisir comme le bien parfait : ce qui n’est accepté par aucun des philosophes qui admettent la Providence, et qui conviennent que le courage est une vertu ainsi que l’endurance et la grandeur d’âme. Ainsi, par les souffrances qu’il a supportées, Jésus n’a pas discrédité la foi en sa personne, mais il l’a fortifiée plutôt dans ceux qui veulent admettre le courage, et dans ceux qui ont appris de lui que la vie heureuse au sens propre et véritable n’est point ici-bas, mais dans ce qu’il appelle « le siècle à venir », tandis que la vie dans « le siècle présent » est un malheur, la première et la plus grande lutte à mener par l’âme. LIVRE II
Après cela, il s’adresse à nous :” Vous n’irez pas prétendre que n’ayant pu persuader ceux d’ici-bas, il s’en est allé dans l’Hadès pour en persuader les habitants ? ” Or, qu’il le veuille ou non, nous affirmons ceci : déjà lorsqu’il était dans son corps, il a persuadé non pas un petit nombre mais un si grand nombre que la cause de la conspiration contre lui fut la multitude de gens persuadés. Et, son âme une fois dépouillée de son corps, il est allé s’entretenir avec des âmes dépouillées de leur corps, et il a converti à lui celles d’entre elles qui le voulaient ou qu’il voyait, pour des raisons connues de lui, mieux disposées. LIVRE II
Qu’on nous dise dès lors si un trait du texte de l’Évangile ou de l’Apôtre peut prêter au soupçon que la sorcellerie soit prédite dans ce passage ! Et quiconque le désire pourra extraire en outre de Daniel la prophétie sur l’Antéchrist. Mais Celse calomnie les paroles de Jésus : il n’a pas dit que d’autres se présenteraient, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers, comme Celse le lui fait dire. En effet, la puissance des incantations d’Egypte n’est point pareille à la grâce miraculeuse dont disposait Moïse : l’issue a manifesté que les actions des Egyptiens étaient des sorcelleries, et celles de Moïse des oevres divines. De la même façon, les actions des antéchrists et de ceux qui prétendent faire des miracles à l’égal des disciples de Jésus sont qualifiées de « signes et de prodiges mensongers, sévissant dans toutes les séductions du mal à l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition » ; celles du Christ et de ses disciples, au contraire, ont pour fruit non la séduction mais le salut des âmes. Qui donc peut raisonnablement soutenir que la vie vertueuse qui réduit chaque jour à un plus petit nombre les actions mauvaises provient d’une séduction ? Celse a deviné un trait de l’Écriture, quand il fait dire à Jésus qu’un certain Satan serait habile à contrefaire ces prodiges. Mais il ajoute une pétition de principe en affirmant que Jésus ne nie pas en eux tout caractère divin, mais qu’il y voit l’oevre de méchants. C’est renfermer dans une même catégorie des choses de catégorie différente. Comme le loup n’est pas de même espèce que le chien, malgré une ressemblance apparente dans la forme du corps et dans la voix, ni le pigeon ramier de même espèce que la colombe, ainsi une oevre de la puissance de Dieu n’a rien de pareil à ce qui provient de la sorcellerie. Autre réponse aux déloyautés de Celse : est-ce que des méchants démons feraient des miracles par sorcellerie, sans que la nature divine et bienheureuse en accomplisse aucun ? L’existence humaine est-elle accablée de maux, sans la moindre place pour les biens ? Or voici mon avis : dans la mesure où l’on doit admettre le principe général que là où l’on suppose un mal de même espèce que le bien, il existe nécessairement en face de lui un bien, de même aussi, en regard des actes exécutés par sorcellerie il en existe nécessairement qui sont dus à l’activité divine dans l’existence. En conséquence du même principe on peut ou supprimer les deux membres de l’affirmation et dire que ni l’un m l’autre ne se réalise, ou, posé l’un, ici le mal, reconnaître aussi le bien. Mais admettre les effets de la sorcellerie et nier les effets de la puissance divine équivaut, me semble-t-il, à soutenir qu’il y a des sophismes et des arguments plausibles éloignés de la vérité bien qu’ils feignent de l’établir, mais que la vérité et la dialectique étrangère aux sophismes n’ont aucun droit de cité parmi les hommes. Admet-on l’existence de la magie et de la sorcellerie exercée par les méchants démons, charmés par des incantations spéciales et dociles aux invitations des sorciers ? Il s’ensuit que doivent exister parmi les hommes les effets de la puissance divine. Alors pourquoi ne pas examiner soigneusement ceux qui prétendent faire des miracles et voir si leur vie, leurs moers, les résultats de ces miracles nuisent aux hommes ou redressent leurs moers ? Qui donc, au service des démons, obtient de tels effets au moyen de pratiques incantatoires et magiques. Qui au contraire, après s’être uni à Dieu, dans un lieu pur et saint, par son âme, son esprit et je croîs aussi par son corps, et avoir reçu un esprit divin, accomplit de tels actes pour faire du bien aux hommes et les exhorter à croire au vrai Dieu ? Admet-on la nécessité de chercher, sans tirer une conclusion précipitée des miracles, qui accomplit ces prodiges par un principe bon et qui, par un principe mauvais, de manière à éviter soit de tout déprécier, soit de tout admirer et accueillir comme divin ? Comment alors ne sera-t-il pas évident, d’après les événements du temps de Moïse et du temps de Jésus, puisque des nations entières se sont constituées à la suite de leurs miracles, que c’est par une puissance divine qu’ils ont accompli les oevres que la Bible atteste ? Car la méchanceté et la magie n’auraient pas constitué une nation entière qui a dépasse non seulement les idoles et les monuments construits par les hommes, mais encore toute nature créée, et qui s’élève jusqu’au principe incréé du Dieu de l’univers. LIVRE II
Bien plus, que ce miracle supérieur a tous se soit produit était dans la logique de tout ce qui avait été prophétise de lui, cet événement y compris, et accompli par lui, et subi par lui. Car le prophète avait fait cette prédiction attribuée à Jésus « Ma chair reposera dans l’espérance tu n’abandonneras pas mon âme aux Enfers, tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption » Et justement sa résurrection l’a mis dans un état intermédiaire entre l’épaisseur du corps avant la passion, et la condition ou une âme apparaît dépouillée d’un pareil corps. Aussi, lors de la réunion en un même lieu « de ses disciples et de Thomas avec eux, Jésus arrive, toutes portes closes, se place au milieu d’eux et dit. La paix soit avec vous ! Puis il dit a Thomas : “Avance ton doigt ici ” etc.. Et dans l’Évangile selon Luc, alors que Simon et Cléophas s’entretenaient l’un l’autre de tout ce qui venait de leur arriver, Jésus survint près d’eux, « et il fit route avec eux , mais leurs yeux étaient empêches de le reconnaître. Il leur dit quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? ». Et lorsque « leurs yeux s’ouvrirent et qu’ils le reconnurent », alors, l’Écriture le dit en propres termes, « lui, il avait disparu à leurs regards ». En dépit donc du désir de Celse d’assimiler a d’autres fantômes et à d’autres visionnaires les apparitions de Jésus et ceux qui l’ont vu après la résurrection, tout examen judicieux et prudent des événements fera éclater la supériorité du miracle. LIVRE II
Jésus, quoiqu’il fût un, était pour l’esprit multiple d’aspects, et ceux qui le regardaient ne le voyaient pas tous de la même manière. Cette multiplicité d’aspects ressort des paroles « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie », « Je suis le Pain », « Je suis la Porte » et autres sans nombre. Et la vue qu’il offrait n’était pas identique pour tous les spectateurs, mais dépendait de leur capacité. Ce sera clair si l’on examine la raison pour laquelle, devant se transfigurer sur la haute montagne, il prit avec lui, non pas tous les apôtres, mais seuls Pierre, Jacques et Jean, comme les seuls capables de contempler la gloire qu’il aurait alors, et aptes à percevoir Moïse et Élie apparus dans la gloire, à entendre leur conversation et la voix venue de la nuée céleste. Mais je crois que même avant de gravir la montagne, ou seuls les disciples s’approchèrent de lui et ou il leur enseigna la doctrine des béatitudes, lorsqu’au pied de la montagne, « le soir venu », il guérit ceux qui s’approchaient de lui, les délivrant de toute maladie et de toute infirmité, il n’apparaissait pas identique aux malades implorant leur guérison et à ceux qui ont pu, grâce à leur santé, gravir avec lui la montagne. Bien plus, il a explique en particulier à ses propres disciples les paraboles dites avec un sens cache aux foules de l’extérieur et de même que ceux qui entendaient l’explication des paraboles avaient une plus grande capacité d’entendre que ceux qui entendaient les paraboles sans explication, ainsi en était-il des capacités de vision, certainement de leur âme, mais je croîs aussi de leur corps. Autre preuve qu’il n’apparaissait pas toujours identique, Judas qui allait le trahir dit aux foules qui s’avançaient vers lui comme si elles ne le connaissaient pas « Celui que je baiserai, c’est lui ». C’est aussi, je pense, ce que veut montrer le Sauveur lui-même dans la parole « Chaque jour j’étais assis parmi vous dans le temple à enseigner et vous ne m’avez pas arrêté ». Dés lors, comme nous élevons Jésus si haut, non seulement dans sa divinité intérieure et cachée à la foule, mais aussi dans son corps, transfiguré quand il voulait pour ceux qu’il voulait, nous affirmons avant qu’il eût dépouillé les Principautés et les Puissances » et « fût mort au péché », tous avaient la capacité de le regarder, mais quand il eut dépouillé les Principautés et les Puissances et ne posséda plus ce qui pouvait être visible de la foule, tous ceux qui le virent auparavant ne pouvaient plus le regarder. C’est donc pour les ménager qu’il ne se montrait point à tous après sa résurrection d’entre les morts. Mais pourquoi dire à tous ? Aux apôtres eux-mêmes et aux disciples, il n’était pas sans cesse présent et sans cesse visible, parce qu’ils étaient incapables de soutenir sa contemplation sans relâche. Sa divinité était plus resplendissante après qu’il eut mené a terme l’oevre de l’Économie. Céphas, qui est Pierre, en tant que « prémices » des apôtres, put la voir, et après lui, les Douze, Matthias ayant été choisi a la place de Judas. Apres eux, il apparut à « cinq cents frères a la fois, puis à Jacques, puis à tous les apôtres » hormis les Douze, peut-être les soixante-dix , et, « dernier de tous », à Paul, comme à l’avorton, qui savait dans quel sens il disait : « A moi, le plus petit de tous les saints a été donnée cette grâce », et sans doute que « le plus petit » et « l’avorton » sont synonymes. Aussi bien on ne pourrait faire un grief raisonnable à Jésus de n’avoir point conduit avec lui sur la haute montagne tous les apôtres, mais les trois seuls nommés précédemment, lorsqu’il allait se transfigurer et montrer la splendeur de ses vêtements et la gloire de Moïse et d’Élie en conversation avec lui , on ne saurait non plus adresser des critiques fondées aux paroles des apôtres, de présenter Jésus après sa résurrection apparaissant non point à tous, mais à ceux dont il savait les yeux capables de voir sa résurrection. LIVRE II
Aussi ne cesserons-nous pas de croire en Dieu selon les règles données par Jésus et de chercher la conversion de ceux qui sont aveugles au point de vue religieux. Les aveugles véritables peuvent nous blâmer d’être aveugles, et ceux, Juifs et Grecs, qui séduisent leurs adeptes, nous reprocher à nous aussi de séduire les hommes. Belle séduction, en vérité, que de conduire de la licence à la tempérance, ou du moins au progrès vers la tempérance ; de l’injustice à la justice ou au progrès vers la justice, de la folie à la sagesse, ou sur le chemin de la sagesse ; de la timidité, du manque de caractère, de la lâcheté, au courage et à la persévérance exercée principalement dans les luttes pour garder la piété envers Dieu créateur de l’univers ! Jésus-Christ est donc venu, après avoir été prédit non par un seul prophète, mais par tous. Et c’est une nouvelle preuve de l’ignorance de Celse que de faire dire au personnage du Juif qu’un seul prophète a prédit le Christ. Le Juif mis en scène par Celse, et qui prétend parler au nom de sa propre loi, achève ici son argumentation, sans rien dire d’autre qui mérite d’être mentionné. Je terminerai donc, moi aussi, le second livre que j’ai composé contre son traité. Avec l’aide de Dieu, et par la puissance du Christ habitant dans notre âme, je m’appliquerai à répondre, dans un troisième livre, à ce que Celse a écrit dans la suite. LIVRE II
Disons donc à ceux qui refusent de les considérer comme dieux : est-ce qu’ils n’existent plus du tout et, selon la pensée de certains sur la destruction immédiate de l’âme humaine, leur âme aussi est-elle détruite ? Ou bien, suivant l’opinion de ceux qui affirment sa survivance ou son immortalité, survivent-ils en fait, immortels, non comme des dieux mais comme des héros ? Ou sans être même des héros, sont-ils simplement des âmes ? Or, si vous pensez qu’ils ne sont plus, il nous faudra établir la doctrine de l’âme, qui est de première importance. Mais s’ils existent, il n’en faut pas moins démontrer la doctrine de l’immortalité, non seulement par ce que les Grecs en ont fort bien dit, mais aussi d’après le contenu des enseignements divins. Je montrerai qu’il est impossible que ces hommes soient parvenus au rang des dieux et se soient trouvés, après leur départ d’ici-bas, dans un lieu et une condition supérieurs, en rapportant à leur sujet les histoires où sont décrits la licence effrénée d’Héraclès et son esclavage efféminé auprès d’Omphale, et la manière dont Asclépios aurait été foudroyé par leur Zeus. Sur les Dioscures, on citera les vers : « Tantôt ils vivent, un jour sur deux, et tantôt ils sont morts : ils ont le même honneur que les dieux », eux qui meurent incessamment. Comment donc est-il possible de tenir raisonnablement l’un d’entre eux pour un dieu ou un héros ? LIVRE III
Jésus lui-même et ses disciples voulaient en effet que leurs adhérents ne croient pas seulement à sa divinité et à ses miracles comme s’il n’avait point participé à la nature humaine et pris cette chair qui chez les hommes convoite « contre l’esprit ». Mais ils voyaient en outre que la puissance qui est descendue jusqu’à la nature humaine et aux vicissitudes humaines, et a pris une âme et un corps d’homme, contribuerait, parce qu’elle est objet de foi, en même temps que les réalités divines, au salut des croyants. Ceux-ci voient qu’avec Jésus la nature divine et la nature humaine ont commencé à s’entrelacer, afin que la nature humaine, par la participation à la divinité, soit divinisée, non dans Jésus seul mais encore en tous ceux qui, avec la foi, adoptent le genre de vie que Jésus a enseigné et qui élève à l’amitié pour Dieu et à la communion avec lui quiconque vit suivant les préceptes de Jésus. LIVRE III
Apollon, donc, d’après Celse, et assemblées voulait que les Métapontins placent Aristéas au rang des dieux. Mais les Métapontins jugèrent que l’évidence qu’Aristéas était un homme, et peut-être sans vertu, l’emportait sur l’oracle qui le proclamait dieu ou digne des honneurs divins ; aussi refusèrent-ils d’obéir à Apollon, et ainsi personne ne considère Aristéas comme dieu. Mais de Jésus voici ce qu’on peut dire : il était utile au genre humain de le recevoir comme Fils de Dieu, Dieu même venu dans une âme et un corps d’homme ; mais cela paraissait dommageable à la gourmandise des démons qui aiment les corps et à ceux qui les tiennent pour des dieux ; c’est pourquoi les démons terrestres, considérés comme dieux par ceux qui en ignorent la nature, aussi bien que leurs serviteurs ont voulu empêcher l’enseignement de Jésus de se répandre, car ils voyaient que cesseraient les libations et le fumet de graisses dont ils sont friands, si l’enseignement de Jésus prévalait. Mais Dieu qui avait envoyé Jésus déjoua toute la conspiration des démons. Il fit triompher l’Évangile de Jésus dans le monde entier pour la conversion et la réforme des hommes, il constitua partout des églises en opposition aux assemblées de gens superstitieux, désordonnés, injustes : car telles sont les multitudes qui partout constituent les assemblées politiques des citoyens. Et les églises de Dieu, instruites par le Christ, si on les compare aux assemblées du peuple avec qui elles voisinent, sont « comme des flambeaux dans le monde ». Qui donc refuserait d’admettre que même les membres les moins bons de ces églises, inférieurs, en comparaison des parfaits, sont bien supérieurs aux membres de ces assemblées politiques ? LIVRE III
Puisque Celse rappelle ensuite l’histoire du héros de Clazomène et y ajoute : Ne raconte-t-on pas que son âme s’échappait fréquemment de son corps pour errer ça et là incorporelle ? Et pourtant les hommes ne le considérèrent pas comme dieu, je répliquerai : il se peut que des démons pervers se soient arrangés pour que ces merveilles fussent écrites – car je ne pense pas qu’ils soient parvenus à les réaliser -, afin que les prophéties sur Jésus et ses enseignements fussent ou bien attaqués comme fictions du même genre que celles-là, ou bien que, n’ayant rien de plus que les autres, elles n’excitent aucune admiration. Or, mon Jésus disait à propos de la séparation entre son âme et son corps, non par une nécessité humaine, mais en vertu du pouvoir miraculeux qui lui avait été donné à cet effet : « Personne ne m’enlève mon âme, mais je la livre de moi-même. J’ai le pouvoir de la livrer, et le pouvoir de la reprendre. » Et puisqu’il avait le pouvoir de la livrer, il l’a livrée lorsqu’il a dit : « Mon Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? », et que, « poussant un grand cri, il rendit l’esprit », devançant ainsi les bourreaux chargés du supplice qui brisaient les jambes des crucifiés, afin que le châtiment ne les fît pas souffrir trop longtemps. Mais il reprit « son âme » lorsqu’il se manifesta à ses disciples, selon la prédiction faite en leur présence aux Juifs incrédules : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » Mais « il parlait du temple de son corps », car les prophètes l’avaient annoncé par avance dans ce passage entre bien d’autres : « Bien plus, ma chair reposera dans l’espérance, car tu n’abandonneras pas mon âme à l’Hadès, tu ne permettras pas que ton Saint voie la corruption. » LIVRE III
La foi en Antinoos ou l’un de est, si j’ose dire, due à la malchance. La foi en Jésus, elle, paraît soit due à la chance, soit la conclusion d’une étude sérieuse. Elle est due à la chance pour la multitude, elle est la conclusion d’une étude sérieuse pour le tout petit nombre. En disant qu’une foi est, à parler vulgairement, due à la chance, je n’en rapporte pas moins la raison à Dieu qui sait les causes du sort assigné à tous ceux qui viennent à l’existence humaine. D’ailleurs les Grecs diront que même pour ceux qu’on tient pour les plus sages, c’est à la chance qu’ils doivent le plus souvent par exemple d’avoir eu tels maîtres et rencontré les meilleurs, quand d’autres enseignaient les doctrines opposées, et d’avoir reçu leur éducation parmi l’élite. Car beaucoup ont leur éducation dans un tel milieu qu’il ne leur est pas même donné de recevoir une représentation des biens véritables, mais ils restent dès leur prime enfance avec les mignons d’hommes ou de maîtres licencieux, ou dans une autre condition misérable qui empêche leur âme de regarder vers le haut. Il est certes probable que la Providence a ses raisons pour permettre ces inégalités et il n’est guère facile de les mettre à la portée du commun. Voilà ce que j’ai cru devoir répondre dans l’intervalle en digression au reproche : Telle est la puissance de la foi qu’elle préjuge n’importe quoi. Il fallait, en effet, souligner que la différence d’éducation explique la diversité de la foi chez les hommes : leur foi est due à la chance ou à la malchance ; et conclure de là qu’il peut sembler que même pour les gens à l’esprit vif, ce qu’on nomme la chance et ce qu’on appelle la malchance contribuent à les faire paraître plus raisonnables et à leur faire donner aux doctrines une adhésion d’ordinaire plus raisonnable. Mais en voilà assez sur ce point. Il faut considérer les paroles suivantes où Celse dit que notre foi, s’emparant de notre âme, crée une telle adhésion à Jésus. Il est bien vrai que notre foi crée une telle adhésion. Mais vois si cette foi ne s’avère pas louable quand nous nous confions au Dieu suprême, en exprimant notre reconnaissance à Celui qui nous a conduits à une telle foi, en affirmant que ce n’est pas sans l’aide de Dieu qu’il a osé et accompli une telle entreprise. Nous croyons aussi à la sincérité des Evangélistes, que nous devinons à la piété et à la conscience manifestées dans leurs écrits, où il n’est trace d’inauthenticité, de tromperie, de fiction ou d’imposture. Car nous en avons l’assurance : des âmes qui n’ont point appris les procédés enseignés chez les Grecs par la sophistique artificieuse, fort spécieuse et subtile, et l’art oratoire en usage aux tribunaux, n’auraient pas été capables d’inventer des histoires pouvant d’elles-mêmes conduire à la foi et à la vie conforme à cette foi. Je pense aussi que Jésus a voulu avoir de tels hommes comme maîtres de doctrine pour ne pas donner lieu d’y soupçonner de spécieux sophismes1, mais faire éclater aux yeux des gens capables de comprendre que la sincérité d’intention des écrivains unie, pour ainsi dire, à tant de simplicité, avait mérité une vertu divine bien plus efficace que ne semblent pouvoir être l’abondance oratoire, la composition des périodes, la fidélité aux divisions et aux règles de l’art grec. LIVRE III
Or, si cette conduite ne leur vaut pas de blâme, voyons si, plus et mieux que ces philosophes, les chrétiens n’exhortent pas les foules à la parfaite honnêteté. Les philosophes qui ont des entretiens publics ne divisent pas les auditeurs en classes : le premier venu s’arrête et écoute. Les chrétiens, autant qu’il leur est possible, commencent par éprouver les âmes de ceux qui veulent être leurs auditeurs, et par les former en particulier. Lorsque les auditeurs, avant l’entrée dans la communauté, semblent en progrès suffisant dans la volonté de vivre vertueusement, alors ils les introduisent. Ils font à part un groupe des commençants qu’on vient d’initier et qui n’ont pas encore reçu le symbole de la purification ; puis un autre, de ceux qui ont fourni les meilleures preuves de leur décision de ne vouloir rien d’autre que ce qui est approuvé des chrétiens. Parmi eux, certains ont la charge d’enquêter sur la vie et la conduite des candidats, pour interdire l’accès de leur assemblée commune aux gens coupables de fautes secrètes, mais d’accueillir les autres de toute leur âme et les rendre meilleurs chaque jour. Et voici leur conduite à l’égard des pécheurs, surtout des impudiques : ils les chassent de leur communauté, eux qui, d’après Celse, ressembleraient à ceux qui divulguent leurs secrets sur les places publiques ! La vénérable école pythagoricienne, les considérant comme des morts, élevait des cénotaphes aux apostats de sa philosophie. Les chrétiens, eux, pleurent comme des défunts, parce que perdus et morts à Dieu, ceux qui se sont laissé vaincre par la luxure ou un autre désordre. Quand ils manifestent une conversion sérieuse, au bout d’un temps plus long que lors de leur première initiation, ils les admettent de nouveau comme ressuscites d’entre les morts ; mais on ne nomme à aucune charge ni présidence de l’« Église de Dieu » ceux qui sont tombés après leur accession au christianisme. LIVRE III
Comme nous enseignons : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, et n’habitera pas dans un corps tributaire du péché », nous disons aussi : « Quiconque a les mains pures » et, pour cette raison, élève vers Dieu « des mains innocentes », et parce qu’offrant des sacrifices sublimes et célestes, peut dire : « L’élévation de mes mains est un sacrifice du soir » : qu’il vienne à nous ! Quiconque a la langue avisée, parce qu’il médite « jour et nuit » la loi du Seigneur, et que « ses facultés ont été formées par la pratique au discernement du bien et du mal », qu’il ne craigne pas d’en venir aux solides nourritures spirituelles qui conviennent aux athlètes de la piété et de toutes les vertus. Et comme « la grâce de Dieu est avec tous ceux qui aiment d’un amour incorruptible » le Maître qui enseigne l’immortalité, quiconque a les mains pures, non seulement de toute souillure, mais encore des fautes regardées comme plus légères, qu’il se fasse hardiment initier aux mystères de la religion de Jésus, qui ne sont raisonnablement transmis qu’aux saints et aux purs. Le myste de Celse peut dire : Que celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal vienne ; mais celui qui, selon Jésus, conduit les initiés à Dieu, dira à ceux dont l’âme est purifiée : Celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal depuis longtemps, et surtout depuis qu’il est venu se faire guérir par le Logos, que celui-là entende aussi ce que Jésus a découvert en particulier à ses véritables disciples. Ainsi donc, dans le contraste qu’il établit entre l’initiation des Grecs et celle que donnent les maîtres de la doctrine de Jésus, Celse n’a pas vu la différence entre l’appel des méchants à la guérison de leurs âmes et l’appel des hommes déjà très purs à de plus profonds mystères. LIVRE III
Ce n’est donc pas aux mystères et à la participation de la sagesse « mystérieuse et demeurée cachée que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour la gloire » de ses justes, que nous appelons l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux, ni tous les autres que par amplification peut y joindre Celse ; mais, c’est à la guérison. Il y a dans la divinité du Logos des aspects qui aident à guérir les malades dont il parle : « Les bien portants n’ont pas besoin de médecins, mais les malades » ; il y en a d’autres qui découvrent à ceux qui sont purs de corps et d’esprit « la révélation du mystère, enveloppé de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifesté tant par les écrits des prophètes que par l’apparition de Notre Seigneur Jésus-Christ » qui se manifeste à chacun des parfaits, illuminant leur esprit pour une connaissance véridique des réalités. Mais, comme, amplifiant ses griefs contre nous, il termine son énumération de vauriens par ce trait : « Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? », je répliquerai : un brigand appelle bien de tels individus pour utiliser leur perversité contre les hommes qu’il veut tuer et dépouiller ; mais le chrétien, en appelant les mêmes individus que le brigand, leur lance un appel différent, pour bander leurs blessures par le Logos, et verse dans l’âme enflammée de maux les remèdes du Logos qui, comme le vin, l’huile, le lait, et les autres médicaments, soulagent l’âme. Il calomnie ensuite nos exhortations orales ou écrites à ceux qui ont mal vécu, les appelant à se convertir et à réformer leur âme, et il assure que nous disons : Dieu a été envoyé aux pécheurs. C’est à peu près comme s’il reprochait à certains de dire : c’est pour les malades habitant dans la ville qu’un médecin y a été envoyé par un roi plein d’humanité. Or « le Dieu Logos a été envoyé », médecin « aux pécheurs », maître des divins mystères à ceux qui, déjà purs, ne pèchent plus. Mais Celse, incapable de faire la distinction – car il n’a pas voulu approfondir -, objecte : Pourquoi n’a-t-il pas été envoyé à ceux qui sont sans péché ? Quel mal y a-t-il à être sans péché ? A quoi je réplique : si par ceux qui sont sans péché il veut dire ceux qui ne pèchent plus, notre Sauveur Jésus leur a été envoyé à eux aussi, mais non comme un médecin ; mais si par ceux qui sont sans péché il entend ceux qui n’ont jamais péché – car il n’y a pas de distinction dans son texte -, je dirai qu’il est impossible qu’il y ait dans ce sens un homme sans péché, à l’exception de l’homme que l’esprit discerne en Jésus, « qui n’a pas commis de péché ». Méchamment donc, Celse nous attribue l’affirmation : Que l’injuste s’humilie dans le sentiment de sa misère, Dieu l’accueillera ; mais que le juste dans sa vertu originelle lève les yeux vers lui, il refusera de l’accueillir. Nous soutenons en effet qu’il est impossible qu’un homme dans sa vertu originelle lève les regards vers Dieu. Car la malice existe nécessairement d’abord dans l’homme, comme le dit Paul : « Le précepte est venu, le péché a pris vie, et moi, je suis mort. » De plus, nous n’enseignons pas qu’il suffise à l’injuste de s’humilier dans le sentiment de sa misère pour être accueilli par Dieu, mais que s’il se condamne lui-même pour ses actes antérieurs, et s’il s’avance humble pour le passé, rangé pour l’avenir, Dieu l’accueillera. LIVRE III
J’en viens à un quatrième livre contre les objections qui suivent, après avoir prié Dieu par le Christ. Puissent m’être données de ces paroles dont il est écrit dans Jérémie, quand le Seigneur parlait au prophète : « Voici que j’ai mis dans ta bouche mes paroles comme un feu, voici que je t’ai établi en ce jour sur les nations et les royaumes, pour déraciner et pour détruire, pour perdre et pour abattre, pour bâtir et pour planter. » J’ai besoin désormais de paroles capables de déraciner les idées contraires à la vérité de toute âme trompée par le traité de Celse ou par des pensées semblables aux siennes. J’ai aussi besoin d’idées qui renversent les édifices de toute opinion fausse et les prétentions de l’édifice de Celse dans son traité, pareilles à la construction de ceux qui disent : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel. » J’ai encore besoin d’une sagesse qui abatte toutes les puissances altières qui s’élèvent « contre la connaissance de Dieu », et la puissance altière de la jactance de Celse qui s’élève contre nous. Et puisque je ne dois pas me borner à déraciner et à détruire toutes ces erreurs, mais, à la place de ce qui est déraciné, planter la plantation du champ de Dieu, à la place de ce qui est détruit, construire l’édifice de Dieu et le temple de la gloire de Dieu, voilà autant de raisons pour lesquelles je dois prier le Seigneur, dispensateur des dons mentionnés dans Jérémie, de me donner à moi aussi des paroles efficaces pour bâtir l’édifice du Christ et planter la loi spirituelle et les paroles des prophètes qui s’y rapportent. Il me faut surtout établir, contre les objections actuelles de Celse faisant suite aux précédentes, que l’avènement du Christ a bel et bien été prédit. En effet, il se dresse à la fois contre les Juifs et les chrétiens : les Juifs qui refusent que la venue du Christ soit déjà réalisée mais espèrent qu’elle aura lieu, et les chrétiens qui professent que Jésus est le Christ prédit, et il affirme : Voici la prétention de certains chrétiens et des Juifs : un Dieu ou Fils de Dieu, selon les uns est descendu, selon les autres descendra sur la terre pour en juger les habitants : propos si honteux qu’il n’est pas besoin d’un long discours pour le réfuter. Il semble bien parler avec exactitude quand il dit, non pas certains Juifs, mais tous les Juifs croient que quelqu’un descendra sur la terre, tandis que certains chrétiens seulement disent qu’il est descendu. Il veut indiquer ceux qui établissent par les Écritures juives que la venue du Christ a déjà eu lieu, et il paraît connaître l’existence de sectes qui nient que le Christ Jésus soit la personne prophétisée. Or j’ai déjà établi plus haut de mon mieux que le Christ avait été prophétisé ; aussi ne reviendrai-je pas sur les nombreuses preuves qui pourraient être fournies sur ce point, afin d’éviter les redites. Vois donc que s’il avait voulu, avec une logique au moins apparente, renverser la foi aux prophéties ou à l’avènement futur ou passé du Christ, il devait citer les prophéties mêmes auxquelles, chrétiens ou Juifs, nous avons recours dans nos débats. Ainsi il eût, du moins en apparence, détourné ceux qui sont attirés, à l’en croire, par leur caractère spécieux, de l’adhésion aux prophéties et de la foi, fondée sur elles, en Jésus comme au Christ. LIVRE IV
Mais s’il faut dire que des choses changent par la présence de la puissance de Dieu, et par la venue du Logos vers les hommes, nous dirons sans hésiter que c’est changer de la perversité à la vertu, de la licence à la tempérance, de la superstition à la piété que d’ouvrir son âme à la venue du Logos de Dieu. LIVRE IV
Mais l’être descendu vers les hommes existait auparavant « en forme de Dieu », et c’est par amour pour les hommes qu’« il s’est anéanti », afin de pouvoir être reçu par les hommes. Non point certes qu’il ait subi un changement du bien au mal, car « il n’a pas fait de péché », ni de la beauté à la laideur, car « il n’a pas connu de péché » ; et il n’est pas venu de la félicité à l’infortune, mais « il s’est humilié lui-même » et n’en était pas moins heureux même lorsque pour le bienfait de notre race il s’humiliait lui-même. De plus, il ne subit pas de changement de l’état le meilleur au pire, car en quel sens la bonté et l’amour pour l’homme seraient-elles ce qu’il y a de pire ? Autant dire alors qu’à voir des horreurs et à toucher des choses répugnantes afin de guérir les malades, le médecin va du bien au mal, de la beauté à la laideur, de la félicité à l’infortune. Et encore le médecin qui voit des horreurs et touche des choses répugnantes n’évite-t-il pas absolument la possibilité de contracter le même mal. Mais celui qui guérit les blessures de nos âmes par le Logos de Dieu présent en lui était lui-même hors d’atteinte de tout mal. Même si, en prenant un corps mortel et une âme d’homme, le Logos, Dieu immortel, paraît à Celse se changer et se transformer, qu’il apprenne que le Logos, qui reste Logos par son essence, ne souffre rien des souffrances du corps ou de l’âme. Mais il condescend parfois à la faiblesse de celui qui ne peut voir l’éclat et la splendeur de sa divinité et il se fait pour ainsi dire « chair », est exprimé corporellement, permettant à celui qui l’a reçu sous cette forme, rapidement élevé par le Logos, de pouvoir contempler aussi, pour ainsi dire, sa forme principale. LIVRE IV
En l’âme de Jésus, si l’on suppose un changement à sa venue dans un corps, nous demanderons ce qu’on veut dire par là. Est-ce un changement de l’essence? On ne l’accorde pas de cette âme, ni même d’une autre âme raisonnable. Veut-on la dire affectée par le corps auquel elle est mélangée et par le lieu où elle est venue ? En quoi cela répugne-t-il au Logos qui dans son immense amour pour les hommes fait descendre un Sauveur au genre humain? Aucun de ceux qui auparavant avaient promis de le guérir n’avait pu faire tout ce dont cette âme a fait preuve même en descendant librement à la condition mortelle des hommes pour le salut de notre race. Telle est la pensée du divin Logos exprimée en maints passages des Écritures ; il suffit pour l’instant de citer un seul passage de Paul : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus : Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclaves. » « S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom. » LIVRE IV
Cela soit dit pour notre défense contre d’autres griefs. Il n’est donc pas inconvenant que celui qui guérit ses amis malades guérisse le genre humain qui lui est cher par des moyens dont on n’userait pas en principe, mais qu’on emploie par suite des circonstances. Et le genre humain, atteint de folie, devait être guéri par les moyens que le Logos voyait utiles pour ramener les fous au bon sens. Celse convient encore que l’on recourt à de tels remèdes à l’égard d’ennemis dans l’intention d’esquiver un danger. Mais Dieu ne redoute personne au point de tromper ses adversaires pour se soustraire au danger. Il serait tout à fait superflu et déraisonnable de répondre à une objection que personne n’a faite contre notre Sauveur. En réponse à d’autres difficultés il a été pourvu à celle-ci : « Nul, s’il est malade ou atteint de folie, n’est ami de Dieu. » La réponse était que cette disposition ne visait pas des gens qui, malades ou fous, fussent déjà amis, mais ceux qui, à cause de la maladie de leur âme et du dérangement de leur raison naturelle, étaient encore ennemis, pour qu’ils deviennent amis de Dieu. Et, en effet, il est clairement dit que Jésus a tout supporté pour les pécheurs, afin de les délivrer de leurs péchés et de les rendre justes». LIVRE IV
Puis, vois la méchanceté de Celse dans ce qui suit. Notre Écriture dit, en effet, de la formation de l’homme : « Et il souffla sur son visage le souffle de vie, et l’homme devint une âme vivante. » Mais lui, dans le désir de railler méchamment, sans avoir compris le sens de l’expression : « Il souffla sur son visage un souffle de vie », a écrit : Ils ont composé l’histoire d’un homme modelé par les mains de Dieu et recevant son souffle, afin que le terme « souffler », qui s’emploie aussi en parlant des outres qu’on gonfle, fasse rire de la parole : « Il souffla sur son visage un souffle de vie » ; mais l’expression, dite dans un sens figuré, demande une explication qui montre que Dieu a fait don à l’homme de l’esprit incorruptible, dont il est dit : « Ton esprit incorruptible est en tous. » LIVRE IV
Mais il est déraisonnable de ne point rire de la première histoire comme d’un mythe, d’en admirer au contraire le sens philosophique sous le voile du mythe, et pour la seconde, en n’appliquant son esprit qu’à la lettre seule, de railler et de penser qu’elle est sans raison. Car s’il fallait, d’après la simple lettre, mettre en cause la signification allégorique, vois si les vers d’Hésiode, auteur que tu dis inspiré, ne vont pas davantage encourir la raillerie. Voici ce qu’il a écrit : « Et courroucé, Zeus qui assemble les nuées lui dit : ” Fils de Japet, qui en sais plus long que tous les autres, puisses-tu rire d’avoir volé le feu et trompé mon âme, pour ton plus grand malheur, à toi, comme aux hommes à naître ! Moi, en place de feu, je leur ferai présent d’un mal, en qui tous, au fond du coeur, se complairont à entourer d’amour leur propre malheur.” Il dit et exécute le père des dieux et des hommes ; il commande à l’illustre Héphaistos de tremper d’eau un peu de terre sans tarder, d’y mettre la voix et les forces d’un être humain et d’en former, à l’image des déesses immortelles, un beau corps aimable de vierge ; Athénée lui apprendra ses travaux, le métier qui tisse mille couleurs ; Aphrodite d’or sur son front répandra la grâce, le douloureux désir, les soucis qui brisent les membres, tandis qu’un esprit impudent, un coeur artificieux seront, sur l’ordre de Zeus, mis en elle par Hermès, le Messager, tueur d’Argos. Il dit, et tous obéissent au seigneur Zeus, fils de Cronos. En hâte, l’illustre Boiteux modèle dans la terre la forme d’une chaste vierge, selon le vouloir du Cronide. La déesse aux yeux pers, Athéné, la pare et lui noue sa ceinture. Autour de son cou les Grâces divines, l’auguste Persuasion mettent des colliers d’or ; tout autour d’elle les Heures aux beaux cheveux disposent en guirlandes des fleurs printanières. Pallas Athéné ajuste sur son corps toute sa parure. Et dans son sein, le Messager, tueur d’Argos, crée mensonges, mots trompeurs, coeur artificieux, ainsi que le veut Zeus aux lourds grondements. Puis, héraut des dieux, il met en elle la parole, et à cette femme il donne le nom de Pandore, parce que ce sont tous les habitants de l’Olympe qui, avec ce présent, font présent du malheur aux hommes qui mangent le pain. » LIVRE IV
Voici ce qui me reste à dire contre l’affirmation de Celse que l’âme est oeuvre de Dieu, mais qu’autre est la nature du corps. Il a lancé une doctrine de cette importance sans preuve, bien plus sans définir ses termes, sans avoir clairement indiqué si toute âme est oeuvre de Dieu, ou seule l’âme raisonnable. Je lui dirai donc : si toute âme est oeuvre de Dieu, évidemment celle des animaux sans raison, même les plus vils, l’est aussi, de façon que chaque corps ait une nature autre que celle de l’âme. En vérité, quand il dit plus loin que les animaux sans raison sont plus aimés de Dieu que nous, et ont de la divinité une notion plus pure, il a semblé établir que ce n’est pas seulement celle des hommes qui est oeuvre de Dieu, mais davantage encore l’âme des animaux sans raison ; c’est la conséquence de son propos qu’ils sont plus aimés de Dieu que nous. Et si seule l’âme raisonnable est l’oeuvre de Dieu, d’abord, il ne l’a pas dit clairement, ensuite, de sa manière confuse de parler de l’âme, d’après laquelle non pas toute âme, mais seule l’âme raisonnable serait oeuvre de Dieu, il résulte que pour tous les corps non plus la nature ne saurait être autre. Et si la nature de tous les corps ne peut être autre, et si chaque animal a un corps correspondant a son âme, il est clair que le corps dont l’âme est l’oeuvre de Dieu, l’emporte sur le corps où habite une âme qui n’est pas oeuvre de Dieu. Aussi est-ce un mensonge de dire qu’il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille, et le corps d’un homme. LIVRE IV
En effet, il serait absurde de croire que des pierres ou des édifices sont plus ou moins purs que d’autres pierres ou d’autres édifices, parce qu’ils ont été construits pour l’honneur de Dieu ou pour recevoir des corps sans honneur et maudits, mais que des corps ne différeraient pas d’autres corps selon qu’ils sont habités par des êtres raisonnables ou des êtres sans raison, et par les plus vertueux des êtres raisonnables ou les pires des hommes. Voilà pourtant la raison qui a poussé certains à prétendre diviniser les corps des gens supérieurs, pour avoir reçu une âme vertueuse, et à rejeter et déshonorer ceux des scélérats. Non que cette pratique soit parfaitement saine, mais elle dérive d’une saine notion. Est-ce que le sage, après la mort d’Anytos et de Socrate, prendrait un soin égal de la sépulture du corps de Socrate et de celle d’Anytos, et élèverait-il à la mémoire des deux le même tertre funéraire ? Voilà les réflexions amenées par la formule de Celse : aucun d’eux n’est oeuvre de Dieu, le mot « eux » pouvant se rapporter au corps de l’homme ou des serpents qui viennent de ce corps, et à celui du boeuf ou des abeilles qui viennent du corps de boeuf, et à celui du cheval ou de l’âne et des guêpes issues du cheval, des scarabées issus de l’âne. LIVRE IV
Est-ce donc que l’aigle était divinateur, alors que le serpent, animal pourtant dont se servent les augures, n’était pas divinateur ? Mais pourquoi, s’il est facile de prouver que la distinction est arbitraire, ne peut-on prouver aussi que ni l’un ni l’autre n’étaient divinateurs? Car si le serpent avait été divinateur, ne se serait-il pas gardé de souffrir ainsi des atteintes de l’aigle? Et on trouverait encore d’innombrables exemples de ce genre prouvant que les animaux n’ont pas en eux-mêmes une âme divinatrice ; mais, selon le poète et la plupart des hommes, « il fut appelé à la lumière par le dieu même de l’Olympe », et c’est en un sens figuré qu’Apollon aussi emploie comme messager l’épervier, car, dit-on, « l’épervier est le prompt messager d’Apollon ». LIVRE IV
Elle était divine, tandis que le grand Ulysse, l’ami de l’Athéna d’Homère, n’était pas divin, mais il se réjouit quand il comprit le présage annoncé par la meunière divine, au dire du poète : « Et le divin Ulysse fut plein de joie à ce présage. » Considère donc que si les oiseaux ont l’âme divine et sentent Dieu, ou, comme le dit Celse, les dieux, manifestement, nous aussi les hommes, quand nous éternuons nous le faisons parce qu’une divinité est présente en nous qui accorde à notre âme une puissance divinatrice. C’est chose attestée par un grand nombre. D’où ces mots du poète : « Mais lui éternua en faisant un voeu » ; et ces mots de Pénélope : « Ne vois-tu pas ? Mon fils a éternué à toutes tes paroles. » La véritable Divinité n’emploie, pour la connaissance de l’avenir, ni les animaux sans raison, ni les hommes quelconques, mais les plus saintes et les plus pures des âmes humaines qu’elle inspire et fait prophétiser. C’est pourquoi, entre autres admirables paroles contenues dans la Loi de Moïse, il faut placer celle-ci : « Gardez-vous de prendre des auspices et d’observer les oiseaux » ; et ailleurs : « Car les nations que le Seigneur ton Dieu anéantira devant toi écouteront présages et divinations ; mais tel n’a pas été pour toi le don du Seigneur ton Dieu. » Et il ajoute immédiatement : « Le Seigneur ton Dieu te suscitera un prophète parmi tes frères. » Et Dieu, voulant un jour détourner par un devin de la pratique de la divination, fit parler son esprit par la bouche d’un devin : « Car il n’y a pas de présage en Jacob, ni de divination en Israël ; mais en son temps il sera dit à Jacob et à Israël ce que Dieu voudra. » Reconnaissant donc la valeur de telles injonctions et d’autres semblables, nous tenons à garder ce commandement qui a un sens mystique : « Avec grand soin garde ton coeur », afin qu’aucun des démons ne pénètre dans notre esprit, et qu’aucun des esprits hostiles ne tourne à son gré notre imagination. Mais nous prions pour que resplendisse « dans nos coeurs la lumière de la connaissance de la gloire de Dieu », l’Esprit de Dieu résidant dans notre imagination et nous suggérant des images dignes de Dieu : car « ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ». LIVRE IV
Libre à Celse de dire que ce n’est pas plus pour l’homme, que pour le lion et les autres animaux qu’il mentionne. Nous dirons : ce n’est ni pour le lion, ni pour l’aigle, ni pour le dauphin que le Créateur les a faites, mais il a créé toutes choses pour l’animal raisonnable, et afin que ce monde se réalise comme une oeuvre de Dieu complète et parfaite dans toutes ses parties. C’est là une belle pensée à laquelle il faut souscrire. Mais Dieu ne prend pas soin, comme le croit Celse, uniquement de l’ensemble, mais outre l’ensemble, de chaque être raisonnable en particulier. Jamais la Providence n’abandonnera l’ensemble. Au cas où une partie de l’ensemble se détériore par la faute de l’être raisonnable, Dieu pourvoit à le purifier et après un moment, à ramener vers lui l’ensemble. De plus, il ne s’irrite ni contre les singes, ni contre les rats, mais il fait subir aux hommes pour la transgression des tendances naturelles un jugement et un châtiment. Il leur adresse des menaces par ses prophètes et par le Sauveur qui est venu à l’ensemble du genre humain, pour que ceux qui prêtent l’oreille à la menace se convertissent, et que ceux qui négligent les appels à la conversion subissent les peines qu’ils méritent ; et il convient que Dieu, dans sa volonté de pourvoir au bien de l’univers, les inflige à ceux qui ont besoin de recevoir un tel traitement et une correction si sévère. Mais comme ce quatrième livre a pris une dimension suffisante, j’arrêterai ici le raisonnement. Et que Dieu accorde, par son Fils qui est Dieu Logos, Sagesse, Vérité, Justice et tout ce que la théologie des saintes Écritures dit de lui, de commencer encore le cinquième livre pour l’utilité des lecteurs et de le mener à bien avec le secours de son Logos qui habite dans notre âme. LIVRE IV
J’aborde maintenant un cinquième livre contre le traité de Celse, pieux Ambroise : non pour me livrer à un bavardage injustifiable puisqu’il n’irait pas sans péché, mais je fais de mon mieux pour ne laisser sans examen aucun de ses propos, notamment là où d’aucuns pourraient croire qu’il a dirigé des critiques pertinentes contre nous ou contre les Juifs. S’il m’était possible, par ce discours, de pénétrer la conscience de chaque lecteur de son ouvrage, d’en arracher tout trait blessant une âme que ne protège pas entièrement l’armure de Dieu, d’appliquer un remède spirituel guérissant la blessure causée par Celse, blessure empêchant qui se fie à ses arguments d’être robuste dans la foi, c’est bien ce que j’aurais fait. Mais c’est l’oeuvre de Dieu d’habiter invisiblement par son Esprit et l’Esprit du Christ ceux qu’il juge devoir habiter. Pour moi, en tâchant, par des discours et des traités, de raffermir les hommes dans la foi, je dois faire tous mes efforts pour mériter le titre d’ouvrier qui n’a pas à rougir, de fidèle dispensateur de «la parole de la vérité». Et l’un de ces efforts me semble être de réfuter de mon mieux les arguments plausibles de Celse, exécutant avec confiance le mandat que tu m’as donné. Je vais donc citer les arguments de Celse qui suivent ceux auxquels j’ai déjà répondu – au lecteur de juger si je les ai renversés -, je vais leur opposer mes réfutations. Que Dieu m’accorde de ne point aborder mon sujet en laissant mon esprit et ma raison purement humains et vides d’inspiration divine, « pour que la foi » de ceux que je désire aider « ne repose pas sur la sagesse des hommes », mais que je reçoive de son Père qui seul peut l’accorder « la pensée du Christ » et la grâce de participer au Logos de Dieu, et qu’ainsi je puisse détruire « toute puissance altière qui s’élève contre la connaissance de Dieu » et la suffisance de Celse qui s’élève contre nous et contre notre Jésus, et encore contre Moïse et les prophètes. Et que celui qui donne « aux messagers son Logos avec une grande puissance » me l’accorde à moi aussi et me fasse don de cette grande puissance, et que naisse chez les lecteurs la foi fondée sur le Logos et la puissance de Dieu ! LIVRE V
Voici ce qu’il dit : ” C’est une autre sottise de leur part de penser que quand Dieu tel un cuisinier appliquera le feu, toute autre race sera grillée, et qu’ils seront seuls à survivre: et non seulement les vivants d’alors mais même ceux qui seront morts depuis longtemps, qui surgiront de la terre avec la même chair que jadis absolument l’espérance des vers ! Quelle âme d’homme regretterait un corps putréfié? Alors que cette doctrine n’est pas même admise par certains de vous et des chrétiens, et que son extrême impureté montre que c’est à la fois révoltant et impossible: quel corps, après une corruption complète, pourrait-il revenir à sa nature originelle et à cette même première constitution qu’il avait avant d’être dissous ? N’ayant rien à répondre, ils recourent à la plus absurde échappatoire: tout est possible à Dieu ! En vérité, Dieu ne peut rien faire de honteux et ne veut rien de contraire à la nature. Aurait-on une infâme convoitise dans la perversité de son c?ur, Dieu ne pourrait l’exaucer et il ne faut pas croire d’emblée qu’elle va être assouvie. Car Dieu n’est pas l’auteur de l’appétit déréglé ni de la licence effrénée, mais de la nature droite et juste. A l’âme il peut bien accorder une vie immortelle ; mais, comme dit Héraclite, « les cadavres sont plus à rejeter que le fumier ». Donc une chair, pleine de ce qu’on ne saurait décemment nommer, Dieu ne voudra ni ne pourra la rendre immortelle contre toute raison. Il est lui-même la raison de tout ce qui existe; il ne peut donc rien faire ni contre la raison ni contre lui-même.” LIVRE V
« Dieu donne donc à chacun un corps à son gré » : aux plantes ainsi semées, comme aux êtres qui sont pour ainsi dire semés dans la mort et qui reçoivent en temps opportun, de ce qui est semé, le corps assigné par Dieu à chacun selon son mérite. Nous entendons aussi l’Écriture qui enseigne longuement la différence entre le corps pour ainsi dire semé et celui qui en est comme ressuscité. Elle dit : « Semé dans la corruption, il ressuscite incorruptible ; semé dans l’abjection, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. » A celui qui le peut, de savoir encore sa pensée dans ce passage : « Tel le terrestre, tels seront aussi les terrestres, tel le céleste, tels seront aussi les célestes. Et comme nous avons porté l’image du terrestre, de même nous porterons l’image du céleste. » Cependant l’Apôtre veut laisser caché le sens mystérieux du passage, qui ne convient pas aux simples et à l’entendement commun de ceux que la foi suffît à amender. Il est néanmoins forcé ensuite, pour nous éviter des méprises sur le sens des ses paroles, de compléter l’expression : « Nous porterons l’image du céleste » par celle-ci : « Je l’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité1. » Et sachant bien le mystérieux sens caché qu’il y avait dans ce passage, comme il convient à un auteur laissant par écrit à la postérité l’expression de sa pensée, il ajoute : «Voici que je vais vous dire un mystère. » C’est précisément la formule d’introduction aux doctrines profondes et mystérieuses, justement cachées à la foule. Ainsi encore il est écrit dans le livre de Tobie : « Il est bon de tenir caché le secret du roi » ; puis, à l’égard de ce qui est glorieux et adapté à la foule, en dosant la vérité : « Il est bon de révéler les oeuvres de Dieu pour sa gloire. » Dès lors notre espérance n’est pas celle des vers et notre âme ne regrette pas le corps putréfié ; sans doute a-t-elle besoin d’un corps pour passer d’un lieu à un autre ; mais, ayant médité la sagesse selon la parole : « La bouche méditera la sagesse », elle sait qu’il y a une différence entre l’habitation terrestre où se trouve la tente et qui est vouée à la destruction, et la tente où les justes gémissent accablés, non parce qu’ils veulent se dévêtir de la tente, mais « pardessus elle se revêtir » (d’une autre) afin que, ainsi revêtus, « ce qu’il y a de mortel soit englouti par la vie ». « Il faut en effet », toute la nature corporelle étant corruptible, que cette tente « corruptible revête l’incorruptibilité », et que d’autre part, ce qui est « mortel » et destiné à la mort, conséquence immédiate du péché, « revête l’immortalité ». Ainsi, quand « cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité et cet être mortel l’immortalité, alors s’accomplira » l’antique prédiction des prophètes, la fin du triomphe de la mort qui dans son triomphe nous avait soumis à elle, et la perte de l’aiguillon dont elle pique l’âme incomplètement protégée, lui infligeant les blessures qui viennent du péché. LIVRE V
Nous affirmons que Moïse, pour nous le prophète de Dieu et son véritable serviteur, retrace ainsi le partage des peuples de la terre dans le Cantique du Deutéronome : « Quand le Très-Haut divisait les nations, quand il répartissait les fils d’Adam, il fixa les limites des nations suivant le nombre d’anges de Dieu, mais le lot du Seigneur, ce fut son peuple Jacob, et le lot de son héritage Israël. » Sur la division des nations, le même Moïse, dans son livre de la Genèse, raconte sous la forme d’une histoire : « Et toute la terre n’avait qu’une langue, avec les mêmes mots pour tous. Et il advint que, se déplaçant du Levant, ils trouvèrent une plaine au pays de Sennaar et ils s’y établirent. » Et peu après : « Le Seigneur descendit voir la ville et la tour que les fils des hommes avaient bâtie. Et le Seigneur dit : ” Voici qu’ils ne forment qu’une seule race avec une seule langue pour tous. Ils ont commencé là leurs entreprises, et maintenant, ils n’auront de cesse qu’ils n’aient accompli tout ce qu’ils désirent. Allons ! Descendons ! Et là confondons leur langage, pour que chacun ne comprenne plus la parole de son voisin. ” Et le Seigneur les dispersa de là sur la face de toute la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville et la tour. Voilà pourquoi on lui donna le nom de Confusion, car c’est là que le Seigneur confondit la langue de toute la terre, et c’est de là que le Seigneur les dispersa sur la face de toute la terre “. Dans le livre intitulé la Sagesse de Salomon traitant de la sagesse et de ceux qui vivaient lors de la confusion des langues, quand eut lieu le partage des peuples de la terre, il est ainsi parlé de la sagesse : « Et lorsque, unanimes en leur perversité, les nations eurent été confondues, c’est elle qui discerna le juste, le conserva sans reproche devant Dieu, et le garda fort contre sa tendresse pour son enfant.» Le sujet comporte une profonde doctrine mystique à laquelle s’applique la parole : « Il est bon de cacher le secret du roi. » Il ne faut pas livrer aux oreilles profanes la doctrine sur l’entrée des âmes dans le corps qui n’est pas due à la métensomatose ; il ne faut pas donner aux chiens les choses sacrées, ni jeter les perles aux pourceaux. Ce serait une impiété impliquant une trahison des secrets oracles de la sagesse de Dieu, d’après la belle sentence : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, elle n’habitera pas dans un corps tributaire du péché. » Pour les vérités cachées sous la forme d’une histoire, il suffît de les présenter selon la forme de cette histoire pour permettre à ceux qui le peuvent de dégager pour eux-mêmes la signification du passage. Qu’on se représente donc tous les peuples sur la terre, usant d’une même langue divine et, aussi longtemps du moins qu’ils vivent en accord les uns avec les autres, persistant à user de cette langue divine. Ils restent sans s’éloigner du Levant tant qu’ils ont l’esprit sensible aux effets de la lumière et du rayonnement « de la lumière éternelle ». Et quand, l’esprit rempli de préoccupations étrangères au Levant, ils se sont éloignés du Levant, ils trouvent « une plaine dans le pays de Sennaar », ce qui s’interprète ébranlement des dents pour indiquer symboliquement qu’ils ont perdu les moyens de se nourrir ; et ils y habitent. Ils veulent ensuite rassembler des matériaux et unir au ciel ce qui ne peut naturellement y être uni, pour conspirer avec la matière contre ce qui est immatériel. LIVRE V
Fondé sur ces exemples, l’argument paraît à Celse amener cette conclusion : Il faut que tous les hommes vivent selon leurs traditions, et, par là, ils ne sauraient encourir de reproches ; tandis que les chrétiens, qui ont abandonné leurs traditions et ne constituent pas un peuple unique comme les Juifs, sont à blâmer de donner leur adhésion à l’enseignement de Jésus. Qu’il nous dise donc si les philosophes qui enseignent à n’être pas superstitieux ont le devoir d’abandonner les traditions, jusqu’à manger les aliments interdits dans leurs patries, ou si une telle conduite est contraire au devoir. Car si c’est à cause de la philosophie et des leçons proscrivant la superstition qu’ils peuvent, au mépris des traditions, manger des aliments interdits depuis le temps de leurs ancêtres, pourquoi pas les chrétiens ? Le Logos leur prescrit de ne point s’arrêter aux statues, aux images ou même aux créatures de Dieu, mais de les dépasser et de présenter leur âme au Créateur : pourquoi, se conduisant comme les philosophes, ne seraient-ils point irréprochables ? Si pour sauver leur thèse, Celse et ses adeptes affirment que même un philosophe devra observer les traditions, alors les philosophes deviendront parfaitement ridicules, par exemple en Egypte en se gardant de manger de l’oignon pour observer les traditions, ou certaines parties du corps telles que la tête ou l’épaule pour ne pas transgresser les coutumes ancestrales. Et je ne parle pas encore de ces Égyptiens qui frémissent aux bruits vulgaires de flatulence. Si l’un d’eux devenu philosophe gardait les traditions, ce serait un philosophe ridicule, sans philosophie dans sa conduite. Il en va de même lorsqu’on a été conduit par le Logos à adorer le Dieu de l’univers si, à cause des traditions, on reste abaissé devant les images et les statues humaines ; et si on refuse de s’élever par volonté réfléchie jusqu’au Créateur, on est semblable alors à des hommes qui, malgré les lumières de la philosophie, craindraient ce qui n’est pas à craindre et jugeraient impie de manger de tels mets. LIVRE V
Aussi bien faut-il chercher la nourriture qui convient ou ne convient pas à l’animal raisonnable et civilisé qui fait tout avec réflexion, au lieu d’adorer au hasard les brebis, les chèvres et les vaches. S’abstenir d’en manger est normal, vu la grande utilité de ces animaux pour les hommes. Mais épargner les crocodiles et les considérer comme consacrés à je ne sais quelle divinité mythologique, n’est-ce point le comble de la sottise ? Faut-il être extravagant pour épargner des animaux qui ne nous épargnent point, vénérer des animaux qui dévorent des hommes ! Mais Celse approuve ceux qui selon leurs traditions adorent les crocodiles et les vénèrent, et il n’a pas écrit de discours contre eux. Tandis que les chrétiens lui semblent blâmables, parce qu’ils ont appris à avoir en horreur le vice et à éviter les actions qui en procèdent, à adorer et honorer la Vertu comme née de Dieu et Fils de Dieu. Car il ne faut pas croire, d’après le genre féminin de leur nom, que la vertu et la justice soient également féminines en leur essence : selon nous, elles sont le Fils de Dieu, comme son véritable disciple l’a établi en disant : « Lui qui de par Dieu est devenu pour nous sagesse, justice, sanctification, rédemption. » Donc, même quand nous l’appelons « second Dieu », cette dénomination, qu’on le sache, ne désigne pour nous autre chose que la Vertu embrassant toutes les vertus, le Logos embrassant tout ce qu’il y a de raison des choses qui ont été créées selon les lois de la nature, soit principalement, soit pour l’utilité du tout. Ce Logos, disons-nous, s’unit à l’âme de Jésus d’une union bien plus intime qu’à toute âme, car seul il était capable de contenir parfaitement la participation suprême du Logos en personne, de la Sagesse en personne, de la Justice en personne. LIVRE V
Et c’est dans les environs de Jérusalem qu’ont lieu les supplices de ceux qui sont soumis à la fusion, pour avoir reçu dans la substance de leur âme les atteintes du vice, – qu’au figuré, en quelque sorte, on nomme du plomb. Ainsi chez Zacharie l’impiété était assise « sur un disque de plomb ». LIVRE VI
Après les considérations que je viens de citer en y ajoutant d’autres de même ordre, Celse continue : Ils entassent pêle-mêle discours de prophètes, cercles sur cercles, ruisseaux de l’église terrestre et de la circoncision, une vertu émanant d’une certaine vierge Prunicos, une âme vivante, un ciel immolé pour qu’il vive, une terre immolée par l’épée, des hommes en grand nombre immolés pour qu’ils vivent, une mort qui doit finir dans le monde quand mourra le péché du monde, une nouvelle descente étroite et des portes qui s’ouvrent d’elles-mêmes. Il y est partout question du bois de la vie et de la résurrection de la chair par le bois, parce que, je crois, leur maître a été cloué à la croix et qu’il était charpentier de profession. En sorte que, si par hasard on l’avait précipité d’un rocher, jeté dans un gouffre, étranglé par une corde, ou s’il eût été cordonnier, tailleur de pierres, ouvrier en fer, il y aurait au-dessus des deux un rocher de vie, un gouffre de résurrection, une corde d’immortalité, une pierre de béatitude, un fer de charité, un cuir de sainteté. Quelle vieille femme prise de vin, fredonnant une fable pour endormir un bébé, n’aurait honte de chuchoter pareilles sornettes ? Celse me paraît ici confondre des idées mal comprises. On dirait un homme qui, ayant saisi quelques bouts de phrases prononcés dans une secte ou l’autre sans en avoir compris le sens et l’intention, en a rassemblé les bribes pour donner à ceux qui ne savent rien ni de nos doctrines ni de celles des sectes l’impression qu’il connaît toutes les doctrines du christianisme. C’est ce qui ressort du passage cité. LIVRE VI
Celse n’a pas vu la différence qu’il y a entre les expressions «à l’image de Dieu » et «son image » : L’image de Dieu est « le premier-né de toute créature », le Logos en personne, la Vérité en personne, et encore la Sagesse en personne, « image de sa bonté »; tandis que l’homme a été créé « à l’image de Dieu », et en outre tout homme dont le Christ « est la tête » est image et gloire de Dieu. Il n’a même pas su en quelle partie de l’homme s’imprime un caractère « à l’image de Dieu » : c’est dans l’âme qui n’a pas eu ou qui n’a plus « le vieil homme avec ses agissements » et, du fait qu’elle ne les a point, possède la qualité d’être « à l’image » du Créateur. Il dit donc : Dieu n’a pas non plus fait l’homme à son image ; car il n’est pas tel que l’homme et il ne ressemble à aucune autre forme. Mais pourrait-on croire que, dans la partie inférieure du composé humain, je veux dire dans le corps, existe ce qui est « à l’image de Dieu » et que, comme Celse l’a compris, le corps soit « à son image » ? Car si ce qui est « à l’image de Dieu » est dans le corps seul, l’élément supérieur, l’âme, se trouve privé de ce qui est « à l’image » et qui se trouve dans le corps corruptible : nul d’entre nous ne le prétend. Mais si ce qui est « à l’image de Dieu » se trouve dans les deux ensemble, il est nécessaire que Dieu soit composé et pour ainsi dire constitué lui-même d’une âme et d’un corps, pour que l’élément supérieur qui est « à l’image » soit dans l’âme, et que l’inférieur correspondant au corps soit dans le corps : nul d’entre nous ne le prétend. Il reste donc à comprendre que ce qui est « à l’image de Dieu » se réalise dans ce que nous nommons l’homme intérieur, renouvelé, apte à devenir « à l’image du Créateur », quand l’homme devient « parfait comme le Père céleste est parfait » ; quand il entend : « Vous serez saints, car moi le Seigneur votre Dieu, je suis saint »; quand il apprend le commandement : « Soyez les imitateurs de Dieu » et qu’il reçoit dans son âme vertueuse les traits de Dieu. Alors aussi le corps de celui qui a reçu les traits de Dieu dans la partie qui est faite « à l’image de Dieu » est « un temple », puisqu’il possède une âme de cette qualité et dans l’âme, Dieu, à cause de l’élément « à son image ». LIVRE VI
Aussi démontrons-nous, en réunissant les textes des Écritures sacrées, que les prophètes juifs, illuminés par l’Esprit divin autant qu’il leur était utile quand ils prophétisaient, étaient les premiers à jouir de la venue en eux de l’Esprit d’en haut. Le contact, pour ainsi dire, de ce qu’on appelle l’Esprit Saint avec leur âme rendait leur intelligence plus perspicace, leur âme plus limpide ; et même leur corps qui, étant mort au désir de la chair, n’offrait plus d’obstacle à la vie vertueuse. LIVRE VI
Il n’y a donc qu’un point où Celse dise la vérité : Mais les prophètes n’ont pu le prédire : c’est un mal et une impiété. Que veut-il dire d’autre sinon que le grand Dieu subirait l’esclavage et la mort ? Au contraire, elle est bien digne de Dieu l’annonce faite par les prophètes qu’une certaine « splendeur et image » » de la nature divine viendrait vivre associée à l’âme sainte de Jésus qui prend un corps humain, afin de répandre une doctrine faisant participer à l’amitié du Dieu de l’univers quiconque la recevrait et cultiverait dans son âme, et amenant tout homme à la fin, à condition qu’il garde en soi-même la puissance de ce Dieu Logos qui devait habiter dans un corps et une âme d’homme. De cette façon, ses rayons ne seraient pas enfermés en lui seul et on ne pourrait penser que la lumière source de ces rayons, le Dieu Logos, n’existe nulle part ailleurs. LIVRE VI
Si donc le texte de la loi promet la richesse aux justes, Celse peut suivre « la lettre » qui tue et penser que la promesse vise la richesse aveugle. Nous pensons, nous, qu’il s’agit de l’homme doué d’une vue pénétrante : au sens où on est riche « en tout discours et en toute science », et où nous recommandons « aux riches du monde présent de ne pas s’enorgueillir, de ne pas mettre leur espoir dans la richesse précaire, mais en Dieu qui nous pourvoit largement de tout pour que nous puissions en jouir, faire le bien, nous enrichir de bonnes ?uvres, être généreux et bienfaisants » Car, d’après Salomon, la richesse en véritables biens « est rançon d’une âme d’homme », tandis que la pauvreté qui lui est contraire est ruineuse, à cause d’elle « le pauvre ne supporte pas la menace ». LIVRE VI
De la même manière que la richesse, on doit interpréter la puissance qui permet, au dire de l’Écriture, à un juste de poursuivre un millier d’ennemis, et à deux de mettre en fuite des myriades. Si tel est le sens des paroles sur la richesse, vois s’il n’est pas conforme à la promesse de Dieu que l’homme qui est riche en toute doctrine, toute science, toute sagesse, toute ?uvre bonne puisse prêter de sa richesse en doctrine, en sagesse, en science, à de nombreuses nations, ainsi que put faire Paul à toutes les nations qu’il avait visitées quand il rayonna de Jérusalem jusqu’en Illyrie, menant à bien la prédication de l’Évangile du Christ. Comme son âme se trouvait illuminée par la divinité du Logos, les secrets divins se faisaient connaître à lui par révélation : il n’empruntait rien et n’avait nul besoin qu’on lui transmît la doctrine. LIVRE VI
S’il faut expliquer en même temps le massacre des ennemis et le pouvoir du juste sur toutes choses, on peut dire : en affirmant « Chaque matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre, afin de retrancher de la cité du Seigneur tous les artisans d’iniquité », le prophète appelait terre au sens figuré la chair « dont le désir est ennemi de Dieu », et cité du Seigneur, son âme dans laquelle était un temple de Dieu ; car il possédait de Dieu une opinion et une conception justes et admirées de tous ceux qui les observent. En même temps donc, rempli pour ainsi dire de puissance et de force par les rayons du Soleil de « la justice » qui illuminaient son âme, il supprimait tout « désir de la chair », nommé par le texte « pécheurs de la terre », et exterminait, de la cité du Seigneur qui était dans son âme, tous les raisonnements artisans d’iniquité et les désirs ennemis de la vérité. LIVRE VI
En revanche la recherche de la gloire auprès des hommes, nous la déclarons interdite non seulement par l’enseignement de Jésus, mais aussi par l’Ancien Testament. Ainsi un des prophètes, se maudissant lui-même de s’être asservi aux péchés, dénonce comme le plus grand mal qui pourrait lui arriver la gloire de cette vie. Il s’exprime en ces termes : « Seigneur mon Dieu, si j’ai fait cela, s’il y a de l’injustice dans mes mains, si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en rendaient, que je tombe impuissant devant mes ennemis, que l’ennemi poursuive et capture mon âme, qu’il foule à terre ma vie, qu’il relègue ma gloire dans la poussière ! » LIVRE VI
En outre, les paroles : « Ne vous inquiétez pas de ce que vous mangerez ou de ce que vous boirez. Considérez les oiseaux du ciel, ou considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, et notre Père céleste les nourrit. Combien plus valez-vous que les oiseaux ! » ; « Du vêtement, pourquoi vous inquiéter ? Considérez les lis des champs », non plus que celles qui suivent, ne sont contraires aux bénédictions de la loi qui enseignent que le juste mangera et sera rassasié, ni à cette parole de Salomon : « Le juste mange et rassasie son âme, les âmes des impies sont dans l’indigence. » Car il faut le remarquer : c’est la nourriture de l’âme qui est visée dans la bénédiction de la loi : elle rassasie non pas le composé humain, mais l’âme seule. Et de l’Évangile, il faut tirer peut-être une interprétation assez profonde, et peut-être aussi une interprétation plus simple, c’est qu’on ne doit point égarer son âme dans les soucis de la nourriture et du vêtement, mais pratiquer une vie frugale et avoir confiance que Dieu y pourvoira si on ne s’inquiète que du nécessaire. LIVRE VI
Jamais non plus on ne poserait la question, comme si Dieu était dans un lieu : comment aller à lui ? Car Dieu est supérieur à tout lieu et contient tout ce qui peut être, et il n’est rien qui contienne Dieu. Ce n’est point d’aller à Dieu corporellement que nous ordonne le précepte : « Marche à la suite du Seigneur ton Dieu » ; ce n’est pas corporellement que le prophète veut adhérer à Dieu, quand il dit, dans la prière : « Mon âme adhère à toi. » Celse nous calomnie donc en disant que nous espérons voir Dieu des yeux de notre corps, entendre sa voix de nos oreilles, le toucher de nos mains sensibles. Nous savons au contraire que les divines Écritures emploient des termes homonymes pour des yeux autres que les yeux du corps, de même que pour les oreilles ou les mains ; et, ce qui est plus remarquable, pour un sens divin et d’un autre ordre que le sens désigné communément par ce mot. Car lorsque le prophète dit : « Ouvre mes yeux et je contemplerai les merveilles de ta loi » ; « Le commandement du Seigneur est plein de lumière, il illumine mes yeux » ; « Illumine mes yeux afin que je ne m’endorme pas dans la mort », personne n’est assez stupide pour penser que les yeux du corps comprennent les merveilles de la loi divine, ou que le commandement du Seigneur illumine les yeux du corps, ou qu’il puisse leur survenir un sommeil qui cause la mort. LIVRE VI
De là vient aussi que notre Sauveur, sachant qu’il y a en nous ces deux sortes d’yeux, déclare : « C’est pour un jugement que je suis venu en ce monde : pour que voient ceux qui ne peuvent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Par ceux qui ne voient pas, il laisse entendre les yeux de l’âme, à qui le Logos donne de voir, et par ceux qui voient, les yeux des sens que le Logos rend aveugles, pour que l’âme voie sans distraction ce qu’elle doit voir. Tout homme donc vivant son christianisme comme il convient tient éveillé l’oeil de son âme et fermé celui des sens. Et dans la mesure où l’oeil supérieur est ouvert et fermée la vue des sens, chacun comprend et contemple le Dieu suprême et son Fils, qui est Logos, Sagesse, etc. LIVRE VI
Pour nous, qui avons soin de ne rien combattre de ce qui est noblement exprimé, même si les auteurs sont étrangers à notre foi, et de ne pas leur chercher noise ni vouloir renverser les doctrines saines, voici notre réponse. On a beau insulter ceux qui veulent consacrer tous leurs efforts à pratiquer la piété à l’égard du Dieu de l’univers qui agrée aussi bien la foi que les simples ont en lui et la piété réfléchie de ceux qui ont plus d’intelligence, et qui font monter leurs prières avec action de grâce vers le Créateur de l’univers comme par le Grand-Prêtre qui a réglé pour les hommes la pure piété envers Dieu ; on a beau traiter ces gens de boiteux et mutilés dans l’âme, et dire qu’ils vivent pour le corps, une chose morte, eux qui disent de tout leur coeur : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais puissantes par Dieu » : que l’on prenne garde, rien qu’en disant du mal de ceux qui prient pour être à Dieu, de faire boiter son âme et de mutiler en soi-même « l’homme intérieur » en l’amputant, par ces calomnies contre ceux qui veulent vivre dans la vertu, de la modération et de l’équilibre dont le Créateur a naturellement jeté la semence dans la nature raisonnable ! Quand au contraire on a appris entre autres choses du divin Logos pour le mettre en pratique, quand on est insulté, à bénir, quand on est persécuté, à endurer, quand on est calomnié, à supplier, on sera de ceux qui, ayant redressé les pas de l’âme, purifient et préparent l’âme toute entière. Il ne s’agit point de distinguer seulement en paroles l’essence de la génération, l’intelligible du visible, de rapporter la vérité à l’essence, de fuir par tous les moyens l’erreur qui accompagne la génération. On aspire, selon cet enseignement, non point aux choses de la génération, que l’on voit et qui, pour cette raison, sont passagères, mais aux réalités supérieures, qu’on veuille les appeler essence, ou invisibles parce qu’elles sont intelligibles, ou choses qu’on ne voit pas parce que leur nature est d’échapper aux sens. LIVRE VI
Et ils ajoutent : « J’ai été conçu dans l’iniquité, ma mère m’a enfanté dans le péché ». » De plus, ils déclarent que « les pécheurs sont devenus étrangers dès le sein de leur mère », et font cette remarque étonnante : « Ils se sont égarés dès le sein, ils ont dit des mensonges. » Mais nos sages ont un tel dédain pour la nature des choses sensibles qu’ils qualifient les corps tantôt de vanité : « Car la création fut soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise avec l’espérance » ; tantôt, de vanité de vanités, selon le mot de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Où trouver un tel discrédit jeté sur la vie de l’âme humaine ici-bas que chez l’auteur qui dit : « Vanité cependant que toutes choses, que tout homme vivant ! » Il ne met pas en doute la différence pour l’âme entre la vie d’ici-bas et la vie hors de ce monde, il ne dit pas : « Qui sait si vivre n’est pas mourir, et si mourir n’est pas vivre ? » Mais il a le courage de la vérité dans ces paroles : « Notre âme a été humiliée dans la poussière » ; « Tu m’as fait descendre dans la poussière de la mort ». Et comme il est dit : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » ainsi encore : « Qui transformera notre corps de misère ? » Il y a aussi la parole du prophète : « Tu nous a humiliés dans un lieu d’affliction », où « lieu d’affliction désigne le lieu terrestre dans lequel vient Adam, qui est l’homme, après avoir été pour son péché expulsé du paradis. Et considère la profondeur de vue que possédait sur la condition de vie différente pour les âmes celui qui a dit : « Aujourd’hui nos voyons dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face » ; et encore : « Tant que nous demeurons dans ce corps, nous vivons en exil loin du Seigneur », aussi « préférons-nous déloger de ce corps et aller demeurer près du Seigneur ». LIVRE VI
On pourrait juger plausible l’attaque qui suit : Encore, si ces gens-là ne rendaient un culte à nul autre que Dieu seul, ils auraient peut-être une raison valable à opposer aux autres. Mais non, ils rendent un culte excessif à Celui qui vient d’apparaître, et pourtant ne croient point offenser Dieu en rendant aussi un culte à son ministre. Il faut répondre : si Celse avait compris la parole : « Le Père et moi sommes un », et celle du Fils de Dieu dans sa prière : « Comme toi et moi sommes un », il ne penserait pas que nous rendons un culte à un autre que le Dieu suprême, car Jésus a dit : « Le Père est en moi et je suis dans le Père. » Si l’on craignait que ces paroles nous amènent au parti de ceux qui nient l’existence de deux hypostases, un Père et un Fils, que l’on considère la parole : « Tous ceux qui croyaient n’avaient qu’un coeur et qu’une âme », afin de comprendre : « Le Père et moi sommes un ». C’est donc à un seul Dieu, comme on vient de l’expliquer, le Père et le Fils, que nous rendons un culte, et il nous reste une raison valable à opposer aux autres. Et nous ne rendons pas un culte excessif à Celui qui viendrait d’apparaître comme s’il n’avait jamais existé auparavant. Car nous le croyons quand il a dit : « Avant qu’Abraham fût, je suis » et qu’il affirme : « Je suis la Vérité ». Personne d’entre nous n’a la stupidité de croire que la vérité n’existait pas avant le temps de la manifestation du Christ. C’est pourquoi nous rendons un culte au Père de la Vérité et au Fils qui est la Vérité : ils sont deux réalités par l’hypostase, mais une seule par l’humanité, la concorde, l’identité de la volonté ; en sorte que celui qui a vu le Fils, rayonnement de la gloire, empreinte de la substance de Dieu, a vu Dieu en lui qui est l’image de Dieu. LIVRE VIII
Cependant nous n’admettons absolument pas la métensomatose de l’âme ni sa chute dans des animaux sans raison et, si nous nous abstenons parfois de la chair d’animaux, ce n’est évidemment pas pour le même motif que Pythagore que nous nous en priverons. Car nous savons honorer la seule âme raisonnable et confier avec honneur ses organes à une sépulture honorable suivant les coutumes établies. En effet, l’habitation de l’âme raisonnable mérite de ne pas être rejetée sans honneur et au hasard comme celle des êtres sans raison ; et surtout quand les chrétiens croient que l’honneur rendu au corps où l’âme raisonnable a habité rejaillit jusqu’à la personne dotée d’une âme qui par cet organe a mené le bon combat. Mais « comment les morts ressusciteront-ils, et avec quel corps viendront-ils », je l’ai brièvement expliqué ci-dessus comme le sujet le demandait. LIVRE VIII
Tout cela, les démons l’exécutent d’eux-mêmes ; sorte de bourreaux, ils ont reçu par quelque décision divine le pouvoir de produire ces fléaux pour convertir les hommes abandonnés à la dérive du flot du vice ou pour exercer la race des êtres raisonnables : pour permettre à ceux qui restent pieux même dans ces calamités et sans rien perdre de leur vertu de se manifester ainsi aux spectateurs visibles et invisibles, qui jusque-là ne voyaient pas l’éclat de leur âme, et afin que les autres, dont les dispositions sont contraires, mais qui se gardent de montrer leur vice, sous l’épreuve démasquent leur être véritable, eux-mêmes en prennent conscience et se dévoilent pour ainsi dire aux spectateurs. LIVRE VIII
Considérons cet autre passage de Celse : Quoi ! Le satrape, le gouverneur, le général, le procurateur du roi de Perse ou de l’empereur de Rome, voire ceux qui exercent les charges, offices ou services inférieurs, auraient le pouvoir de causer de graves dommages si on les néglige, tandis que les satrapes et ministres de l’air ou de la terre n’en causeraient que de légers si on les outrage ? Vois donc de quelle façon il représente comme auteurs de graves dommages pour ceux qui les outragent des ministres humains du Dieu suprême : satrapes, gouverneurs, généraux procurateurs et ceux qui exercent des charges, offices et services inférieurs ! Il ne voit pas que même un homme sage ne voudrait nuire à quiconque, mais ferait son possible pour convertir et améliorer jusqu’à ceux qui l’outragent. A moins peut-être que ceux que Celse présente comme les satrapes, gouverneurs, généraux du Dieu suprême ne soient pires que Lycurgue, législateur de Lacédémone, et Zénon de Cittium ! Car Lycurgue, ayant en son pouvoir l’homme qui lui avait crevé un oeil, non seulement ne se vengea pas, mais ne cessa de l’amadouer jusqu’à ce qu’il l’ait persuadé de se mettre à l’étude de la philosophie. De même Zénon : quelqu’un lui disait : « Que je meure si je ne tire vengeance de toi ! » Il répondit : « Et moi, si je ne gagne ton amitié ! » Et je ne dis rien encore de ceux qui ont été formés par l’enseignement de Jésus et qui ont entendu le commandement : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui cherchent à vous nuire, afin de devenir fils de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, pleuvoir sur les justes et les injustes. » Et dans les paroles du prophète, le juste dit : « Seigneur, si j’ai fait cela, si j’ai commis de mes mains l’injustice, si j’ai rendu aux autres le mal qu’ils me causaient, que je tombe alors impuissant devant les ennemis ; que l’ennemi alors poursuive mon âme et l’atteigne, et qu’il foule à terre ma vie » LIVRE VIII
Ainsi nous ne nous moquons même pas de ces statues inanimées, tout au plus de leurs adorateurs. Mais qu’il y ait des démons à hanter ces statues, que l’on prenne l’un pour Dionysos, l’autre pour Héraclès, nous ne les insultons même pas : ce serait vain et absolument contraire à la douceur, à la paix et à la tranquillité de notre âme qui a appris qu’on ne doit insulter personne, homme ou démon, pour sa malice. Je ne sais comment Celse, qui célébrait tout à l’heure les démons ou les dieux, en est venu malgré lui à montrer en fait maintenant leur méchanceté : car ils punissent plutôt par esprit de vengeance qu’ils ne châtient pour réformer ceux qui les insultent. Il dit en effet : Si tu avais insulté Dionysos lui-même ou Héraclès en personne, tu ne t’en serais probablement pas tiré à si bon compte. Mais montre qui voudra comment un absent peut entendre quelque chose, pourquoi il est tantôt présent, tantôt absent, et quel besoin ont les démons de passer d’un lieu à un autre. LIVRE VIII
Voyons encore les paroles que Celse nous adresse ensuite : De plus, n’est-ce point de votre part une conduite absurde : d’une part de désirer le corps et d’espérer que ce même corps ressuscitera, comme s’il n’y avait pour vous rien de meilleur ni de plus précieux que cela, et en revanche de l’exposer aux supplices comme une chose méprisable. Mais avec des hommes imbus de telles opinions et rivés au corps, celte discussion ne vaut pas la peine: ce sont des gens par ailleurs grossiers et impurs qui, sans raison aucune, sont contaminés par la révolte. Mais bien sûr, je discuterai avec ceux qui espèrent l’éternité près de Dieu pour leur âme ou leur intelligence, qu’ils veuillent l’appeler principe spirituel, esprit intelligent, saint et bienheureux, âme vivante, rejeton céleste et incorruptible de la nature divine et incorporelle, ou de quelque nom qu’il leur plaise de lui donner. Ils ont au moins celte opinion droite que ceux qui ont mené une vie vertueuse seront heureux, mais que les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels. C’est une doctrine que ni eux ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. LIVRE VIII
Après cela il approuve ceux qui espèrent l’éternité et l’identité près de Dieu pour l’âme ou l’intelligence, ce qu’on appelle chez eux principe spirituel, esprit raisonnable, intelligent, saint et bienheureux, âme vivante. Il admet comme une opinion juste la doctrine selon laquelle ceux qui ont mené une vie vertueuse seront heureux, mais les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels. En outre, je trouve admirables plus que tout ce qu’a jamais écrit Celse, ces mots qui concluent les remarques précédentes : c’est une doctrine que ni eux ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. Mais Celse écrivait contre les chrétiens, dont la foi repose toute entière sur Dieu et sur les promesses du Christ aux justes et ses enseignements sur le châtiment des injustes : il aurait dû voir qu’un chrétien qui accepte les arguments de Celse contre les chrétiens et abandonne le christianisme, en même temps qu’il rejette l’Évangile rejette aussi probablement cette doctrine que, d’après Celse lui-même, ni les chrétiens ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. LIVRE VIII
Ainsi donc Celse tente de soumettre notre âme aux démons, comme s’ils avaient obtenu la charge de nos corps. Il soutient que chacun préside à une partie de notre corps. Il veut que nous croyons à ces démons qu’il mentionne, et que nous leur rendions un culte pour être en bonne santé plutôt que malade, pour avoir une vie heureuse plutôt que misérable et, dans toute la mesure du possible, échapper aux tortures. Il méconnaît l’honneur indivise et indivisible qui s’adresse au Dieu de l’univers, jusqu’à ne pas croire que Dieu seul, adoré et hautement honoré suffît à fournir à qui l’honore, et par le fait même de cette adoration, un pouvoir qui arrête les attaques des démons contre le juste. Car il n’a pas vu comment la formule « au nom de Jésus », prononcée par les authentiques croyants, a guéri maintes personnes de maladies, de possessions diaboliques et d’autres afflictions. Il est bien probable que nous ferons rire un partisan de Celse en disant : « Au nom de Jésus tout genou fléchira au ciel, sur terre, aux enfers, et toute langue est tenue de confesser que Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père. » Mais ce rire ne peut empêcher notre invocation d’avoir des preuves de son efficacité plus manifestes que ce qu’il raconte à propos des noms de Chnoumen, Chnachoumen, Knat, Sikat et les autres de la liste égyptienne, dont l’invocation guérirait les maladies des diverses parties du corps. Vois en outre de quelle façon, en nous détournant de croire au Dieu de l’univers par Jésus-Christ, il nous invite à croire, pour guérir notre corps, en trente-six démons barbares que les magiciens d’Egypte sont seuls à invoquer en nous promettant je ne sais quelles merveilles. D’après lui, il serait temps pour nous d’être magiciens et sorciers plutôt que chrétiens, de croire à un nombre infini de démons plutôt que de croire au Dieu suprême de lui-même évident, vivant et manifeste, par Celui qui avec une grande puissance a répandu la pure doctrine de la religion par tout le monde des hommes et même, ajouterai-je sans mentir, le monde des autres êtres raisonnables qui ont besoin de réforme, de guérison et de conversion du péché. LIVRE VIII
Ainsi, dans les pages précédentes, il faisait de son mieux pour abaisser notre âme devant les démons. Et maintenant, il veut nous faire chercher la faveur des princes et des rois parmi les hommes ! Mais comme on les trouve à chaque moment de la vie et de l’histoire, je n’ai pas cru nécessaire d’en donner ici des exemples. LIVRE VIII
S’il faut dire quelque chose sur cette question qui demanderait tant de recherches et de preuves, voici quelques mots pour mettre en lumière, non seulement la possibilité, mais la vérité de ce qu’il dit sur cet accord unanime de tous les êtres raisonnables pour observer une seule loi. Les gens du Portique disent que, une fois réalisée la victoire de l’élément qu’ils jugent plus fort que les autres, aura lieu l’embrasement où tout sera changé en feu. Nous affirmons, nous, qu’un jour le Logos dominera toute la nature raisonnable et transformera chaque âme en sa propre perfection, au moment où chaque individu, n’usant que de sa simple liberté, choisira ce que veut le Logos et obtiendra l’état qu’il aura choisi. Nous déclarons invraisemblable que, comme pour les maladies et les blessures du corps où certains cas sont rebelles à toutes les ressources de l’art médical, il y ait aussi dans le monde des âmes une séquelle du vice impossible à guérir par le Dieu raisonnable et suprême. Car le Logos et sa puissance de guérir sont plus forts que tous les maux de l’âme. Il applique cette puissance à chacun selon la volonté de Dieu ; et la fin du traitement, c’est la destruction du mal. Est-ce de manière qu’il ne puisse absolument pas ou qu’il puisse revenir, on n’a point à l’envisager ici. LIVRE VIII
Voyons comment il prétend dénigrer la morale sous ce grief : Elle est banale et, par rapport aux autres philosophes, n’enseigne rien de vénérable ni de neuf. A quoi il faut répondre : ceux qui admettent un juste jugement de Dieu auraient repoussé le châtiment qui menace les pécheurs, si tous les hommes n’avaient pas, en vertu des notions communes, une saine prénotion dans le domaine de la morale. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant que le même Dieu ait semé dans les âmes de tous les hommes ce qu’il a enseigné par les prophètes et le Sauveur ; cela, pour que chaque homme soit sans excuse au jugement divin, car il a l’exigence de la loi inscrite dans son coeur. La Bible l’insinua, en un passage que les Grecs tiennent pour un mythe, en représentant que Dieu a écrit de son propre doigt les commandements et les a donnés à Moïse. La malice de ceux qui fabriquèrent le veau d’or les brisa : ce qui veut dire que le débordement du péché les a submergés. Mais Dieu les écrivit une seconde fois et les redonna après que Moïse eut taillé des tables de pierre : comme si la prédication prophétique disposait l’âme, après la première faute, à une seconde écriture de Dieu. LIVRE I
Celse a cité comme une expression courante chez les chrétiens : La sagesse dans le cours de cette vie est un mal, et la folie un bien. Il faut répondre qu’il calomnie la doctrine, puisqu’il n’a pas cité le texte même qui se trouve chez Paul et que voici : « Si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage, car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » L’Apôtre n’affirme donc pas simplement : « la sagesse est folie devant Dieu », mais : « la sagesse de ce monde… » ; ni non plus : « si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou » en général, mais : « qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage ». Donc, nous appelons « sagesse de ce siècle » toute philosophie remplie d’opinions fausses, qui est périmée d’après les Ecritures ; et nous disons : « la folie est un bien », non point absolument, mais quand on devient fou pour ce siècle. Autant dire du Platonicien, parce qu’il croit à l’immortalité de l’âme et à ce qu’on dit de sa métensomatose, qu’il se couvre de folie aux yeux des Stoïciens qui tournent en ridicule l’adhésion à ces doctrines, des Péripatéticiens qui jasent des « fredonnements » de Platon, des Epicuriens qui crient à la superstition de ceux qui admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers ! Ajoutons qu’au sentiment de l’Ecriture, il vaut bien mieux donner son adhésion aux doctrines avec réflexion et sagesse qu’avec la foi simple ; et qu’en certaines circonstances, le Logos veut aussi cette dernière pour ne pas laisser les hommes entièrement désemparés. C’est ce que montre Paul, le véritable disciple de Jésus, quand il dit : « Car, puisque dans la sagesse de Dieu le monde n’a pas connu Dieu avec la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » D’où il ressort donc clairement que c’est dans la sagesse de Dieu que Dieu devait être connu. Et puisqu’il n’en fut rien, Dieu a jugé bon ensuite de sauver les croyants, non pas simplement par la folie, mais par la folie relative à la prédication. De là vient que la proclamation de Jésus-Christ crucifié est la folie de la prédication, comme le dit encore Paul qui en avait pris conscience et déclare « Mais nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » LIVRE I
Ensuite, dans le secret dessein de calomnier le récit de la création d’après Moïse, qui révèle que le monde n’a pas encore dix mille ans, tant s’en faut, Celse prend parti, tout en cachant son intention, pour ceux qui disent que le monde est incréé. Car en disant : “Il y eut de toute éternité bien des embrasements, bien des déluges, dont le plus récent est l’inondation survenue naguère au temps de Deucalion”, il suggère clairement à ceux qui sont capables de le comprendre que, selon lui, le monde est incréé. Mais qu’il nous dise, cet accusateur de la foi chrétienne, par quels arguments démonstratifs il a été contraint d’admettre qu’il y eut bien des embrasements, bien des déluges, et que les plus récents de tous furent l’inondation du temps de Deucalion et l’embrasement du temps de Phaéton ! S’il produit à leur sujet les dialogues de Platon, nous lui répondrons : à nous aussi il est permis de dire que dans l’âme pure et pieuse de Moïse, élevé au-dessus de tout le créé et uni au Créateur de l’univers, résidait un esprit divin qui fit connaître la vérité sur Dieu bien plus clairement que Platon et les sages grecs ou barbares. Et s’il nous demande des raisons de cette foi, qu’il nous en donne le premier de ce qu’il avance sans preuves, ensuite nous prouverons que nos affirmations sont fondées. LIVRE I
Cependant, même malgré lui, Celse en est venu à témoigner que le monde est plus récent et qu’il n’a pas encore dix mille ans, quand il dit : “Les Grecs tiennent ces événements pour antiques, car de plus anciens, ils n’en ont, du fait des déluges et des embrasements, ni observé, ni conservé de souvenirs”. Libre à Celse d’avoir, pour lui enseigner le mythe des embrasements et des inondations, les Egyptiens, gens, à son dire, d’une haute sagesse ! Sagesse dont les vestiges sont des animaux sans raison qu’ils adorent et des arguments qui prouvent que le culte ainsi rendu à la divinité est raisonnable et relève du secret et des mystères ! Ainsi quand les Egyptiens, pour vanter leur doctrine sur les animaux, apportent des raisons théologiques, les voilà devenus des sages. Mais, qu’on admette la loi et le législateur des Juifs, qu’on rapporte tout au Dieu unique, créateur de l’univers, on est moins considéré, aux yeux de Celse et de ses semblables, que si on ravale la divinité non seulement aux vivants raisonnables et mortels, mais encore aux êtres privés de raison, ce qui dépasse le mythe de la métensomatose concernant l’âme qui tombe de la voûte du ciel et descend jusqu’aux animaux sans raison, non seulement les animaux domestiques mais les bêtes les plus féroces. Et si les Egyptiens développent des mythes, c’est, croit-on, philosophie par énigmes et mystères ; mais si Moïse, qui écrit des histoires pour toute sa nation, lui laisse des récits et des lois, ses paroles, pense-t-on, sont fables vides et n’admettent pas d’allégorie ! . Voilà l’opinion de Celse et des Epicuriens. LIVRE I
L’amour de la dispute et la prévention laissent difficilement regarder en face même les choses évidentes, de peur qu’il faille abandonner des doctrines qui ont imprégné ceux à qui elles sont devenues une sorte d’habitude et dont elles ont façonné l’âme. Il est encore plus aisé en d’autres domaines d’abandonner ses habitudes, même invétérées, qu’en matière de doctrines. Du reste, celles-là aussi, les habitués les négligent malaisément : ainsi abandonner maisons, villes, villages, compagnons habituels, n’est pas aisé à qui est prévenu en leur faveur. Ce fut donc la raison pour laquelle bien des Juifs de l’époque ne purent regarder en face dans leur évidence les prophéties et les miracles, ce que Jésus a fait et a souffert d’après l’Écriture. Que la nature humaine soit affligée de ce travers sera manifeste si l’on réfléchit à la difficulté qu’on éprouve à changer d’avis une fois prévenu, fût-ce en faveur des plus honteuses et des plus futiles traditions des ancêtres et des concitoyens. Il sera long par exemple d’inspirer à un Egyptien le mépris d’une de ses traditions ancestrales, de cesser de croire à la divinité de tel animal sans raison ou de se garder jusqu’à la mort de goûter à sa chair. Si j’ai longuement examiné ce point et détaillé l’exposé du cas de Bethléem et la prophétie qui s’y rapporte, c’est que je pensais nécessaire de le faire pour répondre à l’objection : si telle était l’évidence des prophéties juives sur Jésus, pourquoi, à sa venue, n’a-t-on pas adhéré à son enseignement et ne s’est-on pas converti aux doctrines supérieures qu’il révélait ? Mais qu’on évite de faire pareil reproche à ceux d’entre nous qui croient, à la vue des raisons sérieuses de croire en Jésus présentées par ceux qui ont appris à les mettre en valeur. LIVRE I
Je dirai donc aux Grecs : les mages ont commerce avec les démons et les invoquent selon leur art et leurs desseins. Ils réussissent tant que rien de plus divin et de plus puissant que les démons et l’incantation qui les évoque n’apparaît pas ou n’est pas prononcée. Mais s’il survient une manifestation plus divine, sont détruites les puissances des démons, incapables de résister à la lumière de la divinité. Il est donc vraisemblable aussi qu’à la naissance de Jésus, lorsqu’« une troupe nombreuse de l’armée céleste », ainsi que l’écrivit Luc et que j’en suis persuadé, loua Dieu et dit : « Gloire à Dieu dans les hauteurs, paix sur la terre, et bienveillance divine chez les hommes » ! », de ce fait, les démons perdirent leur vigueur et leur force ; leur magie fut confondue et leur pouvoir cessa ; ils furent ruinés non seulement par la venue des anges à l’entoure de la terre pour la naissance de Jésus, mais encore par l’âme de Jésus et la divinité présente en lui. Aussi les mages, voulant accomplir comme auparavant leurs habituelles incantations et sorcelleries et n’y parvenant pas, en recherchèrent-ils la cause dont ils comprenaient l’importance. A la vue du signe céleste, ils désirèrent voir ce qu’il signalait. A mon sens donc, en possession des prophéties de Balaam rapportées par Moïse, lui aussi expert en cet art, ils y trouvèrent à propos de l’étoile ces mots : « Je lui montrerai, mais non maintenant ; je le félicite, mais il n’approchera pas. » Ils conjecturèrent que l’homme prédit avec l’étoile était venu à la vie, et, l’accueillant comme supérieur à tous les démons et aux êtres qui d’habitude leur apparaissaient et manifestaient leur puissance, ils voulurent « l’adorer ». Ils vinrent donc en Judée parce qu’ils étaient persuadés qu’un roi était né, mais sans savoir la nature de sa royauté, et parce qu’ils connaissaient le pays où il naîtrait. Ils apportaient « des présents » qu’ils offrirent comme à quelqu’un qui tienne à la fois, pour ainsi dire, de Dieu et de l’homme mortel, et des présents symboliques : l’or comme à un roi, la myrrhe comme à un être mortel, l’encens comme à un Dieu ; ils les « offrirent » après s’être informés du lieu de sa naissance. Mais puisqu’il était Dieu, ce Sauveur du genre humain élevé bien au-dessus des anges qui secourent les hommes, un ange récompensa la piété des mages à adorer Jésus, et les avertit de ne pas aller vers Hérode, mais de retourner chez eux par un autre chemin. LIVRE I
Je rétorque : un examen sensé et judicieux de la conduite des apôtres de Jésus montre que par la puissance divine ils enseignaient le christianisme et réussissaient à soumettre les hommes à la parole de Dieu. Ils ne possédaient ni éloquence naturelle ni ordonnance de leur message selon les procèdes dialectiques et rhétoriques des Grecs, qui entraînent les auditeurs. Mais il me semble que si Jésus avait choisi des hommes savants au regard de l’opinion publique, capables de saisir et d’exprimer des idées chères aux foules, pour en faire les ministres de son enseignement, il eût très justement prête au soupçon d’avoir prêche suivant une méthode semblable à celle des philosophes chefs d’école, et le caractère divin de sa doctrine n’aurait plus paru dans toute son évidence. Sa doctrine et sa prédication auraient consisté en discours persuasifs de la sagesse avec le style et la composition littéraire. Notre foi, pareille à celle qu’on accorde aux doctrines des philosophes de ce monde, reposerait sur « la sagesse des hommes » et non sur « la puissance de Dieu ». Mais à voir des pêcheurs et des publicains sans même les premiers rudiments des lettres — selon la présentation qu’en donne l’Évangile, et Celse les croit véridiques sur leur manque de culture —, assez enhardis non seulement pour traiter avec les Juifs de la foi en Jésus-Christ, mais encore pour le prêcher au reste du monde et y réussir, comment ne pas chercher l’origine de leur puissance de persuasion ? Car ce n’était pas celle qu’attendent les foules. Et qui n’avouerait que sa parole : « Venez à ma suite, je vous ferai pêcheurs d’hommes », Jésus l’ait réalisée par une puissance divine dans ses apôtres. Paul aussi, je l’ai dit plus haut, la propose en ces termes : « Ma doctrine et ma prédication ne consistaient pas en des discours persuasifs de la sagesse, mais dans une démonstration de l’Esprit et de la puissance, pour que notre foi reposât, non point sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » Car, selon ce qui est dit dans les prophètes quand ils annoncent avec leur connaissance anticipée la prédication de l’Évangile, « le Seigneur donnera sa parole aux messagers avec une grande puissance, le roi des armées du bien-aimé », pour que soit accomplie cette prophétie : « afin que sa parole courre avec rapidité ». Et nous voyons, de fait, que « la voix » des apôtres de Jésus « est parvenue à toute la terre, et leurs paroles, aux limites du monde ». Voilà pourquoi sont remplis de puissance ceux qui écoutent la parole de Dieu annoncée avec puissance, et ils la manifestent par leur disposition d’âme, leur conduite et leur lutte jusqu’à la mort pour la vérité. Mais il y a des gens à l’âme vide, même s’ils font profession de croire en Dieu par Jésus-Christ ; n’étant pas sous l’influence de la puissance divine, ils n’adhèrent qu’en apparence à la parole de Dieu. LIVRE I
Si l’on devait reprocher leur vie antérieure à ceux qui se sont convertis, il serait temps d’accuser aussi Phédon, tout philosophe qu’il ait été, puisque Socrate, comme l’atteste l’histoire, le fit passer d’un lieu de débauche à l’étude de la philosophie. De plus, le libertinage de Polémon, successeur de Xénocrate, on irait le reprocher à la philosophie. Alors que, dans ces exemples à sa louange, il faut dire que la raison s’est montrée capable, en ceux qui ont manié la persuasion, de retirer de vices si graves ceux qui d’abord y avaient été plongés. Et parmi les Grecs, le seul Phédon — j’ignore s’il y en eut un second — et le seul Polémon passèrent d’une vie de débauche effrénée à la pratique de la philosophie ; dans le cas de Jésus, non seulement les Douze d’alors, mais sans cesse et en bien plus grand nombre ceux qui sont devenus un choeur de sages disent de leur vie antérieure : « Car nous aussi nous étions naguère des insensés, des rebelles, des égarés, esclaves de toutes sortes de convoitises et de plaisirs, vivant dans la malice et l’envie, odieux et nous haïssant les uns les autres ; mais le jour où apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes », « par le bain de régénération et de rénovation de l’Esprit qu’il a répandu sur nous », nous sommes devenus ce que nous sommes. Car Dieu « a envoyé sa parole et il les a guéris et il les a tirés de leurs corruptions », comme l’enseigne le prophète des psaumes. A ces citations, je pourrais ajouter ceci : Chrysippe, pour réprimer les passions des âmes humaines, sans se mettre en peine du degré de vérité d’une doctrine, tente dans son ” Art de guérir les passions ” de soigner suivant les différentes écoles ceux dont l’âme était plongée dans ces passions, et dit : Si le plaisir est la fin, c’est dans cette perspective qu’il faut soigner les passions ; s’il y a trois espèces de biens, ce n’est pas moins suivant cette doctrine qu’il faut délivrer de leurs passions ceux qu’elles entravent. Mais les accusateurs du christianisme ne voient pas le grand nombre d’hommes dont les passions et le débordement sont réprimés ou dont les caractères sauvages se trouvent adoucis en raison de notre doctrine. C’était un devoir, à ces gens qui préconisent le bien commun, d’avouer leur reconnaissance à cet Évangile qui par une nouvelle méthode a retiré les hommes de tant de vices ; bien plus, de rendre témoignage, sinon à sa vérité, du moins à son utilité pour le genre humain. LIVRE I
A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I
Il était bien logique que ceux qui étaient envoyés aux circoncis ne s’écartent pas des coutumes juives, quand « ceux que l’on considérait comme des colonnes donnèrent en signe de communion la main » à Paul et à Barnabé, et partirent « eux vers les circoncis », afin que les autres aillent prêcher aux Gentils. Mais, que dis-je, ceux qui prêchent aux circoncis se retiraient des Gentils et se tenaient à l’écart ? Paul lui-même se fit « Juif pour gagner les Juifs ». C’est la raison pour laquelle, comme il est encore écrit dans les Actes des Apôtres, il présenta même une oblation à l’autel, afin de persuader les Juifs qu’il n’était point un apostat de la loi. Si Celse avait su tout cela, il n’aurait pas mis en scène un Juif qui dit aux croyants issus du judaïsme : “Quel malheur vous est donc survenu, mes compatriotes, que vous ayez abandonné la loi de nos pères, et que, séduits par celui avec qui je discutais tout à l’heure, vous ayez été bernés de la plus ridicule façon, et nous ayez désertés pour changer de nom et de genre de vie ?” Puisque j’en suis à parler de Pierre et de ceux qui ont enseigné le christianisme aux circoncis, je ne crois pas hors de propos de citer une déclaration de Jésus, tirée de l’Évangile selon Jean, et de l’expliquer. Voici donc ce qu’il dit d’après l’Écriture : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira. » La question est de savoir quel était ce « grand nombre de choses » que Jésus avait à dire à ses disciples, mais qu’ils n’étaient pas encore en état de porter. Je réponds : parce que les apôtres étaient des Juifs, instruits de la loi de Moïse prise à la lettre, il avait peut-être à dire quelle était la loi véritable, de quelles « réalités célestes » le culte des Juifs était l’accomplissement « en figure et en image », quels étaient les « biens à venir » dont l’ombre était contenue dans la loi sur les aliments, les boissons, les fêtes, les nouvelles lunes et les sabbats. Voilà « le grand nombre de choses » qu’il avait à leur dire. Mais il voyait l’extrême difficulté d’arracher de l’âme des opinions pour ainsi dire congénitales et développées jusqu’à l’âge mûr, ayant laissé ceux qui les avaient reçues persuadés qu’elles étaient divines et qu’il était impie de les en dépouiller. Il voyait la difficulté de prouver, jusqu’à en persuader les auditeurs, qu’en comparaison de la suréminence de la « connaissance » selon le Christ, c’est-à-dire selon la vérité, elle n’étaient que « déchets » et « dommages ». Il remit donc cette tâche à une occasion plus favorable, après sa passion et sa résurrection. Et en effet, il était vraiment hors de propos d’apporter du secours à ceux qui n’étaient pas encore capables de le recevoir ; cela pouvait détruire l’impression, qu’ils avaient déjà reçue, que Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Considère s’il n’y a pas un sens respectable à entendre ainsi le passage : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » : par un grand nombre de choses, il entendait la méthode d’explication et d’éclaircissement de la loi dans un sens spirituel ; et les disciples ne pouvaient en quelque sorte les porter, parce qu’ils étaient nés et avaient été jusqu’alors élevés parmi les Juifs. Et, je pense, c’est parce que les pratiques légales étaient une figure, et que la vérité était ce que le Saint-Esprit allait leur enseigner, qu’il a été dit : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière » ; comme s’il disait : vers la vérité intégrale des réalités dont, ne possédant que les figures, vous croyiez adorer Dieu de l’adoration véritable. Conformément à la promesse de Jésus, l’Esprit de vérité vint sur Pierre et lui dit, à propos des quadrupèdes et des reptiles de la terre et des oiseaux du ciel : « Debout, Pierre, immole et mange ! » Il vint à lui, bien qu’il fût encore imbu de superstition, car même à la voix divine il répond : « Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. » Et il lui enseigna la doctrine sur les aliments véritables et spirituels par ces mots : « Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé. » Et après cette vision, l’Esprit de vérité, conduisant Pierre « vers la vérité tout entière », lui dit « le grand nombre de choses » qu’il ne pouvait pas « porter » alors que Jésus lui était encore présent selon la chair. LIVRE II
Après cela, en dépit de la redite de Celse sur Jésus qui répète alors une seconde fois : ” Il a subi chez les Juifs le châtiment de ses fautes”, je ne recommencerai pas à le défendre, me contentant de qui a été dit. Ensuite son Juif déprécie, comme vieilleries, “renseignement sur la résurrection des morts et le jugement de Dieu, la récompense pour les justes et le feu pour les injustes,” et il croit détruire le christianisme en déclarant qu’en ces matières les chrétiens n’enseignent rien de neuf. Il faut lui répondre : notre Jésus, voyant que la conduite des Juifs n’était en rien digne des enseignements prophétiques, enseigna, par une parabole, que « le Règne de Dieu leur serait enlevé et serait donné » à ceux qui viendraient de la gentilité. Et c’est pourquoi on peut vraiment regarder toutes les doctrines des Juifs actuels comme des fables et des futilités – car ils n’ont pas la lumière de l’intelligence des Écritures -, et les doctrines des chrétiens comme la vérité, aptes qu’elles sont à élever et à exalter l’âme et l’esprit de l’homme, et à persuader qu’ils ont une « cité » non point en bas en quelque sorte comme les Juifs de la terre, mais « dans le ciel ». Cela est manifeste chez ceux qui perçoivent la sublimité des pensées de la loi et des prophètes, et qui sont capables de la faire voir aux autres. Même si “Jésus a observé tous les usages en vigueur chez les Juifs, y compris les pratiques sacrificielles,” en résulte-t-il qu’il ne faut pas croire en lui comme au Fils de Dieu ? Jésus est Fils du Dieu qui a donné la loi et les prophètes ; et cette loi, nous qui sommes de son Église, nous ne la transgressons pas, mais nous avons fui les fables des Juifs et nous retirons sagesse et instruction de la contemplation mystique de la loi et des prophètes. En effet, les prophètes ne restreignent pas le sens de leurs paroles au récit dans sa teneur obvie et à la loi dans son texte littéral ; mais tantôt ils déclarent, sur le point de raconter des histoires : « Je vais ouvrir la bouche en paraboles, je vais évoquer les mystères de l’origine», tantôt ils disent dans leurs prières, à propos de la loi, comme si elle n’était pas claire mais demandait le secours de Dieu pour être comprise : « Ouvre mes yeux, et je comprendrai les merveilles de ta loi. » LIVRE II
Pour citer encore, à propos de Judas, un argument qui le confonde, je dirai que, dans le livre des psaumes, tout le cent-huitième n’est qu’une prophétie à son sujet. Il débute par ces mots : « O Dieu, ne cesse de parler à ma louange, car la bouche du méchant et la bouche du trompeur s’est ouverte contre moi. » Et on y prophétise que Judas s’est exclu du nombre des apôtres à cause de son péché, et qu’un autre a été choisi à sa place ; c’est le sens du mot : « et qu’un autre prenne sa charge ». Mais admettons qu’il ait été livré par un des disciples pire que Judas, sur lequel aient glissé, pour ainsi dire, toutes les paroles de Jésus : en quoi cela renforcerait-il une accusation contre Jésus ou le christianisme ? Comment serait-ce une preuve de la fausseté de l’Évangile ? Quant aux accusations qui suivent, j’y ai déjà répondu plus haut en montrant que ce n’est pas en fuyant que Jésus a été pris, mais qu’il s’est volontairement livré pour nous ; d’où il suit que s’il a été lié, il l’a été de son plein gré, nous enseignant à accueillir de bon coer ces sortes d’épreuves endurées pour la religion. Voici encore qui me semble puéril : “Un bon général qui commande à des milliers de soldais n’est jamais livré, ni même un misérable chef de brigands à la tête des plus dépravés, tant qu’il semble utile à ses associés. Mais Jésus, puisqu’il fut livré par ses subordonnés, n’a pas commandé en bon général, et après avoir dupé ses disciples, il n’a pas inspiré à ces dupes la bienveillance, si l’on peut dire, que l’on a pour un chef de brigands.” On peut trouver bien des histoires de généraux livrés par leurs familiers, et de chefs de brigands pris par suite d’une infidélité aux engagements à leur égard. Admettons qu’aucun des généraux ou des chefs de brigands n’ait été livrés : en quoi cela renforce-t-il le grief fait à Jésus de ce qu’un de ses disciples l’a livré ? Puisque Celse fait profession de philosophie, je peux lui demander : est-ce un motif d’accuser Platon si Aristote, après l’avoir écouté vingt ans, s’est détourné de lui, s’en prit à sa doctrine de l’immortalité de l’âme, et a qualifié de « fredonnements » les Idées platoniciennes ? S’il restait un doute, j’ajouterais : est-ce que Platon n’avait plus de vigueur dialectique ni de puissance à établir son système, quand Aristote se fut détourné de lui, et les doctrines de Platon sont-elles fausses pour autant ? Ou se peut-il que Platon ait raison, au dire des philosophes qui le suivent, et qu’Aristote soit devenu méchant et ingrat envers son maître ? Chrysippe également, en bien des passages de ses livres, semble s’attaquer à Cléanthe, et propose des innovations contraires aux thèses de celui-ci, qui fut son maître alors qu’il était jeune et abordait la philosophie. Et pourtant, Aristote, dit-on, a fréquenté Platon vingt ans, et Chrysippe fut à l’école de Cléanthe un temps considérable. Mais Judas n’a même point passé trois ans près de Jésus. Des biographies de philosophes on tirerait bien des faits pareils à ceux que Celse reproche à Jésus à propos de Judas. Les Pythagoriciens bâtissaient même des cénotaphes pour ceux qui, après s’être orientés vers la philosophie, rebroussaient chemin vers la vie commune ; cette défection n’affaiblissait pas la doctrine ni les preuves de Pythagore et de ses disciples. LIVRE II
Ensuite, le Juif dit à ses compatriotes qui croient en Jésus . “EH bien soit, on vous le concède, il a dit cela. Mais combien d’autres usent de ces contes merveilleux pour persuader leurs auditeurs naïfs et tirer profit de l’imposture ! Ce fut le cas, dit-on, en Scythie de Zamolxis, esclave de Pythagore, de Pythagore lui-même en Italie, de Rhampsinite en Egypte. Ce dernier, chez Hades, « jouant aux des avec Déméter», obtint d’elle « une serviette lamée d’or » qu’il remporta comme présent. Ainsi encore Orphée chez les Odryses, Protesilas en Thessalie, Héraclès à Tenare, et Thésée. Mais ce qu’il faut examiner, c’est si un homme réellement mort est jamais ressuscité avec le même corps. Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme, le tremblement de terre et les ténèbres ? Vivant, dites-vous, il ne s’est pas protégé lui-même, mort, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. Qui a vu cela ? Une exaltée, dites-vous, et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement, soit que par suite d’une certaine disposition il ait eu un songe et qu’au gré de son désir dans sa croyance égarée il ait eu une représentation imaginaire, chose arrivée déjà à bien d’autres, soit plutôt qu’il ait voulu frapper l’esprit des autres par ce conte merveilleux, et, par cette imposture, frayer la voie à d’autres charlatans”. LIVRE II
Mais le Juif, après avoir rapporté les histoires grecques de ces conteurs de merveilles et des soi-disant ressuscites des morts, dit aux Juifs qui croient en Jésus : «Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme ? » Nous répondrons au Juif : les exemples que tu as cités, nous les tenons pour mythes, mais ceux des Écritures, qui nous sont communes avec vous et en égale vénération, nous nions absolument que ce soient des mythes. Voilà pourquoi nous croyons que ceux qui ont écrit sur les personnages autrefois ressuscites des morts n’usent pas de contes merveilleux ; nous croyons de même que Jésus est alors ressuscité tel qu’il l’a prédit et qu’il fut prophétisé. Mais voici en quoi sa résurrection des morts est plus miraculeuse que la leur : eux furent ressuscités par les prophètes Élie et Elisée ; Lui ne le fut par aucun des prophètes, mais par son Père qui est dans les cieux. Pour la même raison, sa résurrection a eu plus d’efficacité que la leur : car quel effet eut pour le monde la résurrection de petits enfants par Élie et Elisée, qui soit comparable à l’effet de la résurrection de Jésus prêchée et admise des croyants grâce à la puissance divine ? Il juge contes merveilleux le tremblement de terre et les ténèbres ; je les ai défendus plus haut de mon mieux en citant Phlégon qui a rapporté que ces faits survinrent au temps de la passion du Sauveur. Il ajoute, de Jésus : « Vivant, il ne s’est pas protégé lui-même ; mort, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. » Je lui demande alors : que signifie « il s’est protégé lui-même » ? S’il s’agit de la vertu, je dirai qu’il s’est bel et bien protégé : sans dire ni faire quoi que ce fût d’immoral, mais vraiment « comme une brebis il a été conduit à l’abattoir, comme un agneau devant le tondeur il est resté muet », et l’Évangile atteste : « ainsi, il n’a pas ouvert la bouche ». Mais si l’expression « il s’est protégé » s’entend de choses indifférentes ou corporelles, je dis avoir prouvé par les Évangiles qu’il s’y est soumis de plein gré. Puis, après avoir rappelé les affirmations de l’Évangile : « ressuscité des morts, il montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées », il pose la question : « Qui a vu cela ? » et, s’en prenant au récit de Marie-Madeleine dont il est écrit qu’elle l’a vu, il répond : « Une exaltée, dites-vous ». Et parce qu’elle n’est pas la seule mentionnée comme témoin oculaire de Jésus ressuscité, et qu’il en est encore d’autres, le Juif de Celse dénature ce témoignage : « et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement ». Ensuite, comme si le fait était possible, je veux dire qu’on puisse avoir une représentation imaginaire d’un mort comme s’il était en vie, il ajoute, en adepte d’Épicure, que « quelqu’un a eu un songe d’après une certaine disposition, ou, au gré de son désir dans sa croyance égarée, une représentation imaginaire » et a raconté cette histoire ; « chose, ajoute-t-il, arrivée déjà à bien d’autres ». Or c’est là, même s’il le juge très habilement dit, ce qui est propre néanmoins à confirmer une doctrine essentielle : l’âme des morts subsiste ; et pour qui admet cette doctrine, la foi en l’immortalité de l’âme ou du moins à sa permanence n’est pas sans fondement. Ainsi même Platon, dans son dialogue sur l’âme, dit qu’autour de tombeaux sont apparues à certains « des images semblables aux ombres », d’hommes qui venaient de mourir. Or ces images apparaissant autour des tombeaux des morts viennent d’une substance, l’âme qui subsiste dans ce qu’on appelle le « corps lumineux » Celse le rejette, mais veut bien que certains aient eu une vision en rêve et, au gré de leur désir, dans leur croyance égarée, une représentation imaginaire. Croire à 1’existence d’un tel songe n’est point absurde, mais celle d’une vision chez des gens qui ne sont pas absolument hors de sens, frénétiques ou mélancoliques, n’est pas plausible. Celse a prévu l’objection il parle d’une femme exaltée. Cela ne ressort pas du tout de l’histoire écrite d’où il tire son accusation Ainsi donc, après sa mort, Jésus, au dire de Celse, aurait provoqué une représentation imaginaire des blessures reçues sur la croix, sans exister réellement avec ces blessures. Mais suivant les enseignements de l’Evangile, dont Celse admet à sa guise certaines parties pour accuser, et rejette les autres, Jésus appela près de lui l’un des disciples qui ne croyait pas et jugeait le miracle impossible. Il avait bien donné son assentiment à celle qui assurait l’avoir vu, admettant la possibilité de voir apparaître l’âme d’un mort, mais il ne croyait pas encore vrai que le Christ fût ressuscite dans un corps résistant. D’où sa repartie « Si je ne vois, je ne croirai pas », puis ce qu’il ajoute « Si je ne mets ma main à la place des clous et ne touche son côté, je ne croirai pas. » Voilà ce que disait Thomas, jugeant qu’aux yeux sensibles pouvait apparaître le corps de l’âme « en tout pareil » a sa forme antérieure « par la taille, les beaux yeux, la voix », et souvent même « revêtu des mêmes vêtements » Mais Jésus l’appela près de lui « Avance ton doigt ici voici mes mains , avance ta main et mets-la dans mon côte , et ne sois plus incrédule, mais croyant » LIVRE II
Mais pour quelle raison le Juif de Celse a-t-il dit que Jésus se cachait ? Car il dit de lui : Quel messager envoyé en mission se cacha-t-il jamais au lieu d’exposer l’objet de son mandat ? Non, il ne se cachait pas, puisqu’il dit à ceux qui cherchaient à le prendre : « Chaque jour j’étais dans le temple à enseigner librement, et vous n’osiez m’arrêter. » A la suite, où Celse ne fait que se répéter, j’ai déjà répondu une fois, je me bornerai donc à ce qui est déjà dit. Car plus haut se trouve écrite la réponse à l’objection : Est-ce que, de son vivant, alors que personne ne le croyait, il prêchait à tous sans mesure, et, quand il aurait affermi la foi par sa résurrection d’entre les morts, ne se laissa-t-il voir en cachette qu’à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie ? Ce n’est pas vrai : il n’est pas apparu seulement à une femmelette, car il est écrit dans l’Évangile selon Matthieu : « Après le sabbat, dès l’aube du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent visiter le sépulcre. Alors il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre. » Et peu après, Matthieu ajoute : « Et voici que Jésus vint à leur rencontre ? évidemment, les Marie déjà nommées ?, et il leur dit : « Je vous salue ». Elles s’approchèrent, embrassèrent ses pieds et se prosternèrent devant Lui. » On a également répondu à sa question : Est-ce donc que, durant son supplice, il a été vu de tous, mais après sa résurrection, d’un seul – en réfutant l’objection qu’il n’a pas été vu de tous. Ici j’ajouterai : ses caractères humains étaient visibles de tous ; ceux qui étaient proprement divins – je ne parle pas de ceux qui le mettaient en relation avec les autres êtres, mais de ceux qui l’en séparaient – n’étaient pas intelligibles à tous. De plus, note la contradiction flagrante où Celse s’empêtre. A peine a-t-il dit : « Il s’est laissé voir en cachette à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie », qu’il ajoute : « durant son supplice, il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu. » Entendons ce qu’il veut dire par « durant son supplice il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu». A en juger par son expression, il voulait une chose impossible et absurde : que, durant son supplice, il soit vu d’un seul, après sa résurrection, de tous ! Ou comment expliquer : « c’est le contraire qu’il aurait fallu »? Jésus nous a enseigné qui l’avait envoyé, dans les paroles : « Personne n’a connu le Père si ce n’est le Fils », « Personne n’a jamais vu Dieu : mais le Fils unique, qui est Dieu, qui est dans le sein du Père, lui, l’a révélé» . C’est lui qui, traitant de Dieu, annonça à ses disciples véritables les caractéristiques de Dieu. Les indices qu’on en trouve dans les Écritures nous offrent des points de départ pour parler de Dieu : on apprend, ici, que « Dieu est lumière et il n’y a point en lui de ténèbres », là, que « Dieu est esprit, et ses adorateurs doivent l’adorer en esprit et en vérité ». De plus, les raisons pour lesquelles le Père l’a envoyé sont innombrables : on peut à son gré les apprendre soit des prophètes qui les ont annoncées d’avance, soit des évangélistes ; et on tirera bien des connaissances des apôtres, surtout de Paul. En outre, si Jésus donne sa lumière aux hommes pieux, il punira les pécheurs. Faute d’avoir vu cela, Celse écrit : Il illuminera les gens pieux et aura pitié des pécheurs ou plutôt de ceux qui se sont repentis. Après cela, il déclare : S’il voulait demeurer caché, pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la mort ? Il pense par là montrer la contradiction entre ce qui est écrit de lui, sans voir que Jésus ne voulait ni que tous ses aspects fussent connus de tous, même du premier venu, ni que tout ce qui le concerne demeurât caché. En tout cas, la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu », au témoignage de l’Écriture, n’a pas été dite de façon à être entendue de la foule, comme l’a cru le Juif de Celse. De plus, la voix venant de la nuée, sur la haute montagne, a été entendue de ceux-là seuls qui avaient fait l’ascension avec lui ; car c’est le propre de la voix divine d’être entendue seulement de ceux à qui il « veut » faire entendre sa parole. Et je n’insiste pas sur le fait que la voix de Dieu, mentionnée dans l’Écriture, n’est certainement pas de l’air en vibration, ou un ébranlement d’air, ou tout autre définition des traites sur la voix : elle est donc entendue par une oreille supérieure et plus divine que l’oreille sensible Et comme Dieu qui parle ne veut pas que sa voix soit audible à tous, qui a des oreilles supérieures entend Dieu, mais qui est sourd des oreilles de l’âme est insensible à la parole de Dieu. Voilà pour répondre à la question : « Pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? » Et la suivante : « S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la mort ? » trouve une réponse suffisante dans ce qu’on a dit longuement de sa passion dans les pages précédentes. LIVRE II
Après cela il déclare :” Leur société est d’autant plus étonnante qu’on peut mieux prouver qu’elle ne repose sur aucun fondement solide. Elle n’a de fondement solide que la révolte, l’avantage qu’on en espère et la crainte des étrangers : telle est l’assise de leur foi. ” A quoi je répliquerai : notre société est si bien établie sur un fondement, ou plutôt, non pas sur un fondement, mais sur l’action de Dieu, qu’elle a pour origine Dieu enseignant aux hommes, dans les prophètes, à espérer la venue du Christ pour sauver les hommes. Dans la mesure où cela n’est point véritablement réfuté, malgré les réfutations apparentes des incroyants, dans cette mesure même il est établi que cette doctrine est la doctrine de Dieu, et démontré que Jésus est le Fils de Dieu avant et après son incarnation. Mais je l’affirme, même depuis son incarnation, elle ne cesse d’être découverte, par ceux qui ont les yeux de l’âme très pénétrants, comme la plus divine, réellement descendue de Dieu vers nous, ne pouvant tirer son origine ni son développement de l’intelligence humaine, mais uniquement de l’apparition sensible de Dieu qui, dans la variété de sa sagesse et de ses miracles, a établi d’abord le judaïsme et après lui le christianisme. Ainsi se trouve réfuté le propos qu’il faut considérer la révolte et l’avantage qu’on en espère comme le principe de la doctrine par laquelle tant d’hommes ont été convertis et rendus meilleurs. LIVRE III
Mais vois si les doctrines de notre foi, en parfaite harmonie dès l’origine avec les notions communes, ne transforment pas les auditeurs judicieux. Car même si la perversion, soutenue par une ample culture, a pu implanter dans la foule l’idée que les statues sont des dieux, et que les objets d’or, d’argent, d’ivoire, de pierre, sont dignes d’adoration, la notion commune exige de penser que Dieu n’est absolument pas une matière corruptible et ne peut être honoré sous les formes façonnées par les hommes dans des matières inanimées qui seraient « à son image » ou comme des symboles. Aussi, d’emblée, est-il dit des images qu’« elles ne sont pas des dieux » et de ces objets fabriqués qu’ils ne sont pas comparables au Créateur, étant si minimes par rapport au Dieu suprême qui créa, maintient et gouverne l’ensemble de l’univers. Et d’emblée, comme si elle reconnaissait sa parenté, l’âme raisonnable rejette ceux qui lui avaient jusque-là paru être des dieux, et recouvre son amour naturel pour le Créateur ; et, à cause de cet amour, elle accueille aussi Celui qui le premier a donné ces enseignements à toutes les nations, par les disciples qu’il a établis et envoyés avec puissance et autorité divines prêcher la doctrine sur Dieu et sur son Règne. LIVRE III
Il revient ensuite au reproche sur Jésus : Bien qu’il soit formé d’un corps mortel, nous le croyons Dieu, en quoi nous jugeons faire un acte de piété. Inutile de répondre encore à l’objection, car on l’a déjà fait plus haut tout au long. Cependant les critiques doivent savoir que Celui que nous croyons avec conviction être dès l’origine Dieu et Fils de Dieu est, par le fait, le Logos en personne, la Sagesse en personne, la Vérité en personne. Et nous affirmons que son corps mortel et l’âme humaine qui l’habite, ont acquis la plus haute dignité non seulement par l’association, mais encore par l’union et le mélange avec Lui et que, participant à sa divinité, ils ont été transformés en Dieu. Est-on choqué de cette affirmation même à propos de son corps? Qu’on se réfère aux affirmations des Grecs sur la matière : à proprement parler dépourvue de qualités, elle est revêtue des qualités dont il plaît au Créateur de l’entourer, et fréquemment, elle abandonne ses qualités antérieures pour en recevoir d’autres supérieures et différentes. S’il y a là une vue saine, quoi d’étonnant que par la Providence de Dieu qui en décrète ainsi, la qualité mortelle du corps de Jésus ait été changée en une qualité éthérée et divine ? LIVRE III
De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III
Car il est écrit dans la lettre de notre Paul aux Corinthiens, Grecs dont les moers n’étaient pas encore purifiées : « C’est du lait que je vous ai donné à boire et non une nourriture solide, vous ne pouviez pas encore la supporter. Et vous ne le pouvez pas encore à présent, car vous êtes encore charnels. Du moment qu’il y a parmi vous jalousie et dispute, n’êtes-vous pas charnels et votre conduite n’est-elle pas tout humaine ? » Et ce même apôtre, sachant que certaines vérités sont la nourriture de l’âme avancée en perfection, et que d’autres, celles des néophytes, sont comparables au lait des petits enfants, déclare : « Et vous en êtes venus à avoir besoin de lait, non de nourriture solide. De fait, quiconque en est encore au lait ignore la doctrine de justice : ce n’est qu’un petit enfant. La nourriture solide est pour les parfaits, ceux qui, par l’habitude ont le sens moral exercé au discernement du bien et du mal. » Dès lors, ceux qui croient à la beauté de ces paroles supposeraient-ils qu’on ne traiterait jamais des beaux mystères du Logos dans une assemblée d’hommes prudents, mais que, si on apercevait des adolescents, une foule d’esclaves, un rassemblement d’imbéciles, on irait y proposer en public les mystères divins et vénérables, et en faire étalage devant de tels spectateurs? Au contraire, à scruter tout le dessein de nos Écritures, il est bien clair que, partageant la haine de la grossière populace pour la race des chrétiens, Celse profère sans examen de tels mensonges. LIVRE III
Nous avouons notre désir d’instruire tous les hommes de la parole de Dieu, malgré la négation de Celse, au point de vouloir communiquer aux adolescents l’exhortation qui leur convient, et indiquer aux esclaves comment ils peuvent, en recevant un esprit de liberté, être ennoblis par le Logos. Nos prédicateurs du christianisme déclarent hautement qu’ils se doivent « aux Grecs comme aux barbares, aux savants comme aux ignorants » : ils ne nient point qu’il faille guérir même l’âme des ignorants, afin que, déposant leur ignorance autant que possible, ils s’efforcent d’acquérir une meilleure intelligence, pour obéir aux paroles de Salomon : « Vous les sots, reprenez coer » ; « Que le plus sot d’entre vous se tourne vers moi ; à qui est dépourvu d’intelligence, j’ordonne, moi, la sagesse » ; « Venez, mangez de mon pain, buvez du vin que je vous ai préparé, quittez la sottise et vous vivrez, redressez votre intelligence dans la science. » Et sur ce point je pourrais ajouter en réponse au propos de Celse : Est-ce que les philosophes n’invitent pas les adolescents à les entendre ? N’exhortent-ils pas les jeunes gens à quitter une vie déréglée pour les biens supérieurs ? Mais quoi, ne veulent-ils pas que des esclaves vivent en philosophes? Allons-nous donc, nous aussi, reprocher aux philosophes d’avoir conduit des esclaves à la vertu, comme fit Pythagore pour Zamolxis, Zénon pour Persée et, hier ou avant-hier, ceux qui ont conduit Epictète à la philosophie ? Ou alors vous sera-t-il permis, ô Grecs, d’appeler à la philosophie des adolescents, des esclaves, des sots, tandis que, pour nous, ce serait manquer d’humanité de le faire, quand, en leur appliquant le remède du Logos, nous voulons guérir toute nature raisonnable, et l’amener à la familiarité avec Dieu Créateur de l’univers? Voilà qui suffisait pour répondre aux paroles de Celse, qui sont des injures plus que des critiques. LIVRE III
Vois donc, là encore, un exemple de ses sarcasmes contre nos maîtres de doctrine. Eux qui s’efforcent d’élever l’âme de toute manière au Créateur de l’univers, en prouvant qu’il faut mépriser toutes ces choses sensibles, passagères et visibles, et tout faire pour obtenir la communion avec Dieu, la contemplation des réalités intelligibles et invisibles, la béatitude avec Dieu et les amis de Dieu, Celse les compare aux cardeurs qu’on voit dans les maisons particulières, aux cordonniers, aux foulons, aux plus grossiers des hommes, qui solliciteraient au mal des enfants en bas âge, des bonnes femmes, pour qu’ils s’éloignent du père et des précepteurs et les suivent. Mais de quel père sensé, de quels précepteurs aux enseignements sérieux éloignons-nous les enfants et les bonnes femmes ? Que Celse veuille bien l’établir ! Qu’il montre, par comparaison, si les enfants et les bonnes femmes qui embrassent notre doctrine en avaient entendu de meilleures que la nôtre, et de quelle manière nous écartons enfants et bonnes femmes de leçons belles et vénérables pour les convier à des pires ? Il ne pourra en fournir la preuve . bien au contraire, nous détournons les bonnes femmes de l’impureté, de la perversion causée par leur entourage, de la folie du théâtre, de la superstition. Et les enfants arrives à la puberté, que gonflent les désirs de volupté, nous tâchons de les assagir en leur montrant non seulement la honte du pèche, mais encore l’état où ces fautes réduisent l’âme des méchants, les peines qu’elle devra subir, les supplices qui l’attendent. LIVRE III
Puis, sentant bien qu’il nous avait injuriés avec trop d’aigreur, et comme pour s’excuser, il poursuit : Je n’accuse pas avec plus d’aigreur que la vérité ne m’y contraint, qu’on veuille bien en accepter cette preuve. Ceux qui appellent aux autres initiations proclament: « Quiconque a les mains pures et la langue avisée », et d’autres encore : « Quiconque est pur de toute souillure, dont l’âme n’a conscience d’aucun mal, et qui a bien et justement vécu »: voilà ce que proclament ceux qui promettent la purification des péchés. Ecoulons, au contraire, quels hommes appellent ces chrétiens : « Quiconque est pécheur, quiconque faible d’esprit, quiconque petit enfant, bref quiconque est malheureux, le Royaume de Dieu le recevra. » Or, par pécheur, n’entendez-vous pas l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux ? Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? Voici notre réponse : ce n’est pas la même chose d’appeler les malades de l’âme à la santé, et les bien portants à la connaissance et à la science de choses divines. Nous aussi, nous savons établir cette distinction. Au début, invitant les hommes à la guérison, nous exhortons les pécheurs à venir aux doctrines qui enseignent à éviter le péché, les faibles d’esprit aux doctrines qui affinent l’intelligence, les petits enfants à s’élever jusqu’à des sentiments virils, bref, les malheureux au bonheur, plus précisément à la béatitude. Et quand, parmi ceux que nous exhortons, les progressants se montrent purifiés par le Logos, menant autant que possible une vie meilleure, alors nous les appelons à l’initiation parfaite, « car nous parlons sagesse parmi les parfaits ». LIVRE III
Ensuite il s’accorde ce que ne concèdent pas les croyants raisonnables, mais que tiennent peut-être quelques sots : Semblable à ceux que leur pitié rend esclaves, asservi par la pitié pour ceux qui se lamentent, Dieu soulage les méchants, et rejette les bons qui ne font rien de tel: c’est le comble de l’injustice. Selon nous, Dieu ne soulage aucun méchant qui ne soit pas encore tourné vers la vertu, et ne rejette aucun homme qui déjà est bon. De plus, il ne soulage personne qui se lamente à cause qu’il se lamente, ou n’en a pitié, à prendre l’expression au sens ordinaire. Mais ceux qui se condamnent sévèrement eux-mêmes pour leurs péchés, jusqu’à pleurer et se lamenter comme de leur perte due aux méfaits passés, et qui manifestent un changement notable, Dieu les accueille à cause de leur conversion, même s’ils reviennent d’une vie dépravée. Car la vertu entrée dans l’âme en chasse la malice qui la dominait et leur procure l’oubli. Et, à défaut de vertu, si un progrès notable se produit dans l’âme, il suffit, lui aussi, dans la mesure où c’est un progrès, à en chasser et tarir le flot de la malice, si bien qu’elle n’existe presque plus dans l’âme. LIVRE III
Nous ne cherchons donc pas refuge près de petits enfants et de rustres stupides en leur disant: Fuyez les médecins; nous ne disons pas : Prenez garde qu’aucun de vous n’acquière la science; nous n’affirmons pas : La science est un mal; nous ne sommes pas assez fous pour dire : La science fait perdre aux hommes la santé de l’âme. Nous ne dirions pas non plus qu’un homme ait jamais été perdu par la sagesse. Quand nous enseignons, nous ne déclarons pas : Attachez-vous à moi ! mais : Attachez-vous au Dieu de l’univers, et à Jésus le maître des enseignements divins. Et nul n’est hâbleur au point de dire aux disciples le propos que Celse met dans la bouche du maître : Moi seul vous sauverai. Vois donc tous les mensonges qu’il profère contre nous ! Et nous ne disons pas non plus des vrais médecins : Ils tuent ceux qu’ils promettent de guérir. Il apporte un second exemple contre nous, et affirme que celui qui enseigne notre doctrine se conduit comme un homme ivre parmi des gens ivres, qui accuse les gens sobres d’être en état d’ivresse. Qu’il démontre alors, d’après les écrits de Paul par exemple, que l’apôtre de Jésus était ivre et que ses paroles n’étaient pas celles d’un homme sobre, ou bien d’après les écrits de Jean, que ses pensées ne respirent pas une parfaite tempérance bien éloignée de l’ivresse du mal ! Donc nul homme tempérant qui enseigne la doctrine chrétienne n’est ivre, et c’est là une injure de Celse indigne d’un philosophe. Et quels gens sobres accusons-nous, nous les prédicateurs de la doctrine chrétienne, à Celse de le dire ! Pour nous sont ivres tous ceux qui s’adressent à des choses inanimées comme à Dieu. Et que dis-je : ils sont ivres ? Ils sont fous, plutôt, ceux qui s’empressent de courir aux temples adorer comme dieux les statues et les animaux. Ils ne sont pas moins fous ceux qui s’imaginent que sont faits pour le culte des dieux véritables les objets façonnés par des artisans parfois les plus vils des hommes. LIVRE III
Comme Celse reproche aux chrétiens d’être attirés par de vaines espérances, je répondrai à ses attaques contre la doctrine de la vie bienheureuse et de la communion avec Dieu : alors d’après toi, mon brave, ils sont attirés par des espérances vaines ceux qui ont accepté la doctrine de Pythagore et de Platon sur l’âme naturellement faite pour monter à la voûte du ciel, et dans un lieu supracéleste contempler les mêmes spectacles que les bienheureux. Et pour toi, Celse, ceux là aussi qui, ayant admis la survie de l’âme, vivent de manière à devenir des héros et à partager le séjour des dieux, sont attirés par des espérances vaines. Et probablement, même ceux qui sont persuadés que l’esprit qui vient « du dehors » est immortel et sera seul à survivre, au dire de Celse sont attirés par des espérances vaines. Qu’il vienne donc, sans plus cacher à quelle secte il appartient, mais s’avouant épicurien, combattre les raisons solides données parmi les Grecs et les barbares sur l’immortalité de l’âme et sa survie, ou sur l’immortalité de l’esprit. Qu’il prouve que ce sont là des raisons qui trompent par des espérances vaines ceux qui les admettent ; tandis que les raisons de sa propre philosophie, au lieu d’espérances vaines, ou inspirent de bonnes espérances ou, ce qui est plus conforme à ses principes, n’inspirent aucune espérance puisque l’âme subit une destruction immédiate et totale. A moins que Celse et les Epicuriens refusent de considérer comme vaine l’espérance de leur fin, le plaisir, qui est pour eux le bien suprême, et n’est que le sain équilibre du corps et la confiance assurée que met en lui Épicure. LIVRE III
Qu’on ne me suspecte pas de désaccord avec la doctrine chrétienne quand j’ai mobilisé contre Celse les philosophes partisans de l’immortalité et de la survie de l’âme : nous avons avec eux des positions communes. Je prouverai, en temps plus convenable, que la vie bienheureuse à venir n’appartiendra qu’à ceux qui ont adopté la religion de Jésus, et une piété à l’égard du Créateur de l’univers absolument pure et sans mélange avec quoi que ce soit de créé. Mais quels biens supérieurs persuadons-nous insidieusement les hommes de mépriser ? Le montre qui voudra ! Et qu’il leur confronte cette fin bienheureuse, selon nous, près de Dieu dans le Christ, c’est-à-dire le Logos, la Sagesse et toute vertu, cette fin qui surviendra à tous ceux qui ont vécu d’une manière pure et irréprochable, et ont reçu l’amour sans division ni séparation pour le Dieu de l’univers, cette fin accordée par un don de Dieu ! Qu’il la confronte avec la fin proposée par chaque école philosophique chez les Grecs et les barbares, ou promise par les mystères ! Qu’il montre que la fin présentée par l’un d’entre eux est supérieure à la nôtre, que c’est une conception convenable parce qu’elle est vraie, alors que la nôtre ne convient ni au don de Dieu, ni à ceux dont la vie fut vertueuse ; ou bien qu’elle n’a pas été révélée par l’Esprit divin qui avait rempli l’âme pure des prophètes ! Montre qui voudra que des doctrines reconnues par tous comme tout humaines sont supérieures à celles qui sont démontrées divines et proclamées par inspiration divine ! Mais encore, quels sont les biens supérieurs dont nous dirions qu’il est avantageux de s’abstenir ? En effet, sans prétention orgueilleuse, il apparaît d’emblée qu’on ne peut rien concevoir de supérieur à l’acte de se confier au Dieu suprême et de s’en remettre à l’enseignement qui détache de tout le créé pour conduire, par le Logos animé et vivant, qui est aussi Sagesse vivante et Fils de Dieu, au Dieu suprême. Mais comme le troisième livre de ma réponse au traité de Celse atteint ici une dimension suffisante, j’en arrêterai l’argumentation, pour combattre dans la suite ses objections ultérieures. LIVRE III
Aussi, quand nous disons qu’il laisse et qu’il remplit quelqu’un, nous ne l’expliquerons pas au sens local. Nous dirons que l’âme du méchant plongé dans le vice est abandonnée par Dieu, nous expliquerons que l’âme de celui qui veut vivre dans la vertu, qui y progresse, qui déjà mène cette vie, est remplie ou devient participante de l’esprit divin. Pour que le Christ descende vers les hommes, pour que Dieu se tourne vers eux, il n’est donc pas besoin qu’il abandonne un trône élevé, ni qu’il change les choses d’ici-bas, comme le pense Celse qui dit : Changer la moindre des choses d’ici-bas serait bouleverser et détruire l’univers. LIVRE IV
Mais puisqu’on raillant Celse nous fait dire que Dieu descend comme un bourreau armé de feu, et nous force hors de propos à scruter les raisons profondes, disons quelques mots suffisants pour esquisser aux lecteurs une défense qui arrête la raillerie de Celse contre nous, et nous passerons à la suite. La divine Ecriture, il est vrai, affirme que notre Dieu est « un feu dévorant », que « des fleuves de feu coulent devant lui », qu’il s’avance lui-même « comme un feu de fondeur et comme la potasse des foulons » pour passer son peuple au creuset. Lors donc qu’il dit être un « feu dévorant », nous cherchons ce qui mérite d’être dévoré par Dieu, et nous répondons que Dieu dévore comme un feu la malice et toutes les actions qu’elle inspire, dites au figuré « bois, herbe, chaume ». Par exemple il est dit que le méchant, sur un fondement spirituel déjà posé, « bâtit en bois, en herbe, en chaume ». Si donc on pouvait montrer que l’écrivain y met une autre signification et prouver que le méchant bâtit matériellement en bois, en herbe et en chaume, il est clair aussi que le feu serait à comprendre comme matériel et sensible. Si, par contre, c’est au sens figuré que les oeuvres du méchant sont dites de bois, d’herbe ou de chaume, la nature du feu à envisager pour que soient détruites ces oeuvres « en bois » ne vient-elle pas d’emblée à l’esprit ? Il dit : « Chacun aura la qualité de son oeuvre mise à l’épreuve par le feu : celui dont la construction tiendra recevra sa récompense ; celui dont l’oeuvre se consumera en subira la peine. » Cette oeuvre consumée, que peut-elle signifier d’autre sinon tout ce qui est fait par malice ? Donc, notre Dieu est « un feu dévorant » au sens donné par nous ; c’est ainsi qu’« il avance comme un feu de fondeur » pour passer au creuset la nature raisonnable, remplie, par la malice, de plomb et d’autres impuretés qui ont altéré la substance naturelle de l’âme pour ainsi dire d’or ou d’argent. Ainsi encore, dit-on, des fleuves de feu précèdent Dieu qui va détruire la malice intimement mêlée à l’âme entière. Voilà qui suffit pour répondre à l’objection : « De là vient l’opinion erronée qui leur fait dire : Dieu va descendre en bourreau armé de feu. » LIVRE IV
Est-ce que ces récits, surtout compris comme il faut, ne paraissent pas beaucoup plus dignes de respect que celui de Dionysos, trompé par les Titans, précipité du trône de Zeus et mis en pièces par eux, et ensuite reconstitué et semblant revenir à la vie et monter au ciel ? Est-il permis aux Grecs d’en faire l’application à la doctrine de l’âme et de l’interpréter au figuré, tandis qu’on nous ferme la porte, nous interdisant une interprétation logique, concordante et harmonisée en tous points avec les Écritures inspirées par l’Esprit divin qui habite les âmes pures ? Celse n’a donc pas vu du tout l’intention de nos Écritures ; aussi est-ce sa propre interprétation qu’il attaque, et non celle des Écritures. S’il avait compris la destinée de l’âme dans l’éternelle vie future, et ce qu’impliquent son essence et son origine, il n’aurait point raillé de la sorte la venue de l’être immortel dans un corps mortel, expliquée non suivant la théorie platonicienne de la métensomatose, mais dans une perspective plus haute. Il aurait vu, au contraire, une descente extraordinaire due à un excès d’amour pour les hommes, en vue de ramener, suivant l’expression mystérieuse de la divine Écriture, « les brebis perdues de la maison d’Israël », descendues des montagnes, et vers lesquelles, le berger de certaines paraboles, « est descendu » laissant sur les montagnes celles qui ne s’étaient pas égarées. LIVRE IV
En réponse, on peut arguer tant de la nature du Logos divin qui est Dieu, que de l’âme de Jésus. De la nature du Logos : de même que la qualité des aliments, pour convenir au tempérament du bébé, se change en lait dans la nourrice, ou est apprêtée par le médecin comme l’exige la santé du malade, ou est adaptée aux forces de celui qui est plus robuste : ainsi Dieu change pour les hommes suivant les besoins de chacun la puissance de son Logos naturellement destiné à nourrir l’âme humaine. Il devient pour l’un, comme dit l’Écriture, « un lait spirituel pur », pour l’autre encore trop faible, comme un légume, tandis qu’on donne au parfait « une nourriture solide ». Assurément le Logos ne ment pas sur sa propre nature, quand il nourrit chacun dans la mesure où il peut l’accueillir, et ce faisant, « il ne trompe ni ne ment ». LIVRE IV
Si vous dédaignez la petitesse de l’homme non à cause du corps mais de l’âme, inférieure pour vous au reste des êtres raisonnables, et surtout des vertueux, et inférieure pour cette raison que le vice est en elle, pourquoi les chrétiens mauvais et les Juifs vivant dans le mal seraient-ils une troupe de chauves-souris, de fourmis, de vers, de grenouilles plus que les hommes pervers des autres nations? A cet égard, tout homme quel qu’il soit, surtout quand il s’abandonne au flot du vice, est chauve-souris, vers, grenouille, fourmi, comparé au reste des hommes. Que l’on soit un Démosthène, l’orateur, avec sa lâcheté et les actions qu’elle lui inspira, ou un Antiphon, autre orateur renommé, mais négateur de la Providence dans un traité “Sur la vérité”, titre analogue à celui de Celse, on n’en reste pas moins des vers vautrés dans un coin du bourbier de la sottise et de l’ignorance. Toutefois, l’être raisonnable, de quelque qualité qu’il soit, ne pourrait être raisonnablement comparé à un vers, avec ses tendances à la vertu. Ces inclinations générales à la vertu ne permettent pas de comparer à des vers ceux qui ont la vertu en puissance et qui ne peuvent totalement en perdre les semences. Il apparaît donc que les hommes en général ne pourraient être des vers relativement à Dieu : car la raison, qui a son principe dans le Logos qui est près de Dieu ne permet pas de juger l’être raisonnable absolument étranger à Dieu. Les mauvais chrétiens et les mauvais Juifs, qui ne sont ni chrétiens ni Juifs selon la vérité, ne sauraient, pas plus que les autres hommes mauvais, être comparés à des vers vautrés dans un coin de bourbier. Si la nature de la raison ne permet même point d’admettre cette comparaison, il est évident que nous n’allons pas calomnier la nature humaine, faite pour la vertu même si elle pèche par ignorance, ni l’assimiler à des animaux tels que ceux-là. LIVRE IV
Peut-être Celse a-t-il mal compris une phrase de certains, qu’il a nommés vers : Il y a Dieu, et immédiatement après, nous. Méprise analogue à celle de reprocher à toute une école philosophique les propos d’un jeune inconsidéré qui, pour avoir fréquenté trois jours un philosophe, s’élève contre le reste des hommes pour leur nullité et leur manque de philosophie. Nous savons bien qu’il y a beaucoup d’êtres d’une plus haute valeur que l’homme. Nous avons lu : « Dieu s’est dressé dans l’assemblée des dieux », et non point des dieux qu’adorent les autres hommes, « car tous les dieux des nations sont des démons ». Nous avons lu encore : « Dieu, dressé dans l’assemblée des dieux, au milieu d’eux juge les dieux. » Nous le savons : « Bien qu’il y ait au ciel et sur la terre de prétendus dieux, comme il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs, pour nous du moins il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et par qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes. » Nous savons les anges à ce point supérieurs aux hommes que seuls les hommes parfaits deviennent semblables aux anges : « Car à la résurrection des morts, il n’y a plus ni maris, ni femmes, mais les justes sont comme les anges des cieux », et deviennent « les égaux des anges ». Nous savons que dans l’ordonnance de l’univers se trouvent des êtres nommés Trônes, d’autres Dominations, d’autres Principautés, d’autres Puissances. Nous le voyons, nous les hommes, laissés bien loin d’eux, nous avons l’espérance, fondée sur une vie vertueuse et une conduite en tout conforme au Logos, de nous élever jusqu’à leur devenir semblables à tous. Enfin, puisque « n’est pas encore apparu ce que nous serons, nous savons que, lorsque cela apparaîtra, nous serons semblables à Dieu, et nous le verrons tel qu’il est ». Que si l’on maintient les propos de certains qui, intelligents ou stupides, ont mal compris une saine doctrine : Il y a Dieu, et immédiatement après, nous, même cela, je pourrais l’interpréter en disant : « nous » désigne les êtres raisonnables, et mieux encore les êtres raisonnables vertueux ; car selon nous, la même vertu appartient à tous les bienheureux, et par conséquent, la même vertu est à l’homme et à Dieu. Aussi nous instruit-on à devenir « parfaits comme notre Père céleste est parfait ». Concluons : aucun honnête homme n’est un vers nageant dans un bourbier, aucun homme pieux n’est une fourmi, aucun juste n’est une grenouille, aucun homme dont l’âme resplendit de l’éclatante lumière de la vérité ne peut raisonnablement être comparé à une chauve-souris. LIVRE IV
S’il croit établir qu’ils n’ont jamais compté par le rang et par le nombre, du fait qu’on ne trouve guère d’allusion à leur histoire chez les Grecs, je répondrai : à fixer les yeux sur leur régime initial et les dispositions de leurs lois, on trouvera que ce furent des hommes qui présentaient sur terre une esquisse de la vie céleste. Chez eux, nul autre dieu que le Dieu suprême; nul faiseur d’images qui eût droit de cité. Ni peintre, ni sculpteur n’avaient place dans leur État, la loi bannissant tous les artistes de ce genre pour ôter toute idée de faire des statues, pratique qui attire les simples et détourne les yeux de l’âme loin de Dieu vers la terre. Il y avait donc chez eux cette loi : « N’allez pas transgresser la loi et vous faire une image sculptée, représentant quoi que ce soit : image de mâle ou de femelle, image d’aucune des bêtes de la terre, image d’aucun oiseau qui vole dans le ciel, image d’aucun reptile qui rampe sur la terre, image d’aucun poisson, de rien de ce qui vit dans les eaux au-dessous de la terre. » L’intention de la loi était d’attacher à la réalité de chaque être, en empêchant de modeler en dehors de la vérité des images mensongères sur la vérité du mâle, la réalité de la femelle, la nature des bêtes, le genre des oiseaux, des reptiles, des poussons. Et le motif en était vénérable et sublime : « de peur que, levant les yeux au ciel, et voyant le soleil, la lune, les étoiles, et toute l’armée du ciel, tu ne sois attiré à les adorer et à les servir ». LIVRE IV
A la sentence qu’il porte sur le récit de Moïse : Impiété majeure que cette fiction où Dieu est si faible dès l’origine qu’il ne peut même convaincre le seul homme qu’il a lui-même modelé ! je répondrai qu’elle se rattache à la critique de l’existence même du mal, que Dieu n’a pu écarter d’un seul homme pour qu’au moins un seul homme quelconque s’en fût trouvé exempt dès l’origine. De même que sur ce point le souci de défendre la Providence fournit des justifications aussi nombreuses que valables, ainsi pour Adam et sa faute, on trouvera l’explication en sachant que, traduit en grec, le mot Adam signifie homme, et que, dans ce qui paraît concerner Adam, Moïse traite de la nature de l’homme. C’est que, dit l’Écriture, « en Adam tous meurent », et ils ont été condamnés « pour une transgression semblable à celle d’Adam », l’affirmation de la parole divine portant moins sur un seul individu que sur la totalité de la race. Et de fait, dans la suite des paroles qui semblent viser un seul individu, la malédiction d’Adam est commune à tous ; et il n’est pas de femme à laquelle ne s’applique ce qui est dit contre la femme. De plus, le récit de l’homme chassé du jardin avec sa femme, revêtu de « tuniques de peaux » que Dieu, à cause de la transgression des hommes, confectionna pour les pécheurs, contient un enseignement secret et mystérieux bien supérieur à la doctrine de Platon sur la descente de l’âme qui perd ses ailes et est entraînée ici-bas « jusqu’à ce qu’elle se saisisse de quelque chose de solide ». LIVRE IV
Mais je ne sais pourquoi, joignant deux sentiments incompatibles qui ne peuvent se trouver ensemble dans une nature humaine, il dit que ce livre mérite la pitié et la haine. Car on conviendra que celui dont on a pitié n’éveille pas la haine en même temps que la pitié, et que celui qui est haï n’éveille pas la pitié en même temps que la haine. Et la raison pour laquelle Celse dit n’avoir pas le propos d’en réfuter les inepties, c’est, croit-il, qu’il saute aux yeux de tous que, même avant une réfutation rationnellement conduite, le livre est nul et mérite la pitié et la haine. Mais j’invite le lecteur de cette apologie réfutant l’accusation de Celse, à supporter la lecture de nos livres, et autant que possible à rechercher l’intention, la conscience, et l’état d’esprit des écrivains : il y verra des hommes qui défendent avec ardeur ce qu’on leur a transmis, et que certains écrivent manifestement une histoire dont ils furent témoins et qu’ils considèrent comme miraculeuse et digne d’être rapportée pour le bien de ceux qui l’entendraient. Ou bien qu’on ose nier que la source et le principe de tout bien pour l’âme est de croire au Dieu de l’univers, d’accomplir toutes les actions en vue de lui plaire en quoi que ce soit, sans même garder une pensée qui lui déplaise, puisque non seulement les paroles et les actions mais les pensées mêmes seront jugées par lui ! Et quelle autre doctrine serait plus efficace pour convertir et amener la nature humaine à une vie vertueuse que la foi ou la persuasion que le Dieu suprême voit toutes nos paroles, nos actions et même nos pensées ? Présente qui voudra une autre méthode qui à la fois convertisse et améliore non pas un ou deux individus seulement, mais encore autant que possible un très grand nombre ; alors la comparaison des deux méthodes fera comprendre exactement quelle doctrine dispose à la vie vertueuse. LIVRE IV
Une fois qu’il a présenté les dieux comme créateurs de tous les corps, tandis que seule l’âme serait l’oeuvre de Dieu, s’il voulait répartir la multitude des oeuvres créées et l’attribuer à plusieurs dieux, ne devait-il pas établir par un argument valable les différences entre les dieux produisant, certains les corps des hommes, d’autres ceux des bestiaux, d’autres ceux des bêtes sauvages ? Voyant des dieux créateurs de dragons, d’aspics, de basilics, d’autres créateurs de chaque espèce d’insectes, d’autres de chaque espèce de plantes et d’herbes, il lui fallait donner les raisons de cette division du travail. Car peut-être s’il s’était livré à un examen précis de la question, ou bien il aurait maintenu qu’un seul Dieu est créateur de toutes choses et a fait chacune en vue d’une fin et pour une raison, ou bien, s’il ne le maintenait pas, il aurait vu la réplique à faire à l’objection que ce qui est corruptible est de sa propre nature matière indifférente, et qu’il n’y a aucune absurdité à soutenir que le monde, constitué d’éléments dissemblables, est l’oeuvre d’un unique Artisan qui établit les différences entre les espèces pour le bien du tout. Ou, finalement, s’il ne savait pas établir ce qu’il professait d’enseigner, il aurait dû ne pas faire connaître du tout son avis sur une doctrine de cette importance ; à moins, par hasard, que lui qui se moque de ceux qui professent une foi simple ait voulu lui-même que nous ajoutions foi à ce qu’il avançait, bien qu’il ait prétendu non pas exprimer son avis, mais enseigner. LIVRE IV
Mais encore, Celse dit : « L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. En fait, à cet égard, il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille ou d’homme ; car la matière est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. » A cet argument, il faut répondre : si vraiment, parce que la même matière est sous-jacente aux corps d’une chauve-souris, d’un ver, d’une grenouille, d’un homme, ces corps ne doivent différer en rien l’un de l’autre, il est évident que les corps de ces êtres ne différeront en rien du soleil, de la lune, des étoiles, du ciel, de n’importe quel autre être appelé chez les Grecs divinité sensible. Car la matière qui est sous-jacente à tous les corps est la même : elle est, à parler strictement, sans qualité ni forme, et je ne sais pas d’où elle reçoit ses qualités d’après Celse qui ne veut pas que rien de corruptible soit l’oeuvre de Dieu. Car, selon l’argument de Celse, le principe de corruption de quelque être que ce soit, provenant de la même matière qui les soutient, est nécessairement de même espèce. A moins qu’ici, devant la difficulté, Celse ne s’écarte de Platon qui fait sortir l’âme d’un certain cratère, et ne se réfugie vers Aristote et les Péripatéticiens qui affirment que l’éther est immatériel et d’une cinquième nature, autre que les quatre éléments : doctrine à laquelle les Platoniciens et les Stoïciens se sont noblement opposés. Et nous aussi, malgré le mépris de Celse, nous nous opposerons à elle, puisqu’on nous demande d’exposer et de prouver ce qui est dit en ces termes chez le prophète : « Les cieux périront, mais tu resteras ; tous, comme un vêtement, s’useront, comme un habit tu les retourneras et ils seront changés. Mais toi, tu es toujours le même. » Cependant, ces paroles sont une réplique suffisante à l’assertion de Celse : L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps, argument ayant pour conséquence : Il n’y a aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille et le corps éthéré. LIVRE IV
C’est la raison pour laquelle nous avons dû reprendre l’assertion : l’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. LIVRE IV
A quoi il suffira de répondre : Si rien n’est immortel de ce qui provient de la matière, ou bien le monde entier est immortel et ainsi il ne provient pas de la matière, ou bien il n’est pas immortel. Or si le monde est immortel, et tel est l’avis de ceux qui disent que l’âme seule est oeuvre de Dieu et sort d’un cratère, que Celse montre qu’il ne provient pas d’une matière sans qualité, pour être dans la logique de son affirmation que rien n’est immortel de ce qui provient de la matière. Mais si le monde, provenant de la matière, n’est pas immortel, est-ce que ce monde mortel est corruptible ou non ? S’il est corruptible, c’est comme oeuvre de Dieu qu’il sera corruptible. Dès lors, dans cette corruption du monde, que fera l’âme qui est l’oeuvre de Dieu, à Celse de le dire ! Veut-il dire, pervertissant la notion d’immortalité : le monde est immortel, car, bien que sujet à la corruption, il ne sera pas corrompu, puisque, susceptible de subir la mort, en fait il ne meurt pas ? Il est clair qu’il y aurait alors, d’après lui, une réalité à la fois mortelle et immortelle, parce que susceptible de l’un et l’autre sort ; qu’elle serait mortelle tout en ne mourant pas ; et que n’étant pas immortelle par nature, elle peut être dite en un sens particulier immortelle, pour la raison qu’elle ne meurt pas. En quel sens donc, s’il faisait cette distinction, dirait-il que rien n’est immortel de ce qui provient de la matière ? Visiblement, à les soumettre à un examen serré, on prouve que les idées de ce livre n’ont rien de noble ni d’incontestable. LIVRE IV
Même si les fourmis enlèvent les pousses des grains mis en réserve pour qu’ils ne germent pas mais subsistent pendant l’année pour leur nourriture, il ne faut pas supposer que la cause en soit un raisonnement de la part des fourmis, mais la nature, mère de tous les êtres : elle a si bien disposé même ceux qui sont privés de raison qu’elle n’a pas laissé le plus petit entièrement dépourvu d’un vestige de cette raison qui vient de la nature. A moins peut-être que par là Celse ne veuille dire à mots couverts – car en bien des points il entend platoniser -, que toutes les âmes sont de la même espèce et que celle de l’homme ne l’emporte en rien sur celle des fourmis et des abeilles. C’est la logique du système qui fait descendre l’âme de la voûte du ciel, non seulement dans le corps humain, mais aussi dans les autres corps. Les chrétiens n’y souscriront pas, car ils ont déjà appris que l’âme humaine a été créée à l’image de Dieu, et ils voient bien l’impossibilité pour sa nature façonnée à l’image de Dieu de perdre absolument tous ses caractères et d’en recouvrer d’autres, à l’image de je ne sais quoi, dans les êtres sans raison. LIVRE IV
Puisqu’il voulait, dans ce passage, prouver que les animaux sans raison sont plus divins et plus savants que les hommes, Celse devait établir de manière plus développée l’existence de cet art divinatoire, en présenter ensuite une plus claire justification : réfuter apodictiquement les raisons des négateurs de l’art divinatoire, détruire apodictiquement aussi les raisons de ceux qui attribuent aux démons ou aux dieux les mouvements fatidiques des animaux, apporter enfin les preuves que l’âme des animaux sans raison est plus divine. S’il avait ainsi manifesté sa compétence philosophique dans ces graves questions, j’aurais fait mes efforts pour m’opposer à ses arguments plausibles : j’aurais réfuté l’assertion que les animaux sans raison sont plus savants que les hommes, démasqué le mensonge qu’il y a à leur attribuer des notions de la divinité plus saintes que les nôtres et des entretiens mutuels et saints. Mais, en fait, il incrimine notre foi au Dieu suprême et veut nous faire croire que les âmes des oiseaux ont des notions plus divines et plus claires que celles des hommes. Si c’est vrai, les oiseaux ont de Dieu des notions bien plus claires que les notions de Celse ; et ce n’est pas étonnant, si Celse ravale l’homme à ce point. Et encore, à suivre sa pensée, les oiseaux auraient des notions plus nobles et plus divines je ne dis pas que nous, chrétiens, ou que les Juifs qui usent des mêmes Écritures que nous, mais même que les théologiens parmi les Grecs, car c’étaient des hommes ! Donc, selon Celse, la race des oiseaux qu’il croit divinateurs a mieux compris la nature de la divinité que Phérécyde, Pythagore, Socrate et Platon ! Et nous aurions dû nous mettre à leur école pour que, comme ils nous enseignent l’avenir par la divination, selon la conception de Celse, ainsi encore ils libèrent les hommes des doutes sur la divinité en leur communiquant la claire notion qui leur en a été donnée. LIVRE IV
Si vraiment l’âme des oiseaux est divine parce qu’ils prédisent l’avenir, à combien plus forte raison ne dirons-nous pas, quand des présages sont reçus par des hommes, que divine est l’âme de ceux qui entendent ces présages ! Elle était donc divine suivant ces auteurs l’âme de cette esclave meunière, qui chez Homère dit des prétendants : « Que n’ont-ils en ce jour le dernier des derniers de leurs repas chez nous ! » LIVRE IV
La question présente est donc de réfuter le passage que voici : ” Juifs et chrétiens, nul Dieu, nul Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre. Que si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont, dieux ou des êtres d’une autre espèce ? D’une autre espèce, sans doute, des démons.” Ces redites de Celse – car il l’a maintes fois déjà répété plus haut -, n’exigent pas une longue discussion : les réponses données suffiront. Je me bornerai entre bien d’autres à quelques remarques qui semblent être dans la ligne des précédentes, bien qu’elles n’aient pas cependant tout à fait le même sens. J’établirai donc que, dans sa thèse absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est jamais descendu vers les hommes, Celse réduit à néant les manifestations de Dieu généralement admises que lui-même avait mentionnées plus haut. En effet si, dans l’affirmation absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre, Celse a dit la vérité, c’en est fait évidemment de toutes les descentes des dieux du ciel sur la terre pour prédire aux hommes ou les guérir par leurs oracles. Ni Apollon de Pytho, ni Asclépios, ni aucun de ceux auxquels on attribue des actes pareils ne peut être un dieu descendu du ciel, si ce n’est peut-être un dieu dont le sort est de toujours habiter la terre, comme banni du séjour des dieux ou un des êtres incapables d’entrer en communion avec les dieux qui s’y trouvent. Ou bien Apollon, Asclépios et tous ceux dont on vénère l’action sur la terre ne peuvent être des dieux, mais certains démons bien inférieurs aux hommes sages qui s’élèvent par la vertu jusqu’à la voûte du ciel. Remarque à quel point, dans son dessein de ruiner notre foi, on le prend, lui qui tout au long de son traité refuse de s’avouer épicurien, à passer en transfuge au camp d’Épicure. Le moment est venu pour toi, lecteur des arguments de Celse qui admets ce qui précède, ou bien de nier la présence de Dieu qui étend sa providence à tous les hommes individuellement, ou bien de l’admettre et de prouver que la doctrine de Celse est fausse. Nies-tu radicalement la Providence? Alors pour établir la vérité de ta position, tu prouveras la fausseté des raisons qui lui font admettre des dieux et une providence. Affirmes-tu néanmoins la providence, en refusant d’adhérer à l’assertion de Celse : Ni Dieu ni Fils de Dieu n’est descendu ou ne descend vers les hommes ? Alors pourquoi ne point examiner sérieusement, dans ce que j’ai dit de Jésus et dans les prophéties qui le concernent, quel est celui qu’il faut plutôt croire Dieu ou Fils de Dieu descendu vers les hommes : Jésus qui a mené à bien et accompli de si grandes oeuvres, ou ceux qui, sous prétexte d’oracles et de divinations, loin de réformer les m?urs de ceux qu’ils guérissent, vont jusqu’à éloigner du culte vénérable, pur et sans mélange dû au Créateur de l’univers et divisent l’âme de ceux qui s’attachent à eux, sous prétexte d’honneur à rendre à de multiples dieux au lieu de l’unique, seul manifeste et véritable Dieu ? Puis, comme si Juifs et chrétiens avaient répondu que ceux qui descendent vers les hommes sont des anges, il reprend : Si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont : des dieux ou des êtres d’une autre espèce ? Et, supposant notre réponse, il ajoute : ? D’une autre espèce sans doute, les démons. EH bien ! précisons ce point. D’un commun accord nous disons que les anges sont « des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour le bien de ceux qui doivent hériter du salut ». Ils montent porter les supplications des hommes dans les régions célestes les plus pures du monde, ou même dans les supracélestes plus pures que celles-là. Ensuite, ils en descendent porter à chacun suivant son mérite une des grâces que Dieu leur enjoint de dispenser à ceux qui reçoivent ses faveurs. Eux donc, que nous avons appris à nommer anges à cause de leur fonction, nous les trouvons parfois aussi dans les saintes Écritures nommés dieux, parce qu’ils sont divins ; mais ils ne le sont pas au point qu’il nous soit ordonné de vénérer et d’adorer à la place de Dieu ceux qui nous dispensent et nous apportent les grâces de Dieu. Car il faut faire remonter toute demande, prière, supplication et action de grâce vers le Dieu suprême par le Souverain Prêtre qui est au-dessus de tous les anges, Logos vivant et Dieu. Et nous offrirons au Logos lui-même des demandes, des prières, des actions de grâce, et même des supplications, si nous sommes capables de discerner entre le sens absolu et le sens relatif du mot supplication. LIVRE V
Une fois dit que Dieu ne veut rien qui ne lui convienne ou qui tende à nier qu’il soit Dieu, on dira bien : Aurait-on une infâme convoitise dans la perversité de son c?ur, Dieu ne pourrait l’exaucer. Et ainsi, loin de chercher chicane aux propos de Celse, dans un examen loyal nous accorderons que Dieu n’est pas l’auteur de l’appétit déréglé ni de la licence effrénée, mais de la nature droite et juste, puisqu’il est l’auteur de tout bien. De plus, nous concevons qu’il peut accorder à l’âme une vie immortelle, et non seulement il peut, mais en fait il l’accorde. La dernière remarque de Celse ne nous fait pas la moindre difficulté, pas même le mot d’Héraclite qu’il cite : « Les cadavres sont plus à rejeter que le fumier. » Encore pourrait-on dire sur ce point que le fumier est à rejeter, mais par égard pour l’âme qui les a habités, surtout si elle a été vertueuse, les cadavres humains ne sont pas à rejeter. Car selon les coutumes des peuples les plus civilisés, ils sont jugés dignes d’une sépulture aussi honorable que possible en pareilles matières : on veut ainsi éviter soigneusement de faire injure à l’âme qui l’habitait en jetant le corps, après que l’âme en est sortie, comme on le fait pour le corps des bêtes. On accorde donc que Dieu ne voudrait pas contre toute raison déclarer immortel ni le grain de blé, mais bien sans doute l’épi qui en sort, ni ce qui est semé dans la corruption, mais ce qui en ressuscite incorruptible. De plus, selon Celse, Dieu est lui-même la raison de tout ce qui existe, mais selon nous, c’est son Fils ; nous disons de lui en termes philosophiques : « Au commencement était le Logos, et le Logos était près de Dieu et le Logos était Dieu . » Et pour nous non plus, Dieu ne peut rien faire ni contre la raison ni contre lui-même. LIVRE V
Je veux montrer à quel point Celse déraisonne en disant que chacun doit rendre un culte aux dieux particuliers de son pays. Il dit que les Ethiopiens qui habitent Méroé connaissent deux seuls dieux, Zeus et Dionysos, les seuls qu’ils adorent ; que les Arabes de même n’en adorent que deux seuls, Dionysos comme les Ethiopiens, et Uranie qui leur est propre. Et d’après ce qu’il rapporte, ni les Ethiopiens n’adorent Uranie, ni les Arabes Zeus. Dès lors, qu’un Ethiopien se trouve d’aventure chez les Arabes, qu’on le juge impie pour son refus d’adorer Uranie et de ce chef qu’il risque sa vie, cet homme devra-t-il mourir ou violer ses traditions et adorer Uranie ? S’il a le devoir de violer ses traditions, il commettrait une impiété d’après les arguments de Celse. Mais s’il était conduit au supplice, que Celse montre qu’il est raisonnable de choisir la mort. Je ne sais si la doctrine des Ethiopiens leur enseigne à philosopher sur l’immortalité de l’âme et la récompense due à la piété quand ils adorent, conformément aux lois traditionnelles, de prétendus dieux. On dirait la même chose pour des Arabes venus par hasard vivre parmi les Ethiopiens qui habitent autour de Méroé. Eux aussi, formés à l’adoration des seuls Uranie et Dionysos, refuseraient d’adorer Zeus avec les Ethiopiens. Si alors, considérés comme impies, ils étaient conduits au supplice, que devraient-ils faire d’après la raison, à Celse de le dire ! Détailler les mythes d’Osiris et d’Isis serait ici un hors d’oeuvre superflu. Même interprétés allégoriquement, ils nous enseigneraient à adorer l’eau inanimée et la terre que foulent les hommes et tous les animaux : c’est ainsi qu’ils font, je crois, d’Osiris l’eau et d’Isis la terre. De Sérapis il existe une histoire longue et incohérente : il fut introduit hier ou avant-hier par certains sortilèges de Ptolémée, désireux de le présenter aux Alexandrins comme un dieu visible. J’ai lu chez le Pythagoricien Noumenios, à propos de la nature de Sérapis, qu’il participerait à l’être de tous les animaux et végétaux régis par la nature. Il paraît ainsi avoir été établi comme dieu grâce aux mystères profanes et aux pratiques de sorcellerie qui évoquent les démons : ce n’était pas seulement le fait des sculpteurs mais aussi des magiciens, des sorciers et des démons que charment leurs incantations. LIVRE V
Qu’il était beau, chez eux, d’être instruit dès le plus jeune âge à s’élever au-dessus de toute la nature sensible, à penser que Dieu ne réside nulle part en elle, et à le chercher au-dessus et au delà des corps ! Qu’il était grand d’être instruit, presque dès la naissance et la formation de la raison, de l’immortalité de l’âme, des tribunaux souterrains, des récompenses méritées par une vie vertueuse ! Ces vérités étaient alors prêchées sous la forme d’histoire à des enfants, parce qu’ils avaient l’intelligence des enfants. Mais bientôt, pour ceux qui cherchaient la doctrine et voulaient y progresser, les histoires de naguère se transfiguraient pour ainsi dire en laissant voir la vérité qu’elles renfermaient. Et je pense qu’ils ont mérité d’être appelés la part de l’héritage de Dieu pour avoir méprisé toute divination comme une vaine fascination des hommes, venant de démons pervers plutôt que d’une nature supérieure, et pour avoir cherché à connaître l’avenir auprès d’âmes qui avaient obtenu par leur extrême pureté l’esprit du Dieu suprême. Faut-il dire à quel point la loi interdisant aux Juifs de maintenir en esclavage plus de six ans un coreligionnaire est conforme à la raison, et cela sans injustice ni pour le maître ni pour l’esclave ? Si donc les Juifs doivent garder jalousement leur propre loi, ce n’est pas en vertu des mêmes principes que les autres peuples. Ils mériteraient le blâme et le reproche d’être insensibles à la supériorité de leurs lois, s’ils croyaient qu’elles ont été écrites de la même manière que les lois des autres peuples. Et, en dépit de Celse, les Juifs ont une sagesse plus profonde non seulement que celle de la foule, mais que celle des hommes qui passent pour philosophes, car les philosophes, après leurs sublimes raisonnements philosophiques s’abaissent jusqu’aux idoles et aux démons, tandis que même le dernier des Juifs attache son regard au seul Dieu suprême. Et ils ont bien raison, pour cela au moins, de se glorifier et d’éviter la société des autres qu’ils jugent souillés et impies. Plût au ciel qu’ils n’aient point péché par leurs transgressions, d’abord en tuant les prophètes, ensuite en conspirant contre Jésus ! Nous aurions en eux un modèle de la cité céleste que Platon a cherché lui-même à décrire ; mais je ne sais s’il aurait pu accomplir tout ce que réalisèrent Moïse et ses successeurs qui ont fait l’éducation d’une « race choisie », « d’une nation sainte » et consacrée à Dieu, par des doctrines exemptes de toute superstition. LIVRE V
La circoncision des Juifs n’a pas la même raison que la circoncision des Égyptiens ou des Colchidiens. Aussi ne faut-il pas y voir une circoncision identique à la leur. De même que le sacrificateur ne sacrifie pas à la même divinité, même s’il semble offrir des rites sacrificiels semblables, et que l’homme qui prie ne prie pas la même divinité, même si les demandes des prières sont identiques, ainsi il est faux de dire qu’il n’y ait aucune différence entre les circoncisions, puisqu’elles deviennent tout autres par le but, la loi, l’intention de celui qui les pratique. Pour mieux le faire comprendre on peut dire encore : le nom de la justice est le même pour tous les Grecs. Mais la preuve en est faite : autre est la justice d’Épicure, autre celle des Stoïciens qui nient la division tripartite de l’âme, autre celle des Platoniciens qui voient dans la justice un acte de chacune des parties de l’âme. De même, autre est le courage d’Épicure qui supporte des peines pour en éviter un plus grand nombre, autre celui du Stoïcien qui choisit toute vertu pour elle-même, autre celui du Platonicien qui soutient que c’est une vertu de la partie irascible de l’âme et la localise autour de la poitrine. Ainsi, selon les différentes doctrines de ceux qui se font circoncire, la circoncision peut être différente. C’est un sujet dont il n’est pas nécessaire de parler maintenant dans un traité comme celui-ci ; si on aimait voir les motifs qui m’ont amené à cette position, qu’on lise sur ce point mon commentaire sur l’Épître de Paul aux Romains. LIVRE V
De plus, si les Juifs s’enorgueillissent de s’abstenir des porcs, ce n’est pas qu’il y ait là un grand mérite, mais c’est qu’ils ont appris la différence naturelle entre animaux purs et impurs, qu’ils en savent la raison, et que le porc se trouve parmi les animaux impurs. Gela n’était que figures d’autres réalités avant l’arrivée de Jésus ; après elle, son disciple ne comprenait pas encore la raison de ces interdits et objectait : « Jamais je n’ai rien mangé de souillé ni d’impur » ; il entendit la parole : « Ce que Dieu a déclaré pur, ne va pas le dire souillé. » Il n’importe donc ni aux Juifs ni à nous-mêmes que les prêtres d’Egypte s’abstiennent non seulement des porcs, mais en outre des chèvres, des brebis, des b?ufs et des poissons. Comme « ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme » et que « ce n’est pas un aliment qui nous recommandera auprès de Dieu », nous ne nous glorifions pas de nos abstinences, mais nous n’allons pas non plus manger par gloutonnerie. Aussi, en ce qui nous concerne, nous disons bonne chance aux disciples de Pythagore qui s’abstiennent des êtres vivants. Mais il faut voir la différence du motif pour lequel s’abstiennent des êtres vivants les disciples de Pythagore et nos ascètes. Eux pratiquent cette abstinence des êtres vivants à cause du mythe de la métensomatose de l’âme. Et qui donc « serait assez fou pour élever vers le ciel son fils bien-aimé et l’immoler avec imprécation ? » Mais nous, par cette même pratique nous châtions notre corps et le réduisons en servitude ; nous voulons mortifier « nos membres terrestres : fornication, impureté, impudicité, passion, mauvais désir » ; nous faisons tout pour mortifier « les oeuvres de notre corps ». LIVRE V
Celse poursuit : ” Qu’on n’aille pas imaginer que je l’ignore: certains d’entre eux conviendront qu’ils ont le même Dieu que les Juifs, mais les autres pensent qu’il y a un dieu différent auquel le premier est opposé, et de qui est venu le Fils “. S’il croit que l’existence de plusieurs sectes parmi les chrétiens constitue un grief contre le christianisme, pourquoi ne verrait-on pas un grief analogue contre la philosophie dans le désaccord entre les écoles philosophiques, non pas sur des matières légères sans importance mais sur les questions capitales ? Il faudrait aussi accuser la médecine à cause des écoles qu’elle présente. Admettons que certains d’entre nous nient que notre Dieu soit le même que le Dieu des Juifs : ce n’est pourtant pas une raison d’accuser ceux qui prouvent par les mêmes Écritures qu’il y a un seul et même Dieu pour les Juifs et les Gentils. Paul le dit clairement, lui qui est passé du judaïsme au christianisme : « Je rends grâces à mon Dieu que je sers comme mes ancêtres avec une conscience pure. » Admettons encore qu’il y ait une troisième espèce, ceux qui nomment les uns psychiques, les autres pneumatiques. Je pense qu’il veut parler des disciples de Valentin. Quelle conclusion en tirer contre nous qui appartenons à l’Église, et condamnons ceux qui imaginent des natures sauvées en vertu de leur constitution ou perdues en vertu de leur constitution ? Admettons même que certains se proclament Gnostiques, à la façon dont les Epicuriens se targuent d’être philosophes. Mais ceux qui nient la Providence ne peuvent être véritablement philosophes, ni ceux qui introduisent ces fictions étranges désavouées par les disciples de Jésus être des chrétiens. Admettons enfin que certains acceptent Jésus, et c’est pour cela qu’ils se vantent d’être chrétiens, mais ils veulent encore vivre selon la loi des Juifs comme la foule des Juifs. Ce sont les deux sortes d’Ébionites : ceux qui admettent comme nous que Jésus est né d’une vierge, ceux qui ne le croient pas né de cette manière mais comme le reste des hommes. Quel grief tirer de tout cela contre les membres de l’Église que Celse a nommés ceux de la foule ? Il ajoute : Parmi eux, il y a encore des Sibyllistes, peut-être pour avoir compris de travers des gens qui blâment ceux qui croient au don prophétique de la Sibylle et les ont appelés Sibyllistes. Puis, déversant sur nous une masse de noms, il déclare connaître encore certains Simoniens qui vénèrent Hélène ou Hélénos leur maître et sont appelés Héléniens. Celse ignore que les Simoniens refusent absolument de reconnaître Jésus comme Fils de Dieu : ils affirment que Simon est une puissance de Dieu et racontent les prodiges de cet homme qui, en simulant les prodiges analogues à ceux que Jésus avait simulés, selon lui, avait cru qu’il aurait autant de pouvoir sur les hommes que Jésus parmi la foule. Mais il était impossible à Celse comme à Simon de comprendre la manière dont Jésus a pu ensemencer, en bon « laboureur » de la parole de Dieu, la majeure partie de la Grèce et la majeure partie de la barbarie, et remplir ces pays des paroles qui détournent l’âme de tout mal et la font monter au Créateur de l’univers. Celse connaît encore les Marcelliniens disciples de Marcellina, les Harpocratiens disciples de Salomé, d’autres disciples de Mariamme et d’autres disciples de Marthe. Malgré mon zèle à l’étude, non seulement pour scruter le contenu de notre doctrine dans la variété de ses aspects, mais encore, autant que possible, pour m’enquérir sincèrement des opinions des philosophes, je n’ai jamais rencontré ces gens-là. Celse mentionne encore les Marcionites qui mettent à leur tête Marcion. Ensuite, pour donner l’apparence qu’il en connaît encore d’autres que ceux qu’il a nommés, il généralise à son habitude : Certains ont trouvé comme maître un chef et un démon, d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans d’épaisses ténèbres à perpétrer plus d’impiétés et de souillures que les thyases d’Egypte. En effleurant le sujet, il me paraît bien avoir dit quelque chose de vrai : certains ont trouvé comme chef un démon, et d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans les épaisses ténèbres de l’ignorance. Mais j’ai déjà parlé d’Antinoos qu’il compare à notre Jésus et je n’y reviendrai pas. LIVRE V
Loin de moi la pensée de critiquer Platon : de lui aussi la grande foule des hommes a retiré des avantages ; mais je veux mettre en lumière l’intention de ceux qui ont dit : « Ma doctrine et ma prédication n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse ; c’était une démonstration de l’Esprit et de la puissance, afin que notre foi reposât non point sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » Le divin Logos déclare que prononcer un mot, fut-il en lui-même vrai et très digne de foi, n’est pas suffisant pour toucher l’âme humaine sans une puissance donnée par Dieu à celui qui parle et une grâce qui rayonne dans ses paroles, véritable don de Dieu à ceux dont la parole est efficace. C’est bien ce que dit le prophète dans le psaume soixante-septième : « Le Seigneur donnera sa parole à ceux qui prêchent avec grande puissance. » LIVRE VI
Qu’on présente donc les anciens sages à qui peut les comprendre ! En particulier que Platon, fils d’Ariston, s’explique sur la nature du Souverain Bien dans une de ses Lettres, et déclare qu’il est absolument ineffable, que c’est d’un long commerce qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme. A entendre cette parole, on convient de sa beauté, « car c’est Dieu qui le leur a révélé » ainsi que tout ce qu’ils ont dit de bien. Aussi affirmons-nous que ceux qui ont conçu la vérité sur Dieu sans pratiquer la religion conforme à cette vérité sur Dieu subissent les châtiments des pécheurs. LIVRE VI
Voici en quels termes Paul s’explique à leur sujet : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice ; car ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu le leur a manifesté. Ses oeuvres invisibles, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit, et sa puissance éternelle et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâce, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent s’est enténébré. Dans leur prétention à être sages, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles. » Comme en témoigne notre Ecriture, ils retiennent la vérité captive ceux qui pensent que « le Souverain Bien est absolument ineffable » et ajoutent : « c’est d’un long commerce avec lui et d’une vie commune qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme, et désormais il se nourrit lui-même. » LIVRE VI
Mais ceux qui ont si bien écrit sur le Souverain Bien descendent au Pirée pour prier Artémis comme une déesse, et pour voir la fête publique célébrée par les simples. Après avoir enseigné cette profonde philosophie sur l’âme et décrit en détail l’état futur de celle dont la vie fut vertueuse, ils abandonnent ces idées sublimes que Dieu leur a manifestées pour songer à des choses vulgaires et basses et sacrifier un coq à Asclépios. Ils s’étaient représenté les oeuvres invisibles de Dieu et les idées à partir de la création du monde et des choses sensibles, d’où ils s’étaient élevés aux réalités intelligibles : ils avaient vu, non sans noblesse, son éternelle puissance et sa divinité ; néanmoins ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent se traîne pour ainsi dire, dans l’ignorance au sujet du culte de Dieu. Et l’on peut voir ces hommes, fiers de leur sagesse et de leur théologie, adorer une représentation, simple image d’homme corruptible, pour honorer, disent-ils, cette divinité, parfois même descendre avec les Égyptiens jusqu’aux oiseaux, quadrupèdes, reptiles. LIVRE VI
5. Ensuite, que soudain comme d’une flamme jaillissante surgit une lumière dans l’âme, le Logos l’a su le premier, au dire du prophète : « Illuminez-vous vous-mêmes de la lumière de la connaissance. » Et Jean, qui a vécu après lui, dit encore : « Ce qui fut fait » était « vie » dans le Logos, « et la vie était la lumière des hommes, lumière véritable, qui éclaire tout homme qui vient dans le monde » véritable et intelligible, et qui le constitue « lumière du monde ». Car « il a fait luire cette lumière dans nos coeurs pour qu’y resplendisse l’Évangile de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ ». C’est pourquoi un prophète très ancien, dans ses prédictions antérieures de plusieurs générations au règne de Cyrus qu’il précède de quatorze générations, a pu dire : « Le Seigneur est mon illumination et mon Sauveur : qui craindrai-je ? » ; « Ta loi est un flambeau sur mes pas, une lumière sur mon sentier » ; « La lumière de ta face est scellée sur nous, Seigneur » ; « Par ta lumière nous voyons la lumière. » C’est à cette lumière que le Logos nous exhorte dans Isaïe : « Illumine-toi, illumine-toi, Jérusalem ; car voici ta lumière, et sur toi s’est levée la gloire du Seigneur. » Et ce même auteur prophétise sur la venue de Jésus qui détournerait du culte des idoles, des statues et des démons : « Une lumière s’est levée pour ceux qui se tenaient dans le pays et l’ombre de la mort » ; et de nouveau : « Le peuple qui se tenait dans les ténèbres a vu une grande lumière. » LIVRE VI
Mais comme nous appliquons le terme image à une chose différente, nous disons plus clairement qu’après le Logos il y a dans l’âme l’empreinte des plaies, c’est-à-dire le Christ vivant en chacun, provenant du Christ-Logos. Et qui en est capable saura si le Christ, d’après nous sagesse qui réside dans ceux qui sont parfaits, correspond au quatrième facteur qui est la connaissance. LIVRE VI
Il y a donc, d’après Platon, une sagesse divine et une sagesse humaine. La sagesse humaine, que nous appelons « sagesse de ce monde, est folie devant Dieu ». La sagesse divine, qui diffère de l’humaine puisqu’elle est divine, survient par une grâce de Dieu qui l’accorde à ceux qui se sont préparés convenablement à la recevoir et surtout à ceux qui, reconnaissant la différence d’une sagesse à l’autre, disent dans leurs prières : « Y eut-il quelqu’un de parfait parmi les enfants des hommes sans la sagesse qui vient de toi, on le comptera pour rien. » Nous affirmons : la sagesse humaine n’est qu’un exercice de l’âme ; la divine en est la fin : elle est présentée comme la nourriture solide de l’âme dans le texte : « La nourriture solide est pour les parfaits, eux qui par l’habitude ont le sens exercé au discernement du bien et du mal. » LIVRE VI
J’ai cru bon de citer, entre bien d’autres, ces idées que les saints personnages ont eues sur Dieu, pour révéler à ceux qui ont des yeux capables de percevoir le sérieux des Écritures que les écrits sacrés des prophètes ont quelque chose de plus noble que les paroles de Platon admirées par Celse. Voici le passage de Platon cité par Celse : « Autour du Roi de l’univers gravitent toutes choses ; c’est pour lui qu’elles sont toutes, c’est lui qui est la cause de toute beauté. Autour du Second sont les choses de second rang; autour du Troisième, celles de troisième rang. Or, l’âme humaine aspire à connaître ce qu’elles sont, fixant le regard sur les choses qui lui sont apparentées, dont aucune n’est parfaite. Certes, quand il s’agit du Roi et des principes dont j’ai parlé, il n’y a rien de tel. » J’aurais pu citer des passages sur les « Séraphins » des Hébreux, décrits dans Isaïe, qui voilent « la face » et « les pieds » de Dieu, sur les « Chérubins » décrits par Ézéchiel, sur les formes qu’on leur donne, et sur la manière dont on dit que Dieu est porté par les Chérubins. Mais les expressions sont fort mystérieuses et, à cause des gens indignes et irréligieux, impuissants à suivre de près la sublimité et la majesté de la théologie, j’ai jugé qu’il ne convenait pas de débattre ces questions dans ce traité. LIVRE VI
Pour moi, je ne doute pas que Platon ait écrit les maximes du Phèdre après les avoir apprises de certains auteurs hébreux ou même, comme on l’a dit, après avoir lu les discours prophétiques, quand il disait par exemple : « Ce lieu supracéleste, nul poète encore sur cette terre ne l’a célébré, ni ne le célébrera jamais autant qu’il le mérite », et la suite où on lit encore : « L’essence qui réellement est sans couleur, sans forme, impalpable, objet de contemplation pour le seul pilote de l’âme, notre intellect, dont relève le savoir authentique, c’est ce lieu qu’elle occupe. » Notre Paul, qui devait sa formation à ces écrits prophétiques, aspire aux biens supraterrestres et supracélestes et fait tout en vue de ces biens pour les obtenir. Il dit dans la seconde Épître aux Corinthiens : « Oui, la légère tribulation d’un moment nous prépare, bien au delà de toute mesure, une masse éternelle de gloire. Aussi bien ne regardons-nous pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles. » LIVRE VI
Ensuite, pour faire étalage de son érudition dans le traité qu’il nous oppose, Celse évoque certains mystères des Perses : C’est encore ce que laissent entendre la doctrine des Perses et l’initiation mithriaque pratiquée chez eux. Là une figure représente les deux orbites célestes, l’une fixe, l’autre assignée aux planètes, et le passage de l’âme à travers elles. Et voici la figure: une échelle à sept portes, surmontée d’une huitième. La première est de plomb, la seconde d’étain la troisième de bronze, la quatrième de fer, la cinquième d’un alliage, la sixième d’argent, la septième d’or. On attribue la première à Cronos, symbolisant par le plomb la lenteur de cet astre; la seconde à Aphrodite en lui comparant le brillant et la mollesse de l’étain; la troisième à Zeus, celle à la base de bronze et solide; la quatrième à Hermès, le fer ainsi qu’Hermès étant jugés endurcis à tous les travaux, utiles au commerce, d’une endurance à toute épreuve; la cinquième, provenant d’un alliage, inégale et variée, à Ares; la sixième, d’argent, à la lune, et la septième, d’or, au soleil, dont ils imitent les couleurs. LIVRE VI
Il comportait un dessin de dix cercles, séparés les uns des autres, mais réunis par un autre cercle, que l’on disait l’âme du monde et que l’on nommait Léviathan. Les Écritures juives, quel que soit le sens qu’elles suggèrent, disent que ce Léviathan a été créé par Dieu comme un jouet. LIVRE VI
Car nous trouvons dans le psaume : « Tu as tout fait avec sagesse ; la terre est remplie de ta création. Voici la mer, grande et vaste ; là des navires se promènent, des animaux petits et grands, et ce dragon que tu formas pour t’en jouer. » Au lieu de « dragon », il y avait en hébreu Léviathan. Or le diagramme impie disait du Léviathan ainsi ouvertement mis en cause par le prophète qu’il est l’âme répandue dans l’univers. LIVRE VI
Après ces remarques sur le diagramme, ce qu’il dit ne provient même pas d’une mésintelligence de ce que, dans l’Église, on appelle « le Sceau » : il se forge des extravagances sous forme de questions et de réponses : Celui qui applique le sceau se nomme le Père; celui qui en reçoit l’empreinte est appelé jeune homme et fils, et il répond: «J’ai été oint de l’onction blanche découlant de l’arbre de vie. » Trait que je n’ai jamais entendu mentionner par les hérétiques. Ensuite, il indique avec précision le chiffre donné par ceux qui transmettent le sceau : sept anges qui se tiennent de chaque côté de l’âme du mourant; les uns sont des anges de lumière, les autres dits archontiques ; et il dit que le chef des anges archontiques s’appelle Dieu maudit. LIVRE VI
Il est bien vrai que nous utilisons les discours des prophètes pour prouver que Jésus est le Christ annoncé par eux, et pour montrer par les prophéties que les événements racontés à propos de Jésus dans les Évangiles en sont l’accomplissement. L’expression cercles sur cercles est peut-être un emprunt à la secte dont on vient de parler qui enfermait dans un cercle unique, qu’elle appelle l’âme de l’univers et Léviathan, les sept cercles des puissances archontiques ; ou peut-être a-t-il mal compris cette parole de l’Ecclésiaste : « Tourne, tourne, s’en va le vent, et à ses cercles revient le vent. » LIVRE VI
Ame vivante est peut-être une des expressions mystérieuses que certains Valentiniens appliquent à celui qu’ils appellent Créateur psychique ; ou peut-être, en opposition avec l’âme morte, l’âme vivante est-elle l’expression assez belle dont usent certains pour désigner l’âme de l’homme sauvé. Mais je ne connais ni le ciel immolé, ni la terre immolée par l’épée, ni les hommes immolés en grand nombre pour qu’ils vivent, et il ne serait pas invraisemblable que Celse ait de lui-même inventé ces expressions. LIVRE VI
Voilà quelques réflexions que j’ai eu l’audace et la témérité de confier à cet écrit inutilement peut-être. Si on avait le loisir, en examinant les saintes Écritures, de réunir en un seul corps la doctrine partout éparse sur la malice, son origine, la manière dont elle est détruite, on verrait que la pensée de Moïse et des prophètes sur Satan n’a été aperçue même en songe ni par Celse ni par aucun de ceux dont l’âme est précipitée par ce démon mauvais et emportée loin de Dieu et de sa notion droite et loin de son Logos. LIVRE VI
Et il n’y a rien d’étonnant si, déclarant que l’âme de Jésus est unie au très grand Fils de Dieu par une participation suprême avec lui, nous ne la séparons plus de lui. Les saintes paroles des divines Écritures connaissent également d’autres exemples d’êtres qui, tout en étant deux par leur propre nature, se trouvent cependant considérés et constitués l’un avec l’autre en un seul. Par exemple, il est dit de l’homme et de la femme : « Ils ne sont plus deux, mais une seule chair » ; et de l’homme parfait uni au Seigneur véritable, Logos, Sagesse, Vérité : « Celui qui est uni au Seigneur est un seul esprit avec lui. » Or, si « celui qui s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un seul esprit », qui donc mieux ou autant que l’âme de Jésus se trouve uni au Seigneur, le Logos en personne, la Sagesse en personne, la Vérité en personne, la Justice en personne ? S’il en est ainsi, l’âme de Jésus et le Dieu Logos, « Premier-né de toute créature», ne sont pas deux. LIVRE VI
Mais si la divine Ecriture affirme que l’homme parfait est uni par la vertu à Celui qui est le Logos en personne et ne fait qu’un avec lui, ce qui nous amène à conclure que l’âme de Jésus est inséparable du « Premier-né de toute créature », il rit d’entendre Jésus appelé Fils de Dieu : c’est qu’il ne voit pas ce que les saintes Écritures disent de lui avec une signification secrète et mystérieuse. LIVRE VI
Pour persuader d’admettre cette affirmation quiconque désire suivre les conséquence des doctrines et en tirer profit, j’affirme que les divines Écritures présentent l’ensemble de l’Église de Dieu comme le Corps du Christ, animé par le Fils de Dieu, et que les croyants quels qu’ils soient sont les membres de ce corps considéré comme un tout. En effet, comme l’âme vivifie et meut le corps incapable naturellement de tirer de lui-même un mouvement vital, le Logos lui aussi, par les motions au bien et l’action qu’il imprime au corps entier, meut l’Église et chacun de ses membres qui ne fait rien indépendamment du Logos. Si donc il y a là, comme je pense, une logique non négligeable, quelle difficulté y a-t-il à dire que, en vertu de sa souveraine et insurpassable communion avec le Logos en personne, l’âme de Jésus ou en un mot Jésus n’est point séparé du Fils unique et Premier-né de toute créature et ne diffère plus de lui ? Voilà qui suffit sur la question. LIVRE VI
Voyons donc brièvement la question du bien et du mal à la lumière des divines Écritures, et la réponse à faire à l’objection : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? D’après les divines Écritures, le bien au sens propre consiste dans les vertus et les actions vertueuses, et le mal au sens propre, dans leurs contraires. Je me contenterai ici des paroles du psaume trente-troisième qui établissent ce point : « Qui cherche le Seigneur ne manque d’aucun bien. Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous apprendrai la crainte du Seigneur. Quel est l’homme qui désire la vie, qui aime voir des jours heureux ? Garde ta langue du mal, tes lèvres des paroles trompeuses. Détourne-toi du mal et fais le bien. » En effet, l’injonction « détourne-toi du mal et fais le bien » n’a en vue ni le bien et le mal physiques, comme les nomment certains, ni les choses extérieures, mais le bien et le mal de l’âme. Car justement, celui qui s’est détourné de ce genre de mal et accomplit ce genre de bien par désir de la vie véritable y parviendra ; « Celui qui aime voir des jours heureux » où le Logos est le soleil de justice les atteindra, Dieu le délivrant « du monde présent qui est mauvais » et de ces mauvais jours dont Paul disait : « Mettez à profit le temps présent ; car les jours sont mauvais. » LIVRE VI
Si Dieu semble menacer de détruire par le déluge ses propres enfants, il faut dire : l’âme des hommes étant immortelle, la menace n’a d’autre but que la conversion des auditeurs, et la destruction des hommes par le déluge est une purification de la terre, au dire même de quelques philosophes grecs de valeur : « Quand les dieux purifient la terre. » LIVRE VI
Dans les remarques précédentes de Celse, il y a cela de vrai : en entendant ses paroles et en constatant qu’elles sont pleines d’obscurité, on répond : C’est de l’obscurité que tu répands devant mes yeux. Oui, Celse et ses pareils veulent répandre de l’obscurité devant nos yeux, mais nous, par la lumière du Logos, nous dissipons l’obscurité des doctrines impies. Et le chrétien pourrait répliquer à Celse, qui ne dit rien de distinct ni de convaincant : Je ne peux rien voir de distinct dans tes paroles. Celse donc ne nous mène pas des ténèbres à la pleine lumière, mais il veut nous faire passer de la lumière aux ténèbres ; car il a fait des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres, et il tombe sous le coup de l’excellent oracle d’Isaïe : « Malheur à ceux qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres. » Quant à nous, puisque le Logos nous a ouvert les yeux de l’âme et que nous voyons la différence entre la lumière et les ténèbres, nous sommes déterminés à rester de toute façon dans la lumière et nous nous refusons à tout contact avec les ténèbres. La lumière véritable, étant animée, sait ceux à qui il faudra montrer l’éclat, et ceux à qui montrer la lumière, sans leur présenter elle-même sa splendeur à cause de la faiblesse qui affecte encore leurs yeux. LIVRE VI
Voilà pourquoi, si Celse nous demande comment nous pensons apprendre à connaître Dieu et trouver le salut près de lui, nous répondrons : le Logos de Dieu est capable, en venant à ceux qui le cherchent et qui le reçoivent quand il apparaît, de faire connaître et de révéler son Père, invisible avant sa venue. Quel autre peut sauver et conduire au Dieu suprême l’âme de l’homme sinon le Dieu Logos ? « Il était au commencement auprès de Dieu », mais à cause de ceux qui se sont collés à la chair et sont devenus chair, « il s’est fait chair », afin de pouvoir être reçu par ceux qui étaient incapables de le voir en tant qu’il était Logos, qu’il était auprès de Dieu et qu’il était Dieu. LIVRE VI
Les philosophes du Portique disent que les principes premiers sont corporels et, pour cette raison, jugent tout périssable ; ils risqueraient même de rendre périssable le Dieu suprême, si cette conclusion ne leur paraissait trop absurde ; à les en croire, même le Logos de Dieu descendant jusqu’aux hommes et aux moindres choses n’est rien d’autre qu’un esprit corporel. Mais pour nous, qui prenons à tâche de démontrer que l’âme raisonnable est supérieure à toute nature corporelle, qu’elle est une réalité invisible et incorporelle, le Logos Dieu ne peut être un corps : lui par qui tout a été fait et qui est venu, pour que tout fût fait par le Logos, non seulement les hommes mais les êtres tenus pour les moindres et régis par la nature. Libre donc aux gens du Portique de tout vouer à l’embrasement ! Nous savons, nous, qu’aucune réalité incorporelle n’est vouée à l’embrasement et que ne peuvent se dissoudre en feu ni l’âme de l’homme, ni la substance des anges, trônes, dominations, principautés, puissances. LIVRE VI
Il dit donc : Des oracles prononcés par la Pythie, les prêtresses de Dodone, le dieu de Claros, chez les Branchides, au temple d’Ammon, et par mille autres devins, sous l’impulsion desquels sans doute toute la terre a été colonisée, ils ne tiennent aucun compte. Au contraire, les prédictions des habitants de la Judée, faites à leur manière, dites réellement ou non, et suivant un usage encore en vigueur aujourd’hui chez les gens de Phénicie et de Palestine, voilà ce qui leur paraît merveilleux et irréfragable ! A propos des oracles énumérés, disons qu’on pourrait tirer d’Aristote et des Péripatéticiens bien des arguments pour ruiner son estime de la Pythie et des autres oracles. On pourrait aussi, en citant les paroles d’Épicure et de ceux qui ont embrassé sa doctrine sur ce point, montrer que même des Grecs rejettent les oracles reçus et admirés dans toute la Grèce. Mais accordons que les réponses de la Pythie et des autres oracles ne sont pas l’invention de gens qui simulent l’inspiration divine. Et voyons si, même dans ce cas, à l’examen sincère des faits, on ne peut pas montrer que, tout en acceptant ces oracles, on n’est pas contraint d’y reconnaître la présence de certains dieux. Ce sont au contraire des mauvais démons et des esprits hostiles au genre humain qui empêchent l’âme de s’élever, de marcher sur le chemin de la vertu et de rétablir la piété véritable envers Dieu. Ainsi on rapporte de la Pythie, dont l’éclat semble éclipser tous les oracles, qu’assise auprès de la crevasse de Castalie, la prophétesse d’Apollon en reçoit un esprit par ses organes féminins ; et quand elle en est remplie, elle débite ce qu’on regarde comme de vénérables oracles divins. Ne voilà-t-il point la preuve du caractère impur et vicié de cet esprit ? Il s’insinue dans l’âme de la devineresse non par des pores clairsemés et imperceptibles, bien plus purs que les organes féminins, mais par ce qu’il n’est point permis à l’homme chaste de regarder et encore moins de toucher. Et cela non pas une ou deux fois, ce qui peut-être eût paru admissible, mais autant de fois qu’on croit qu’elle prophétise sous l’influence d’Apollon. Bien plus, ce passage à l’extase et à la frénésie de la prétendue prophétesse, allant jusqu’à la perte de toute conscience d’elle-même, n’est pas l’?uvre de l’Esprit divin. La personne que saisit l’Esprit divin devrait en effet, bien avant quiconque, apprendre de ses oracles ce qui sert à mener une vie modérée et conforme à la nature, en retirer la première de l’aide pour son utilité ou son avantage et se trouver plus perspicace, surtout au moment où la divinité s’unit à elle. LIVRE VI
Si la Pythie est hors d’elle-même et sans conscience lorsqu’elle rend des oracles, quelle nature faut-il attribuer à l’esprit qui répand la nuit sur son intelligence et ses pensées ? N’est-ce pas ce genre de démons que beaucoup de chrétiens chassent des malades à l’aide non point d’un procédé magique, incantatoire ou médical, mais par la seule prière, de simples adjurations et des paroles à la portée de l’homme le plus simple ? Car ce sont généralement des gens simples qui l’opèrent. La grâce contenue dans la parole du Christ a prouvé la faiblesse et l’impuissance des démons : pour qu’ils soient vaincus et se retirent sans résistance de l’âme et du corps de l’homme, il n’est pas besoin d’un savant capable de fournir des démonstrations rationnelles de la foi. LIVRE VI
Bien plus, à en croire non seulement les chrétiens et les Juifs mais encore beaucoup d’autres Grecs et barbares, l’âme humaine vit et subsiste après sa séparation d’avec le corps ; et il est établi par la raison que l’âme pure et non alourdie par les masses de plomb du vice s’élève jusqu’aux régions des corps purs et éthérés, abandonnant ici-bas les corps épais et leurs souillures ; au contraire l’âme méchante, tirée à terre par ses péchés et incapable de reprendre haleine, erre ici-bas et vagabonde, celle-ci autour « des tombeaux » où l’on voit « les fantômes » des âmes comme des ombres, celle-là simplement autour de la terre. Quelle nature faut-il attribuer à des esprits enchaînés à longueur de siècles, pour ainsi dire, à des édifices et à des lieux, soit par des incantations, soit à cause de leur perversité ? Evidemment la raison exige de juger pervers ces êtres qui emploient la puissance divinatrice, par elle-même indifférente, à tromper les hommes et à les détourner de la piété pure envers Dieu. Une autre preuve de cette perversité est qu’ils nourrissent leurs corps de la fumée des sacrifices, des exhalaisons du sang et de la chair des holocaustes ; qu’ils y prennent plaisir comme pour assouvir leur amour de la vie, à la façon des hommes corrompus, sans attrait pour la vie pure détachée du corps, qui, désireux des plaisirs corporels, s’attachent à la vie du corps terrestre. LIVRE VI
Dans le même sens, les justes détruisent tout ce qu’il y a de vie dans leurs ennemis issus du vice, sans faire grâce à un mal infime qui vient de naître. C’est encore dans ce sens que nous comprenons le passage du psaume cent trente-sixième : « Fille de Babylone, misérable ! Heureux qui te revaudra les maux que tu nous as valus, heureux qui saisira et brisera tes petits contre le roc ! » Les petits de Babylone, qui signifie confusion, sont les pensées confuses inspirées par le vice qui naissent et se développent dans l’âme. S’en rendre assez maître pour briser leurs têtes contre la fermeté et la solidité du Logos, c’est briser les petits de Babylone contre le roc et à ce titre, devenir heureux. Dès lors, admettons que Dieu ordonne d’exterminer les ?uvres d’iniquité, toute la race sans épargner la jeunesse : il n’enseigne rien qui contredise la prédication de Jésus. Admettons que sous les yeux de ceux qui sont Juifs dans le secret Dieu réalise la destruction de leurs ennemis et de toutes les ?uvres de malice. Et qui plus est, admettons que ceux qui refusent d’obéir à la loi et au Logos de Dieu se soient assimilés à ses ennemis et portent la marque du vice : ils devront souffrir les peines que méritent la désobéissance aux paroles de Dieu. LIVRE VI
Ils l’ont appelée les uns « Iles des bienheureux », les autres « Champs Elysées », parce qu’on y est délivré des maux d’ici-bas. Comme dit Homère: « Mais aux Champs Elysées, tout au bout de la terre, les Immortels t’enverront, là où la vie est délectable. » Et Platon qui croit l’âme immortelle nomme délibérément « terre » celle région où l’âme est envoyée : « C’est une immense étendue, et nous, qui, de la mer du Phase aux colonnes d’Hercule, en habitons les bords, comme fourmis et grenouilles autour d’un marais, nous n’en occupons qu’une petite partie. LIVRE VI
Celse n’a pas compris notre doctrine de la résurrection, doctrine riche, difficile à exposer, requérant plus qu’aucune autre un interprète fort avancé pour montrer combien cette doctrine est digne de Dieu et sublime : d’après elle, il y a une raison séminale dans ce que l’Écriture appelle la tente de l’âme, dans laquelle les justes gémissent accablés ; et ils voudraient non « s’en dévêtir, mais revêtir par-dessus un autre vêtement ». Celse, parce qu’il en a entendu parler par des gens simples, incapables de l’étayer d’aucune raison, tourne en dérision ce qu’on affirme. Il sera utile d’ajouter à ce que j’en ai dit plus haut cette simple observation sur la doctrine : ce n’est pas, comme le croit Celse, pour avoir compris de travers la doctrine de la métensomatose que nous parlons de résurrection; c’est parce que nous savons que l’âme, qui par sa propre nature est incorporelle et invisible, a besoin, lorsqu’elle se trouve dans un lieu corporel quelconque, d’un corps approprié par sa nature à ce lieu. Ce corps, elle le porte d’abord après avoir quitté le vêtement autrefois nécessaire, mais superflu pour un second état, ensuite après l’avoir revêtu au-dessus de celui qu’elle avait d’abord, parce qu’elle a besoin d’un vêtement meilleur pour parvenir aux régions plus pures, éthérées et célestes. Elle a quitté, en naissant au monde, le placenta qui était utile à sa formation dans le sein de sa mère tant qu’elle y était ; elle a revêtu sous lui ce qui était nécessaire à un être qui allait vivre sur terre. LIVRE VI
Après ces attaques auxquelles j’ai répondu de mon mieux, Celse reprend : Mais ils demanderont encore : Comment connaîtront-ils Dieu s’ils ne l’atteignent par les sens ? Que peut-on connaître sans l’usage des sens ? Puis il répond lui-même : Ce n’est point là propos de l’homme ni de l’âme, mais de la chair. Qu’ils écoutent pourtant, si du moins est capable d’entendre quelque chose celle engeance pusillanime et attachée au corps. Quand, après avoir fermé l’entrée des sens, vous aurez regardé en haut par l’esprit, et qu’après vous être détournés de la chair, vous aurez donné l’éveil aux yeux de l’âme, alors seulement vous verrez Dieu. El si vous cherchez un guide pour celle voie, vous devez fuir les imposteurs et les sorciers qui évoquent des fantômes, afin d’éviter ce comble du ridicule de dire du mal en les traitant de fantômes des autres dieux rendus visibles, tandis que vous adorez un homme plus misérable que les véritables fantômes eux-mêmes, et qui n’est même plus un fantôme mais en réalité un mort, et que vous lui cherchez un père semblable à lui. LIVRE VI
Si tels sont les qualités et les défauts dans l’art de la prosopopée, n’y a-t-il pas une bonne raison de se moquer de Celse quand il attribue aux chrétiens des affirmations qu’ils ne tiennent pas ? S’il avait imaginé des paroles de gens simples, comment des gens de cette sorte pourraient-ils distinguer les sens de l’intelligence, le sensible de l’intelligible et dogmatiser à la manière des Stoïciens qui nient les réalités intelligibles et affirment que les choses dont nous avons la compréhension sont comprises par les sens, et que toute compréhension dépend des sens ? Mais s’il prête ces paroles qu’il invente à ceux qui interprètent philosophiquement les mystères du Christ et mettent tous leurs soins à les examiner, sa fiction ne leur est pas applicable. En effet, il n’est personne qui, sachant que Dieu est invisible et que certaines créatures sont invisibles, c’est-à-dire intelligibles, dirait pour défendre la résurrection : comment, si on ne l’atteint par les sens, arriver à connaître Dieu, ou que peut-on connaître sans l’usage des sens ? Et ce n’est pas dans des ouvrages peu accessibles, lus seulement d’un petit nombre d’érudits, mais dans les plus populaires, qu’il écrit : « Les ?uvres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit. » De là cette conclusion : quoique les hommes en cette vie doivent partir des sens et du sensible quand il veulent s’élever jusqu’à la nature de l’intelligible, ils ne doivent nullement s’en tenir au sensible. On ne dira pas davantage qu’il est impossible sans l’usage des sens de connaître l’intelligible, même si on pose la question : qui peut connaître sans l’usage des sens ? On prouvera que Celse n’a pas eu raison d’ajouter que ce n’est point là propos de l’homme ni de l’âme, mais de la chair. LIVRE VI
L’homme, donc, c’est-à-dire l’âme usant d’un corps, appelée « l’homme intérieur », et aussi « l’âme », ne va pas répondre ce qu’écrit Celse, mais ce qu’enseigne l’homme de Dieu. Le chrétien ne saurait tenir un propos de la chair ; il a appris à mortifier « par l’Esprit les actions du corps », et à porter « toujours dans son corps la mort de Jésus », et il a reçu cet ordre : « Mortifiez vos membres terrestres ». Il connaît le sens de la parole : « Mon esprit ne demeurera pas toujours dans ces hommes, car ils sont chair », il sait que « ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu », il fait tout pour n’être plus aucunement dans la chair mais seulement dans l’esprit. LIVRE VI
Il nous dit donc : Quand après avoir fermé l’entrée des sens, vous aurez regardé en haut par l’esprit, et qu’après vous être détournés de la chair, vous aurez donné l’éveil aux yeux de l’âme, alors seulement vous verrez Dieu. Et il se figure que nous n’avions pas déjà réfléchi à cette idée qu’il emprunte aux Grecs, je veux dire celle de deux sortes d’yeux. LIVRE VI
Il faut répondre que Moïse, décrivant la création du monde, représente l’être humain avant sa transgression tantôt voyant, tantôt ne voyant pas : il est dit voyant, lorsqu’il est écrit de la femme : « La femme vit que l’arbre était appétissant à manger, séduisant pour les yeux, désirable pour acquérir l’entendement. » Il est dit ne voyant pas, non seulement dans les paroles du serpent à la femme, qui supposent des yeux aveugles : « Car Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront », mais encore lorsqu’il est dit : « Ils en mangèrent et leurs yeux à tous deux s’ouvrirent. » Ils s’ouvrirent donc, les yeux de leurs sens qu’ils avaient eu raison de tenir fermés, pour n’être pas empêchés par les distractions de regarder avec l’oeil de l’âme ; mais les yeux de l’âme qu’ils avaient jusqu’alors plaisir à tenir ouverts sur Dieu et son Paradis, voilà ceux, je crois, qu’ils fermèrent par leur péché. LIVRE VI
Et quels sont donc les sages ou philosophes auprès desquels Celse veut nous faire apprendre maintes vérités divines ? Car il veut nous faire abandonner Moïse, le serviteur de Dieu, les prophètes du Créateur de l’univers qui, véritablement inspirés, ont dit tant de vérités. Il veut nous faire abandonner Celui-là même qui a illuminé le genre humain, annoncé la voie de la véritable piété ; qui, autant qu’il dépendait de lui, n’a laissé personne sans participation à ses mystères ; qui, au contraire, dans l’excès de son amour pour les hommes, peut donner aux esprits plus intelligents une conception de Dieu capable d’élever l’âme au-dessus des affaires d’ici-bas ; qui néanmoins condescend à venir en aide aux pauvres moyens des hommes ignorants, des simples femmes, des esclaves, bref, de ceux qui n’ont de secours de personne sinon de Jésus seul pour leur faire mener une vie meilleure autant que possible, avec les doctrines qu’ils ont pu recevoir sur Dieu. LIVRE VI
Il se manifeste à ceux à qui il juge raisonnable d’apparaître dans la mesure où il est naturellement possible à Dieu d’être connu de l’homme et à l’âme humaine toujours dans le corps de connaître Dieu. LIVRE VI
Celse pense que Dieu est connu soit par la synthèse qui domine les autres choses, semblable à la synthèse dont parlent les géomètres, soit par l’analyse qui le distingue des autres choses, soit encore par une analogie semblable à la leur, si toutefois on est capable d’arriver par cette méthode au vestibule du Bien. Mais en disant : « Personne ne connaît le Père que le Fils et celui à qui le Fils le révèle » le Logos de Dieu déclare qu’on connaît Dieu par une faveur divine, inséparable d’une action de Dieu dans l’âme qui y produit une sorte de transport divin. Il est bien normal que la connaissance de Dieu dépasse la nature humaine ; de là, dans l’humanité, tant d’erreurs sur Dieu. Mais grâce à la bonté et à l’amour de Dieu pour les hommes, par une faveur miraculeuse proprement divine, cette connaissance de Dieu parvient à tous ceux qui y ont été prédestinés, du fait que Dieu savait d’avance qu’ils vivraient d’une manière digne de Dieu qu’ils auraient connu : ils ne falsifieraient en rien la religion envers lui, même si ceux qui n’ont aucune idée de la religion et l’imaginent tout autre qu’elle n’est réellement les conduisaient à la mort, même s’ils les jugeaient ridicules à l’excès. LIVRE VI
Priant « en tout lieu », après avoir fermé l’entrée des sens et donné l’éveil aux yeux de l’âme, il s’élève au-dessus du monde entier ; il ne s’arrête même pas à la voûte du ciel, mais atteignant par la pensée le lieu supracéleste, guidé par l’Esprit divin et, pour ainsi dire, hors du monde, il fait monter à Dieu sa prière qui n’a point pour objet les choses passagères. Car il a appris de Jésus à ne chercher rien de petit, c’est-à-dire de sensible, mais seulement les choses grandes et véritablement divines qui surviennent comme dons de Dieu pour guider vers la béatitude auprès de lui, par son Fils, le Logos qui est Dieu. LIVRE VI
Ces réflexions s’adressent aux intelligents. Si vous en comprenez quelque chose vous aussi, c’est tant mieux pour vous. Et si vous croyez qu’un esprit descend d’auprès de Dieu pour annoncer d’avance les choses divines, ce peut être cet esprit qui proclame tout cela; en vérité, c’est tout pénétrés de lui que les anciens ont annoncé tant d’excellentes doctrines. Si vous ne pouvez les entendre, taisez-vous, cachez votre ignorance, ne traitez pas d’aveugles ceux qui voient, de boiteux ceux qui courent, quand c’est vous-mêmes qui êtes boiteux et mutilés dans l’âme, et ne vivez que pour le corps, c’est-à-dire une chose morte ». LIVRE VI
Ce qu’il y a de laborieux, c’est de réfléchir sérieusement à ces matières et de voir la différence entre ceux qui ont pu, à de longs intervalles, s’ouvrir à la compréhension de la vérité et à une conception limitée de Dieu, et ceux qui, sous une plus haute inspiration divine, continuellement unis à Dieu, sont toujours sous la conduite de l’Esprit divin. Si Celse l’avait examiné et compris, il ne nous eût point accusés d’ignorance, ni interdit de traiter d’aveugles ceux qui voient une expression de la piété dans les ?uvres matérielles de l’art humain telles que les statues. Car quiconque ouvre les yeux de l’âme ne suit pas d’autre méthode pour adorer la divinité que celle qui enseigne à toujours fixer les yeux sur le Créateur de l’univers, à lui offrir toute prière et à tout faire comme sous le regard de Dieu qui voit même nos pensées. LIVRE VI
Nous souhaitons donc voir nous-mêmes, et être guides des aveugles jusqu’à les faire parvenir au Logos de Dieu et recouvrer la vue de l’âme offusquée par l’ignorance. En menant une conduite digne de Celui qui avait dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde », du Logos qui avait enseigné que « la lumière luit dans les ténèbres », nous serons encore la lumière de ceux qui vivent dans l’obscurité, nous éduquerons les insensés, et nous instruirons les petits enfants. LIVRE VI
Que Celse n’aille pas s’indigner si nous traitons de boiteux et mutilés des jambes de l’âme ceux qui s’empressent autour des objets tenus pour sacrés comme s’ils l’étaient en vérité, et qui ne voient pas qu’aucune ?uvre d’artisans ne peut être sacrée. Mais ceux qui professent la piété conforme à l’enseignement de Jésus courent aussi, jusqu’à ce que, parvenus au terme de la course, ils s’écrient d’un coeur ferme et sincère : « J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi : il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice. » C’est bien « ainsi et non à l’aventure » que court chacun de nous, « ainsi » qu’il fait du pugilat, « sans frapper dans le vide », mais frappant ceux que domine « le Prince de l’empire de l’air, cet esprit qui agit actuellement dans les fils de la désobéissance ». Libre à Celse de dire que nous vivons pour le corps, qui est chose morte ! Nous entendons la parole : « Si vous vivez selon la chair, vous devez mourir ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez. » Nous avons appris : « Si nous vivons par l’Esprit, suivons aussi l’Esprit. » Ah ! puissions-nous montrer par nos actions qu’il a menti en disant de nous que nous vivons pour le corps, qui est une chose morte. LIVRE VI
Non, rien de bâtard ne doit subsister dans l’âme de l’homme véritablement pieux envers la divinité. Nous refusons ainsi d’honorer les statues pour éviter, autant qu’il dépend de nous, de tomber dans l’opinion que les statues seraient d’autres dieux. C’est pourquoi Celse et tous ceux qui avouent qu’elles ne sont pas des dieux sont pour nous condamnables, malgré leur renom de sagesse, quand ils affectent d’honorer les statues. La foule qui suit leur exemple pèche, non point parce qu’elle croit les honorer par accommodation, mais bien parce que les âmes se dégradent jusqu’à les considérer comme des dieux et ne pas tolérer d’entendre dire que ce ne sont pas des dieux qu’elles adorent. LIVRE VI
Celse dit bien ne pas les prendre pour des dieux et seulement pour des offrandes consacrées offertes aux dieux, mais il n’établit pas comment ces offrandes sont consacrées non pas aux hommes, mais, comme il le note, aux dieux mêmes. Car il est clair que ce sont des offrandes de gens qui ont des idées fausses sur la divinité. Nous ne pensons pas non plus que les statues soient des images divines, car nous ne représentons pas l’image de Dieu invisible et incorporel. Mais quand Celse suppose une contradiction entre notre affirmation que la divinité n’a pas de forme humaine, et notre croyance que Dieu a fait l’homme à son image et l’a fait à l’image de Dieu, il faut répondre comme on l’a dit plus haut : nous déclarons que ce qui est à l’image de Dieu est conservé dans l’âme raisonnable qui est telle par la vertu. Ici néanmoins Celse, qui ne voit pas la différence entre Image de Dieu et ce qui est à l’image de Dieu, nous fait dire : Dieu a fait l’homme à son image et d’une forme semblable à la sienne. A cela on a répondu plus haut. LIVRE VI
On peut comparer, si l’on veut, les autels que j’ai décrits aux autels dont parle Celse, et les statues intérieures à l’âme de ceux qui ont de la piété envers le Dieu de l’univers, aux statues de Phidias, de Polyclète et de leurs semblables. On verra clairement que celles-ci sont inanimées, soumises à l’usure du temps, mais que celles-là demeurent dans l’âme immortelle tant que l’âme raisonnable veut qu’elles subsistent en elle. LIVRE VIII
Citons encore le passage suivant et examinons-le de notre mieux : Si c’est par respect a une tradition qu’ils s’abstiennent de victimes de ce genre, ils devraient complètement s’abstenir de toute chair animale, comme faisait Pythagore dans son respect de l’âme et de ses organes. Mais si, comme ils disent, c’est pour ne pas festoyer avec les démons, je les félicite pour leur sagesse de comprendre tardivement qu’ils ne cessent d’être les commensaux des démons3. Mais ils n’y prennent garde qu’en voyant une victime immolée. Et cependant le pain qu’ils mangent, le vin qu’ils boivent, les fruits qu’ils goûtent, l’eau même qu’ils boivent et l’air même qu’ils respirent ne sont-ils pas autant de présents des démons qui ont chacun pour une part la charge de leur administration ? Je ne vois pas comment, en cette matière, l’obligation pour eux de s’abstenir de toute chair animale lui semble la conséquence logique du fait qu’ils s’abstiennent de certaines victimes par respect d’une tradition. Nous le nions, car la divine Écriture ne nous suggère rien de pareil. Mais pour rendre notre vie plus forte et plus pure, elle nous dit : « Il est bon de ne pas manger de viande, de ne pas boire de vin, de ne rien faire qui scandalise ton frère » ; « Garde-toi, avec tes aliments de faire périr celui pour qui le Christ est mort » ; « Quand une viande cause la chute de mon frère, que je me passe à tout jamais de pareille viande afin de ne pas faire tomber mon frère ! » LIVRE VIII
Et si nous désirons avoir un grand nombre d’êtres dont nous voulons la bienveillance, nous apprenons que « mille milliers se tenaient devant lui, et des myriades de myriades le servaient ». Ces êtres, regardant comme des parents et des amis ceux qui imitent leur piété envers Dieu, collaborent au salut de ceux qui invoquent Dieu et le prient véritablement ; ils leur apparaissent et croient de leur devoir d’exaucer et de visiter, comme par suite d’une convention pour leur apporter service et salut, ceux qui prient Dieu, qu’ils prient eux-mêmes. Car « ils sont tous des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour ceux qui doivent hériter le salut. » Libre donc aux sages de la Grèce de dire que les démons ont reçu en partage l’âme humaine dès la naissance ! Mais Jésus nous a enseigné à ne pas mépriser même les petits qui sont dans l’Église, en disant : « Leurs anges voient sans cesse la face de mon Père qui est aux cieux. » Et le prophète déclare : « L’ange du Seigneur établira ses tentes autour de ceux qui le craignent et il les délivrera. » LIVRE VIII
Sur la résurrection, souvent déjà il nous a fait des reproches ; j’ai établi aussi bien que possible ce qui me semble raisonnable sur la question ; je ne vais pas indéfiniment répondre à un grief indéfiniment ressassé. Mais Celse nous calomnie en nous prêtant la pensée que dans notre constitution il n’y a rien de meilleur ni de plus précieux que le corps. Car nous disons que l’âme, et principalement l’âme raisonnable est plus précieuse que tout corps, puisque c’est l’âme qui contient ce qui est « à l’image du Créateur », et nullement le corps. Car selon nous Dieu n’est pas un corps ; nous refusons les erreurs absurdes où tombent les adeptes de la philosophie de Zénon et de Chrysippe. LIVRE VIII
Puisqu’il nous reproche de désirer le corps, qu’il sache bien que si le désir est mauvais, nous ne désirons rien, mais s’il est indifférent, nous désirons tous les biens que Dieu a promis aux justes. Ainsi donc nous désirons et espérons la résurrection des justes. Celse croit que nous avons une attitude contradictoire, en espérant d’une part la résurrection du corps comme s’il était digne d’honneur près de Dieu, en l’exposant d’autre part aux supplices comme une chose méprisable. Mais le corps qui souffre pour la religion et choisit les tribulations pour la vertu n’est aucunement méprisable ; ce qui est entièrement méprisable, c’est le corps qui s’est consumé dans les plaisirs coupables. Du moins la divine Écriture déclare-t-elle : « Quelle race est digne d’honneur ? La race de l’homme. Quelle race est digne de mépris ? La race de l’homme. » Ensuite Celse pense qu’on doit refuser de discuter avec ceux qui espèrent une récompense pour le corps, comme s’ils étaient déraisonnablement rivés à un objet inapte à obtenir ce qu’ils espèrent. Il les qualifie de gens grossiers et impurs qui, sans raison aucune, sont contaminés par la révolte. Mais s’il aimait les hommes, il devrait venir en aide même à des gens grossiers. La sociabilité n’exclut pas les gens grossiers comme elle exclut les animaux sans raison. Au contraire, notre Créateur nous a également créés sociables envers tous les hommes. Il vaut donc la peine de discuter même avec des gens grossiers pour les amener autant que possible à une vie plus civilisée, avec des gens impurs pour les rendre plus purs autant que possible, avec ceux qui, sans raison aucune, pensent n’importe quoi et dont l’âme est malade, pour qu’ils ne fassent plus rien de contraire à la raison et n’aient plus l’âme malade. LIVRE VIII
Je trouve que dans son ” Art de guérir les passions ” Chrysippe procède avec plus d’humanité que Celse. Il veut guérir les passions qui oppriment et troublent l’âme humaine, principalement par les doctrines qu’il juge saines, mais aussi, en second et troisième lieu, par les doctrines étrangères à ses maximes. « A supposer qu’il y ait trois espèces de biens, dit-il, même alors il faut soigner les passions. Ce n’est pas au moment de leur paroxysme qu’on insiste sur la doctrine occupant l’esprit de ceux qui en sont troublés. On risquerait en s’attardant hors de propos à réfuter les doctrines qui avaient pris possession de l’âme, de laisser passer la guérison qui est encore possible. » Et il ajoute : « A supposer que le plaisir soit le Souverain Bien et que telle fût la pensée de celui qui se laisse dominer par la passion, il faudrait néanmoins le secourir et lui montrer que, même quand on admet le plaisir comme le Souverain Bien et la Fin, toute passion est condamnable. » LIVRE VIII
Après avoir tant insisté là-dessus, voyons encore un autre passage de Celse que voici : Les hommes naissent liés à un corps, soit en raison de l’économie de l’univers, soit en expiation de leur faute, soit parce que l’âme est chargée de passions jusqu’à ce qu’elle soit purifiée à des périodes déterminées. Car, selon Empédocle, il faut que « pendant mille ans erre loin des bienheureux l’âme des mortels changeant de forme avec le temps ». Il faut donc croire que les hommes ont été confiés à la garde de certains geôliers de cette prison. Observe ici encore qu’en de si graves questions, il hésite d’une manière bien humaine, et il fait preuve de prudence en citant les théories de nombreux auteurs sur la cause de notre naissance, sans oser affirmer que l’une d’elles soit fausse. Mais une fois décidé à ne pas donner son assentiment à la légère et à ne pas opposer un refus téméraire aux opinions des Anciens, ne parvenait-il pas à cette conséquence logique : s’il ne voulait pas croire à la doctrine des Juifs énoncée par leurs prophètes ni à Jésus, il devait rester hésitant et admettre comme probable que ceux qui ont rendu leur culte au Dieu de l’univers et qui, pour l’honneur qui lui est dû et pour l’observation des lois qu’ils croyaient tenir de lui, se sont exposés maintes fois à des dangers sans nombre et à la mort, n’ont pas encouru le mépris de Dieu, mais qu’une révélation leur a été faite à eux aussi : car ils ont dédaigné les statues produites par l’art humain et ont tâché de monter par le raisonnement jusqu’au Dieu suprême lui-même. Ils auraient dû considérer que le Père et Créateur commun de tous les êtres, qui voit tout, entend tout, et juge selon son mérite la détermination de quiconque à le chercher et à vouloir vivre dans la piété, accorde à ceux-là aussi le fruit de sa protection, pour qu’ils progressent dans l’idée de Dieu qu’ils ont une fois reçue. Réfléchissant sur ce point, Celse et ceux qui haïssent Moïse et les prophètes parmi les Juifs, Jésus et ses véritables disciples qui se dépensent pour sa parole, n’auraient pas insulté de la sorte Moïse et les prophètes, Jésus et ses apôtres. Ils ne mettraient pas les seuls Juifs au-dessous de toutes les nations de la terre, en les disant inférieurs même aux Égyptiens qui, par superstition ou toute autre cause ou erreur, ravalent autant qu’ils peuvent jusqu’à des animaux sans raison l’honneur qu’ils doivent à la divinité. LIVRE VIII
Ensuite, quand Celse déclare : Il faut donc croire que les hommes ont été confiés à la garde de certains geôliers de cette prison, on doit lui répondre que même dans la vie de ceux que Jérémie appelle « les captifs de la terre », l’âme vertueuse peut être délivrée des liens du péché. Car Jésus l’a dit, comme bien avant sa venue en terre l’avait prédit le prophète Isaïe. Et que disait-il d’avance sinon aux captifs : « sortez », et à ceux qui vivent dans les ténèbres : « venez à la lumière ? » Et Jésus lui-même, comme Isaïe l’avait encore prédit, « s’est levé comme une lumière pour ceux qui sont assis dans la région et à l’ombre de la mort ». Voilà pourquoi nous pouvons dire : « Brisons leurs entraves et jetons leur joug loin de nos têtes ! » LIVRE VIII
En conséquence, nous n’insultons pas les démons d’ici-bas, mais nous condamnons leurs activités qui visent la perte du genre humain, car leur dessein est, sous prétexte d’oracles et de guérisons des corps et d’autres prodiges, de séparer de Dieu l’âme qui est tombée dans « le corps de misère ». Ceux qui ont compris cette misère s’écrient : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? » Il n’est pas vrai non plus que nous livrons en vain notre corps à la torture et au supplice. On ne leur livre pas en vain son corps quand, parce qu’on refuse de proclamer dieux les démons qui entourent la terre, on est en butte à leurs attaques et à celles de leurs dévots. Il nous a même paru raisonnable de croire que c’est plaire à Dieu que se livrer à la torture pour la vertu, au supplice pour la piété, et à la mort pour la sainteté. Car « elle est précieuse aux yeux du Seigneur la mort de ses saints. » Et nous affirmons qu’il est bon de ne pas aimer la vie. Mais Celse nous compare aux malfaiteurs qui méritent bien les souffrances qu’on leur inflige pour leur brigandage, et il ne rougit pas d’assimiler notre si beau dessein à celui des brigands. Par ces propos il est bien le frère de ceux qui comptèrent Jésus au nombre des scélérats, accomplissant l’oracle de l’Écriture : « Il a été mis au nombre des scélérats. » LIVRE VIII
Donc, malgré l’injonction de Celse de nous faire quitter la vie tous ensemble afin, pense-t-il, que notre engeance débarrasse totalement la surface de la terre, nous vivrons dans la dépendance de notre Créateur selon les lois de Dieu, ne voulant à aucun prix être esclaves des lois du péché. Nous prendrons femme si nous voulons et accepterons les enfants nous venant de ces mariages. Et s’il le faut, nous prendrons part aux joies de cette vie, supportant les maux qu’elle comporte comme des épreuves de l’âme. C’est le terme employé couramment par les divines Écritures pour désigner les afflictions des hommes. Par elles, comme l’or dans le feu, l’âme mise à l’épreuve est ou condamnée ou manifestée dans son admirable vertu. Et nous sommes si bien préparés aux maux dont nous parle Celse que nous allons jusqu’à dire : « Examine-moi Seigneur, éprouve-moi, brûle mes reins et mon coeur. » Car personne « ne sera couronné s’il n’a combattu selon les règles » dès maintenant sur terre avec son corps de misère. LIVRE VIII
Considère toi-même la disposition qui agréera davantage au Dieu suprême dont la puissance est inégalable en tout ordre de choses, spécialement pour répandre sur les hommes les bienfaits de l’âme, du corps, des biens extérieurs. Sera-ce la consécration totale de soi-même à Dieu, ou la minutieuse recherche des noms, des pouvoirs, des activités des démons, des incantations, des plantes particulières aux démons, des pierres avec leurs inscriptions correspondant aux formes traditionnelles des démons symboliquement ou de tout autre manière ? Il est évident, même à une réflexion sommaire, que la disposition simple et sans vaine curiosité qui, de ce fait, se consacre au Dieu suprême, sera agréée de Dieu et de tous ses familiers. Au contraire, pour la santé physique, l’amour du corps, la réussite dans les choses indifférentes, se préoccuper des noms des démons, chercher comment charmer les dénions par des incantations, c’est vouloir être abandonné par Dieu, comme un être mauvais, impie et démoniaque plutôt qu’humain, aux démons qu’on choisit en prononçant ces formules, pour être tourmenté soit par les pensées que chacun d’eux suggère, soit par d’autres malheurs. Car il est vraisemblable que ces êtres, étant mauvais et, comme l’avoue Celse, rivés au sang, au fumet de graisse, aux incantations et autres choses de ce genre, ne gardent, même envers ceux qui leur offrent ces jouissances, ni leur foi ni, si l’on peut dire, leurs engagements. Car, que d’autres les invoquent contre ceux qui leur ont rendu un culte et qu’ils achètent leur service avec plus de sang, de fumet de graisse et de ce culte qu’ils exigent, ils peuvent s’en prendre à qui hier leur rendait un culte et leur donnait une part de ce festin qui leur est cher. LIVRE VIII
Celse a beau dire : Il faut donc rendre des honneurs religieux à ces êtres dans la mesure où c’est notre intérêt, car la raison n’exige pas de le faire sans réserve. Non, il ne faut pas rendre des honneurs aux démons rivés au fumet de graisse et au sang, mais tout faire pour éviter de profaner la divinité en la rabaissant jusqu’aux démons pervers. S’il avait eu une notion exacte de notre intérêt et vu que notre intérêt au sens propre c’est la vertu et l’action conforme à la vertu, Celse n’eût point usé de l’expression « dans la mesure où c’est notre intérêt » à propos de tels êtres en qui lui-même voit des démons. Pour nous, même si le culte de tels démons nous octroie la santé et la réussite temporelle, nous préférons subir la maladie et l’échec temporel avec la conscience d’une religion pure envers le Dieu de l’univers, plutôt que jouir de la santé du corps et de la réussite temporelle dues à la séparation et à la chute loin de Dieu, et finalement la maladie et la misère de l’âme. En somme, c’est à Celui qui n’éprouve nul besoin de rien sinon du salut des hommes et de tout être raisonnable, de préférence à ceux qui aspirent au fumet de graisse et au sang, qu’on doit s’attacher. LIVRE VIII
Mais il me semble ici commettre une confusion : parfois il a l’esprit troublé par les démons, parfois aussi, sortant de l’irréflexion qu’ils lui infligent, il entrevoit une lueur de vérité. Car de nouveau il ajoute : Quant à Dieu, il ne faut jamais le quitter d’aucune façon, ni jour ni nuit, ni en public ni en privé, en toute parole et en toute action d’une manière continue. Mais que, dans ces activités ou sans elles, l’âme ne cesse d’être tendue vers Dieu. LIVRE VIII
Oui certes, il nous faut mépriser la faveur des hommes et des rois, non seulement si elle ne s’obtient qu’au prix de meurtres, d’impuretés et d’actions criminelles, mais encore si c’est au prix de l’impiété envers le Dieu de l’univers, ou d’une parole de servilité et de bassesse, indigne d’hommes courageux et magnanimes qui veulent unir aux autres vertus, comme la plus noble de toutes, la fermeté de l’âme. Là pourtant, nous ne faisons rien de contraire à la loi et au Logos de Dieu, nous n’avons pas la folie de courir exciter contre nous la colère de l’empereur ou du prince, braver les mauvais traitements, les supplices et même la mort. LIVRE VIII
Et si Celse veut nous voir aussi servir comme stratèges pour la défense de la patrie, qu’il le sache, nous le faisons aussi, mais non pour attirer le regard des hommes et obtenir d’eux par cette conduite une gloire futile. Nos prières sont faites dans le secret à l’intime de l’âme et montent comme celles des prêtres pour le salut de nos compatriotes. Les chrétiens sont même plus utiles aux patries que le reste des hommes : ils éduquent leurs concitoyens, leur enseignent la piété envers Dieu gardien de la cité ; ils font monter vers une cité céleste et divine ceux qui ont mené une vie honnête dans les plus petites cités. On pourrait leur dire : tu as été fidèle dans une cité toute petite, arrive maintenant dans la grande, où « Dieu se dresse dans l’assemblée des dieux et, au milieu d’eux, juge les dieux » ; il accepte de te compter parmi eux à condition que tu ne veuilles plus mourir à la façon d’un homme, ni tomber « comme un de leurs princes. » Celse nous convie encore à prendre part au gouvernement de la patrie s’il en est besoin pour la défense des lois et de la piété. Mais, sachant que derrière chaque cité se trouve un autre genre de patrie établie par le Logos de Dieu, nous appelons à gouverner les églises ceux que leur doctrine et leur sainteté de vie rendent aptes à ce gouvernement. Récusant ceux qui aspirent au pouvoir, nous contraignons ceux qui, dans l’excès de leur modestie, répugnent à assumer hâtivement le souci commun de l’Église de Dieu. Et ceux qui nous gouvernent sagement, après avoir été ainsi contraints, gouvernent sous les ordres du grand Roi qui le leur impose, lui que nous croyons Logos Dieu, Fils de Dieu. Et choisis ou contraints, si les gouvernants dans l’Église gouvernent sagement la patrie selon Dieu, je veux dire l’Église, ils gouvernent selon les ordres de Dieu sans violer en rien pour cela les lois établies. LIVRE VIII
Ensuite, parmi tous les traités renfermant des allégories et des interprétations en un style qui n’est pas sans beauté, il a fait choix du plus ordinaire, apte peut-être à favoriser la foi de la multitude des simples, mais bien incapable d’impressionner les intelligents. Il dit : De ce genre, justement, je connais une controverse d’un certain Papiscos et Jason, qui mérite moins le rire que la pitié et la haine. Donc loin de moi le propos d’en réfuter les inepties : elles sautent aux yeux de tous, surtout de celui qui a la patience de supporter la lecture du livre lui-même. Je préfère enseigner ceci conformément à la nature : Dieu n’a rien fait de mortel; mais tous les êtres immortels sont oeuvres de Dieu, et les êtres mortels sont leurs oeuvres. L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. En fait, à cet égard, il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille ou d’homme: la matière en est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. Néanmoins je voudrais que quiconque a entendu Celse s’indigner et déclarer que le traité intitulé “Controverse de Papiscos et de Jason” sur le Christ mérite moins le rire que la haine prenne en mains le petit traité, et ait la patience de supporter la lecture de ce qu’il contient, afin de condamner aussitôt Celse, parce qu’il n’y trouve rien qui mérite la haine. Un lecteur sans parti pris trouvera que le livre ne porte même point à rire : on y présente un chrétien discutant avec un Juif, à partir des Écritures juives, et montrant que les prophéties sur le Christ s’appliquent à Jésus, bien que l’autre s’oppose à l’argument d’une manière qui n’est pas sans noblesse et qui convient au personnage d’un Juif. LIVRE IV
Dans le passage de Celse que j’ai cité, qui est une paraphrase du “Timée, se trouvent expressions telles que : « Dieu n’a rien fait de mortel, mais seuls les êtres immortels, et les êtres mortels sont oeuvres d’autres êtres. L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. Et un corps d’homme n’aura aucune différence avec un corps de chauve-souris, de ver ou de grenouille ; car la matière est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. » Discutons donc quelque peu ces points, et prouvons ou qu’il dissimule son opinion épicurienne, ou, dira-t-on peut-être, qu’il l’a abandonnée pour de meilleures doctrines, ou même, pourrait-on dire, qu’il est un homonyme du Celse épicurien. Puisqu’il manifestait de telles opinions et se proposait de contredire, avec nous, l’illustre école philosophique des disciples de Zénon de Cittium, il aurait dû prouver que les corps des animaux ne sont pas des oeuvres de Dieu, et que leur si minutieuse organisation ne procède pas de l’intelligence première. Au sujet des plantes, si nombreuses et si variées, régies de l’intérieur par une nature qu’on ne peut imaginer et créées pour l’importante fonction dans l’univers d’être à l’usage des hommes et des animaux qui sont au service des hommes ou dans toute autre situation, il aurait dû ne pas se contenter de déclarer, mais enseigner qu’une intelligence parfaite ne pouvait avoir introduit ces innombrables qualités dans la matière qui constitue les plantes. LIVRE IV
Il mélange des choses incompatibles et assimile entre elles des choses dissemblables ; car après avoir parlé des soixante ou soixante-dix anges descendus, selon lui, et dont les pleurs, à l’en croire, seraient les sources chaudes, il ajoute qu’il vint alors, dit-on, au tombeau de Jésus deux anges d’après les uns, un seul d’après les autres. Il n’a pas observé, je pense, que Matthieu et Marc ont parlé d’un seul, Luc et Jean de deux, ce qui n’est pas contradictoire. Les auteurs désignent par un seul ange celui qui a fait rouler la pierre loin du tombeau, et par deux anges ceux qui se sont présentés « en robe étincelante » aux femmes venues au tombeau, ou ceux qui ont été vus à l’intérieur « assis dans leurs vêtements blancs ». Il serait possible de montrer ici que chacune de ces apparitions est à la fois un événement historique et une manifestation d’un sens allégorique relatif aux vérités qui apparaissent à ceux qui sont prêts à contempler la résurrection du Logos; cela ne relève pas de l’étude actuelle, mais plutôt des commentaires de l’Évangile. Des réalités merveilleuses se sont parfois manifestées aux hommes : c’est ce que rapportent aussi parmi les Grecs non seulement ceux qu’on pourrait soupçonner d’inventer des fables, mais encore ceux qui ont donné maintes preuves de la rigueur philosophique et de leur loyauté à citer les faits qui leur sont parvenus. J’ai lu de ces traits chez Chrysippe de Soles, d’autres chez Pythagore ; et depuis, chez certains aussi plus récents, nés d’hier ou d’avant-hier, comme chez Plutarque de Chéronée dans le “Traité de l’âme”, et le Pythagoricien Noumenios dans le deuxième livre “Sur l’incorruptibilité de l’âme”. Ainsi donc, quand les Grecs, et surtout leurs philosophes, racontent des faits de cet ordre, leurs récits ne provoquent ni moquerie ni dérision et on ne les traite pas de fictions et de fables. Au contraire, quand des hommes voués au Dieu de l’univers et qui, pour ne pas dire une parole mensongère sur Dieu, acceptent d’être maltraités jusqu’à la mort, annoncent qu’ils ont vu des apparitions d’anges, ils ne mériteraient pas créance et leurs paroles ne seraient pas reconnues véridiques ? Il serait déraisonnable de trancher ainsi entre la sincérité et le mensonge. La rigueur de la critique exige une recherche longue et précise, un examen de chaque point, après lesquels, avec lenteur et précaution, on prononce que tels auteurs disent vrai et tels auteurs mentent sur les prodiges qu’ils racontent. Tous ne manifestent pas qu’ils sont dignes de foi, tous ne montrent pas clairement qu’ils transmettent aux hommes des fictions et des fables. Il faut ajouter à propos de la résurrection de Jésus d’entre les morts : il n’est pas étonnant qu’alors un ange ou deux soient apparus pour annoncer qu’il était ressuscité, et qu’ils aient pourvu à la sécurité de ceux qui pour leur salut croyaient à ce miracle. Et il ne me semble pas déraisonnable que toujours ceux qui croient Jésus ressuscité et présentent comme un fruit appréciable de leur foi la générosité de leur vie et leur aversion pour le débordement du vice, ne soient point séparés des anges qui les accompagnent pour leur porter secours dans leur conversion à Dieu. Celse reproche aussi à l’Écriture d’affirmer qu’un ange avait roulé la pierre loin du tombeau où était le corps de Jésus : il ressemble à un jeune homme qui s’exerce à user de lieux communs pour soutenir une accusation. Comme s’il avait trouvé contre l’Écriture une objection subtile, il ajoute : Le Fils de Dieu, à ce qu’il paraît, ne pouvait ouvrir le tombeau, mais il a eu besoin d’un autre pour déplacer la pierre. Mais je ne veux pas perdre mon temps à discuter l’objection ni, en développant ici une interprétation allégorique, paraître introduire mal à propos des considérations philosophiques. Du récit lui-même je dirai que d’emblée il semble plus digne que ce fût l’inférieur et le serviteur, plutôt que celui qui ressuscitait pour le bien des hommes, qui ait fait rouler la pierre. Je m’abstiens de souligner que ceux qui conspiraient contre le Logos, qui avaient décidé de le tuer et de montrer à tous qu’il était mort et réduit à rien, ne voulaient pas du tout que son tombeau fût ouvert, afin que personne ne pût voir le Logos vivant après leur conspiration. Mais « l’Ange de Dieu » venu sur terre pour le salut des hommes coopère avec l’autre ange et, plus fort que les auteurs de la conspiration, fait rouler la lourde pierre, afin que ceux qui croient le Logos mort soient persuadés qu’« il n’est point parmi les morts », mais qu’il vit et « précède » ceux qui consentent à le suivre, pour expliquer la suite de ce qu’il avait commencé à leur expliquer auparavant, lorsqu’au premier temps de leur initiation ils n’étaient pas encore capables de saisir les vérités plus profondes. LIVRE V