S’il en est ainsi de la qualité du corps qui ressuscitera des morts, voyons ce que signifie la menace du feu éternel. Nous trouvons en effet dans le prophète Isaïe l’indication que le feu qui punit est propre à chacun : Marchez dans la lumière de voire feu et dans la flamme que vous vous êtes allumée à vous-mêmes. Ces paroles semblent montrer que chacun s’allume à lui-même la flamme d’un feu qui lui est propre, au lieu d’être plongé dans un autre feu qui aurait été auparavant allumé par un autre et subsisterait avant lui. La nourriture de ce feu, la matière qui l’alimente, ce sont nos péchés, appelés par l’apôtre Paul bois, foin et paille. A mon avis, de même que l’abondance de la nourriture dans le corps, les aliments dont la qualité et la quantité nous sont contraires, engendrent des fièvres de nature et de durée diverses dans la mesure où les excédents accu-mulés ont fourni à ces fièvres une matière et un excitant – cette quantité de matière, accumulée par divers excès est cause de l’acuité et de la longueur de la maladie -, de même, lorsque l’âme a accumulé en elle une foule de mauvaises oeuvres et une abondance de péchés, toute cette accumulation de maux bouillonne au moment convenable pour son supplice et s’enflamme pour son châtiment. Par ailleurs l’intelligence elle-même ou plutôt la conscience, se rappelant par la puissance divine tous les actes dont les empreintes et les formes s’étaient imprimées en elle quand elle péchait, tout ce qu’elle a fait de laid et de honteux et même tout ce qu’elle a commis d’impie, verra ainsi en quelque sorte étalée devant ses yeux l’histoire de ses crimes ; alors la conscience est agitée et comme piquée par des aiguillons dont elle est elle-même la cause et elle devient l’accusatrice d’elle-même et son témoin à charge. A mon avis l’apôtre Paul a eu une idée semblable quand il a dit : Nos pensées s’accusant ou même s’excusant réciproquement au jour où Dieu jugera les actions secrètes des hommes selon mon évangile par Jésus-Christ. Par là il faut comprendre que, en ce qui concerne la substance même de l’âme, les mauvais sentiments des pécheurs engendrent eux-mêmes certains tourments. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section
Mais ceux qui reçoivent l’interprétation des Écritures selon le sens des apôtres espèrent que ce que mangeront les saints, c’est le pain de vie qui nourrit l’âme des aliments de la vérité et de la sagesse, illumine l’intelligence et l’abreuve de la coupe de la Sagesse divine, selon ce que dit l’Écriture : La Sagesse a préparé sa table, immolé ses victimes, mélangé son vin dans le cratère et elle crie à grande voix: Venez chez moi, mangez les pains que je vous ai préparés et buvez le vin que j’ai mélangé pour vous. Nourrie de ces aliments de la Sagesse, l’intelligence est rétablie dans son intégrité et dans sa perfection, dans l’état où l’homme a été créé au début, à l’image de Dieu et à sa ressemblance. Et même celui qui aura quitté cette vie avec une connaissance insuffisante, mais en apportant des oeuvres dignes d’approbation, sera instruit dans cette Jérusalem, cité des saints, il recevra l’enseignement et la formation et il deviendra une pierre vive, une pierre précieuse et choisie, parce qu’il aura enduré avec courage et constance les luttes de cette vie et les combats pour la piété; et là-haut il connaîtra de manière plus vraie et plus claire ce qui lui a été dit déjà ici-bas, parce que : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Les princes et les chefs sont à entendre de ceux qui dirigent leurs inférieurs, les instruisent, les enseignent et les forment dans la connaissance des réalités divines. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section
Lorsque les saints seront parvenus, pour ainsi dire, dans les lieux célestes, ils contempleront alors la nature des astres un à un et ils sauront s’ils sont des êtres animés ou quelque chose d’autre. Mais ils comprendront aussi les raisons des autres oeuvres de Dieu, car lui-même les leur révélera. Alors il leur montrera comme à ses fils les causes des choses et la puissance de sa création, leur enseignera pourquoi telle étoile est placée à tel endroit du ciel, pourquoi elle est séparée d’une autre par tel intervalle : si elle avait été plus proche, par exemple, quelles en auraient été les conséquences, et si elle avait été plus éloignée qu’est-ce qui serait arrivé ? Ou si cette étoile avait été plus grande que cette autre, comment l’univers ne serait pas resté semblable, mais tout aurait pris une autre forme. Ainsi donc, après avoir parcouru la science de la nature des astres et des relations des êtres célestes, ils en viendront à ce qui ne se voit pas, ce que nous connaissons seulement de nom, aux réalités invisibles. L’apôtre Paul nous a appris qu’elles sont nombreuses, mais nous ne pouvons faire la moindre conjecture sur leur nature et leurs différences. Et ainsi, la nature raisonnable croissant peu à peu, non comme elle le faisait en cette vie quand elle était dans la chair ou le corps et l’âme, mais grandissant par la compréhension et la pensée, parvient, en tant qu’elle est une intelligence parfaite, à la connaissance parfaite, sans que les sentiments charnels lui fassent désormais obstacle, mais dans sa croissance intellectuelle elle contemple toujours dans leur pureté et, pour ainsi dire, face à face, les causes des choses ; elle acquiert ainsi la perfection, d’abord celle qui permet son ascension, ensuite celle qui demeure, et elle a comme nourriture la contemplation et la compréhension des choses et de ce qui les cause. En effet dans cette vie corporelle se produit d’abord la croissance du corps jusqu’à l’état où nous sommes pendant les premières années, par le moyen d’une nourriture suffisante, mais ensuite, quand nous avons atteint la taille convenant à la mesure de notre croissance, nous n’usons plus de la nourriture pour grandir, mais pour vivre et nous conserver en vie : ainsi, à mon avis, quand l’intelligence parvient à la perfection, elle se nourrit, elle use des aliments qui lui sont propres et lui conviennent, dans une mesure où il n’y a ni défaut ni excès. En tout il faut entendre comme nourriture la contemplation et la compréhension de Dieu suivant les mesures qui sont propres et qui conviennent à la nature qui a été faite et créée; il faut que ceux qui commencent à voir Dieu, c’est-à-dire à le comprendre par leur pureté de coeur, observent ces mesures. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section