De plus, je le demande, au sujet de la foule des croyants qui se sont échappés de l’immense flot du vice où ils se roulaient auparavant : lequel était préférable pour eux ? D’avoir, dans une foi non réfléchie, un peu réformé leurs moeurs et trouvé secours dans la croyance aux châtiments des fautes et aux récompenses des bonnes oeuvres, ou bien de différer leur conversion par simple foi jusqu’à ce qu’ils puissent se livrer à l’examen des doctrines ? Il est clair que tous les hommes, sauf de très rares exceptions, ne pourraient ainsi obtenir l’avantage retiré de la simple foi, mais resteraient dans une vie corrompue. Aux autres preuves que l’amour du Logos pour les hommes n’est point parvenu à la vie des hommes sans l’action de Dieu, il faut donc ajouter celle-là. L’homme pieux ne croira pas qu’un simple médecin des corps qui a ramené nombre de malades à la santé vient résider dans les villes et les nations sans l’action de Dieu : car aucun bienfait n’arrive aux hommes sans l’action de Dieu. Mais si celui qui a soigné les corps d’une multitude et les a ramenés à la santé ne guérit pas sans l’action de Dieu, combien est-ce plus vrai de Celui qui a soigné, converti, amélioré les âmes d’une multitude, les a soumises au Dieu suprême, leur a appris à conformer toute action à son bon plaisir et à éviter tout ce qui peut déplaire à Dieu, jusqu’à la moindre des paroles, des actions, ou même des pensées ! LIVRE I
” Quelle noble action digne d’un Dieu a donc fait Jésus “, dit Celse ? ” A-t-il méprisé les hommes, s’est-il moqué et joué de son malheur ? ” A sa question, même si je pouvais établir l’action noble et le miracle au temps de son malheur, quelle meilleure réponse faire que de citer l’Évangile ? « La terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent, le voile du Temple se déchira en deux du haut en bas, le soleil s’éclipsa et l’obscurité se fit en plein jour. » Mais si Celse croit les Evangiles pour y trouver une occasion d’accuser Jésus et les chrétiens, et ne les croit pas quand ils prouvent la divinité de Jésus, on lui dira : holà, mon brave, ou bien refuse de croire à tout l’ensemble et ne pense pas nous formuler de grief, ou bien crois à tout l’ensemble et admire que le Logos de Dieu se soit fait homme dans le dessein de secourir tout le genre humain. Et c’est un acte noble de Jésus que jusqu’à nos jours soient guéris par son nom ceux que Dieu veut guérir. L’éclipse arrivée au temps de Tibère César sous le règne de qui, semble-t-il, Jésus a été crucifié, et les grands tremblements de terre alors survenus, Phlégon aussi les a notés dans le treizième ou le quatorzième chapitre, je crois, de ses ” Chroniques “. Le Juif de Celse qui croit railler Jésus est présenté comme s’il connaissait ” le mot de Bacchus chez Euripide: Le dieu lui-même me délivrera quand je voudrai “. Les Juifs pourtant ne s’occupent guère de littérature grecque. Mais admettons qu’il y ait eu un Juif ainsi ami des lettres. Comment donc, si Jésus ne s’est pas délivré lui-même de ses liens, ne pouvait-il pas le faire ? Qu’il croie plutôt, d’après mes Ecritures, que Pierre lui aussi, enchaîné en prison, en sortit quand un ange eût détaché ses liens, et que Paul, mis aux ceps avec Silas à Philippes de Macédoine, fut délié par une puissance divine au moment ou s’ouvrirent les portes de la prison. Mais probablement Celse rit de l’histoire, ou il ne l’a pas lue du tout, sinon il s’aviserait de répondre que des sorciers aussi par leurs incantations brisent les chaînes et font ouvrir les portes, afin d’assimiler à des actes de sorcellerie les événements rapportés parmi nous. LIVRE II
Il en vient ensuite au mignon d’Adrien – je parle de l’adolescent Antinoos – , et aux honneurs qui lui sont rendus dans la ville d’Egypte Antinoopolis, et il pense qu’ils ne diffèrent en rien de notre culte pour Jésus. Eh bien ! réfutons cette objection dictée par la haine. Quel rapport peut-il y avoir entre Jésus que nous vénérons et la vie du mignon d’Adrien qui n’avait pas même su garder sa virilité d’un attrait féminin morbide ? Contre Jésus, ceux mêmes qui ont porté mille accusations et débité tant de mensonges, n’ont pas pu alléguer la moindre action licencieuse. De plus, si on soumettait à une étude sincère et impartiale le cas d’Antinoos, on découvrirait des incantations égyptiennes et des sortilèges à l’origine de ses prétendus prodiges à Antinoopolis, même après sa mort. On rapporte que c’est la conduite, dans d’autres temples, suivie par les Égyptiens et autres gens experts en sorcellerie : ils fixent en certains lieux des démons pour rendre des oracles, guérir, et souvent mettre à mal ceux qui ont paru transgresser les interdits concernant les aliments impurs ou le contact du cadavre d’un homme ; ils veulent effrayer ainsi la foule des gens incultes. Voilà celui qui passe pour dieu à Antinoopolis d’Egypte : ses vertus sont des inventions mensongères de gens qui vivent de fourberies, tandis que d’autres, bernés par le démon qui habite en ce lieu, et d’autres, victimes de leur conscience faible, s’imaginent acquitter une rançon divinement voulue par Antinoos ! Voilà les mystères qu’ils célèbrent et leurs prétendus oracles ! Quelle différence du tout au tout avec ceux de Jésus ! Non, ce n’est pas une réunion de sorciers qui, pour complaire à l’ordre d’un roi ou à la prescription d’un gouverneur, ont décidé de faire de lui un dieu. Mais le Créateur même de l’univers, par l’effet de la puissance persuasive de sa miraculeuse parole, l’a constitué digne du culte non seulement de tout homme qui cherche la sagesse, mais encore des démons et autres puissances invisibles. Jusqu’à ce jour, celles-ci montrent ou qu’elles craignent le nom de Jésus comme celui d’un être supérieur, ou qu’elles lui obéissent avec respect, comme à leur chef légitime. S’il n’avait pas été ainsi constitué par la faveur de Dieu, les démons à la seule invocation de son nom ne se retireraient pas sans résistance de leurs victimes. LIVRE III
Après cela, il assimile le maître à un homme aux yeux malades et les disciples à des gens aux yeux malades et il déclare. Cet homme devant des gens aux yeux malades accuse de cécité ceux dont la vue est perçante. Quels sont donc les gens aux yeux malades d’après nous, sinon ceux qui, de l’immense grandeur des choses qui sont dans le monde et de la beauté de la création sont incapables de lever les yeux et de voir qu’il faut adorer, admirer et vénérer Celui-là seul qui les a faites, tandis qu’on ne peut convenablement vénérer rien de ce qui est fabriqué chez les hommes et employé au culte des dieux, ni sans le Dieu Créateur, ni même avec lui ? Comparer ce qui n’est nullement comparable à Celui qui surpasse d’une supériorité infinie toute la nature créée, voilà le fait de gens atteints de cécité d’esprit. Nous ne disons donc pas que ceux dont la vue est perçante ont les yeux malades ou sont aveugles, mais que ceux qui, par ignorance de Dieu s’attachent aux temples, aux images, « aux fêtes de chaque mois », sont des aveugles en esprit ; ce qui est surtout vrai quand, à leur impiété, ils ajoutent une vie dans la débauche, ne cherchent jamais la moindre action honnête, mais accomplissent toutes les actions honteuses. LIVRE III
Il poursuit : Quel but aurait donc pour Dieu une telle descente? Il ne voit pas que, selon nous, le but de cette descente est principalement de convertir « les brebis perdues de la maison d’Israël », en second lieu de retirer aux anciens Juifs, à cause de leur incrédulité, « le Règne de Dieu », et de le confier à d’autres vignerons, les chrétiens, qui « rendront » à Dieu « au temps voulu les fruits du Règne de Dieu », chaque action étant un fruit du Règne. LIVRE IV
Est-ce donc chez les Grecs une opinion saine, que défend l’école des Stoïciens qui à leurs yeux n’est pas négligeable ? Mais quand des jeunes filles, instruites de l’embrasement du monde mais d’une manière confuse, à la vue du feu qui dévaste leur ville et leur pays, supposèrent que la dernière étincelle de vie pour l’humanité subsistait dans leur père et en elles, et pourvurent, dans cette perspective, au maintien du monde, seraient-elles inférieures au sage de l’hypothèse stoïcienne qui s’unirait légitimement à ses filles dans la destruction de l’humanité ? Je n’ignore pas le scandale causé à certains par l’intention des filles de Lot, et leur jugement sur l’impiété de leur acte : ils ont dit que de cette union impie étaient issues les nations maudites des Moabites et des Ammonites. A vrai dire, on ne trouve pas que l’Écriture approuve clairement comme bonne cette action, ni qu’elle l’accuse ou la blâme. LIVRE IV
La question présente est donc de réfuter le passage que voici : ” Juifs et chrétiens, nul Dieu, nul Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre. Que si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont, dieux ou des êtres d’une autre espèce ? D’une autre espèce, sans doute, des démons.” Ces redites de Celse – car il l’a maintes fois déjà répété plus haut -, n’exigent pas une longue discussion : les réponses données suffiront. Je me bornerai entre bien d’autres à quelques remarques qui semblent être dans la ligne des précédentes, bien qu’elles n’aient pas cependant tout à fait le même sens. J’établirai donc que, dans sa thèse absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est jamais descendu vers les hommes, Celse réduit à néant les manifestations de Dieu généralement admises que lui-même avait mentionnées plus haut. En effet si, dans l’affirmation absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre, Celse a dit la vérité, c’en est fait évidemment de toutes les descentes des dieux du ciel sur la terre pour prédire aux hommes ou les guérir par leurs oracles. Ni Apollon de Pytho, ni Asclépios, ni aucun de ceux auxquels on attribue des actes pareils ne peut être un dieu descendu du ciel, si ce n’est peut-être un dieu dont le sort est de toujours habiter la terre, comme banni du séjour des dieux ou un des êtres incapables d’entrer en communion avec les dieux qui s’y trouvent. Ou bien Apollon, Asclépios et tous ceux dont on vénère l’action sur la terre ne peuvent être des dieux, mais certains démons bien inférieurs aux hommes sages qui s’élèvent par la vertu jusqu’à la voûte du ciel. Remarque à quel point, dans son dessein de ruiner notre foi, on le prend, lui qui tout au long de son traité refuse de s’avouer épicurien, à passer en transfuge au camp d’Épicure. Le moment est venu pour toi, lecteur des arguments de Celse qui admets ce qui précède, ou bien de nier la présence de Dieu qui étend sa providence à tous les hommes individuellement, ou bien de l’admettre et de prouver que la doctrine de Celse est fausse. Nies-tu radicalement la Providence? Alors pour établir la vérité de ta position, tu prouveras la fausseté des raisons qui lui font admettre des dieux et une providence. Affirmes-tu néanmoins la providence, en refusant d’adhérer à l’assertion de Celse : Ni Dieu ni Fils de Dieu n’est descendu ou ne descend vers les hommes ? Alors pourquoi ne point examiner sérieusement, dans ce que j’ai dit de Jésus et dans les prophéties qui le concernent, quel est celui qu’il faut plutôt croire Dieu ou Fils de Dieu descendu vers les hommes : Jésus qui a mené à bien et accompli de si grandes oeuvres, ou ceux qui, sous prétexte d’oracles et de divinations, loin de réformer les m?urs de ceux qu’ils guérissent, vont jusqu’à éloigner du culte vénérable, pur et sans mélange dû au Créateur de l’univers et divisent l’âme de ceux qui s’attachent à eux, sous prétexte d’honneur à rendre à de multiples dieux au lieu de l’unique, seul manifeste et véritable Dieu ? Puis, comme si Juifs et chrétiens avaient répondu que ceux qui descendent vers les hommes sont des anges, il reprend : Si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont : des dieux ou des êtres d’une autre espèce ? Et, supposant notre réponse, il ajoute : ? D’une autre espèce sans doute, les démons. Eh bien ! précisons ce point. D’un commun accord nous disons que les anges sont « des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour le bien de ceux qui doivent hériter du salut ». Ils montent porter les supplications des hommes dans les régions célestes les plus pures du monde, ou même dans les supracélestes plus pures que celles-là. Ensuite, ils en descendent porter à chacun suivant son mérite une des grâces que Dieu leur enjoint de dispenser à ceux qui reçoivent ses faveurs. Eux donc, que nous avons appris à nommer anges à cause de leur fonction, nous les trouvons parfois aussi dans les saintes Écritures nommés dieux, parce qu’ils sont divins ; mais ils ne le sont pas au point qu’il nous soit ordonné de vénérer et d’adorer à la place de Dieu ceux qui nous dispensent et nous apportent les grâces de Dieu. Car il faut faire remonter toute demande, prière, supplication et action de grâce vers le Dieu suprême par le Souverain Prêtre qui est au-dessus de tous les anges, Logos vivant et Dieu. Et nous offrirons au Logos lui-même des demandes, des prières, des actions de grâce, et même des supplications, si nous sommes capables de discerner entre le sens absolu et le sens relatif du mot supplication. LIVRE V
Mais pour ne pas laisser de côté ce que Celse a dit dans l’intervalle, citons également ces paroles : ” On peut à ce propos produire comme témoin Hérodote qui s’exprime en ces termes: « Les gens de la ville de Maréa et d’Apis, habitant les régions de l’Egypte limitrophes de la Libye, se tenaient eux-mêmes pour Libyens et non pour Égyptiens, et ils supportaient mal la réglementation des sacrifices, désirant ne pas avoir à s’abstenir de la viande de vache ; ils envoyèrent au sanctuaire d’Ammon, et prétendirent qu’ils n’avaient rien de commun avec les Égyptiens; ils habitaient, disaient-ils, en dehors du Delta, ils ne partageaient pas leurs croyances; et ils voulaient pouvoir manger de tout. Mais le dieu ne le leur permit pas: il déclara que l’Egypte est le pays que le Nil arrose en le recouvrant, et que sont Égyptiens ceux qui, habitant au-dessous de la ville d’Eléphantine, boivent de l’eau de ce fleuve. » Tel est le récit d’Hérodote. Or Ammon n’est pas inférieur aux anges des Juifs pour transmettre les volontés divines. Il n’y a donc nulle injustice à ce que chaque peuple observe les pratiques religieuses de son pays. Assurément, nous trouverons qu’il y a une différence considérable entre les nations, et cependant chacune d’elles semble tenir les siennes pour les meilleures. Les Ethiopiens qui habitent Méroé adorent les seuls Zeus et Dionysos , les Arabes Uranie et Dionysos et ceux-là seulement. Tous les Égyptiens adorent Osiris et Isis, les Saïtes Athéné, les Naucratites, depuis quelque temps seulement, invoquent Sérapis ; les autres suivent chacun ses lois respectives. Les uns s’abstiennent des brebis, parce qu’ils honorent ces animaux comme sacrés, les autres des chèvres, ceux-ci des crocodiles, ceux-là des vaches, et ils s’abstiennent des porcs parce qu’ils les ont en horreur. Pour les Scythes, eux, c’est une action vertueuse de manger des hommes, et il y a des Indiens qui pensent accomplir une action sainte en mangeant leurs pères. Le même Hérodote le dit quelque part : en foi de quoi je citerai encore son texte. « Si en effet on imposait à tous les hommes de faire un choix parmi toutes les lois et qu’on leur enjoignît de choisir les plus belles, chacun après mûr examen choisirait celles de son pays; tant ils sont convaincus, chacun de son côté, que leurs propres lois sont de beaucoup les plus belles. Dans ces conditions, il n’est pas vraisemblable qu’un autre qu’un fou fasse des choses de ce genre un objet de risée. Et que telle soit à l’égard des lois la conviction de tous les humains, on peut en juger par de nombreux témoignages, en particulier par celui-ci. Darius, du temps qu’il régnait, appela les Grecs qui étaient près de lui et leur demanda à quel prix ils consentiraient à manger leurs pères morts; ils déclarèrent qu’ils ne le feraient à aucun prix. Ensuite, Darius appela les Indiens qu’on nomme Callaties, lesquels mangent leurs pères; et, en présence des Grecs qui, grâce à un interprète, comprenaient ce qui se disait, il leur demanda à quel prix ils accepteraient de brûler leurs pères décèdes; ils poussèrent de grands cris et prièrent Darius de ne pas prononcer des paroles de mauvais augure. Telles sont donc, en fait, les coutumes établies; et, à mon avis, Pindare a eu raison de dire que la coutume règne sur tous. » LIVRE V
Celse dit : Il n’y a nulle injustice à ce que chacun veuille observer les pratiques religieuses de son pays. Il en résulte, d’après lui, que les Scythes ne commettent pas d’injustice en mangeant les hommes suivant leurs traditions. Les Indiens qui mangent leurs pères s’imaginent, c’est l’opinion de Celse, accomplir une action sainte ou du moins ne pas commettre d’injustice. En tout cas, il cite un passage d’Hérodote en faveur du principe qu’il convient que tout homme suive les lois de son pays, et il semble approuver les Indiens qu’on nomme Callaties au temps de Darius, qui mangeaient leurs parents, puisque, à la demande de Darius : à quel prix voudraient-ils abandonner cette loi, « ils poussèrent de grands cris et le prièrent de ne pas prononcer des paroles de mauvais augure. » LIVRE V
Celse ajoute cette remarque sur les Juifs : Il n’est pas vraisemblable qu’ils jouissent de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres, ni que des anges soient envoyés à eux seuls, comme s’ils avaient obtenu en partage une terre de bienheureux : nous voyons assez quel traitement ils ont mérité, eux et leur pays. Je réfuterai donc cela en disant : ce peuple a joui de la faveur de Dieu comme le montre déjà le fait que le Dieu suprême est appelé « Dieu des Hébreux », même par ceux qui sont étrangers à notre foi. Et justement parce qu’ils jouissaient de sa faveur tant qu’ils ne furent point abandonnés par lui, ils continuaient malgré leur petit nombre à être protégés par la puissance divine : ainsi, sous Alexandre de Macédoine ils n’ont rien souffert de sa part, bien que certaines conventions et serments les aient empêchés de prendre les armes contre Darius. On dit même qu’alors le grand-prêtre des Juifs, revêtu de sa robe sacrée, fut adoré par Alexandre qui dit avoir eu durant son sommeil l’apparition d’un être revêtu de ce costume, lui promettant qu’il soumettrait l’Asie entière. Nous donc, chrétiens, nous déclarons : il leur est bel et bien arrivé de jouir de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres. Mais cette disposition favorable s’est portée sur nous quand Jésus eut transféré la puissance, en action chez les Juifs, à ceux des Gentils qui ont cru en lui. Voilà pourquoi les Romains, malgré leurs nombreux desseins contre les chrétiens pour les empêcher de subsister davantage, n’ont pas pu y réussir. En effet, la main divine assurait leur défense pour que la parole de Dieu se répandît d’un coin de la terre de Judée à tout le genre humain. LIVRE V
Dans ce sixième livre que je commence, pieux Ambroise, il me faut combattre les accusations de Celse contre les chrétiens, et non ses emprunts à la philosophie comme on pourrait croire. Celse, en effet, cite maints passages surtout de Platon, les compare à des extraits des saintes Écritures capables d’impressionner même un esprit intelligent, et soutient que tout cela a été mieux dit chez les Grecs, sans faire intervenir menace ou promesse de Dieu ou du Fils de Dieu. A cela je réponds : c’est le devoir des ministres de la vérité d’aider le plus grand nombre possible d’hommes et, autant que faire se peut, d’attirer à elle par philanthropie tous les hommes, aussi bien l’intelligent que le sot, et encore pas seulement les Grecs à l’exclusion des barbares ; et c’est une action très civilisatrice que de pouvoir convertir même les plus rustres et les simples. Il est donc évident qu’on doit avoir le souci de s’exprimer dans un style à la portée de tous et capable de gagner l’audience de chacun. Au contraire, congédier comme des esclaves les simples, incapables d’apprécier l’agrément du style des discours et de l’ordonnance de leurs messages, et n’avoir souci que des auditeurs formés aux lettres et aux sciences, c’est réduire la sociabilité à un domaine bien étroit et insignifiant. LIVRE VI
Voici en quels termes Paul s’explique à leur sujet : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice ; car ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu le leur a manifesté. Ses oeuvres invisibles, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit, et sa puissance éternelle et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâce, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent s’est enténébré. Dans leur prétention à être sages, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles. » Comme en témoigne notre Ecriture, ils retiennent la vérité captive ceux qui pensent que « le Souverain Bien est absolument ineffable » et ajoutent : « c’est d’un long commerce avec lui et d’une vie commune qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme, et désormais il se nourrit lui-même. » LIVRE VI
Peut-être par une méprise sur le sens des mots : « Car la bouche du Seigneur a proféré ces paroles », ou peut-être à cause de l’interprétation téméraire donnée par les simples à de pareils textes, Celse n’a point saisi en quel sens on applique aux puissances de Dieu ce qu’expriment les noms des membres du corps, et il dit : Dieu n’a ni bouche ni voix. Il est vrai que Dieu n’aurait point de voix, si la voix n’était que de l’air en vibration ou un ébranlement d’air ou une espèce d’air ou toute autre réalité qu’attribuent à la voix les hommes compétents en la matière. Mais cette voix de Dieu est présentée comme une voix de Dieu vue par le peuple dans le passage : « Et tout le peuple voyait la voix de Dieu », le mot vision étant compris au sens spirituel selon l’usage constant de l’Écriture. Or il ajoute : En Dieu il n’est rien d’autre des choses que nous connaissons; mais il ne précise pas ces choses que nous connaissons. S’agit-il de membres, nous sommes d’accord avec lui, en sous-entendant : des choses que nous connaissons corporellement, dans l’acception la plus commune des termes. Mais à prendre « les choses que nous connaissons » en général, nous connaissons beaucoup de ce qu’on lui attribue : sa vertu, sa béatitude, sa divinité. A prendre « les choses que nous connaissons » au sens le plus élevé, comme Dieu dépasse tout ce que nous connaissons, il n’y a rien d’absurde à admettre, nous aussi, qu’en Dieu il n’est rien d’autre des choses que nous connaissons. Car les attributs de Dieu sont supérieurs à tout ce que connaît non seulement la nature de l’homme, mais encore celle des êtres qui la dépassent. Mais s’il avait lu les paroles des prophètes, de David : « Mais toi, tu es toujours le même », et de Malachie, je crois : « Je ne change jamais », il aurait vu qu’aucun d’entre nous ne dit qu’il y a du changement en Dieu, ni en action, ni en pensée. C’est en restant « le même » qu’il gouverne les choses qui changent, selon leur nature, et comme la raison elle-même exige qu’elles soient gouvernées. LIVRE VI
Si Jésus, pour de bonnes raisons, a maintenant achevé l’économie de l’Incarnation, il a de tout temps été bienfaiteur du genre humain. Car aucune belle action ne se produit parmi les hommes sans que le divin Logos ait visité les âmes de ceux qui ont été capables, ne fût-ce que pour un moment, de recevoir ces opérations du divin Logos. LIVRE VI
Celse pense que Dieu est connu soit par la synthèse qui domine les autres choses, semblable à la synthèse dont parlent les géomètres, soit par l’analyse qui le distingue des autres choses, soit encore par une analogie semblable à la leur, si toutefois on est capable d’arriver par cette méthode au vestibule du Bien. Mais en disant : « Personne ne connaît le Père que le Fils et celui à qui le Fils le révèle » le Logos de Dieu déclare qu’on connaît Dieu par une faveur divine, inséparable d’une action de Dieu dans l’âme qui y produit une sorte de transport divin. Il est bien normal que la connaissance de Dieu dépasse la nature humaine ; de là, dans l’humanité, tant d’erreurs sur Dieu. Mais grâce à la bonté et à l’amour de Dieu pour les hommes, par une faveur miraculeuse proprement divine, cette connaissance de Dieu parvient à tous ceux qui y ont été prédestinés, du fait que Dieu savait d’avance qu’ils vivraient d’une manière digne de Dieu qu’ils auraient connu : ils ne falsifieraient en rien la religion envers lui, même si ceux qui n’ont aucune idée de la religion et l’imaginent tout autre qu’elle n’est réellement les conduisaient à la mort, même s’ils les jugeaient ridicules à l’excès. LIVRE VI
Pour nous, qui avons soin de ne rien combattre de ce qui est noblement exprimé, même si les auteurs sont étrangers à notre foi, et de ne pas leur chercher noise ni vouloir renverser les doctrines saines, voici notre réponse. On a beau insulter ceux qui veulent consacrer tous leurs efforts à pratiquer la piété à l’égard du Dieu de l’univers qui agrée aussi bien la foi que les simples ont en lui et la piété réfléchie de ceux qui ont plus d’intelligence, et qui font monter leurs prières avec action de grâce vers le Créateur de l’univers comme par le Grand-Prêtre qui a réglé pour les hommes la pure piété envers Dieu ; on a beau traiter ces gens de boiteux et mutilés dans l’âme, et dire qu’ils vivent pour le corps, une chose morte, eux qui disent de tout leur coeur : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais puissantes par Dieu » : que l’on prenne garde, rien qu’en disant du mal de ceux qui prient pour être à Dieu, de faire boiter son âme et de mutiler en soi-même « l’homme intérieur » en l’amputant, par ces calomnies contre ceux qui veulent vivre dans la vertu, de la modération et de l’équilibre dont le Créateur a naturellement jeté la semence dans la nature raisonnable ! Quand au contraire on a appris entre autres choses du divin Logos pour le mettre en pratique, quand on est insulté, à bénir, quand on est persécuté, à endurer, quand on est calomnié, à supplier, on sera de ceux qui, ayant redressé les pas de l’âme, purifient et préparent l’âme toute entière. Il ne s’agit point de distinguer seulement en paroles l’essence de la génération, l’intelligible du visible, de rapporter la vérité à l’essence, de fuir par tous les moyens l’erreur qui accompagne la génération. On aspire, selon cet enseignement, non point aux choses de la génération, que l’on voit et qui, pour cette raison, sont passagères, mais aux réalités supérieures, qu’on veuille les appeler essence, ou invisibles parce qu’elles sont intelligibles, ou choses qu’on ne voit pas parce que leur nature est d’échapper aux sens. LIVRE VI
Telle est du moins l’attestation du divin Logos sur ceux qui ont accepté les idées que présente Celse et professent une philosophie en accord avec ces doctrines : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâce, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements », et après la vive lumière de la connaissance des réalités que Dieu leur a manifestées, «leur coeur inintelligent s’est enténébré ». LIVRE VI
Par exemple, les philosophes qui suivent Zénon de Cittium évitent l’adultère ; mais aussi les adeptes d’Épicure, et même des hommes sans instruction. Mais observe le profond désaccord de tous ces gens sur les motifs d’éviter l’adultère. Les Stoïciens le font au nom du bien commun et parce qu’il est contraire à la nature, pour un être raisonnable, de corrompre une femme déjà donnée à un autre par les lois et de détruire le foyer d’un autre homme. Les Épicuriens, quand ils s’abstiennent de l’adultère, ne l’évitent pas pour cette raison, mais parce qu’ils ont pensé que la fin est le plaisir, et vu les multiples obstacles au plaisir inévitables pour celui qui a cédé à l’unique plaisir de l’adultère : parfois la prison, la fuite, la mort ; souvent d’autres périls avant ceux-là, quand on guette le moment où sortent de la maison le mari et ceux qui veillent à ses intérêts ; ainsi, en admettant qu’il fût possible à qui tente l’adultère d’échapper au regard du mari de la femme, de tous ses familiers et de ceux pour qui l’adultère est un déshonneur, le plaisir attirerait à l’adultère même l’Épicurien. Et si parfois l’ignorant refuse l’adultère même quand il a l’occasion de le commettre, peut-être s’en abstient-il par la crainte que lui inspirent la loi et les châtiments, et ce n’est point par la recherche de plaisirs plus nombreux qu’un tel homme s’abstiendrait de l’adultère. On voit donc qu’une action supposée la même, l’abstention de l’adultère, en raison des intentions de ceux qui s’abstiennent, n’est pas identique, mais différente. Ils s’inspirent ou de doctrines saines, ou de mobiles pervers et très impies comme ceux de l’Épicurien ou de cet ignorant. LIVRE VI
On objectera nos célébrations des dimanches, de la Parascève, de Pâques, de la Pentecôte ? Il faut répondre : si l’on est un chrétien parfait, quand on ne cesse de s’appliquer aux paroles, aux actions, aux pensées du Logos de Dieu qui par nature est le Seigneur, on vit sans cesse dans les jours du Seigneur, on célèbre sans cesse les dimanches. De plus, quand on se prépare sans cesse à la vie véritable, et qu’on s’éloigne des plaisirs de la vie qui trompent la multitude, sans nourrir « le désir de la chair », mais châtiant au contraire son corps et le réduisant à la servitude, on ne cesse de célébrer la Parascève. En outre, quand on a compris que « le Christ notre Pâque a été immolé » et qu’on doit célébrer la fête en mangeant la chair du Logos, il n’est pas d’instant où on n’accomplisse la Pâque, terme qui veut dire sacrifice pour un heureux passage : car par la pensée, par chaque parole, par chaque action on ne cesse de passer des affaires de cette vie à Dieu en se hâtant vers la cité divine. Enfin, si l’on peut dire avec vérité : « Nous sommes ressuscites avec le Christ », et aussi : « Il nous a ressuscites ensemble et nous a fait asseoir ensemble au ciel dans le Christ », on se trouve sans cesse aux jours de la Pentecôte, surtout lorsque, monté dans la chambre haute comme les apôtres de Jésus, on vaque à la supplication et à la prière pour devenir digne « du souffle impétueux qui descend du ciel » anéantir par sa violence la malice des hommes et ses effets, et pour mériter aussi d’avoir part à la langue de feu qui vient de Dieu. LIVRE VIII
Ce n’est donc pas des démons qu’on reçoit les différentes choses nécessaires à la vie, spécialement quand on a appris à en user comme il se doit. On n’est point le commensal des démons quand on reçoit du pain, du vin, des fruits, de l’eau et de l’air, mais bien plutôt commensal des anges divins chargés de ces éléments, qui sont, pour ainsi dire, invités à la table de l’homme pieux, attentif à l’enseignement de l’Écriture : « Que vous mangiez, que vous buviez et quoi que vous fassiez, faites tout pour glorifier Dieu. » Il est encore dit en un autre endroit : « Que vous mangiez, que vous buviez, faites tout au nom de Dieu. » Quand donc nous mangeons, buvons, respirons pour glorifier Dieu et faisons tout suivant l’Écriture, nous ne sommes pas les commensaux de l’un des démons, mais ceux des anges divins. En effet, « tout ce que Dieu a créé est bon et rien n’est à rejeter quand on le prend avec action de grâce ; car la parole de Dieu et la prière le sanctifient. » Mais ces créatures n’auraient pas été bonnes ni capables d’être sanctifiées si, comme le croit Celse, les démons en avaient reçu l’administration. LIVRE VIII
Il est clair que par là j’ai répliqué d’avance à ce qu’il dit ensuite : Ou bien donc il faut absolument renoncer à vivre et à venir ici-bas, ou si on est venu à la vie dans ces conditions, il faut rendre grâce aux démons qui ont reçu en partage les choses de la terre, leur offrir des prémices et des prières toute sa vie, afin d’obtenir leur bienveillance. Certes il faut vivre, et vivre selon la parole de Dieu autant qu’il est possible et qu’il est donné de vivre selon elle. Or cela nous est donné même quand nous mangeons et quand nous buvons en faisant tout pour glorifier Dieu. Il ne faut pas refuser de manger avec action de grâce au Créateur ces choses qui ont été créées pour nous. C’est dans ces conditions que nous avons été amenés par Dieu à cette vie et non pas dans celles qu’imaginé Celse. Ce n’est pas aux démons que nous sommes soumis, mais au Dieu suprême par Jésus-Christ qui nous a menés à lui. Selon les lois de Dieu, aucun démon n’a reçu en partage les choses de la terre. Mais à cause de leur transgression, peut-être se sont-ils partagé ces lieux d’où est absente la connaissance de Dieu et de la vie conforme à ses préceptes, ou dans lesquels affluent les hommes étrangers à la divinité. Peut-être aussi, parce qu’ils étaient dignes de gouverner et de châtier les méchants, le Logos qui administre toutes choses les a mis à la tête de ceux qui se sont soumis au mal et non à Dieu. Voilà pourquoi Celse, dans son ignorance de Dieu, peut bien témoigner aux démons sa reconnaissance. Pour nous, qui rendons grâce au Créateur de l’univers, nous mangeons les pains offerts avec action de grâce et prière sur les oblats, pains devenus par la prière un corps saint et qui sanctifie ceux qui en usent avec une intention droite. LIVRE VIII
Mais à mon avis, les démons sentent bien que les uns, victorieux jusque dans leur mort pour la religion, ruinent leur domination, et que les autres, vaincus par les peines, se soumettent à leur pouvoir en reniant la piété envers Dieu. Ils luttent ardemment parfois avec les chrétiens qui sont livrés, parce que leur confession les torture et leur reniement les laisse en repos. On peut même en observer des traces dans l’attitude des juges : ils sont torturés par la patience des chrétiens au milieu des mauvais traitements et des épreuves, mais s’enorgueillissent de leur défaite. C’est que leur action n’est pas inspirée par leur soi-disant philanthropie, car ils voient clairement que chez ceux qui succombent sous les tourments, la langue abjure, « mais le coeur n’abjure pas ». Voilà ma réponse à sa remarque : Nos dieux du moins se vengent sévèrement du blasphémateur, réduit pour cela à fuir et se cacher ou à être pris et mis à mort. Et s’il arrive à un chrétien de fuir, ce n’est point par crainte, mais pour obéir au précepte de son maître» et se garder libre pour aider au salut des autres. LIVRE VIII
Mais il me semble ici commettre une confusion : parfois il a l’esprit troublé par les démons, parfois aussi, sortant de l’irréflexion qu’ils lui infligent, il entrevoit une lueur de vérité. Car de nouveau il ajoute : Quant à Dieu, il ne faut jamais le quitter d’aucune façon, ni jour ni nuit, ni en public ni en privé, en toute parole et en toute action d’une manière continue. Mais que, dans ces activités ou sans elles, l’âme ne cesse d’être tendue vers Dieu. LIVRE VIII
J’entends l’expression « dans ces activités » au même sens que « en public, en toute action, en toute parole ». LIVRE VIII