Abimélech (Orígenes)

– Après l’apparition des trois hommes, après la destruction de Sodome et la préservation de Lot que celui-ci dut à son hospitalité ou à sa parenté avec Abraham, le récit de la Genèse qu’on vient de nous lire raconte qu’ « Abraham partit de là vers le Midi » et s’en vint chez les Philistins. Selon le récit, Abraham avait convenu avec sa femme Sara qu’elle ne se ferait pas passer pour sa femme mais pour sa soeur. Si bien que le roi Abimélech la prit pour l’épouser. Mais Dieu vint chez Abimélech durant la nuit et lui dit, selon le texte : « Tu n’as pas touché cette femme, et je n’ai pas permis que tu la touches, etc. ». Après quoi, Abimélech la rendit à son mari et reprocha en même temps à Abraham de ne lui avoir pas dit la vérité. Alors, toujours d’après le récit, en prophète qu’il était, Abraham pria pour Abimélech, « et le Seigneur guérit Abimélech, sa femme et ses servantes ». Le Dieu tout-puissant prit soin de guérir aussi les servantes d’Abimélech, « parce que, dit l’Écriture, il les avait rendues stériles pour qu’elles n’enfantent pas ». Par la suite, à cause de la prière d’Abraham, elles purent enfanter. Homélies sur la Genèse: VI – ABIMÉLECH ET SARA Le premier jour.

Mais considérons ce qu’Abimélech dit au Seigneur : « Tu sais, Seigneur, dit-il, que j’ai fait cela avec un coeur pur. » – Abimélech agit tout autrement que Pharaon. Il est loin d’être totalement ignorant et perverti : il sait au moins qu’il faut un coeur pur pour se préparer à la vertu. Aussi Dieu le guérit-il, à la prière d’Abraham, pour avoir voulu prendre la vertu avec un coeur pur. Et il n’y eut pas que lui à être guéri, il y eut aussi ses servantes. Homélies sur la Genèse: VI – ABIMÉLECH ET SARA Le premier jour.

Abimélech signifie : mon père est roi. Or il me semble qu’Abimélech représente les sages parmi les amis du siècle, adonnés à la philosophie, sans avoir encore entièrement ni pleinement atteint la règle de piété, sachant toutefois que Dieu est le père et le roi de tout, autrement dit qu’il a tout fait et qu’il gouverne tout. Sur ce plan de la philosophie morale, il est bien vrai que ces gens-là ont cultivé jusqu’à un certain point la pureté de coeur et qu’ils ont cherché généreusement, avec zèle, à entrer en communication de la vertu divine. Mais « Dieu n’a pas permis qu’ils la touchent ». Car ce n’était pas Abraham – quelque grand qu’il fût, il n’était qu’un serviteur, – mais le Christ qui était destiné à donner cette grâce aux Gentils. Aussi, malgré l’impatience d’Abraham de voir la parole qui lui avait été dite : « Toutes les nations seront bénies en toi », s’accomplir en lui et par lui, c’est en Isaac que lui est faite la promesse, c’est-à-dire dans le Christ, selon ce que dit l’Apôtre : « Il n’a pas dit « et à ses descendants » comme s’il s’agissait de plusieurs, mais « et à ta descendance », comme ne parlant que d’un seul qui est le Christ. » Homélies sur la Genèse: VI – ABIMÉLECH ET SARA Le premier jour.

Cependant « le Seigneur guérit Abimélech, sa femme et ses servantes ». Homélies sur la Genèse: VI – ABIMÉLECH ET SARA Le premier jour.

Que l’Église de Dieu comprenne ainsi les histoires de génération et d’enfantement. Qu’elle relève les actions des patriarches par une interprétation bienséante et honorable ! Qu’elle ne corrompe pas les paroles de l’Esprit Saint par d’ineptes fables judaïques ! mais qu’elle leur attribue un sens pleinement honorable, pleinement moral et utile. Autrement, quelle édification retirerons-nous de lire qu’Abraham, ce grand patriarche, a non seulement menti au roi Abimélech, mais a livré la pudeur de son épouse ? Y a-t-il de l’édification à penser que la femme d’un si grand patriarche faillit être déshonorée avec le consentement tacite de son mari ? Aux Juifs de le croire, et, avec eux, aux amis de la lettre, non de l’esprit ! Pour nous, « associant les choses spirituelles aux choses spirituelles », rendons-nous spirituels tant en acte qu’en pensée dans le Christ Jésus notre Seigneur, « à qui est la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il ». Homélies sur la Genèse: VI – ABIMÉLECH ET SARA Le premier jour.

– Mais Abimélech, cet homme qui, jadis, avait rendu hommage à Abraham, arrive maintenant de Gérare avec ses amis auprès d’Isaac : « et Isaac leur dit : Pourquoi êtes-vous venus vers moi, vous qui me haïssez et qui m’avez renvoyé de chez vous ? A quoi ils répondirent : Nous avons vu clairement que le Seigneur est avec toi et nous avons dit : Qu’il y ait un serment entre nous et toi, et faisons une alliance avec toi pour que tu ne nous fasses pas de mal, etc… » Homélies sur la Genèse: XIV – APPARITION DU SEIGNEUR A ISAAC – ALLIANCE AVEC ABIMÉLECH Le premier jour.

Cet Abimélech, à ce que je vois, n’est pas toujours en paix avec Isaac, mais tantôt il est en désaccord et tantôt il demande la paix. Si vous vous le rappelez, nous disions de lui, dans les précédentes homélies, qu’il tient le rôle, parmi les partisans du siècle, de ces sages qui, par l’étude de la philosophie, sont arrivés à la connaissance de beaucoup de vérités. Par là vous pouvez comprendre comment, avec Isaac qui est la figure du Verbe de Dieu contenu dans la Loi, Abimélech ne peut être ni toujours en désaccord ni toujours en paix. Car si la philosophie n’est pas en opposition en tout avec la Loi de Dieu, en tout non plus elle n’est pas en accord avec elle. Homélies sur la Genèse: XIV – APPARITION DU SEIGNEUR A ISAAC – ALLIANCE AVEC ABIMÉLECH Le premier jour.

C’est pourquoi Abimélech, dans cette figure, est représenté tantôt en paix avec Isaac et tantôt en désaccord avec lui. Homélies sur la Genèse: XIV – APPARITION DU SEIGNEUR A ISAAC – ALLIANCE AVEC ABIMÉLECH Le premier jour.

Je ne pense pas non plus que ce soit sans raison que l’Esprit-Saint qui écrit tout cela ait eu soin d’ajouter que deux autres personnages vinrent avec Abimélech : Ochozath son gendre, et Phicol, le chef de son armée. Homélies sur la Genèse: XIV – APPARITION DU SEIGNEUR A ISAAC – ALLIANCE AVEC ABIMÉLECH Le premier jour.

Ochozath signifie : « Celui qui tient », Phicol : « la bouche de tous », et le nom d’Abimélech : « Mon père est roi ». A eux tous, me semble-t-il, ils représentent toute la philosophie, que les philosophes divisent en trois parties : la logique, la physique, l’éthique, c’est-à-dire la philosophie rationnelle, la philosophie naturelle et la philosophie morale. La philosophie rationnelle est celle qui reconnaît en Dieu le père de tous : c’est Abimélech. La philosophie naturelle sert de base et tient tout, en s’appuyant en quelque sorte sur les forces de la nature elle-même : c’est celle d’Ochozath, « celui qui tient ». La philosophie morale est celle qui est dans la bouche de tous, celle qui s’adresse à tout le monde et qui se trouve dans la bouche de tous, dans la mesure où les préceptes qui s’adressent à tous se ressemblent : c’est Phicol qui la représente, Phicol qui signifie « bouche de tous ». Homélies sur la Genèse: XIV – APPARITION DU SEIGNEUR A ISAAC – ALLIANCE AVEC ABIMÉLECH Le premier jour.