abîme (Eckhart)

Il est trois choses qui nous empêchent d’entendre la parole éternelle. La première est corporéité, la seconde multiplicité, la troisième temporalité. L’homme aurait-il outrepassé ces trois choses qu’il habiterait dans l’éternité et habiterait dans l’esprit et habiterait dans l’unité et dans le désert, et là il entendrait la parole éternelle. Or Notre Seigneur dit : « Personne n’entend ma parole ni mon enseignement qu’il ne se soit laissé soi-même. » Car qui doit entendre la parole de Dieu, il lui faut être totalement laissé. Cela même qui là entend, c’est cela même qui là se trouve entendu dans la Parole éternelle. Tout ce qu’enseigne le Père éternel, c’est son être et sa nature et toute sa déité, ce qu’il nous révèle pleinement dans son Fils unique, et ( il ) nous enseigne que nous sommes ce même Fils. L’homme qui là serait sorti de telle sorte qu’il serait le Fils unique, à celui-là serait en propre ce qui là est en propre au Fils unique. Ce que Dieu opère et ce qu’il enseigne, tout cela il l’opère et l’enseigne dans son Fils unique. Dieu opère toute son oeuvre pour que nous soyons le Fils unique. Lorsque Dieu voit que nous sommes le Fils unique, alors Dieu a si grande hâte envers nous et se presse tant et fait justement comme si son être divin voulait se briser et s’anéantir en lui-même, en sorte qu’il nous révèle tout l’abîme de sa déité et la plénitude de son être et de sa nature ; alors Dieu se presse pour que cela soit notre propre comme cela est son propre. Ici Dieu a plaisir et délices en plénitude. Cet homme se tient dans la connaissance de Dieu et dans l’amour de Dieu, et ne devient rien d’autre que ce que Dieu est lui-même. Eckhart: Sermon 12

Or Platon parle, le grand clerc, il se met en devoir de parler de grandes choses. Il parle d’une limpidité qui n’est pas dans le monde ; elle n’est pas dans le monde ni hors du monde, ce n’est ni dans le temps ni dans l’éternité, cela n’a extérieur ni intérieur. C’est de là que Dieu, le Père éternel, exprime la plénitude et l’abîme de toute sa déité. Cela il l’engendre ici dans son Fils unique, et pour que nous soyions le même Fils, et son engendrer est son demeurer à l’intérieur, et son demeurer à l’intérieur est son engendrer à l’extérieur. Tout cela demeure le Un qui sourd en lui-même. Ego, le mot « je », n’est propre à personne qu’à Dieu seul dans son unité. Vos, le mot qui veut dire la même chose que « vous », ( signifie ) que vous êtes Un dans l’unité, c’est-à-dire : les mots ego et vos, « je » et « vous », voilà qui vise l’unité. Eckhart: Sermon 28