Saint-Martin (ATSM) – la musique, image de l’universelle production des choses

Ce n’est pas assez que nous ayons vu dans l’accord parfait la représentation de toutes choses en général et en particulier, nous y pouvons voir encore, par de nouvelles observations, la source de ces mêmes choses et l’origine de cette distinction qui s’est faite avant le temps entre les deux principes, et qui se manifeste tous les jours dans le temps.

Pour cet effet, ne perdons pas de vue la beauté et la perfection de cet accord parfait qui tire de lui seul tous ses avantages; nous jugerons aisément que s’il fut toujours demeuré dans sa nature, l’ordre et une juste harmonie auraient subsisté perpétuellement, et le mal serait inconnu, parce qu’il ne serait pas né, c’est-à-dire, qu’il n’y aurait jamais eu que l’action des facultés du principe bon, qui se fût manifestée, parce qu’il est le seul réel et le seul véritable.

Comment est-ce donc que le second principe a pu devenir mauvais ? Comment se peut-il que le mal ait pris naissance et qu’il ait paru ? N’est-ce pas lorsque le son supérieur et dominant de l’accord parfait, l’octave enfin, a été supprimée et qu’un autre son a été introduit à sa place ? Or, quel est ce son qui a été introduit à la place de l’octave ? C’est celui qui la précède immédiatement, et l’on sait que le nouvel accord qui est résulté de ce changement, se nomme accord de septième. L’on sait aussi que cet accord de septième fatigue l’oreille, la tient en suspens, et demande à être « sauvé », en termes de l’art.

C’est donc par opposition de cet accord dissonant et de tous ceux qui en dérivent, à l’accord parfait, que naissent toutes les productions musicales, lesquelles ne sont autre chose qu’un jeu continuel, pour ne pas dire un combat entre l’accord parfait ou consonant et l’accord de septième, ou généralement tous las accords dissonants.

Pourquoi cette Loi, ainsi indiquée par la Nature, ne serait-elle pas pour nous l’image de la production universelle des choses ? Pourquoi n’en trouverions-nous pas ici le principe, comme nous en avons trouvé plus haut l’assemblage et la constitution dans l’ordre des intervalles de l’accord parfait ? Pourquoi, dis-je, ne toucherions-nous pas au doigt et à l’oeil la course, la naissance et les suites de la confusions universelle temporelle, puisque nous savons que dans cette Nature corporelle, il y a deux principes qui sont sans cesse opposés, et puisqu’elle ne peut se soutenir que par le secours de deux actions contraires, d’où proviennent le combat et la violence que nous y apercevons: mélange de régularité et de désordre que l’harmonie nous représente fidèlement par l’assemblage des consonances et des dissonances, qui constitue toutes les productions musicales ? (…)

Revenons encore à la septième, et remarquons que si c’est elle qui fait diversion avec l’accord parfait, c’est aussi par elle que se fait la crise et la révolution, d’où doit sortir l’ordre et renaître la tranquillité de l’oreille, puisque à la suite de cette septième on est indispensablement obligé de rentrer dans l’accord parfait. Je ne regarde point comme contraire à ce principe ce qu’on nomme en musique une suite de septièmes, qui n’est autre chose qu’une continuité de dissonances, et qu’on ne peut absolument se dispenser de terminer toujours par l’accord parfait ou ses dérivés.

Ce sera donc encore cette même dissonance qui nous répétera ce qui se passe dans la Nature corporelle, dont le cours n’est qu’une suite de dérangements et de réhabilitations. Or, si cette même observation nous a indiqué précédemment la véritable origine des choses corporelles, si elle nous fait voir aujourd’hui que tous les êtres de la Nature sont assujettis à cette loi violente qui préside à leur origine, à leur existence et à leur fin, pourquoi ne pourrons-nous pas appliquer la même loi à l’univers entier, et reconnaître que si c’est la violence qui l’a fait naître et qui l’entretient, ce doit être aussi la violence qui en opère la destruction ?

C’est ainsi que nous voyons qu’au moment de terminer un morceau de musique, il se fait ordinairement un battement confus, un trille, entre une des notes de l’accord parfait et la seconde ou la septième de l’accord dissonant, lequel accord dissonant est indiqué par la basse qui tient communément la note fondamentale, pour ramener ensuite le total à l’accord parfait ou à l’unité.

On doit voir encore que, puisque après cette cadence musicale on rentre nécessairement dans l’accord parfait, qui remet tout en paix et en ordre, il est certain qu’après la crise des éléments, les principes qui en sont combattus doivent aussi retrouver leur tranquillité, d’où, faisant la même application à l’homme, l’on doit apprendre combien la vraie connaissance de la musique pourrait la préserver de la crainte de la mort, puisque cette mort n’est que le trille qui termine son état de confusion, et le ramène à ses quatre consonances.

(Des Erreurs et de la Vérité.)

(ATSM)