sommeil

Le SOMMEIL relâche la tension de l’état de veille ; ensuite l’état de veille tend ce qui s’est relâché. Aucun de ces deux états ne dure, mais l’un à tour de rôle prend la place de l’autre. La nature se renouvelle ainsi par ces échanges, de telle sorte que, tenant ces deux états à la fois, elle passe sans discontinuer de l’un à l’autre. Une tension continue des activités du vivant produit une brisure et une déchirure de ces parties tendues au delà de la normale ; au contraire, un relâchement constant du corps cause la chute et la dissolution de l’être. Le passage régulier, au moment voulu, de l’un à l’autre état est une force pour le maintien de la nature qui, grâce à cette succession perpétuelle des deux états, dans l’un se repose de l’autre . XIII

Ainsi la nature, prenant le corps tendu par l’état de veille, assure, par le SOMMEIL, le relâchement de sa tension selon les besoins ; elle fait se reposer les facultés sensorielles de leur activité, comme si elle laissait se détendre des chevaux après des combats de char. Ce relâchement opportun est nécessaire à la conservation du corps ; grâce à lui, la nourriture peut se répandre sans obstacle à travers tout le corps par les conduits intérieurs, aucune tension n’empêchant ce passage. Quand le soleil brille de rayons plus chauds, des vapeurs nébuleuses sortent du fond d’un sol humide ; un phénomène semblable a lieu dans la terre que nous sommes, lorsque la chaleur naturelle échauffe la nourriture qui est à l’intérieur. Les vapeurs, tendant, comme l’air, à s’élever et montant toujours plus haut, se trouvent dans la région de la tête, comme une fumée qui passe par les jointures d’une muraille ; de là elles sont emportées par évaporation vers les conduits des sens. Alors cédant peu à peu la place à ces vapeurs, la sensation est rendue nécessairement impossible. Les yeux se recouvrent des paupières, comme si une machine de plomb, c’est-à-dire le poids de ces vapeurs, faisait abaisser les paupières sur les yeux. L’ouïe alourdie par ces mêmes vapeurs, comme si on avait mis une porte devant les organes de l’audition, n’exerce plus son activité normale. Tel est l’état du SOMMEIL : la sensation n’agit plus dans le corps ; elle est privée de son mouvement naturel, pour permettre la distribution de la nourriture qui s’introduit ainsi par chacun de ces conduits avec les vapeurs. XIII

Pour cette même raison, si les exhalaisons venues de l’intérieur, rétrécissent les endroits où se trouvent les sens et si par ailleurs quelque nécessité interdit le SOMMEIL, le système nerveux, rempli de ces vapeurs, se tend naturellement lui-même et cet allongement amincit la région chargée des vapeurs. Il se produit quelque chose d’identique à ce qui a lieu quand on tord avec force des vêtements pour en faire sortir l’eau. La région du pharynx est arrondie et le système nerveux y est très développé. Lorsqu’il faut en chasser les vapeurs qui s’y sont accumulées (comme on ne peut étirer un objet rond qu’en l’étendant suivant une forme circulaire), cette forme arrondie fait que le souffle est reçu dans le bâillement : la luette fait s’abaisser la mâchoire inférieure et, tandis que l’intérieur de la cavité ainsi formée se détend en forme de cercle, cette sorte de suie lourde répandue en ces organes est exhalée avec le souffle. Souvent, après le SOMMEIL, la même chose se produit, lorsqu’une de ces vapeurs a été laissée en ces lieux sans être chassée par le souffle. XIII

Ces exemples montrent clairement le lien de l’esprit humain avec la nature : lorsque celle-ci est intacte et en éveil, lui aussi a de l’activité et du mouvement, mais si elle est relâchée par le SOMMEIL, il demeure inerte, à moins qu’on ne prenne pour une activité de l’esprit les imaginations des songes qui nous viennent pendant le SOMMEIL. Pour moi, je prétends qu’il ne faut rapporter à l’esprit que la pensée dans son activité consciente et entière ; les bagatelles qui s’offrent à l’imagination pendant le SOMMEIL, je les crois façonnées au hasard par la partie irrationnelle de l’âme comme des images de l’action de l’esprit. Quand l’âme est déliée par le SOMMEIL de son union avec les sens, elle se trouve nécessairement aussi hors de l’activité spirituelle. Car c’est par les sens que se fait l’union de l’esprit avec l’homme ; s’ils cessent d’agir, l’esprit reste lui aussi inactif. Nous en avons pour preuve ce fait que dans les événements étranges ou impossibles, il nous semble souvent que nous rêvons ; ce qui ne serait pas, si alors l’âme était gouvernée par la raison et la pensée. Il me semble donc que durant le SOMMEIL, l’âme est en repos dans ses parties les plus hautes (je veux parler de ses activités spirituelles et sensibles) ; seule la partie nutritive reste en activité. En elle demeurent quelques images des événements de l’état de veille et quelques retentissements de l’activité des sens ou de l’esprit qu’y a imprimés cette partie de l’âme qu’est la mémoire. Ceux-ci sont reproduits comme ils se présentent, car certains souvenirs demeurent attachés à cette partie de l’âme. Dans ces rêves, l’homme voit par l’imagination : dans l’ensemble de ce qui lui apparaît, il n’y a aucun enchaînement logique, mais il s’égare en des tromperies embrouillées et sans suite. XIII

Dans l’activité du corps, bien que chaque partie ait une fonction propre liée à la puissance qui est en elle, il n’y en a pas moins corrélation entre la partie en repos et celle qui est soumise au mouvement ; de la même façon dans l’âme, même si une de ses parties est en repos et l’autre en mouvement, l’ensemble reste en liaison avec ses parties. Car on ne peut admettre que l’unité naturelle de l’âme soit entièrement dissoute par la prédominance de l’activité d’une des puissances sur une partie. Mais de même que chez ceux qui sont éveillés et en exercice, l’esprit domine et le sens sert, alors que cependant la partie nutritive du corps ne fait pas défaut au reste (l’esprit fournit la nourriture nécessaire, le sens la reçoit et la force nutritive du corps l’assimile) ; de la même façon durant le SOMMEIL l’ordre de commandement de ces puissances est en nous comme inversé : alors que commande la partie irrationnelle, l’activité des autres cesse, mais ne s’éteint pas tout à fait. A ce moment la partie nutritive est occupée, grâce au SOMMEIL, à la digestion, et elle assure le soin de toute la nature ; mais alors la force de la sensation n’est pas tout à fait détendue (ce que la nature a une fois uni ne peut être ensuite complètement séparé), sans que son activité puisse pourtant s’exercer au grand jour, à cause de l’inactivité des sens pendant le SOMMEIL. Il faut en dire autant de l’esprit : comme il est uni à la partie sensitive de l’âme, il serait logique d’affirmer que les mouvements de celle-ci déterminent les mouvements de l’esprit et que son repos amène le repos de l’esprit. C’est ainsi que normalement il arrive pour un feu. Lorsque de tous côtés on l’a recouvert de pailles mais qu’aucun souffle ne vient agiter la flamme, celle-ci ne se répand pas sur les matières environnantes. Cependant le feu n’est pas tout à fait éteint ; mais, au lieu d’une flamme, la paille ne donne qu’une vapeur. Le vent vient-il à s’en emparer, la paille change la fumée en flamme. De la même façon l’esprit, recouvert pendant le SOMMEIL par suite de l’inaction des sens, n’a pas la force de faire briller en eux sa lumière ; mais il n’est pas tout à fait éteint. Son mouvement est celui de la fumée : il a bien quelque activité, mais elle est sans force. Un musicien, qui frappe le plectre sur les cordes relâchées de sa lyre, ne fait pas entendre de chant régulier, car une corde, si elle n’est pas tendue, ne résonne pas. Alors sa main a beau être fidèle à son art et poser le plectre à l’endroit voulu, aucun son n’en sort, mais un bruit sourd qui n’a ni sens ni ordre et qui vient du mouvement des cordes. Ainsi l’ensemble des organes des sens est relâché par le SOMMEIL et, ou bien l’artiste se repose tout à fait, quand une trop grande fatigue ou quelque lourdeur ont entièrement détendu l’instrument, ou bien son activité reste sans vigueur et indistincte, quand l’organe des sens est incapable de recevoir exactement son impression. La mémoire alors est confuse et notre connaissance de l’avenir SOMMEILle sous des voiles incertains ; l’imagination nous présente l’image d’objets dont nous nous occupions éveillés et il arrive souvent que nous y trouvions l’indication d’événements à venir. Car alors la mémoire, par la subtilité de la nature, dépasse la lourdeur corporelle et peut apercevoir quelque objet existant. Sans doute n’a-t-elle pas le pouvoir de faire comprendre nettement ce qu’elle dit et d’annoncer clairement l’avenir, mais la manière dont elle le montre reste incertaine et amphibologique, à quoi les interprètes des songes donnent le nom d’énigmes. Ainsi l’échanson broie des grappes de raisin dans la coupe du pharaon ; ainsi le panetier se voit en songe en train de porter des corbeilles : chacun pendant ses songes se croit dans ses occupations de l’état de veille. L’impression, dans la partie de l’âme qui regarde l’avenir, des objets qui étaient l’occupation ordinaire de ces hommes, a fait qu’occasionnellement leur a été prédit quelque événement à venir, grâce à cette prévision de l’esprit. XIII

Les prédictions que Daniel, Joseph et leurs semblables firent par une puissance divine et sans aucun trouble causé par les sens, n’ont rien à voir avec le cas que nous envisageons. Personne ne saurait attribuer ces effets à la puissance des songes : ce serait logiquement admettre que ces manifestations de Dieu qui se font dans l’état de veille ne sont pas une vue directe, mais la suite de l’activité normale de la nature. Or, de même que tous les hommes sont conduits par leur propre esprit et qu’un petit nombre seulement est jugé digne de la fréquentation directe de Dieu, de même tous ont également reçu de la nature la même puissance d’imagination durant le SOMMEIL, tandis que quelques-uns seulement, et non tous, peuvent recevoir par les rêves une manifestation divine. Chez tous les autres, même si les songes permettent quelque prévision, elle se fait de la façon que j’ai dite . XIII

J’ai découvert une autre cause de ce qui se passe pendant le SOMMEIL, en soignant un malade de mes familiers qui était pris de « phrenitis ». Il était alourdi par plus de nourriture que n’en supportaient ses forces et il criait, blâmant les assistants d’avoir rempli ses intestins de fumier. Le corps tout dégoûtant de sueur, il accusait ceux qui étaient là d’avoir de l’eau prête pour l’arroser sur son lit. Il ne cessait de crier, jusqu’à ce que l’événement eût indiqué la cause de tels reproches. Sans arrêt, en effet, une sueur abondante coulait sur son corps et l’état de son ventre indiquait bien la lourdeur de ses intestins. Ici, à la suite de l’émoussement de la sobriété par la maladie, la nature a souffert du mal même du corps, mais alors qu’elle n’était pas sans ressentir son mal, le déséquilibre produit par la maladie lui ôtait la force de manifester clairement la cause de son affliction. Or supposons que ce soit le SOMMEIL naturel et non le manque de force qui ait assoupi la partie intelligente de l’âme, le même fait se serait produit en rêve pour notre malade : l’eau y aurait traduit l’écoulement de la sueur et la lourdeur des intestins le poids des aliments. Beaucoup de ceux qui connaissent la médecine expriment de même l’opinion que, chez les malades, les visions de leurs rêves sont en rapport avec leurs maladies : il y a les rêves des malades de l’estomac, ceux des malades des méninges, ceux des fiévreux, ceux des bilieux ; ceux qui sont malades de la pituite en ont d’autres et les songes de ceux qui sont atteints de congestion sont différents des songes de ceux qui se dessèchent. XIII

De nouveau il s’élève régulièrement à des miracles plus grands. S’étant mis en route pour aller vers l’enfant du chef de la Synagogue , il s’attarde volontairement en chemin à rendre publique la guérison cachée de l’hémorroïsse, comme pour laisser le temps à la mort d’emporter le malade. Or l’âme était depuis peu séparée du corps et les pleureuses se pressaient là avec des cris funèbres et des lamentations : lui, d’un mot, comme s’il s’agissait du SOMMEIL, fait lever l’enfant et le rend à la vie. Ainsi il conduit d’une marche régulière la faiblesse humaine vers des oeuvres plus grandes. XXV

L’air (pneuma) présent dans le coeur est introduit par le viscère voisin, dont le nom est le « poumon » et qui est le réceptacle de l’air. Grâce à l’artère qui est en lui et qui passe par la bouche, le poumon aspire l’air (pneuma) extérieur par le moyen de la respiration. Le coeur, placé en son milieu, imite l’activité incessante du feu et lui-même, toujours en mouvement, comme les soufflets des forgerons, attire à lui l’air des poumons voisins ; sa dilatation fait se remplir les parties creuses et l’évacuation de l’air en combustion envoie celui-ci dans les artères attenantes. Le coeur ne s’arrête jamais dans ce double mouvement de dilatation pour attirer dans ses cavités l’air extérieur et de compression pour le renvoyer dans les artères. De là vient, je crois, l’automatisme de notre respiration ; souvent l’esprit est ailleurs ou même se repose tout à fait, tandis que le corps est dans le SOMMEIL ; la respiration n’en continue pas moins, sans que notre volonté ait à s’en occuper. XXX