Ce que nous avons dit doit faire cesser les vaines conjectures de ceux qui enferment dans des parties du corps l’activité de l’esprit : les uns veulent placer dans le coeur la partie supérieure de l’âme, d’autres affirment que l’esprit habite dans le cerveau . Tous fondent de telles inventions sur des vraisemblances de surface. Celui qui attribue le premier rôle au coeur donne la place de celui-ci comme preuve de son opinion : cette position centrale lui semble faite pour permettre au mouvement de la volonté de se répartir facilement du milieu vers l’ensemble du corps et ainsi de passer à l’acte. On donne encore comme preuve de la même opinion le certain retentissement que paraissent avoir en cette partie-là nos dispositions de chagrin et de colère. Ceux qui consacrent le cerveau à la raison disent que la tête a été édifiée par la nature comme une citadelle sur tout le corps : l’esprit y habite comme un roi défendu tout autour par les organes des sens qui sont ses messagers et ses écuyers. Ils donnent encore comme indices d’une telle supposition le déséquilibre mental de ceux dont les méninges sont en mauvais état et la perte du sens de la mesure chez ceux dont la tête est alourdie par le vin. L’un et l’autre groupe de ceux qui tiennent ces opinions ajoutent encore quelques autres raisons tirées des sciences pour établir leurs hypothèses sur la partie supérieure de l’âme. L’un dit que le mouvement de la pensée est du même genre que celui du feu, puisque l’un et l’autre sont sans arrêt. Or en sait que la chaleur a sa source dans le coeur. Aussi ces auteurs, comme ils tiennent que le mouvement de l’esprit se confond avec la mobilité de la chaleur, concluent que le coeur qui renferme la chaleur est le réceptacle de la nature spirituelle . L’autre groupe part du fait que les méninges (c’est le nom de la membrane qui entoure le cerveau) sont comme le fondement et la racine de tous les organes des sens ; de là ils donnent à penser que l’activité de l’esprit ne peut avoir de siège ailleurs que dans cette partie où s’ajuste l’oreille et où les sons qui y tombent viennent frapper. De même c’est par son union à cette membrane dans la cavité des yeux que, grâce aux images qui tombent sur les pupilles, la vue exprime les choses à l’intérieur de l’esprit. De même c’est dans le cerveau que, par l’odorat qui les attire, se fait le DISCERNEMENT des différentes odeurs. La sensation du goût est soumise, elle aussi, au DISCERNEMENT de cette méninge : celle-ci, communiquant la sensibilité aux développements nerveux qui l’avoisinent, les répand dans les muscles de cette région, à travers les vertèbres du cou jusqu’au conduit de l’ethmoïde . XII
Quel est cet arbre, plein de plaisir pour les sens, qui enferme la connaissance mélangée du bien et du mal ? Je pense ne pas m’éloigner de la vérité, en partant, sur cette question, d’un point évident. A mon avis, à cet endroit de l’Écriture, « connaissance » n’équivaut pas à «science » et, d’après l’usage scripturaire, je trouve une différence entre « connaissance » et « DISCERNEMENT ». L’apôtre dit bien, en effet, qu’un homme aux dispositions d’esprit parfaites et aux sens purifiés peut « discerner » le bien du mal . Aussi il donne ce conseil de « juger de tout », car, dit-il, le DISCERNEMENT appartient à l’homme spirituel . Le mot « connaissance », lui, ne paraît pas désigner partout la science et le pur savoir, mais plutôt une disposition intérieure vis-à-vis de ce qui nous est agréable. Ainsi « le Seigneur a, connu ceux qui lui appartiennent » . Et il dit à Moïse : «Je t’ai connu de préférence aux autres. » Aux damnés, celui qui sait tout dit ces mots : « Jamais je ne vous ai connus » . XX