Ensuite, puisqu’il appelle souvent secrète notre doctrine, il faut aussi le réfuter sur ce point. Le monde presque entier connaît . la prédication des chrétiens mieux que les thèses favorites des philosophes. Qui donc ignore de Jésus sa naissance d’une vierge, sa crucifixion, sa résurrection objet de foi pour un grand nombre, et la menace du jugement de Dieu qui, selon leurs mérites, punira les pécheurs et récompensera les justes ? Bien plus, le mystère de la résurrection, parce qu’il n’est point compris, est la risée incessante des incroyants. Dire que sur ces points notre doctrine est secrète, c’est le comble de l’absurdité. Et qu’il existe, comme au delà des matières d’enseignement public, certains points inaccessibles à la foule n’est pas propre à la seule doctrine des chrétiens , c’est aussi le cas des philosophes dont certaines doctrines étaient exotériques, et d’autres, ésotériques Des auditeurs de Pythagore s’en tenaient au « Il l’a dit », mais d’autres étaient instruits en SECRET de vérités inaccessibles aux oreilles profanes et non encore purifiées. De plus, tous les mystères célèbres en tous lieux de la Grèce ou de la barbarie, pour être SECRETs, n’ont pas été calomniés. C’est donc sans fondement, ni intelligence exacte du SECRET du christianisme qu’il le calomnie. LIVRE I
Ensuite, dans le SECRET dessein de calomnier le récit de la création d’après Moïse, qui révèle que le monde n’a pas encore dix mille ans, tant s’en faut, Celse prend parti, tout en cachant son intention, pour ceux qui disent que le monde est incréé. Car en disant : “Il y eut de toute éternité bien des embrasements, bien des déluges, dont le plus récent est l’inondation survenue naguère au temps de Deucalion”, il suggère clairement à ceux qui sont capables de le comprendre que, selon lui, le monde est incréé. Mais qu’il nous dise, cet accusateur de la foi chrétienne, par quels arguments démonstratifs il a été contraint d’admettre qu’il y eut bien des embrasements, bien des déluges, et que les plus récents de tous furent l’inondation du temps de Deucalion et l’embrasement du temps de Phaéton ! S’il produit à leur sujet les dialogues de Platon, nous lui répondrons : à nous aussi il est permis de dire que dans l’âme pure et pieuse de Moïse, élevé au-dessus de tout le créé et uni au Créateur de l’univers, résidait un esprit divin qui fit connaître la vérité sur Dieu bien plus clairement que Platon et les sages grecs ou barbares. Et s’il nous demande des raisons de cette foi, qu’il nous en donne le premier de ce qu’il avance sans preuves, ensuite nous prouverons que nos affirmations sont fondées. LIVRE I
Cependant, même malgré lui, Celse en est venu à témoigner que le monde est plus récent et qu’il n’a pas encore dix mille ans, quand il dit : “Les Grecs tiennent ces événements pour antiques, car de plus anciens, ils n’en ont, du fait des déluges et des embrasements, ni observé, ni conservé de souvenirs”. Libre à Celse d’avoir, pour lui enseigner le mythe des embrasements et des inondations, les Egyptiens, gens, à son dire, d’une haute sagesse ! Sagesse dont les vestiges sont des animaux sans raison qu’ils adorent et des arguments qui prouvent que le culte ainsi rendu à la divinité est raisonnable et relève du SECRET et des mystères ! Ainsi quand les Egyptiens, pour vanter leur doctrine sur les animaux, apportent des raisons théologiques, les voilà devenus des sages. Mais, qu’on admette la loi et le législateur des Juifs, qu’on rapporte tout au Dieu unique, créateur de l’univers, on est moins considéré, aux yeux de Celse et de ses semblables, que si on ravale la divinité non seulement aux vivants raisonnables et mortels, mais encore aux êtres privés de raison, ce qui dépasse le mythe de la métensomatose concernant l’âme qui tombe de la voûte du ciel et descend jusqu’aux animaux sans raison, non seulement les animaux domestiques mais les bêtes les plus féroces. Et si les Egyptiens développent des mythes, c’est, croit-on, philosophie par énigmes et mystères ; mais si Moïse, qui écrit des histoires pour toute sa nation, lui laisse des récits et des lois, ses paroles, pense-t-on, sont fables vides et n’admettent pas d’allégorie ! . Voilà l’opinion de Celse et des Epicuriens. LIVRE I
Qu’ils répondent alors, ceux qui refusent de croire que Jésus est mort sur la croix pour les hommes. Est-ce qu’ils rejetteront aussi les multiples histoires, grecques et barbares, de personnes mortes pour le bien public, afin de détruire les maux qui s’étaient emparés des villes et des peuples ? Ou bien diront-ils ces faits réels, mais absolument invraisemblable la mort de cet homme — ainsi le jugent-ils — pour la destruction du grand démon, prince des démons, qui avait asservi toutes les âmes humaines venues sur terre ? Mais les disciples de Jésus en sont témoins, ainsi que d’autres choses en plus grand nombre qu’ils ont probablement apprises de Jésus en SECRET, en outre, ils furent remplis d’une certaine puissance, lorsque leur donna « fougue et courage », non la vierge dont parle le poète, mais la véritable prudence et sagesse de Dieu, « pour qu’ils se distinguent entre tous », non seulement « les Argiens », mais tous les Grecs ensemble avec les barbares, et « remportent une noble gloire ». LIVRE I
De plus, il accepte bien, de l’histoire écrite dans l’Évangile de Matthieu, la venue de Jésus en Egypte ; mais il refuse de croire aux prodiges qui l’ont provoquée, à l’ordre transmis par l’ange, à toute la signification mystérieuse possible du départ de Jésus de la Judée et de son séjour en Egypte. Il invente encore autre chose : d’un côté, il donne une certaine adhésion aux miracles extraordinaires accomplis par Jésus, grâce auxquels celui-ci persuada la multitude de le suivre comme Christ, de l’autre, il entend les disqualifier comme dus à la magie et non à la puissance divine. Car il affirme : Il fut élevé en SECRET, s’en fut en Egypte louer ses services, et, ayant acquis là l’expérience de certains pouvoirs, il s’en revint, proclamant grâce à ces pouvoirs qu’il était Dieu. Quant à moi, je ne comprends pas comment un magicien aurait pu prendre la peine d’enseigner une doctrine persuadant de tout faire dans la pensée que Dieu juge chacun sur toutes ses actions, et de donner cette disposition à ses disciples dont il allait faire les ministres de son enseignement. Ceux-ci gagnaient-ils leurs auditeurs par les miracles appris de cette façon, ou sans faire aucun miracle ? Dire qu’ils ne faisaient pas de miracle du tout, mais qu’après avoir cru, sans aucune puissance de raisons qui ressemblât à la sagesse dialectique des Grecs, ils se sont voués à l’enseignement d’une doctrine nouvelle pour ceux chez qui ils séjournaient, c’est le comble de l’absurdité : d’où leur fût venue l’audace pour enseigner la doctrine et les innovations ? Et s’ils accomplissaient des miracles, quelle vraisemblance y a-t-il que des magiciens se fussent exposés à de si graves périls pour un enseignement interdisant la magie ? LIVRE I
Le Logos entend si bien qu’il y ait des sages parmi les croyants, que pour exercer l’intelligence des auditeurs, il a exprimé certaines vérités sous forme d’énigmes, d’autres en « discours obscurs », d’autres en paraboles, d’autres en questions. C’est l’aveu même de l’un des prophètes, Osée, à la fin de son livre : « Qui est sage et comprendra ces paroles? Qui est intelligent et les pénétrera ? » Et Daniel et ses compagnons de captivité progressèrent si bien dans les sciences pratiquées à Babylone par les sages de la cour royale, qu’ils se montrèrent « dix fois » supérieurs à eux tous. Il est dit également, dans Ézéchiel, au prince de Tyr qui s’enorgueillissait de sa sagesse : « N’es-tu pas plus sage que Daniel ? Tout SECRET ne t’a-t-il pas été montré ? » LIVRE III
Et qui sont les précepteurs, traités par nous de radoteurs stupides, que Celse défend pour l’excellence de leurs leçons? Peut-être considère-t-il comme habiles précepteurs pour bonnes femmes et non des radoteurs ceux qui les invitent à la superstition et aux spectacles impurs, ou encore, comme exempts de stupidité ceux qui conduisent et poussent les jeunes gens à tous les désordres qu’on leur voit commettre un peu partout. Pour nous, du moins, nous invitons de toutes nos forces même les tenants des doctrines philosophiques à notre religion, en leur montrant son exceptionnelle pureté. Puisque Celse, dans ses remarques, veut établir que, loin de le faire, nous n’invitons que les sots, on pourrait lui répondre : si tu nous faisais grief de détourner de la philosophie ceux qui auparavant y étaient adonnés, tu ne dirais pas la vérité, mais ton propos aurait quelque chose de plausible. Mais en fait, comme tu prétends que nous enlevons nos adeptes à de bons précepteurs, prouve que ces maîtres sont différents des maîtres de philosophie ou de ceux qui ont travaillé à un enseignement utile. Mais il sera incapable de rien montrer de tel. Et nous promettons franchement, et non en SECRET, que seront heureux ceux qui vivent selon la parole de Dieu, fixant en tout leurs yeux sur lui, accomplissant quoi que ce soit comme sous le regard de Dieu. Est-ce là des leçons de cardeurs, de cordonniers, de foulons, de gens grossiers les plus incultes ? Il ne pourra pas l’établir. Ces hommes, d’après lui comparables aux cardeurs qu’on voit dans les maisons, semblables aux cordonniers, aux foulons, aux gens grossiers les plus incultes, Celse les accuse de ne vouloir, ni de ne pouvoir, en présence du père et des précepteurs, rien expliquer de bon aux enfants. En réponse, nous demanderons : de quel père veux-tu parler, mon brave, de quel précepteur? Si c’est quelqu’un qui approuve la vertu, se détourne du vice, recherche les biens supérieurs, sache-le bien, c’est avec une pleine assurance d’être approuvés d’un tel juge que nous communiquerons nos leçons aux enfants. Mais devant un père qui décrie la vertu et la parfaite honnêteté, nous gardons le silence, comme devant ceux qui enseignent ce qui est contraire à la saine raison : ne va pas nous le reprocher, ton reproche serait déraisonnable. Toi-même, à coup sûr, quand tu transmets les mystères de la philosophie à des jeunes gens et des enfants, dont les pères estiment la philosophie inutile et vaine, tu ne diras rien aux enfants devant leurs pères mal disposés ; mais, désireux de séparer de ces mauvais pères les fils orientés vers la philosophie, tu guetteras les occasions de faire parvenir aux jeunes gens les doctrines philosophiques. J’en dirai autant des précepteurs. Détourner de précepteurs enseignant les turpitudes de la comédie, la licence des ïambes et tant d’autres choses, sans bonne influence sur qui les débite ni utilité pour qui les écoute, car ils ne savent pas interpréter philosophiquement les poèmes, ni ajouter à chacun ce qui contribue au bien des jeunes gens, c’est là une conduite que nous avouons sans rougir. Mais présente-moi des précepteurs initiant à la philosophie et en favorisant l’exercice : au lieu d’en détourner les jeunes gens, je m’efforcerai d’élever ceux qui sont déjà exercés dans le cycle des sciences et des thèmes philosophiques, je les mènerai loin de la foule qui l’ignore jusqu’à la vénérable et sublime éloquence des chrétiens qui traitent des vérités les plus élevées et les plus nécessaires, montrant en détail et prouvant que telle est la philosophie enseignée par les prophètes de Dieu et les apôtres de Jésus. LIVRE III
En effet, nous posons cette question à tous ceux qui usent de ces invocations de Dieu : dites-nous, braves gens, quelle fut l’identité d’Abraham, la grandeur d’Isaac, la puissance de Jacob, pour que l’appellation « Dieu » jointe à leurs noms accomplisse d’aussi grands miracles ? Et de qui avez-vous appris ou pouvez-vous apprendre la vie de ces hommes ? Qui donc a pris soin d’écrire leur histoire, qu’elle exalte directement ces hommes dans un sens littéral ou qu’elle insinue par allusions de grandes et admirables vérités aux gens capables de les percevoir ? Et comme pour répondre à notre question nul d’entre vous ne peut montrer de quelle histoire, grecque ou barbare, ou sinon d’une histoire, du moins de quel traité SECRET vient le pouvoir de ces hommes, nous présenterons le livre intitulé Genèse, qui contient les actions de ces hommes et les oracles que Dieu leur adressa, et nous dirons : est-ce que l’usage que vous faites vous aussi des noms de ces trois premiers ancêtres de la nation, comprenant à l’évidence qu’on obtient par leur invocation des effets non négligeables, ne prouve pas le caractère divin de ces hommes ? Or nous ne les connaissons d’aucune autre source que des livres sacrés des Juifs. Mais en fait, « le Dieu d’Israël, le Dieu des Hébreux, le Dieu qui a précipité dans la mer Rouge le roi d’Egypte et les Égyptiens » sont des formules souvent employées pour lutter contre les démons ou certaines puissances perverses. Et nous avons appris l’histoire des personnages ainsi nommés, et l’interprétation de ces noms grâce aux Hébreux qui, dans leurs écrits traditionnels et leur langue nationale, les célèbrent et les expliquent. Comment donc pour les Juifs qui ont tenté de rattacher leur généalogie à la première génération de ces personnages, que Celse a considérés comme des sorciers et des vagabonds, y aurait-il une impudence à tenter de rattacher eux-mêmes et leur origine à ces hommes, dont les noms hébreux attestent aux Hébreux, car leurs livres sacrés sont écrits dans la langue et en caractères hébraïques, que leur nation est bien celle de ces hommes ? Et jusqu’à ce jour les noms juifs appartiennent à la langue hébraïque, qu’ils proviennent de leurs écrits ou tout simplement de significations particulières à la langue. LIVRE IV
A la sentence qu’il porte sur le récit de Moïse : Impiété majeure que cette fiction où Dieu est si faible dès l’origine qu’il ne peut même convaincre le seul homme qu’il a lui-même modelé ! je répondrai qu’elle se rattache à la critique de l’existence même du mal, que Dieu n’a pu écarter d’un seul homme pour qu’au moins un seul homme quelconque s’en fût trouvé exempt dès l’origine. De même que sur ce point le souci de défendre la Providence fournit des justifications aussi nombreuses que valables, ainsi pour Adam et sa faute, on trouvera l’explication en sachant que, traduit en grec, le mot Adam signifie homme, et que, dans ce qui paraît concerner Adam, Moïse traite de la nature de l’homme. C’est que, dit l’Écriture, « en Adam tous meurent », et ils ont été condamnés « pour une transgression semblable à celle d’Adam », l’affirmation de la parole divine portant moins sur un seul individu que sur la totalité de la race. Et de fait, dans la suite des paroles qui semblent viser un seul individu, la malédiction d’Adam est commune à tous ; et il n’est pas de femme à laquelle ne s’applique ce qui est dit contre la femme. De plus, le récit de l’homme chassé du jardin avec sa femme, revêtu de « tuniques de peaux » que Dieu, à cause de la transgression des hommes, confectionna pour les pécheurs, contient un enseignement SECRET et mystérieux bien supérieur à la doctrine de Platon sur la descente de l’âme qui perd ses ailes et est entraînée ici-bas « jusqu’à ce qu’elle se saisisse de quelque chose de solide ». LIVRE IV
Et certes, si je voulais poursuivre la discussion avec Celse, je pourrais citer ce passage de Salomon, tiré des Proverbes : « Il est quatre êtres minuscules sur la terre, mais qui ont plus de science que les savants : les fourmis, peuple chétif, qui, en été, assure sa provende ; les damans, peuple sans vigueur qui fait son gîte dans les rochers ; la sauterelle n’a point de roi et marche à la guerre en bon ordre sous un seul commandement ; le lézard, s’appuyant sur les mains et facile à capturer, habite des palais de roi. » Cependant je ne m’intéresse pas au sens obvie des expressions, mais conformément au titre – car le livre est intitulé Proverbes -, je les scrute comme des énigmes. C’est l’habitude de ces auteurs de répartir soit ce qui a une signification obvie, soit ce qui a un message SECRET, en diverses classes dont l’une est les proverbes. Voilà pourquoi même dans nos Évangiles il est écrit que notre Sauveur a dit : « Je vous ai parlé de cela en proverbes ; vient l’heure où je ne vous parlerai plus en proverbes. » Ce ne sont donc pas les fourmis sensibles qui ont une science supérieure même à celle des savants, mais celles qui sont désignées sous la forme des proverbes. Il faut en dire autant du reste des animaux. Mais Celse juge les livres des Juifs et des chrétiens fort simplistes et vulgaires, et croit qu’une interprétation allégorique forcerait le sens qu’y ont mis les auteurs. Que ce soit donc là une preuve qu’il nous a vainement calomniés, et une réfutation de son argument sur les aigles et les serpents, qu’il déclare plus savants que les hommes. LIVRE IV
« Dieu donne donc à chacun un corps à son gré » : aux plantes ainsi semées, comme aux êtres qui sont pour ainsi dire semés dans la mort et qui reçoivent en temps opportun, de ce qui est semé, le corps assigné par Dieu à chacun selon son mérite. Nous entendons aussi l’Écriture qui enseigne longuement la différence entre le corps pour ainsi dire semé et celui qui en est comme ressuscité. Elle dit : « Semé dans la corruption, il ressuscite incorruptible ; semé dans l’abjection, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. » A celui qui le peut, de savoir encore sa pensée dans ce passage : « Tel le terrestre, tels seront aussi les terrestres, tel le céleste, tels seront aussi les célestes. Et comme nous avons porté l’image du terrestre, de même nous porterons l’image du céleste. » Cependant l’Apôtre veut laisser caché le sens mystérieux du passage, qui ne convient pas aux simples et à l’entendement commun de ceux que la foi suffît à amender. Il est néanmoins forcé ensuite, pour nous éviter des méprises sur le sens des ses paroles, de compléter l’expression : « Nous porterons l’image du céleste » par celle-ci : « Je l’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité1. » Et sachant bien le mystérieux sens caché qu’il y avait dans ce passage, comme il convient à un auteur laissant par écrit à la postérité l’expression de sa pensée, il ajoute : «Voici que je vais vous dire un mystère. » C’est précisément la formule d’introduction aux doctrines profondes et mystérieuses, justement cachées à la foule. Ainsi encore il est écrit dans le livre de Tobie : « Il est bon de tenir caché le SECRET du roi » ; puis, à l’égard de ce qui est glorieux et adapté à la foule, en dosant la vérité : « Il est bon de révéler les oeuvres de Dieu pour sa gloire. » Dès lors notre espérance n’est pas celle des vers et notre âme ne regrette pas le corps putréfié ; sans doute a-t-elle besoin d’un corps pour passer d’un lieu à un autre ; mais, ayant médité la sagesse selon la parole : « La bouche méditera la sagesse », elle sait qu’il y a une différence entre l’habitation terrestre où se trouve la tente et qui est vouée à la destruction, et la tente où les justes gémissent accablés, non parce qu’ils veulent se dévêtir de la tente, mais « pardessus elle se revêtir » (d’une autre) afin que, ainsi revêtus, « ce qu’il y a de mortel soit englouti par la vie ». « Il faut en effet », toute la nature corporelle étant corruptible, que cette tente « corruptible revête l’incorruptibilité », et que d’autre part, ce qui est « mortel » et destiné à la mort, conséquence immédiate du péché, « revête l’immortalité ». Ainsi, quand « cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité et cet être mortel l’immortalité, alors s’accomplira » l’antique prédiction des prophètes, la fin du triomphe de la mort qui dans son triomphe nous avait soumis à elle, et la perte de l’aiguillon dont elle pique l’âme incomplètement protégée, lui infligeant les blessures qui viennent du péché. LIVRE V
Nous affirmons que Moïse, pour nous le prophète de Dieu et son véritable serviteur, retrace ainsi le partage des peuples de la terre dans le Cantique du Deutéronome : « Quand le Très-Haut divisait les nations, quand il répartissait les fils d’Adam, il fixa les limites des nations suivant le nombre d’anges de Dieu, mais le lot du Seigneur, ce fut son peuple Jacob, et le lot de son héritage Israël. » Sur la division des nations, le même Moïse, dans son livre de la Genèse, raconte sous la forme d’une histoire : « Et toute la terre n’avait qu’une langue, avec les mêmes mots pour tous. Et il advint que, se déplaçant du Levant, ils trouvèrent une plaine au pays de Sennaar et ils s’y établirent. » Et peu après : « Le Seigneur descendit voir la ville et la tour que les fils des hommes avaient bâtie. Et le Seigneur dit : ” Voici qu’ils ne forment qu’une seule race avec une seule langue pour tous. Ils ont commencé là leurs entreprises, et maintenant, ils n’auront de cesse qu’ils n’aient accompli tout ce qu’ils désirent. Allons ! Descendons ! Et là confondons leur langage, pour que chacun ne comprenne plus la parole de son voisin. ” Et le Seigneur les dispersa de là sur la face de toute la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville et la tour. Voilà pourquoi on lui donna le nom de Confusion, car c’est là que le Seigneur confondit la langue de toute la terre, et c’est de là que le Seigneur les dispersa sur la face de toute la terre “. Dans le livre intitulé la Sagesse de Salomon traitant de la sagesse et de ceux qui vivaient lors de la confusion des langues, quand eut lieu le partage des peuples de la terre, il est ainsi parlé de la sagesse : « Et lorsque, unanimes en leur perversité, les nations eurent été confondues, c’est elle qui discerna le juste, le conserva sans reproche devant Dieu, et le garda fort contre sa tendresse pour son enfant.» Le sujet comporte une profonde doctrine mystique à laquelle s’applique la parole : « Il est bon de cacher le SECRET du roi. » Il ne faut pas livrer aux oreilles profanes la doctrine sur l’entrée des âmes dans le corps qui n’est pas due à la métensomatose ; il ne faut pas donner aux chiens les choses sacrées, ni jeter les perles aux pourceaux. Ce serait une impiété impliquant une trahison des SECRETs oracles de la sagesse de Dieu, d’après la belle sentence : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, elle n’habitera pas dans un corps tributaire du péché. » Pour les vérités cachées sous la forme d’une histoire, il suffît de les présenter selon la forme de cette histoire pour permettre à ceux qui le peuvent de dégager pour eux-mêmes la signification du passage. Qu’on se représente donc tous les peuples sur la terre, usant d’une même langue divine et, aussi longtemps du moins qu’ils vivent en accord les uns avec les autres, persistant à user de cette langue divine. Ils restent sans s’éloigner du Levant tant qu’ils ont l’esprit sensible aux effets de la lumière et du rayonnement « de la lumière éternelle ». Et quand, l’esprit rempli de préoccupations étrangères au Levant, ils se sont éloignés du Levant, ils trouvent « une plaine dans le pays de Sennaar », ce qui s’interprète ébranlement des dents pour indiquer symboliquement qu’ils ont perdu les moyens de se nourrir ; et ils y habitent. Ils veulent ensuite rassembler des matériaux et unir au ciel ce qui ne peut naturellement y être uni, pour conspirer avec la matière contre ce qui est immatériel. LIVRE V
Puisque Celse entend assimiler les lois sacrées des Juifs aux lois de certains peuples, qu’on me laisse examiner encore ce point. Il pense que la doctrine sur le ciel n’est pas différente de la doctrine sur Dieu, et il dit que les Perses, comme les Juifs, offrent des sacrifices à Zeus, en montant sur les plus hauts sommets. Il ne voit pas que les Juifs ne reconnaissent qu’un seul Dieu, et de même n’ont qu’une sainte maison de la prière, qu’un autel des holocaustes, qu’un encensoir pour l’encens, qu’un grand-prêtre de Dieu. Les Juifs n’avaient donc rien de commun avec les Perses qui montent sur les plus hauts sommets qui sont en grand nombre, et accomplissent des sacrifices qui n’ont rien de comparable à ceux de la loi mosaïque. D’après celle-ci, les prêtres juifs célébraient un culte « qui était l’image et l’ombre des réalités célestes », mais exposaient en SECRET la signification de la loi sur les sacrifices et les réalités dont ils étaient les figures. Que les Perses appellent donc Zeus tout le cercle du ciel ; pour nous, nous déclarons que le ciel n’est ni Zeus, ni Dieu, car nous savons qu’il y a aussi des êtres inférieurs à Dieu, élevés au-dessus des cieux et de toute nature sensible. Voilà dans quel sens nous comprenons les paroles : « Louez Dieu, cieux des cieux, et eaux par-dessus les cieux : qu’ils louent le nom du Seigneur ! » LIVRE V
Les prophètes, suivant la volonté de Dieu, ont dit sans aucun sens caché tout ce qui pouvait être compris d’emblée par les auditeurs comme utile et profitable à la réforme des m?urs. Mais tout ce qui était plus mystérieux et plus SECRET, relevant d’une contemplation qui dépasse l’audience commune, ils l’ont fait connaître sous forme d’énigmes, d’allégories, de « discours obscurs », de « paraboles ou proverbes » ; et cela, afin que ceux qui ne renâclent pas devant l’effort, mais supportent tout effort pour l’amour de la vertu et de la vérité, après avoir cherché trouvent, après avoir trouvé se conduisent comme la raison l’exige. Mais le noble Celse, comme irrité de ne pas comprendre ces paroles prophétiques, en vint à l’injure : A ces outrecuidances, ils ajoutent aussitôt des termes inconnus, incohérents, totalement obscurs, dont aucun homme raisonnable ne saurait découvrir la signification tant ils sont dépourvus de clarté et de sens, mais qui fournissent en toute occasion à n’importe quel sot ou charlatan le prétexte de se les approprier dans le sens qu’il désire. Voilà, à mon avis, des propos de fourbe, dits pour détourner autant qu’il pouvait les lecteurs des prophéties d’en rechercher et d’en examiner le sens : disposition analogue à celle que dénote la question posée au sujet d’un prophète venu prédire l’avenir : « Qu’est allé faire chez toi cet insensé ? » Il est sans doute des raisons bien au-dessus de mes capacités pour établir que Celse ment et que les prophéties sont inspirées de Dieu. Je n’en ai pas moins tâché de le faire dans la mesure où je le pouvais, en expliquant mot à mot les termes incohérents et totalement obscurs, comme les qualifie Celse, dans mes Commentaires d’Isaïe, d’Ézéchiel et de quelques-uns des Douze. Et si Dieu permet d’avancer dans sa Parole, au moment où il voudra, viendront s’ajouter aux commentaires déjà cités sur ces auteurs ceux de tout le reste ou du moins ce que je parviendrai à élucider. Mais il y en a d’autres qui, désireux d’examiner l’Écriture et possédant l’intelligence, sauraient en découvrir la signification. Elle est vraiment dépourvue de clarté en bien des endroits, mais nullement dépourvue de sens, comme il dit. Il est non moins faux qu’un sot ou un charlatan puisse les éclaircir et se les approprier dans le sens qu’il désire. Seul, le véritable sage dans le Christ peut expliquer tout l’enchaînement des passages prophétiques qui ont un sens caché, en « comparant les choses spirituelles aux spirituelles » et en interprétant d’après le style habituel des Écritures tout ce qu’il découvre. LIVRE VI
Dans le même sens, les justes détruisent tout ce qu’il y a de vie dans leurs ennemis issus du vice, sans faire grâce à un mal infime qui vient de naître. C’est encore dans ce sens que nous comprenons le passage du psaume cent trente-sixième : « Fille de Babylone, misérable ! Heureux qui te revaudra les maux que tu nous as valus, heureux qui saisira et brisera tes petits contre le roc ! » Les petits de Babylone, qui signifie confusion, sont les pensées confuses inspirées par le vice qui naissent et se développent dans l’âme. S’en rendre assez maître pour briser leurs têtes contre la fermeté et la solidité du Logos, c’est briser les petits de Babylone contre le roc et à ce titre, devenir heureux. Dès lors, admettons que Dieu ordonne d’exterminer les ?uvres d’iniquité, toute la race sans épargner la jeunesse : il n’enseigne rien qui contredise la prédication de Jésus. Admettons que sous les yeux de ceux qui sont Juifs dans le SECRET Dieu réalise la destruction de leurs ennemis et de toutes les ?uvres de malice. Et qui plus est, admettons que ceux qui refusent d’obéir à la loi et au Logos de Dieu se soient assimilés à ses ennemis et portent la marque du vice : ils devront souffrir les peines que méritent la désobéissance aux paroles de Dieu. LIVRE VI
De plus, si nous refusons de servir un autre que Dieu par son Logos et sa Vérité, ce n’est point parce que Dieu subirait un tort comme paraît en subir l’homme dont le serviteur sert encore un autre maître. C’est pour ne pas subir de tort nous-mêmes en nous séparant de la part d’héritage du Dieu suprême, où nous menons une vie qui participe à sa propre béatitude par un exceptionnel esprit d’adoption. Grâce à sa présence en eux, les fils du Père céleste prononcent dans le SECRET, non en paroles mais en réalité, ce cri sublime : « Abba, Père ! » Sans doute, les ambassadeurs de Lacédémone refusèrent d’adorer le roi de Perse, malgré la vive pression des gardes, par révérence pour leur unique seigneur, la loi de Lycurgue. Mais ceux qui s’acquittent pour le Christ d’une ambassade bien plus noble et plus divine refuseraient d’adorer aucun prince de Perse, de Grèce, d’Egypte ou de toute autre nation, malgré la volonté qu’ont les démons, satellites de ces princes et messagers du diable, de les contraindre à le faire et de les persuader de renoncer à Celui qui est supérieur à toutes les lois terrestres. Car le Seigneur de ceux qui sont en ambassade pour le Christ, c’est le Christ dont ils sont les ambassadeurs, le Logos qui est « au commencement », qui est près de Dieu, qui est Dieu. Celse a cru bon ensuite d’avancer, parmi les opinions qu’il fait siennes, une doctrine très profonde sur les héros et certains démons. Ayant remarqué, à propos des relations de service entre les hommes, que ce serait infliger un tort au premier maître qu’on veut servir que de consentir à en servir un second, il ajoute qu’il en irait de même pour les héros et les démons de ce genre. Il faut lui demander ce qu’il entend par les héros et quelle nature il attribue aux démons de ce genre, pour que le serviteur d’un héros déterminé doive éviter d’en servir un autre, et celui d’un de ces démons, d’en servir encore un autre : comme si le premier démon subissait un tort comme font les hommes quand on passe de leur service à celui d’autres maîtres. Qu’il établisse en outre le tort qu’il juge ainsi causé aux héros et aux démons de ce genre ! Il lui faudra alors répéter son propos en tombant dans un océan de niaiseries et réfuter ce qu’on a dit ou, s’il se refuse aux niaiseries, avouer ne connaître ni les héros, ni la nature des démons. Et quand il dit des hommes que les premiers subissent un tort du service rendu à un second, il faut demander comment il définit le tort subi par le premier quand son serviteur consent à en servir un autre. En effet, s’il entendait par là, comme un homme vulgaire et sans philosophie, un tort concernant les biens que nous appelons extérieurs, on le convaincrait de méconnaître la belle parole de Socrate : « Anytos et Mélètos peuvent me faire mourir, mais non me faire du tort ; car il n’est point permis que le supérieur subisse un tort de la part de l’inférieur. » S’il définit ce tort par une motion ou un état concernant le vice, il est évident, puisqu’aucun tort de ce genre n’existe pour les sages, qu’on peut servir deux sages vivant en des lieux séparés. Et quand ce raisonnement ne serait pas plausible, c’est en vain qu’il argue de cet exemple pour critiquer la parole : « Nul ne peut servir deux maîtres » : et elle n’aura que plus de force si on l’applique au service du Dieu de l’univers par son Fils qui nous conduit à Dieu. De plus, nous ne rendons pas un culte à Dieu dans la pensée qu’il a en besoin et qu’il se chagrinerait qu’on ne le lui rende pas, mais pour l’avantage que nous retirons de ce culte rendu à Dieu, étant libérés de chagrin et de passion en servant Dieu par son Fils unique Logos et Sagesse. LIVRE VIII
Et si Celse veut nous voir aussi servir comme stratèges pour la défense de la patrie, qu’il le sache, nous le faisons aussi, mais non pour attirer le regard des hommes et obtenir d’eux par cette conduite une gloire futile. Nos prières sont faites dans le SECRET à l’intime de l’âme et montent comme celles des prêtres pour le salut de nos compatriotes. Les chrétiens sont même plus utiles aux patries que le reste des hommes : ils éduquent leurs concitoyens, leur enseignent la piété envers Dieu gardien de la cité ; ils font monter vers une cité céleste et divine ceux qui ont mené une vie honnête dans les plus petites cités. On pourrait leur dire : tu as été fidèle dans une cité toute petite, arrive maintenant dans la grande, où « Dieu se dresse dans l’assemblée des dieux et, au milieu d’eux, juge les dieux » ; il accepte de te compter parmi eux à condition que tu ne veuilles plus mourir à la façon d’un homme, ni tomber « comme un de leurs princes. » Celse nous convie encore à prendre part au gouvernement de la patrie s’il en est besoin pour la défense des lois et de la piété. Mais, sachant que derrière chaque cité se trouve un autre genre de patrie établie par le Logos de Dieu, nous appelons à gouverner les églises ceux que leur doctrine et leur sainteté de vie rendent aptes à ce gouvernement. Récusant ceux qui aspirent au pouvoir, nous contraignons ceux qui, dans l’excès de leur modestie, répugnent à assumer hâtivement le souci commun de l’Église de Dieu. Et ceux qui nous gouvernent sagement, après avoir été ainsi contraints, gouvernent sous les ordres du grand Roi qui le leur impose, lui que nous croyons Logos Dieu, Fils de Dieu. Et choisis ou contraints, si les gouvernants dans l’Église gouvernent sagement la patrie selon Dieu, je veux dire l’Église, ils gouvernent selon les ordres de Dieu sans violer en rien pour cela les lois établies. LIVRE VIII