J’ose même dire que la défense que tu me demandes de composer peut affaiblir celle qui est dans les faits et la puissance de Jésus, manifeste à quiconque n’est pas stupide. Cependant, pour ne point paraître hésiter devant la tâche que tu m’as prescrite, j’ai fait de mon mieux pour répliquer à chacun des griefs écrits par Celse ce qui m’a paru propre à retourner ses discours, bien qu’ils soient incapables d’ébranler aucun fidèle. Puisse-t-il, du moins, ne se trouver personne qui, après avoir reçu cet amour infini de Dieu « dans le Christ Jésus », soit ébranlé dans sa détermination par les dires de Celse ou d’un de ses pareils ! Paul, dressant une liste des épreuves sans nombre qui d’ordinaire séparent l’homme de « l’amour du Christ » et de « l’amour de Dieu dans le Christ Jésus », toutes surmontées par l’amour de Dieu qui était en lui, n’a point rangé le discours parmi les causes de séparation. Note en effet qu’il commence par dire : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, la détresse, la persécution, la faim, la nudité, le péril, le glaive ? — selon le mot de l’Ecriture. A cause de toi l’on nous met à MORT tout le long du jour nous avons passe pour des brebis d’abattoir — Mais en tout cela nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimes » Ensuite, donnant une autre série de causes qui sont de nature à séparer (de cet amour) les gens d’une piété instable, il dit « Oui, j’en ai l’assurance, ni MORT ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur » PRÉFACE
Pour nous, c’est un juste titre de gloire que «la tribulation » et ce qu’énumère la suite ne nous séparent point , mais non pour Paul, ou les apôtres et quiconque leur ressemble il est si au-dessus de tels obstacles qu’il dit « En tout cela nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimes », indiquant plus qu’une simple victoire. Et si même les apôtres doivent se glorifier de n’être point sépares « de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur », ils peuvent se glorifier de ce que « ni MORT ni vie, ni anges ni principautés », ni quoi que ce soit du reste ne peut « les séparer de l’amour de Dieu dans le Christ-Jésus notre Seigneur ». Aussi je déplore qu’on puisse croire au Christ d’une foi susceptible d’être ébranlée par Celse, qui ne vit même plus la vie commune parmi les hommes, mais qui est MORT depuis longtemps, ou par quelque force persuasive du discours. Et je ne sais dans quelle catégorie il faut ranger celui qui a besoin de discours écrits dans des livres en réponse aux charges de Celse contre les chrétiens, pour ressaisir et remettre debout une foi qui chancelle. Néanmoins, comme il se trouve peut-être, dans la foule de ceux qui passent pour fidèles, des gens que pourrait ébranler et retourner l’ouvrage de Celse, mais que la réponse par des raisons capables de ruiner les propos de Celse et d’établir la vérité pourrait guérir, j’ai décidé d’obéir à ton ordre et de répondre au traité que tu m’as envoyé : bien que, à mon avis, nul de ceux qui ont fait le moindre progrès en philosophie n’y reconnaisse un véritable discours, comme l’a intitulé Celse. PRÉFACE
Il dit ensuite : En cachette les chrétiens pratiquent et enseignent ce qui leur plaît. Ils ont une bonne raison de le faire: ils écartent la peine de MORT suspendue sur leur tête. Et il compare ce risque aux risques courus pour la philosophie par un Socrate. Il eût pu ajouter : par un Pythagore et par d’autres philosophes. A quoi on peut répondre : dans le cas de Socrate, les Athéniens se repentirent aussitôt et ne lui gardèrent pas de ressentiment, pas plus que (d’autres) à Pythagore : du moins, les disciples de Pythagore ont établi pendant longtemps leurs écoles dans la partie de l’Italie appelée Grande Grèce. Mais dans le cas des chrétiens, le Sénat romain en ses assises, les empereurs contemporains, l’armée, le peuple, les parents des fidèles, en guerre contre le christianisme, l’auraient entravé et vaincu par la conspiration de tant de forces s’il n’eût, par la puissance divine, surpassé et surmonté l’opposition, jusqu’à vaincre le monde entier conjuré contre lui. LIVRE I
A cet égard celui qui, non content d’avoir la foi, considère ces questions avec la raison, dira les preuves qui lui sont venues à l’esprit et qu’il a découvertes par une recherche rigoureuse. N’est-il pas vrai qu’il y a plus de raison, puisque toutes les affaires humaines dépendent d’une foi, à croire en Dieu plus qu’en elles ? Qui donc navigue, se marie, procrée des enfants, jette des semences en terre, à moins de croire en d’heureux résultats, bien que le contraire puisse arriver aussi et arrive parfois ? Et pourtant la foi en des résultats heureux et conformes aux désirs donne à tous les hommes l’audace d’entreprises à l’issue incertaine et hasardeuse. Si donc l’espérance et la foi en un avenir heureux soutient la vie dans chaque entreprise à l’issue incertaine, comment cette foi ne sera-t-elle pas acceptée plus raisonnablement par celui qui a foi, au-dessus de la mer où l’on navigue, de la terre qu’on ensemence, de la femme qu’on épouse, et des autres affaires humaines, en Dieu qui a créé tout cela, et en Celui qui, avec une sublime élévation d’esprit et une grandeur d’âme divine, a osé présenter cette doctrine aux habitants de toute la terre, au prix de graves dangers et d’une MORT réputée infâme qu’il a endurés pour le salut des hommes ; et il a enseigné, à ceux qui se laissèrent dès le début persuader de se mettre au service de la doctrine, à oser, en dépit de tous les dangers et de l’imminence continuelle de la MORT, parcourir toute la terre pour le salut des hommes. LIVRE I
Il faut ajouter à la théorie des noms ce que rapportent les gens experts dans la pratique des incantations prononcer l’incantation dans son dialecte propre, c’est accomplir ce que l’incantation promet, traduire la même incantation dans n’importe quelle autre langue, c’est la voir sans vigueur et sans effet. Ainsi, ce ne sont pas les significations des choses que le nom désigne, mais les qualités et les propriétés des sons qui ont un certain pouvoir de faire ceci ou cela. Nous justifierons de même par des considérations de ce genre le fait que les chrétiens combattent jusqu’à la MORT pour éviter de donner à Dieu le nom de Zeus ou un nom d’un autre dialecte. Car ils confessent le nom ordinaire de Dieu ou bien sans qualification, ou bien avec l’addition : « le Créateur de l’univers, qui a fait le ciel et la terre, qui a envoyé au genre humain tels et tels sages » ; et lorsque le nom de Dieu est joint au nom de ces sages, il a un effet miraculeux parmi les hommes. LIVRE I
Qui donc, s’il ne parcourt d’un regard superficiel la nature des faits, ne serait frappé d’admiration devant cet homme qui a vaincu et qui a pu dépasser, par sa gloire, toutes les causes d’obscurité et tous les hommes glorieux de tous les temps ? En vérité, les hommes glorieux ont rarement été capables de s’acquérir la gloire à plusieurs titres en même temps. C’est, l’un pour sa sagesse, l’autre pour sa valeur militaire, certains barbares pour leur merveilleux pouvoir d’incantation, d’autres pour d’autres titres toujours en petit nombre, qu’ils ont à la fois suscité l’admiration et acquis la renommée. Mais lui, outre ses autres titres, est admiré à la fois pour sa sagesse, pour ses miracles et pour son autorité. Il n’a pas persuadé, comme un tyran, quelques hommes de se joindre à lui au mépris des lois, ni comme un brigand qui excite contre les gens les hommes de sa bande, ni comme un riche qui pourvoit aux besoins de ceux qui l’approchent, ni comme un de ceux qui sont l’objet d’un blâme unanime ; mais il a agi en maître de la doctrine du Dieu de l’univers, du culte à lui rendre et de toute la loi morale, doctrine capable d’unir familièrement au Dieu suprême quiconque y conforme sa vie. Et Thémistocle et les autres hommes glorieux n’ont rien rencontré pour offusquer leur gloire ; lui au contraire, outre les circonstances indiquées, trop capables de faire sombrer dans l’ignominie le caractère le plus noble, sa MORT apparemment infamante de crucifié était suffisante pour anéantir même sa gloire précédemment acquise ; et, dans la pensée de ceux qui n’adhèrent pas à son enseignement, elle devait amener les dupes qu’il aurait faites à se dégager de la duperie et à condamner celui qui les avait dupées. LIVRE I
Mais, nouveau motif d’étonnement : d’où vient que les disciples de Jésus, qui, au dire de ses détracteurs, ne l’auraient pas vu ressuscité des MORTs et n’auraient pas été convaincus qu’il était un être divin, n’ont pas craint d’endurer les mêmes souffrances que leur maître, d’affronter le danger, d’abandonner leurs patries pour enseigner, de par la volonté de Jésus, la doctrine qu’il leur avait transmise ? Car je ne pense pas qu’un examen judicieux des faits permette de dire que ces hommes se seraient voués à une existence précaire pour cet enseignement de Jésus, s’il n’avait produit en eux une conviction profonde en leur enseignant non seulement à vivre en conformité avec ses préceptes, mais encore à y disposer les autres, et cela, alors que la perte, concernant la vie humaine, est en perspective pour quiconque a l’audace de présenter partout et à tous des opinions nouvelles et de ne conserver son amitié à personne qui s’en tiendrait aux doctrines et aux moeurs anciennes. Est-ce donc que les disciples de Jésus ne virent pas ce péril, dans leur audace à prouver non seulement aux Juifs, d’après les paroles des prophètes, qu’il était Celui qu’elles prédisaient, mais encore aux autres peuples que Celui qui avait été si récemment mis en croix avait accepte de son plein gré cette MORT pour le salut du genre humain, comme ceux qui meurent pour leur patrie en vue d’arrêter épidémies de peste, stérilités du sol, risques de la mer ? Car il y a sans doute dans la nature des choses, pour des raisons mystérieuses et inaccessibles à la foule, cette disposition naturelle qu’un seul juste qui meurt volontairement pour le salut de la communauté détourne par son sacrifice les mauvais démons qui causent pestes, stérilités, risques et autres fléaux analogues. LIVRE I
Qu’ils répondent alors, ceux qui refusent de croire que Jésus est MORT sur la croix pour les hommes. Est-ce qu’ils rejetteront aussi les multiples histoires, grecques et barbares, de personnes MORTes pour le bien public, afin de détruire les maux qui s’étaient emparés des villes et des peuples ? Ou bien diront-ils ces faits réels, mais absolument invraisemblable la MORT de cet homme — ainsi le jugent-ils — pour la destruction du grand démon, prince des démons, qui avait asservi toutes les âmes humaines venues sur terre ? Mais les disciples de Jésus en sont témoins, ainsi que d’autres choses en plus grand nombre qu’ils ont probablement apprises de Jésus en secret, en outre, ils furent remplis d’une certaine puissance, lorsque leur donna « fougue et courage », non la vierge dont parle le poète, mais la véritable prudence et sagesse de Dieu, « pour qu’ils se distinguent entre tous », non seulement « les Argiens », mais tous les Grecs ensemble avec les barbares, et « remportent une noble gloire ». LIVRE I
C’est bien le moment, me semble-t-il, d’opposer aux paroles fictives du Juif la prophétie d’Isaïe que l’Emmanuel naîtrait d’une vierge. Celse ne l’a pas citée, soit qu’il l’ignorât, lui qui proclame tout savoir, soit qu’il l’ait lue mais volontairement passée sous silence pour ne point sembler établir malgré lui la doctrine contraire à son propos. Voici le passage : « Et le Seigneur s’adressa de nouveau à Achaz et lui dit : Demande pour toi au Seigneur ton Dieu un signe dans la profondeur ou sur la hauteur. Achaz répondit : Non, je ne demanderai pas, je ne mettrai pas le Seigneur au défi. Ecoutez donc, maison de David : ne vous suffit-il pas de contrarier les hommes, que vous veniez à contrarier le Seigneur ? C’est donc le Seigneur lui-même qui va vous donner un signe. Voici : la vierge va concevoir et enfanter un fils qu’elle appellera du nom d’Emmanuel », nom qui se traduit : « Dieu avec nous. » Mais c’est par déloyauté que Celse n’a pas cité la prophétie : la preuve en est qu’il a mentionné plusieurs passages de l’Evangile selon Matthieu, comme “l’astre qui s’est levé à la naissance de Jésus”, et d’autres miracles, mais n’a pas fait la moindre allusion à celui-là. Et si un Juif veut chicaner sur l’expression et prétend que la leçon n’est pas : «Voici : la Vierge…», mais «Voici : la jeune fille…», je lui répliquerai : le terme « Aalma » que les Septante ont traduit par « la vierge », et d’autres par « la jeune fille », se trouve encore, ils l’avouent, dans le Deutéronome, et à propos d’une vierge. Le voici : « Si une jeune vierge est fiancée à un homme, et qu’un autre la rencontre dans la ville et couche avec elle, vous les conduirez tous deux à la porte de cette ville et vous les lapiderez jusqu’à ce que MORT s’ensuive : la jeune fille, pour ce motif qu’elle n’a pas appelé au secours dans la ville, et l’homme, pour ce motif qu’il a humilié la femme de son prochain. » Et ensuite : « Mais si c’est dans la campagne que l’homme a rencontré la jeune fille fiancée, qu’il l’a violentée et a couché avec elle, tuez l’homme qui a couché avec elle et lui seul ; vous ne ferez rien à la jeune fille, il n’y a pas pour elle de faute digne de MORT. » (Deut. 22, 25) LIVRE I
Je voudrais dire à Celse quand il met en scène un Juif admettant d’une certaine manière Jean comme un baptiste baptisant Jésus l’existence de Jean-Baptiste qui baptisait pour la rémission des pèches est relatée par un de ceux qui ont vécu peu après Jean et Jésus. Dans le dix-huitième livre de “l’Antiquité des Juifs”, en effet, Josèphe a témoigne que Jean baptisait en promettant la purification aux baptisés. Et le même auteur, bien que ne croyant pas que Jésus fût le Christ, cherche la cause de la chute de Jérusalem et de la ruine du temple. Il aurait dû dire que l’attentat contre Jésus avait été la cause de ces malheurs pour le peuple, parce qu’on avait mis à MORT le Christ annoncé par les prophètes. Mais, comme malgré lui, il n’est pas loin de la vérité quand il affirme que ces catastrophes arrivèrent aux Juifs pour venger Jacques le Juste, frère de Jésus appelé le Christ, parce qu’ils l’avaient tué en dépit de son éclatante justice. Ce Jacques, Paul le véritable disciple de Jésus dit l’avoir vu, et il l’appelle « frère du Seigneur », moins pour leur parente de sang ou leur éducation commune que pour ses moeurs et sa doctrine. Si donc Josèphe dit que les malheurs de la dévastation de Jérusalem sont arrivés aux Juifs à cause de Jacques, combien n’eut-il pas été plus raisonnable d’affirmer qu’ils survinrent à cause de Jésus-Christ , lui dont la divinité est attestée par tant d’églises, composées d’hommes qui se sont détournes du débordement des vices, attachés au Créateur et qui rapportent tout a son bon plaisir LIVRE I
L’amour de la dispute et la prévention laissent difficilement regarder en face même les choses évidentes, de peur qu’il faille abandonner des doctrines qui ont imprégné ceux à qui elles sont devenues une sorte d’habitude et dont elles ont façonné l’âme. Il est encore plus aisé en d’autres domaines d’abandonner ses habitudes, même invétérées, qu’en matière de doctrines. Du reste, celles-là aussi, les habitués les négligent malaisément : ainsi abandonner maisons, villes, villages, compagnons habituels, n’est pas aisé à qui est prévenu en leur faveur. Ce fut donc la raison pour laquelle bien des Juifs de l’époque ne purent regarder en face dans leur évidence les prophéties et les miracles, ce que Jésus a fait et a souffert d’après l’Écriture. Que la nature humaine soit affligée de ce travers sera manifeste si l’on réfléchit à la difficulté qu’on éprouve à changer d’avis une fois prévenu, fût-ce en faveur des plus honteuses et des plus futiles traditions des ancêtres et des concitoyens. Il sera long par exemple d’inspirer à un Egyptien le mépris d’une de ses traditions ancestrales, de cesser de croire à la divinité de tel animal sans raison ou de se garder jusqu’à la MORT de goûter à sa chair. Si j’ai longuement examiné ce point et détaillé l’exposé du cas de Bethléem et la prophétie qui s’y rapporte, c’est que je pensais nécessaire de le faire pour répondre à l’objection : si telle était l’évidence des prophéties juives sur Jésus, pourquoi, à sa venue, n’a-t-on pas adhéré à son enseignement et ne s’est-on pas converti aux doctrines supérieures qu’il révélait ? Mais qu’on évite de faire pareil reproche à ceux d’entre nous qui croient, à la vue des raisons sérieuses de croire en Jésus présentées par ceux qui ont appris à les mettre en valeur. LIVRE I
Puisque cet homme, prétendant tout savoir de l’Écriture, reproche au Sauveur de n’avoir dans sa passion ni été secouru par son Père, ni pu se porter secours à lui-même, il faut établir que cette passion avait été prophétisée avec sa raison d’être : il était avantageux aux hommes qu’il mourût pour eux et subît les meurtrissures dues à sa condamnation. Il avait été prédit que même les peuples des Gentils, bien que les prophètes n’aient pas vécu chez eux, le reconnaîtraient, et annoncé qu’on le verrait offrir aux yeux des hommes une apparence misérable. Le passage est le suivant : « Voici que mon Serviteur sera plein d’intelligence, de grandeur et d’exaltation souveraine. Autant, à ta vue, la multitude sera stupéfaite, tellement ta forme sera sans gloire parmi les hommes et ta gloire leur sera inconnue, autant des multitudes de peuples t’admireront et des rois resteront bouche close : car ceux qui n’ont pas reçu de message à ton sujet te verront, ceux qui n’ont pas entendu d’annonce te connaîtront. Seigneur, qui a cru en nous entendant parler, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été dévoilé ? Nous l’avions annoncé comme un enfant devant sa face, comme une racine en terre desséchée ; il était sans forme et sans éclat. Nous l’avons vu, et il n’avait ni forme ni beauté, mais sa forme était objet de mépris et rebut de l’humanité ; c’était un homme dans la calamité, sachant supporter la faiblesse, et parce qu’il avait détourné la face, méprisé et déconsidéré. C’est lui qui porte nos péchés et endure pour nous les douleurs, et nous, nous le considérions comme affligé, frappé, maltraité. Mais il a été blessé à cause de nos péchés, affaibli à cause de nos iniquités ; le châtiment qui nous rend la paix était sur lui, par ses meurtrissures, nous avons été guéris. Tous, nous errions comme des brebis, chaque homme dans sa voie particulière ; et le Seigneur l’a livré pour nos péchés, et lui, maltraité, n’ouvre pas la bouche. Comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant celui qui la tond, ainsi n’ouvre-t-il pas la bouche. Dans son humiliation, son jugement s’est élevé. Mais qui décrira sa génération ? Car sa vie est ôtée de la terre, par les iniquités de son peuple il a été conduit à la MORT. » LIVRE I
Je me rappelle avoir un jour, dans un débat avec des hommes réputés savants chez les Juifs, cité ces prophéties. A quoi le Juif répliqua que ces prédictions visaient comme un individu l’ensemble du peuple, dispersé et frappé pour que beaucoup de prosélytes fussent gagnés à l’occasion de la dispersion des Juifs parmi les autres peuples. Ainsi interprétait-il les mots : « Ta forme sera méprisée par les hommes », « ceux qui n’avaient pas reçu de message sur lui verront », « homme dans la calamité ». J’amenais donc alors plusieurs arguments dans le débat, pour prouver qu’on n’a aucune raison d’appliquer à l’ensemble du peuple ces prophéties qui visent un seul individu. Je demandais à quel personnage attribuer la parole : « C’est lui qui porte nos péchés et endure pour nous les douleurs », « Il a été blessé à cause de nos péchés, affaibli à cause de nos iniquités » ; et à quel personnage attribuer la parole : « Par ses meurtrissures nous avons été guéris ». Ce sont manifestement des paroles de ceux qui ont vécu dans leurs péchés et ont été guéris par la passion du Sauveur, qu’ils fassent partie de ce peuple ou des Gentils : le prophète les avait prévues et les leur avait attribuées par l’action du Saint-Esprit. Mais j’ai paru élever la plus grande difficulté avec le texte : « Par les iniquités de mon peuple il a été conduit à la MORT. » Car si l’objet de la prophétie, selon eux, est le peuple, comment dit-on qu’il est conduit à la MORT « par les iniquités du peuple » de Dieu, s’il n’est autre que le peuple de Dieu ? Qui est-ce donc sinon Jésus-Christ par les meurtrissures de qui nous avons été guéris, nous qui croyons en lui, lorsqu’il a dépouillé les principautés et les puissances, faisant d’elles l’objet de la dérision publique sur la croix ? Mais développer chacun des points contenus dans la prophétie et n’en laisser aucun sans examen est pour une autre circonstance. Voilà des considérations assez longues, nécessitées, je pense, par le passage que j’ai cité du Juif de Celse. LIVRE I
Son Juif déclare encore au Sauveur : ” Si tu dis que tout homme né conformément à la divine Providence est fils de Dieu, en quoi l’emporterais-tu sur un autre ?” A quoi je répondrai : tout homme qui, selon le mot de Paul, n’est plus mené par la crainte, mais embrasse la vertu pour elle-même, est fils de Dieu. Mais le Christ l’emporte du tout au tout sur quiconque reçoit pour sa vertu le titre de fils de Dieu, puisqu’il en est comme la source et le principe. Voici le passage de Paul : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! » Mais, dit le Juif de Celse, ” d’autres par milliers réfuteront Jésus en affirmant qu’à eux-mêmes s’applique ce qui est prophétisé de lui.” En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu. Mais puisque j’examine loyalement les objections comme elles se présentent, je dirai : un certain Theudas naquit en Judée avant la naissance de Jésus, qui se déclara « un grand personnage » ; à sa MORT, ceux qu’il avait abusés se dispersèrent. Après lui, « aux jours du recensement », vers le temps, semble-t-il, où Jésus est né, un certain Judas Galiléen s’attira de nombreux partisans dans le peuple juif, se présentant comme sage et novateur. Après qu’il fut châtié lui aussi, son enseignement s’éteignit, n’ayant quelque survivance que chez un tout petit nombre de personnes insignifiantes. Et après le temps de Jésus, Dosithée de Samarie voulut persuader les Samaritains qu’il était le Christ en personne prédit par Moïse, et parut, par son enseignement, avoir conquis quelques adhérents. Mais la remarque pleine de sagesse de Gamaliel, rapportée dans les Actes des Apôtres, peut être raisonnablement citée pour montrer que ces hommes n’avaient rien à voir avec la promesse, n’étant ni fils ni puissances de Dieu, tandis que le Christ Jésus était véritablement Fils de Dieu. Or Gamaliel y dit : « Si c’est là une entreprise et une doctrine qui vient des hommes, elle se détruira d’elle-même », comme s’est évanouie celle de ces gens-là quand ils moururent, « mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez faire disparaître l’enseignement de cet homme : ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne. Car là où il est cité, il l’est d’après les Actes des Apôtres ; ce sont des chrétiens qui font mention de lui, et l’évidence a prouvé que Simon n’était nullement divin. LIVRE I
Il n’est pas étonnant qu’Hérode ait tramé un complot contre le nouveau-né, même si le Juif de Celse refuse de le croire : la méchanceté est aveugle et voudrait, comme si elle était plus forte que lui, vaincre le destin. Dans ce sentiment, Hérode crut bien à la naissance du roi des Juifs, mais il prit une décision en désaccord avec cette croyance, sans avoir vu le dilemme : ou effectivement il était roi et il régnerait, ou il ne régnerait pas et vouloir sa MORT était mutile. Il désira donc le mettre à MORT, ayant à cause de sa méchanceté des jugements discordants, poussé par le diable aveugle et méchant qui, dès l’origine, conspirait contre le Sauveur, et présageant que Celui-ci était et deviendrait quelqu’un de grand. Cependant un ange, qui, bien que Celse refuse de le croire, veillait à la suite des événements, avertit Joseph de partir en Egypte avec l’enfant et sa mère ; mais Hérode fit tuer tous les enfants de Bethléem et des alentours, dans l’espoir de supprimer le roi des Juifs qui venait de naître. C’est qu’il ne voyait pas la Puissance toujours vigilante à protéger ceux qui méritent d’être gardés avec soin pour le salut de l’humanité. Au premier rang, supérieur à tous en honneur et en excellence, se trouvait Jésus : il serait roi, non pas au sens où l’entendait Hérode, mais où il convenait que Dieu lui conférât la royauté, pour le bienfait de ceux qui seraient sous sa loi : à lui qui allait non point accorder à ses sujets un bienfait ordinaire et pour ainsi dire indifférent, mais les former et les soumettre à des lois qui sont vraiment celles de Dieu. Cela aussi, Jésus le savait : il nia être roi au sens reçu par la multitude, et enseigna l’excellence de sa royauté personnelle en ces mots : « Si ma royauté était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais en fait, elle n’est pas de ce monde, ma royauté ». » Si Celse l’avait vu, il n’aurait pas dit : ” Si c’était de peur que, devenu grand, tu ne règnes à sa place, pourquoi, maintenant que te voilà grandi, ne règnes-tu pas, toi le Fils de Dieu, au lieu de mendier si lâchement, courbant l’échine de crainte, et te consumant par monts et par vaux ?” Mais il n’y a pas de lâcheté à éviter prudemment de s’exposer aux dangers, non par crainte de la MORT, mais pour secourir utilement les autres en continuant à vivre, jusqu’à ce que vienne le temps opportun pour que Celui qui avait pris une nature humaine meure d’une MORT d’homme, utile aux hommes ; c’est une évidence pour qui a compris que Jésus est MORT pour le salut des hommes, comme je l’ai dit précédemment de mon mieux. LIVRE I
Je rétorque : un examen sensé et judicieux de la conduite des apôtres de Jésus montre que par la puissance divine ils enseignaient le christianisme et réussissaient à soumettre les hommes à la parole de Dieu. Ils ne possédaient ni éloquence naturelle ni ordonnance de leur message selon les procèdes dialectiques et rhétoriques des Grecs, qui entraînent les auditeurs. Mais il me semble que si Jésus avait choisi des hommes savants au regard de l’opinion publique, capables de saisir et d’exprimer des idées chères aux foules, pour en faire les ministres de son enseignement, il eût très justement prête au soupçon d’avoir prêche suivant une méthode semblable à celle des philosophes chefs d’école, et le caractère divin de sa doctrine n’aurait plus paru dans toute son évidence. Sa doctrine et sa prédication auraient consisté en discours persuasifs de la sagesse avec le style et la composition littéraire. Notre foi, pareille à celle qu’on accorde aux doctrines des philosophes de ce monde, reposerait sur « la sagesse des hommes » et non sur « la puissance de Dieu ». Mais à voir des pêcheurs et des publicains sans même les premiers rudiments des lettres — selon la présentation qu’en donne l’Évangile, et Celse les croit véridiques sur leur manque de culture —, assez enhardis non seulement pour traiter avec les Juifs de la foi en Jésus-Christ, mais encore pour le prêcher au reste du monde et y réussir, comment ne pas chercher l’origine de leur puissance de persuasion ? Car ce n’était pas celle qu’attendent les foules. Et qui n’avouerait que sa parole : « Venez à ma suite, je vous ferai pêcheurs d’hommes », Jésus l’ait réalisée par une puissance divine dans ses apôtres. Paul aussi, je l’ai dit plus haut, la propose en ces termes : « Ma doctrine et ma prédication ne consistaient pas en des discours persuasifs de la sagesse, mais dans une démonstration de l’Esprit et de la puissance, pour que notre foi reposât, non point sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » Car, selon ce qui est dit dans les prophètes quand ils annoncent avec leur connaissance anticipée la prédication de l’Évangile, « le Seigneur donnera sa parole aux messagers avec une grande puissance, le roi des armées du bien-aimé », pour que soit accomplie cette prophétie : « afin que sa parole courre avec rapidité ». Et nous voyons, de fait, que « la voix » des apôtres de Jésus « est parvenue à toute la terre, et leurs paroles, aux limites du monde ». Voilà pourquoi sont remplis de puissance ceux qui écoutent la parole de Dieu annoncée avec puissance, et ils la manifestent par leur disposition d’âme, leur conduite et leur lutte jusqu’à la MORT pour la vérité. Mais il y a des gens à l’âme vide, même s’ils font profession de croire en Dieu par Jésus-Christ ; n’étant pas sous l’influence de la puissance divine, ils n’adhèrent qu’en apparence à la parole de Dieu. LIVRE I
Celse a traité les apôtres de Jésus d’hommes décriés, en les disant « publicains et mariniers fort misérables ». Là encore je dirai : il semble tantôt croire à son gré aux Écritures, pour critiquer le christianisme, et tantôt, pour ne pas admettre la divinité manifestement annoncée dans les mêmes livres, ne plus croire aux Evangiles. Il aurait fallu, en voyant la sincérité des écrivains à leur manière de raconter ce qui est désavantageux, les croire aussi en ce qui est divin. Il est bien écrit, dans l’épître catholique de Barnabé, dont Celse s’est peut-être inspiré pour dire que les apôtres de Jésus étaient des hommes décriés et fort misérables, que « Jésus s’est choisi ses propres apôtres, des hommes qui étaient coupables des pires péchés ». Et, dans l’Évangile selon Luc, Pierre dit à Jésus : « Seigneur, éloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. » De plus, Paul déclare dans l’épître à Timothée, lui qui était devenu sur le tard apôtre de Jésus : « Elle est digne de foi la parole : Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je tiens moi, le premier rang. » Mais je ne sais comment Celse a oublié ou négligé de mentionner Paul fondateur, après Jésus, des églises chrétiennes. Sans doute voyait-il qu’il lui faudrait, en parlant de Paul, rendre compte du fait que, après avoir persécuté l’Église de Dieu et cruellement combattu les croyants jusqu’à vouloir livrer à la MORT les disciples de Jésus, il avait été ensuite assez profondément converti pour « achever la prédication de l’Évangile du Christ, depuis Jérusalem jusqu’en Illyrie », tout en « mettant son point d’honneur de prédicateur de l’Évangile », pour éviter de « bâtir sur les fondations posées par autrui », à ne prêcher que là où n’avait pas du tout été annoncée la bonne nouvelle de Dieu réalisée dans le Christ. Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que Jésus, dans le dessein de montrer au genre humain quelle puissance il possède de guérir les âmes, ait choisi des hommes décriés et fort misérables, et les ait fait progresser jusqu’à devenir l’exemple de la vertu la plus pure pour ceux qu’ils amènent à l’évangile du Christ ? LIVRE I
A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la MORT ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a MORT. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de MORT. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la MORT de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I
Après cela, Celse confond le christianisme avec les dires de certaine secte, comme si les chrétiens les partageaient, et il adresse ses accusations à tous ceux qui croient à la divine parole : “Le corps d’un Dieu ne saurait être comme le tien”. Je répondrai : à sa venue à l’existence, Jésus prit un corps tel qu’il vient de la femme, humain et sujet à la MORT humaine. LIVRE I
Qu’est-ce donc que Jésus « a promis » et n’a pas accompli ? Que Celse l’établisse et le prouve ! Mais il en sera bien incapable : pour la raison majeure qu’il croit tirer ses arguments contre Jésus et contre nous soit d’histoires mal comprises, soit même de lectures évangéliques, soit de récits juifs. De plus, puisque le Juif répète : « Nous l’avons convaincu, condamné, jugé digne du supplice », qu’on nous montre comment ceux qui cherchaient à établir de faux témoignages contre lui l’ont convaincu ! A moins peut-être que la grande charge contre Jésus ne fût cette déposition des accusateurs : « Cet homme a affirmé : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours » ? Mais « il parlait du temple de son corps ». Tandis qu’ils croyaient, ne sachant l’interpréter au sens de son auteur, que le propos concernait le temple de pierre, plus honoré chez les Juifs que Celui qu’il aurait fallu honorer comme le véritable temple du Dieu Logos, de la Sagesse, de la Vérité. Et que l’on dise comment Jésus « s’est caché et a fui de la manière la plus honteuse » ! Qu’on y montre une conduite digne de blâme ! Il affirme encore qu’« il fut pris ». Je pourrais répliquer : si « être pris » implique que c’était contre son gré, Jésus ne fut pas pris. De lui-même, au moment voulu, il ne s’est pas gardé de tomber aux mains des hommes, comme « Agneau de Dieu », afin « d’ôter le péché du monde ». « Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! C’est moi ! leur dit-il. Judas, qui le livrait se tenait là avec eux. Quand Jésus leur eut dit : C’est moi ! ils reculèrent et tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-là. » De plus, à celui qui, voulant le secourir, frappa le serviteur du grand-prêtre et lui coupa l’oreille, il dit : « Remets ton glaive au fourreau ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Comment alors s’accompliraient les Écritures, d’après lesquelles il devait en être ainsi ? » Fiction des évangélistes que tout cela, croira-t-on ? Pourquoi la fiction ne serait-elle pas plutôt dans les paroles inspirées par l’hostilité et la haine contre le Christ et les chrétiens, et la vérité, dans le témoignage de ceux qui ont prouvé la sincérité de leur attachement à Jésus en supportant pour ses paroles toutes sortes de peines ? Les disciples de Jésus auraient-ils reçu une telle patience et constance à résister jusqu’à la MORT, s’ils avaient été disposés à des inventions mensongères au sujet de leur maître ?… Qu’ils aient été convaincus de la vérité de ce qu’ils ont écrit ressort, avec une évidence manifeste pour tout bon esprit, des cruelles et multiples souffrances qu’ils ont supportées pour celui qu’ils croyaient être Fils de Dieu. LIVRE II
A l’objection qu’on fera : les Samaritains aussi sont persécutés pour leur religion, voici la réponse : les Sicaires sont mis à MORT pour la circoncision regardée comme une mutilation contraire aux lois établies et permise aux seuls Juifs. Il n’arrive jamais qu’on entende un juge donner le choix, au Sicaire qui lutte pour mener une vie conforme à ce qu’il tient pour sa religion, entre la libération s’il change et, s’il persévère, la peine de MORT : mais il suffit qu’on découvre sa circoncision pour qu’on mette à MORT le circoncis. Suivant les paroles de leur Sauveur : « Vous serez traînés devant des gouverneurs et des rois à cause de moi », c’est aux seuls chrétiens que les juges laissent jusqu’au dernier soupir pleine liberté de renier le christianisme, d’offrir des sacrifices suivant les usages communs et après ce serment de demeurer chez eux pour y vivre sans danger. LIVRE II
Que le Juif de Celse, qui ne croit pas que Jésus ait prévu tout ce qui allait arriver, considère de quelle manière, alors que Jérusalem était encore debout et centre du culte de toute la Judée, Jésus a prédit ce que lui feraient subir les Romains. On ne dira certes pas que les familiers et les auditeurs de Jésus lui-même aient transmis sans l’écrire l’enseignement des Evangiles et laissé leurs disciples sans souvenirs écrits sur Jésus. Or il y est écrit : « Mais quand vous verrez Jérusalem investie par les armées, sachez alors que la dévastation est proche. » Il n’y avait alors aucune armée autour de Jérusalem pour l’encercler, la bloquer, l’assiéger. Le siège n’a commencé que sous le règne de Néron et a duré jusqu’au gouvernement de Vespasien, dont le fils, Titus, détruisit Jérusalem ; ce fut, d’après ce qu’écrit Josèphe, à cause de Jacques le Juste, frère de Jésus nommé le Christ, mais, comme la vérité le montre, à cause de Jésus le Christ de Dieu. Celse aurait pu, du reste, même en acceptant ou en concédant que Jésus a connu d’avance ce qui lui arriverait, faire semblant de mépriser ces prédictions, comme il l’avait fait pour les miracles, et les attribuer à la sorcellerie ; il aurait même pu dire que beaucoup ont connu ce qui leur arriverait, par des oracles tirés des augures, des auspices, des sacrifices, des horoscopes. Mais il n’a pas voulu faire cette concession, la jugeant trop importante, et, tout en ayant accepté d’une certaine façon la réalité des miracles, il semble l’avoir décriée sous prétexte de sorcellerie. Cependant Phlégon, dans le treizième ou le quatorzième livre de ses “Chroniques”, je crois, a reconnu au Christ la prescience de certains événements futurs, bien qu’il ait confondu le cas de Jésus et le cas de Pierre, et il atteste que ses prédictions se réalisèrent. Il n’en prouve pas moins comme malgré lui, par cette concession sur la prescience de Jésus, que la parole, chez les Pères de nos croyances, n’était pas dénuée de puissance divine. Celse dit : “Les disciples de Jésus, ne pouvant rien dissimuler d’un fait notoire, s’avisèrent de dire qu’il a tout su d’avance”. Il n’avait pas remarqué, ou n’a pas voulu remarquer la sincérité des écrivains : ils ont avoué en effet que Jésus avait encore prédit aux disciples : « Vous serez tous scandalisés cette nuit », qu’effectivement ils furent scandalisés ; et qu’il a aussi prophétisé à Pierre : « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois », et que Pierre l’a renié trois fois. S’ils n’avaient pas été aussi sincères, mais, comme le croit Celse, s’ils avaient écrit des fictions, ils n’auraient pas mentionné le reniement de Pierre et le scandale des disciples. Qui donc alors, même s’ils ont eu lieu, aurait fait un grief à l’Évangile de ces événements ? Ils ne devaient normalement pas être mentionnés par des auteurs qui voulaient enseigner aux lecteurs des Evangiles à mépriser la MORT pour professer le christianisme. Mais non : voyant que l’Évangile vaincrait les hommes par sa puissance, ils ont inséré même des faits de ce genre qui, je ne sais comment, ne troubleront pas les lecteurs et ne fourniront pas de prétexte au reniement. LIVRE II
Il ajoute cette remarque tout à fait sotte : “Les disciples ont écrit cela de Jésus pour affaiblir les charges qui pesaient sur lui. C’est comme si, pour dire qu’un homme est juste, on montrait qu’il a commis des injustices; pour dire qu’il est saint, on montrait qu’il tue; pour dire qu’il est imMORTel, on montrait qu’il est MORT, ajoutant à tout cela qu’il l’avait prédit”. Son exemple est évidemment hors de propos : il n’y a rien d’absurde à ce que Celui qui allait être parmi les hommes l’idéal de la manière dont on doit vivre, ait entrepris de donner l’exemple de la manière dont on doit mourir pour la religion ; sans compter le bien qu’a tiré l’univers de sa MORT pour les hommes, comme je l’ai montré dans le livre précédent. Il croit ensuite que l’aveu sans ambages de la passion, loin de la détruire, renforce l’accusation : il ignorait à son sujet toutes les réflexions philosophiques de Paul, et les prédictions des prophètes Et il lui a échappé qu’un des hérétiques a dit que Jésus a enduré ces souffrances en apparence, non en réalité. S’il l’avait connu, il n’aurait pas dit ” Car vous n’alléguez même pas qu’il semblait bien, aux yeux de ces impies, endurer ces souffrances, mais qu’il ne les endurait pas vraiment vous avouez bonnement qu’il souffrait “. Mais nous, nous ne substituons pas l’apparence a la réalité de sa souffrance, pour que sa résurrection non plus ne soit pas un mensonge, mais une réalité. Car celui qui est réellement MORT, s’il ressuscite, ressuscite réellement, mais celui qui ne meurt qu’en apparence ne ressuscite pas réellement. LIVRE II
Puisque le récit de la résurrection est pour des incroyants un objet de raillerie, je citerai Platon Er, fils d’Armenios, raconte-t-il, après douze jours, s’est relevé de son bûcher et a raconté ses aventures chez Hades. Et, à l’adresse d’incroyants, le récit de la femme privée de respiration chez Heraclide ne sera pas non plus, ici, sans utilité. On raconte encore que beaucoup sont sortis de leurs tombeaux, non seulement le jour même, mais aussi le lendemain. Qu’y a-t-il donc d’étonnant que l’auteur de tant de prodiges à caractère surhumain, et si évidents que ceux qui ne peuvent en nier la réalité les déprécient en les assimilant à des actes de sorcellerie, ait eu jusque dans sa MORT quelque chose d’extraordinaire, au point que son âme soit sortie librement de son corps, et après l’accomplissement de certains ministères hors de lui, y soit revenue quand elle l’a voulu ? Or il est écrit chez Jean que Jésus prononça cette parole : « Personne ne m’ôte la vie, mais c’est moi qui la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, et j’ai le pouvoir de la reprendre. » Et peut-être la raison de sa hâte à sortir de son corps était-elle de le conserver intact et d’éviter que ses jambes ne fussent brisées comme celles des brigands crucifiés avec lui : « Car les soldats brisèrent les jambes du premier, puis du second qui avaient été crucifiés avec lui, mais, arrivés à Jésus, et voyant qu’il avait expiré, ils ne lui brisèrent pas les jambes. » LIVRE II
J’ai ainsi répondu à l’objection : ” Comment donc est-il croyable qu’il l’ait prédit ? ” Quant à cette autre : “Comment un MORT est-il imMORTel ? ” apprenne qui voudra que ce n’est pas le MORT qui est imMORTel, mais le ressuscité des MORTs. Non seulement donc le MORT n’était pas imMORTel, mais Jésus lui-même, qui était un être composé, avant sa MORT n’était pas imMORTel. Nul homme destiné à mourir n’est imMORTel ; il est imMORTel quand il ne doit plus mourir. « Le Christ ressuscité des MORTs ne meurt plus ; sur lui la MORT n’a plus d’empire », quoi que veuillent les gens incapables de comprendre le sens de ces paroles. Voici une autre rare insanité : ” Quel dieu, quel démon, quel homme sensé, prévoyant que de tels malheurs lui arriveraient, ne les auraient pas évités, s’il en avait eu le moyen, au lieu de donner tête baissée dans les dangers prévus ?” Socrate, en tout cas, savait que s’il buvait la ciguë, il mourrait, et il avait le moyen, s’il avait obéi à Criton, de s’évader de la prison et de ne rien souffrir de tout cela. Mais il décida, suivant ce qui lui semblait raisonnable, qu’il valait mieux pour lui mourir en philosophe que mener une vie indigne de sa philosophie. De plus, Léonidas, stratège de Lacédémone, sachant qu’il allait bientôt mourir avec ceux qui l’accompagnaient aux Thermopyles, ne se soucia pas de vivre dans la honte, mais il dit à son entourage : « Déjeunons en hommes qui vont souper aux Enfers. » Ceux qui ont le goût de collectionner de pareils récits en trouveront beaucoup d’autres. Quoi d’étonnant dès lors que Jésus, tout en sachant les malheurs qui lui arriveraient, ne les ait pas évités, mais se soit exposé aux dangers même prévus ? Et lorsque Paul, son disciple, eut appris les malheurs qui lui arriveraient dans sa montée à Jérusalem, il alla au-devant des dangers, et blâma ceux qui pleuraient sur lui et voulaient l’empêcher de monter à Jérusalem. Et combien de nos contemporains, sachant que la confession de leur christianisme entraînerait leur MORT, et l’apostasie, leur libération et le recouvrement de leurs biens, ont méprisé la vie et volontairement choisi la MORT pour leur religion ! Vient ensuite une autre niaiserie du Juif de Celse : ” Puisqu’il a prédit qui le trahirait et qui le renierait, comment ne l’ont-ils pas craint comme Dieu, renonçant l’un à trahir, l’autre à renier ? ” Il n’a même pas vu, le docte Celse, qu’il y avait là une contradiction. Si Jésus a eu la prescience divine et que cette prescience n’ait pu être erronée, il était impossible que l’homme connu comme futur traître ne trahît point, et l’homme déclaré futur renégat, ne reniât point. Si au contraire il eût été possible que l’un ne trahît point et l’autre ne reniât point, en sorte qu’il n’y eût pas de trahison ni de reniement en ceux qui en avaient été prévenus d’avance, alors Jésus n’aurait plus été dans le vrai en disant : celui-ci trahira, cet autre reniera. En effet, s’il a su d’avance qui le trahirait, il a vu la malice d’où proviendrait la trahison et qui n’était nullement détruite par sa prescience. De même, s’il a compris qui le renierait, c’est en voyant la faiblesse d’où viendrait le reniement qu’il a prédit qu’il renierait, et cette faiblesse n’allait pas non plus être d’emblée détruite par sa prescience. Mais d’où tire-t-il ceci : ” Eux, pourtant, l’ont trahi et renié sans se soucier de lui ? ” Car on a déjà montré, à propos du traître, qu’il est faux de dire qu’il ait trahi son maître sans se soucier de lui le moins du monde ; et il n’est pas moins facile de le montrer aussi du renégat qui, après son reniement, « sortit dehors et pleura amèrement ». LIVRE II
Après cela, il dit : ” S’il avait pris cette décision, et si c’est par obéissance à son Père qu’il a été puni, il est évident que, puisqu’il était Dieu et qu’il le voulait, les traitements spontanément voulus pouvaient ne lui causer ni douleurs ni peines “. Et il n’a même pas vu la contradiction où il s’empêtre ! Car s’il accorde que Jésus a été puni parce qu’il en avait pris la décision, et qu’il s’est livré par obéissance à son Père, il est clair que Jésus a été puni et qu’il lui était impossible d’éviter les douleurs que lui infligent les bourreaux ; car la douleur échappe au contrôle de la volonté. Si au contraire, puisqu’il le voulait, les traitements ne pouvaient lui causer ni douleurs ni peines, comment Celse a-t-il accordé qu’il a été puni ? C’est qu’il n’a pas vu que Jésus, ayant une fois pris un corps par sa naissance, il l’a pris exposé aux souffrances et aux peines qui arrivent aux corps, si par peine on entend ce qui échappe à la volonté. Donc, de même qu’il l’a voulu et qu’il a pris un corps dont la nature n’est pas du tout différente de la chair des hommes, ainsi avec ce corps il a pris les douleurs et les peines ; et il n’était pas maître de ne pas les éprouver, cela dépendait des hommes disposés à lui infliger ces douleurs et ces peines. J’ai déjà expliqué plus haut que s’il n’avait pas voulu tomber entre les mains des hommes, il ne serait pas venu. Mais il est venu parce qu’il le voulait pour la raison déjà expliquée : le bien que retirerait tout le genre humain de sa MORT pour les hommes. Ensuite il veut prouver que ce qui lui arrivait lui causait douleurs et peines, et qu’il lui était impossible, l’eut-il voulu, d’empêcher qu’il en fût ainsi, et il dit : ” Pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il, pour échapper à la crainte de la MORT, cette sorte de prière : «Père, si ce calice pouvait s’éloigner»? ” En ce point encore, vois la déloyauté de Celse. Il refuse d’admettre la sincérité des évangélistes, qui auraient pu taire ce qui, dans la pensée de Celse, est motif d’accusation, mais ne l’ont pas fait pour bien des raisons que pourra donner opportunément l’exégèse de l’Évangile ; et il accuse le texte évangélique au moyen d’exagérations emphatiques et de citations controuvées. On n’y rencontre pas que Jésus exhale des gémissements. Il altère le texte original : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne. » Et il ne cite pas, au delà, la manifestation immédiate de sa piété envers son Père et de sa grandeur d’âme, qui est ensuite notée en ces termes : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Et même la docilité de Jésus à la volonté de son Père dans les souffrances auxquelles il était condamné, manifestée dans la parole , « Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » il affecte ne de pas l’avoir lue. Il partage l’attitude des impies qui entendent les divines Écritures avec perfidie et « profèrent des impiétés contre le ciel » Ces gens semblent bien avoir entendu l’expression « Je ferai mourir », et ils nous en font souvent un reproche , ils ne se souviennent plus de l’expression « Je ferai vivre » Mais le passage tout entier montre que ceux dont la vie est ouvertement mauvaise et la conduite vicieuse sont mis à MORT par Dieu, mais qu’est introduite en eux une vie supérieure, celle que Dieu peut donner à ceux qui sont MORTs au péché. De même, ils ont entendu « Je frapperai », mais ils ne voient plus « C’est moi qui guérirai » expression semblable à celle d’un médecin qui a incisé des corps, leur a fait des blessures pénibles pour leur enlever ce qui nuit et fait obstacle à la santé, et qui ne se borne pas aux souffrances et à l’incision, mais rétablit par ce traitement les corps dans la santé qu’il avait en vue. De plus, ils n’ont pas entendu dans son entier la parole « Car il fait la blessure et puis il la bande », mais seulement « il fait la blessure ». C’est bien ainsi que le Juif de Celse cite « Père, si ce calice pouvait s’éloigner », mais non la suite, qui a prouve la préparation de Jésus a sa passion et sa fermeté Et c’est même là une matière offrant un vaste champ d’explication par la sagesse de Dieu, qu’on pourrait avec raison transmettre à ceux que Paul a nommes « parfaits » quand il dit « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits » , mais, la remettant à une occasion favorable, je rappelle ce qui est utile à la question présente. Je disais donc déjà plus haut il y a certaines paroles de celui qui est en Jésus le premier-né de toute créature, comme « Je suis la voie, la vérité, la vie » et celles de même nature, et d’autres, de l’homme que l’esprit discerne en lui, telles que « Mais vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de mon Père » Dés lors, ici même, il exprime dans sa nature humaine et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l’esprit la faiblesse, « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi » , la promptitude de l’esprit, « cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » De plus, s’il faut être attentif a l’ordre des paroles, observe qu’est d’abord mentionnée celle qui, pourrait-on dire, se rapporte a la faiblesse de la chair, et qui est unique , et ensuite, celles qui se rapportent à la promptitude de l’esprit, et qui sont multiples. Voici l’exemple unique « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Voici les exemples multiples « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux », et « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » Il faut noter aussi qu’il n’a pas dit « Que ce calice s’éloigne de moi », mais que c’est cet ensemble qui a été dit pieusement et avec révérence : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. » Je sais bien qu’il y a une interprétation du passage dans le sens que voici : Le Sauveur, à la vue des malheurs que souffriraient le peuple et Jérusalem en punition des actes que les Juifs ont osé commettre contre lui, voulut, uniquement par amour pour eux, écarter du peuple les maux qui le menaçaient, et dit : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi », comme pour dire : puisque je ne peux boire ce calice du châtiment sans que tout le peuple soit abandonné de toi, je te demande, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi, afin que la part de ton héritage ne soit pas, pour ce qu’elle a osé contre moi, entièrement abandonné de toi. » Mais encore si, comme l’assure Celse, ce qui est arrivé en ce temps n’a causé à Jésus ni douleur, ni peine, comment ceux qui vinrent après auraient-ils pu proposer Jésus comme modèle de patience à supporter les persécutions religieuses, si au lieu d’éprouver des souffrances humaines il avait seulement semblé souffrir ? Le Juif de Celse s’adresse encore aux disciples de Jésus comme s’ils avaient inventé tout cela : ” En dépit de vos mensonges, vous n’avez pu dissimuler vos fictions d’une manière plausible.” A quoi la réplique sera : il y avait un moyen facile de dissimuler les faits de ce genre : n’en rien écrire du tout ! Car si elles n’étaient contenues dans les Evangiles, qui donc aurait pu nous faire un reproche des paroles que Jésus prononça au temps de l’Incarnation ? Celse n’a pas compris qu’il était impossible que les mêmes hommes, d’une part aient été dupes sur Jésus qu’ils croyaient Dieu et prédit par les prophètes, et de l’autre aient sur lui inventé des fictions qu’ils savaient évidemment n’être pas vraies ! Donc, ou bien ils ne les ont pas inventées, mais les croyaient telles et les ont écrites sans mentir , ou bien ils mentaient en les écrivant, ne les croyaient pas authentiques et n’étaient point dupés par l’idée qu’il était Dieu. LIVRE II
D’où donc, Celse, l’as-tu appris, sinon des Evangiles ? Y verrais-tu des motifs de reproches, toi ? Ceux qui les ont notes n’avaient pas idée que tu en rirais ainsi que tes pareils, mais que d’autres prendraient Celui qui est généreusement MORT pour la religion en exemple de la manière de mépriser ceux qui rient et se moquent d’elle. Admire donc plutôt la sincérité de ces auteurs et la sublimité de Celui qui a volontairement enduré ces souffrances pour les hommes et les a supportées avec une résignation et une grandeur d’âmes totales ! Car il n’est pas écrit qu’à sa condamnation il se soit lamenté ou qu’il ait eu une pensée ou une parole sans noblesse. LIVRE II
A sa question ” Pourquoi donc, s’il ne l’a pas fait avant, du moins maintenant ne manifeste-t-il pas quelque chose de divin, ne se lave-t-il pas de cette honte, ne se venge-t-il de ceux qui l’outragent lui et son Père ? “, il faut répondre que c’est équivalemment poser aux Grecs qui admettent la Providence et acceptent l’existence de signes divins, la question : pourquoi enfin Dieu ne punit-il pas ceux qui outragent la divinité et qui nient la Providence ? Car si les Grecs ont une réponse à cette objection, nous aussi nous en aurons une semblable et même supérieure. Mais il y eut bien un signe divin venu du ciel, l’éclipse de soleil, et les autres miracles . preuves que le crucifié avait quelque chose de divin et de supérieur au commun des hommes. Celse continue :” Que déclare-t-il même lorsque son corps est fixé à la croix ? Son sang est-il l’ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ? “. Le voilà donc qui badine. Mais nous, grâce aux Evangiles qui, quoi que prétende Celse, sont des écrits sérieux, nous établirons ceci l’ichôr de la fable et d’Homère ne s’écoula point de son corps, mais, alors qu’il était déjà MORT, « l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côte, et il sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu en rend témoignage, son témoignage est véridique, et il sait qu’il dit vrai » Or, pour les autres cadavres, le sang est coagulé, et il ne peut couler d’eau pure , mais pour le cadavre de Jésus, le miracle était que même de son cadavre « du sang et de l’eau » se soient écoulés du côte. Mais Celse, qui tire des griefs contre Jésus et les chrétiens de textes évangéliques qu’il ne sait même pas interpréter correctement et tait ce qui établit la divinité de Jésus, veut-il se rendre attentif aux manifestations divines ? Qu’il lise alors l’Évangile et qu’il y voie entre autres ce passage « Le centurion et les hommes qui gardaient Jésus avec lui, témoins du séisme et des prodiges survenus, furent saisis d’une grande frayeur et dirent Celui-là était Fils de Dieu ! » Ensuite, extrayant de l’Évangile les passages qu’il ose lui opposer, il reproche à Jésus son ” avidité à boire le fiel et le vinaigre, sans savoir dominer une soif que même le premier venu domine d’ordinaire “. Ce texte, pris a part, comporte une interprétation allégorique , mais ici on peut donner une réponse plus commune aux objections : même cela les prophéties l’ont prédit. Il est écrit en effet dans le psaume soixante-huitième cette parole rapportée au Christ : « Pour me nourrir, ils m’ont donné du fiel, pour apaiser ma soif, fait boire du vinaigre. » C’est aux Juifs de dire qui le prophète fait parler de la sorte et d’établir, d’après l’histoire, qui a reçu du fiel en nourriture et du vinaigre pour boisson. Ou s’ils se hasardent à dire qu’il est question du Christ dont ils croient la venue future, alors je répondrai : qu’est-ce qui empêche la prophétie d’être déjà réalisée ? Le fait que cela ait été dit si longtemps d’avance, avec les autres prévisions des prophètes, si l’on fait un examen judicieux de toute la question, est capable d’amener à reconnaître Jésus comme le Christ prophétisé et le Fils de Dieu. LIVRE II
Mais comment n’est-ce pas un mensonge flagrant que l’assertion du Juif de Celse : ” De toute sa vie, n’ayant persuadé personne, pas même ses disciples, il fut châtié et endura ces souffrances ! ” Car d’où vient la haine excitée contre lui par les grands-prêtres, les anciens et les scribes, sinon de ce que les foules étaient persuadées de le suivre jusqu’aux déserts, conquises non seulement par la logique de ses discours, toujours adaptés à ses auditeurs, mais encore par ses miracles qui frappaient d’étonnement ceux qui ne croyaient pas à la logique de son discours ? Comment n’est-ce pas un mensonge flagrant de dire qu’il ne persuada pas même ses disciples. Ils ont bien ressenti alors une lâcheté tout humaine, car ils n’étaient pas encore d’un courage éprouvé, mais sans toutefois se départir de leur conviction qu’il était le Christ. Car Pierre, aussitôt après son reniement, eut conscience de la gravité de sa chute, et «sortant dehors, il pleura amèrement» » ; les autres, bien que frappés de découragement à son sujet, car ils l’admiraient encore, furent affermis par son apparition à croire qu’il était Fils de Dieu d’une foi encore plus vive et plus ferme qu’auparavant. Par un sentiment indigne d’un philosophe, Celse imagine que la supériorité de Jésus sur les hommes ne consistait pas dans sa doctrine du salut et la pureté de ses moers. Il aurait dû agir contrairement au caractère du rôle qu’il avait assumé : ayant assumé une nature MORTelle, il aurait dû ne pas mourir ; ou il devait mourir, mais non d’une MORT qui pût servir d’exemple aux hommes : car cet acte leur apprendrait à mourir pour la religion, et à en faire hardiment profession en face de ceux qui sont dans l’erreur en matière de piété et d’impiété et qui tiennent les gens pieux pour très impies, et pour très pieux ceux qui, fourvoyés dans leurs idées sur Dieu, appliquent à tout plutôt qu’à Dieu la juste notion qu’ils ont de lui ; et leur erreur est au comble quand ils massacrent avec fureur ceux qui, saisis par l’évidence de l’unique Dieu suprême, se sont consacrés de toute leur âme jusqu’à la MORT. Celse met dans la bouche du Juif un autre reproche contre Jésus :” Il ne s’est pas montré pur de tout mal.” De quel mal Jésus ne s’est-il pas montré pur ? Que le lettré de Celse le dise ! S’il entend que Jésus ne s’est pas montré pur du mal au sens strict, qu’il fasse clairement la preuve d’un acte mauvais accompli par lui ! Si, au contraire, il entend par mal la pauvreté, la croix, la conspiration d’hommes insensés, il est évident qu’on peut dire que du mal est arrivé aussi à Socrate, qui n’a pas pu prouver qu’il était pur de ce mal. Mais qu’il est nombreux chez les Grecs le choeur des philosophes qui furent pauvres et d’une pauvreté volontairement choisie ! La plupart des Grecs le connaissent par leurs histoires : Démocrite laissa son bien abandonné en pâturage aux brebis ; Cratès se libéra en gratifiant les Thébains de l’argent que lui avait procuré la vente de tout ce qu’il possédait ; de plus, Diogène, par exagération de pauvreté, vivait dans un tonneau, et nulle personne d’intelligence même modérée n’en conclut que Diogène vivait dans le mal. De plus, puisque Celse veut que ” Jésus n’ait pas même été irréprochable,” c’est à lui de montrer lequel de ceux qui ont adhéré à sa doctrine a rapporté de Jésus quoi que ce soit de vraiment répréhensible. Ou bien, si ce n’est pas d’après eux qu’il l’accuse d’être répréhensible, qu’il montre d’après quelle source il a pu dire qu’il n’était pas irréprochable. Jésus a tenu ses promesses en faisant du bien à ceux qui se sont attachés à lui. Et en voyant sans cesse accomplis les événements qu’il avait prédits avant qu’ils arrivent, l’Évangile prêché dans le monde entier, ses disciples partis annoncer sa doctrine à toutes les nations, en outre, leur procès devant gouverneurs et rois sans autre motif que son enseignement, nous sommes remplis d’admiration pour lui et nous fortifions chaque jour notre foi en lui. Mais je ne sais pas de quelles preuves plus fortes et plus évidentes Celse voudrait qu’il ait confirmé ses prédictions ; à moins peut-être qu’ignorant, à ce qu’il semble, que le Logos est devenu l’homme Jésus, il eût voulu qu’il n’éprouvât rien d’humain et ne devînt pas pour les hommes un noble exemple de la manière de supporter l’adversité. Mais peut-être celle-ci apparaît-elle à Celse lamentable et des plus répréhensibles, puisqu’il regarde la peine comme le plus grand des maux et le plaisir comme le bien parfait : ce qui n’est accepté par aucun des philosophes qui admettent la Providence, et qui conviennent que le courage est une vertu ainsi que l’endurance et la grandeur d’âme. Ainsi, par les souffrances qu’il a supportées, Jésus n’a pas discrédité la foi en sa personne, mais il l’a fortifiée plutôt dans ceux qui veulent admettre le courage, et dans ceux qui ont appris de lui que la vie heureuse au sens propre et véritable n’est point ici-bas, mais dans ce qu’il appelle « le siècle à venir », tandis que la vie dans « le siècle présent » est un malheur, la première et la plus grande lutte à mener par l’âme. LIVRE II
Après cela, je ne sais pour quelle raison, il ajoute cette remarque fort niaise :” Si, en forgeant des justifications absurdes à ce qui vous a ridiculement abusés, vous croyez offrir une justification valable, qu’est-ce qui empêche de penser que tous les autres qui ont été condamnés et ont disparu d’une manière plus misérable encore sont des messagers plus grands et plus divins que lui ? ” Mais il est d’une évidence manifeste et claire à tout homme que Jésus, dans les souffrances qui sont rapportées, n’a rien de comparable a ceux qui ont disparu d’une manière plus misérable encore, à cause de leur magie ou de quelque autre grief que ce soit. Car personne ne peut montrer qu’une pratique de sorcellerie ait converti les âmes de la multitude des pèches qui règnent parmi les hommes et du débordement de vice. Et le Juif de Celse, assimilant Jésus aux brigands, déclare ” On pourrait dire avec une égale impudence d’un brigand et d’un assassin mis au supplice ce n’était pas un brigand, mais un Dieu, car il a prédit à ses complices qu’il souffrirait le genre de supplice qu’il a souffert “.Mais d’abord on peut dire ce n’est pas du fait qu’il a prédit ce qu’il souffrirait que nous avons de tels sentiments sur Jésus, comme par exemple lorsque nous professons sincèrement et hardiment qu’il est venu de Dieu à nous , ensuite, nous disons que cette assimilation même est prédite en quelque sorte dans les Evangiles, puisque Jésus « fut compte parmi les malfaiteurs » par des malfaiteurs car ils ont préféré qu’un brigand, emprisonné « pour sédition et meurtre », fût mis en liberté, et que Jésus soit crucifié, et ils le crucifièrent entre deux brigands. De plus, sans cesse, dans la personne de ses disciples véritables et qui rendent témoignage à la vérité, Jésus est crucifié avec des brigands et souffre la même condamnation qu’eux parmi les hommes. Nous disons dans la mesure ou il y a une analogie entre des brigands et ceux qui, pour leur piété envers le Créateur qu’ils veulent garder intacte et pure comme l’enseigna Jésus acceptent tous les genres d’outrages et de MORTs, il est clair que Celse a quelque raison de comparer aux chefs de brigands Jésus, l’initiateur de cet enseignement sublime. Mais ni Jésus qui meurt pour le salut de tous, ni ceux qui endurent ces souffrances à cause de leur piété, seuls de tous les hommes à être persécutés pour la manière dont ils croient devoir honorer Dieu, ne sont mis à MORT sans injustice, et Jésus ne fut pas persécuté sans impiété. Note aussi le caractère superficiel de ce qu’il dit de ceux qui furent alors les disciples de Jésus : “Alors les compagnons de sa vie, qui entendaient sa voix, l’avaient pour maître, quand ils le virent torturé et mourant, ne voulurent ni mourir avec lui ni mourir pour lui, et, loin de consentir à mépriser des supplices, ils nièrent qu’ils fussent ses disciples. Et vous, maintenant, voulez mourir avec lui”. Ici donc Celse, pour attaquer notre doctrine, ajoute foi au péché commis par les disciples encore débutants et imparfaits, que rapportent les Evangiles. Mais leur redressement après leur faute, leur assurance à prêcher devant les Juifs, les maux sans nombre endurés de leur part, leur MORT enfin pour l’enseignement de Jésus, il n’en dit mot. C’est qu’il n’a pas voulu considérer la prédiction de Jésus à Pierre « Vieilli, tu étendras les mains… » etc. ; à quoi l’Écriture ajoute « Il indiquait ainsi la MORT par laquelle il rendrait gloire à Dieu » , ni considérer la MORT par le glaive au temps d’Hérode, pour la doctrine du Christ, de Jacques frère de Jean, apôtre et frère d’apôtre , ni considérer non plus tous les exploits de Pierre et des autres apôtres dans leur intrépide prédication de l’Évangile, et comment ils s’en allèrent du Sanhédrin après leur flagellation, « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour son nom », surpassant de loin tout ce que les Grecs racontent de l’endurance et du courage des philosophes. Des l’origine donc, prévalait chez les auditeurs de Jésus cette leçon capitale de son enseignement le mépris de la vie recherchée par la foule et l’empressement à mener une vie semblable à celle de Dieu. Et comment n’est-ce pas un mensonge que la parole du Juif de Celse “Au cours de sa vie, il ne gagna qu’une dizaine de mariniers et publicains des plus perdus, et encore pas tous ?” Il est bien clair, même des Juifs en conviendraient, qu’il à gagné non seulement dix hommes, ni cent, ni mille, mais en bloc tantôt cinq mille, tantôt quatre mille» , et gagné au point qu’ils le suivaient jusqu’aux déserts, seuls capables de contenir la multitude assemblée de ceux qui croyaient en Dieu par Jésus, et ou il leur présentait non seulement ses discours mais ses actes. Par ses redites, Celse me force à l’imiter puisque j’évite avec soin de paraître négliger l’un quelconque de ses griefs. Sur ce point donc, suivant l’ordre de son écrit, il déclare “Alors que de son vivant il n’a persuadé personne, après sa MORT ceux qui en ont le désir persuadent des multitudes n’est-ce point le comble de l’absurde. Il aurait dû dire, pour garder la logique si, après sa MORT ceux qui en ont, pas simplement le désir, mais le désir et la puissance, persuadent des multitudes, combien est-il plus vraisemblable que pendant sa vie il en ait persuadé bien davantage par sa puissante parole et par ses actes. LIVRE II
Après cela, le Juif de Celse, à notre adresse sans doute – pour maintenir son propos initial -, déclare dans le discours à ses compatriotes devenus croyants : “Quelle raison, en fin de compte, vous a conduits, sinon qu’il a prédit qu’après sa MORT il ressusciterait ? ” Question que j’appliquerai au cas de Moïse, comme ce que j’ai précédemment transposé, et je lui dirai : quelle raison, en fin de compte, vous a conduits, sinon qu’il a écrit sur sa MORT en ces termes : « C’est là que mourut Moïse, serviteur du Seigneur, en terre de Moab, selon l’ordre du Seigneur ; on l’enterra en terre de Moab près de la maison de Phogor. Et jusqu’à ce jour, nul n’a connu son tombeau. » Car si notre Juif accuse Jésus d’avoir prédit qu’après sa MORT il ressusciterait, à cette objection, usant du même procédé pour Moïse, on répondra : Moïse écrivit dans le Deutéronome dont il est l’auteur : « Jusqu’à ce jour nul n’a connu son tombeau », pour célébrer la gloire de son tombeau qui serait ignoré du genre humain. LIVRE II
Ensuite, le Juif dit à ses compatriotes qui croient en Jésus . “Eh bien soit, on vous le concède, il a dit cela. Mais combien d’autres usent de ces contes merveilleux pour persuader leurs auditeurs naïfs et tirer profit de l’imposture ! Ce fut le cas, dit-on, en Scythie de Zamolxis, esclave de Pythagore, de Pythagore lui-même en Italie, de Rhampsinite en Egypte. Ce dernier, chez Hades, « jouant aux des avec Déméter», obtint d’elle « une serviette lamée d’or » qu’il remporta comme présent. Ainsi encore Orphée chez les Odryses, Protesilas en Thessalie, Héraclès à Tenare, et Thésée. Mais ce qu’il faut examiner, c’est si un homme réellement MORT est jamais ressuscité avec le même corps. Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme, le tremblement de terre et les ténèbres ? Vivant, dites-vous, il ne s’est pas protégé lui-même, MORT, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. Qui a vu cela ? Une exaltée, dites-vous, et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement, soit que par suite d’une certaine disposition il ait eu un songe et qu’au gré de son désir dans sa croyance égarée il ait eu une représentation imaginaire, chose arrivée déjà à bien d’autres, soit plutôt qu’il ait voulu frapper l’esprit des autres par ce conte merveilleux, et, par cette imposture, frayer la voie à d’autres charlatans”. LIVRE II
Mais les histoires des héros soi-disant descendus chez Hadès et remontés de là-bas sont des contes merveilleux, au dire du Juif de Celse. Il pense que les héros, se rendant invisibles pour un temps, se sont dérobés à la vue de tous les hommes, et qu’ensuite ils se sont montrés, comme s’ils étaient revenus de chez Hadès, car telle semble bien être sa pensée quand il parle d’Orphée chez les Odryses, de Protésilas en Thessalie, d’Héraclès à Ténare, et encore de Thésée ; eh bien donc, prouvons qu’il n’est pas possible de leur comparer ce qu’on raconte sur la résurrection de Jésus d’entre les MORTs. Chacun des héros qu’il mentionne avec leur pays respectif aurait pu, s’il l’avait voulu, se dérober à la vue des hommes, et revenir, quand il l’eût jugé bon, vers ceux qu’il avait laissés. Mais Jésus fut crucifié devant tous les Juifs, son corps fut descendu de la croix à la vue de leur peuple : comment peut-on dire qu’il a imaginé une fiction analogue à celle des héros légendaires descendus chez Hadès et remontés de là-bas ? Nous disons que, pour justifier la crucifixion de Jésus, on pourrait peut-être avancer cette raison, surtout à cause de ce qu’on raconte sur les héros dont on admet la descente forcée chez Hadès : si, par hypothèse, Jésus était MORT d’une MORT obscure, sans que sa MORT fût évidente à tout le peuple juif, et qu’ensuite il fût réellement ressuscité des MORTs, il y aurait eu prétexte à formuler sur lui aussi le même soupçon que sur les héros. Aux autres causes de la crucifixion de Jésus, on peut donc peut-être ajouter celle-ci : il est MORT bien en vue sur la croix pour que personne ne puisse dire qu’il s’est volontairement dérobé aux yeux des hommes et qu’il a paru MORT sans l’être réellement, réapparaissant à son gré et contant la merveille de sa résurrection des MORTs. Mais je considère comme une évidence décisive la conduite de ses disciples. Au péril de leur vie, ils se sont dévoués à un enseignement qu’ils n’auraient pas soutenu avec une telle vigueur s’ils avaient inventé que Jésus est ressuscité d’entre les MORTs. En outre, se conformant à cette doctrine, non seulement ils préparaient les autres à mépriser la MORT, mais ils étaient bien les premiers à le faire. Considère l’étrange aveuglement du Juif de Celse qui dit, comme s’il était impossible que quelqu’un ressuscitât des MORTs avec le même corps : « Mais ce qu’il faut examiner, c’est si un homme réellement MORT est jamais ressuscité avec le même corps. » Le Juif ne saurait le dire : il croit les récits du troisième et du quatrième livre des Rois sur les petits enfants ressuscites l’un par Élie, l’autre par Élisée. Voici même, je pense, pourquoi Jésus n’est pas venu dans une autre nation que celle des Juifs : ils étaient habitués aux miracles et ainsi, par la comparaison de ceux auxquels ils croyaient avec ceux réalisés par Jésus ou racontés à son sujet, ils pouvaient admettre l’idée que, entouré de ces prodiges supérieurs et auteur de ces actions plus étonnantes, il était un être supérieur à tous. LIVRE II
Mais le Juif, après avoir rapporté les histoires grecques de ces conteurs de merveilles et des soi-disant ressuscites des MORTs, dit aux Juifs qui croient en Jésus : «Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme ? » Nous répondrons au Juif : les exemples que tu as cités, nous les tenons pour mythes, mais ceux des Écritures, qui nous sont communes avec vous et en égale vénération, nous nions absolument que ce soient des mythes. Voilà pourquoi nous croyons que ceux qui ont écrit sur les personnages autrefois ressuscites des MORTs n’usent pas de contes merveilleux ; nous croyons de même que Jésus est alors ressuscité tel qu’il l’a prédit et qu’il fut prophétisé. Mais voici en quoi sa résurrection des MORTs est plus miraculeuse que la leur : eux furent ressuscités par les prophètes Élie et Elisée ; Lui ne le fut par aucun des prophètes, mais par son Père qui est dans les cieux. Pour la même raison, sa résurrection a eu plus d’efficacité que la leur : car quel effet eut pour le monde la résurrection de petits enfants par Élie et Elisée, qui soit comparable à l’effet de la résurrection de Jésus prêchée et admise des croyants grâce à la puissance divine ? Il juge contes merveilleux le tremblement de terre et les ténèbres ; je les ai défendus plus haut de mon mieux en citant Phlégon qui a rapporté que ces faits survinrent au temps de la passion du Sauveur. Il ajoute, de Jésus : « Vivant, il ne s’est pas protégé lui-même ; MORT, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. » Je lui demande alors : que signifie « il s’est protégé lui-même » ? S’il s’agit de la vertu, je dirai qu’il s’est bel et bien protégé : sans dire ni faire quoi que ce fût d’immoral, mais vraiment « comme une brebis il a été conduit à l’abattoir, comme un agneau devant le tondeur il est resté muet », et l’Évangile atteste : « ainsi, il n’a pas ouvert la bouche ». Mais si l’expression « il s’est protégé » s’entend de choses indifférentes ou corporelles, je dis avoir prouvé par les Évangiles qu’il s’y est soumis de plein gré. Puis, après avoir rappelé les affirmations de l’Évangile : « ressuscité des MORTs, il montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées », il pose la question : « Qui a vu cela ? » et, s’en prenant au récit de Marie-Madeleine dont il est écrit qu’elle l’a vu, il répond : « Une exaltée, dites-vous ». Et parce qu’elle n’est pas la seule mentionnée comme témoin oculaire de Jésus ressuscité, et qu’il en est encore d’autres, le Juif de Celse dénature ce témoignage : « et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement ». Ensuite, comme si le fait était possible, je veux dire qu’on puisse avoir une représentation imaginaire d’un MORT comme s’il était en vie, il ajoute, en adepte d’Épicure, que « quelqu’un a eu un songe d’après une certaine disposition, ou, au gré de son désir dans sa croyance égarée, une représentation imaginaire » et a raconté cette histoire ; « chose, ajoute-t-il, arrivée déjà à bien d’autres ». Or c’est là, même s’il le juge très habilement dit, ce qui est propre néanmoins à confirmer une doctrine essentielle : l’âme des MORTs subsiste ; et pour qui admet cette doctrine, la foi en l’imMORTalité de l’âme ou du moins à sa permanence n’est pas sans fondement. Ainsi même Platon, dans son dialogue sur l’âme, dit qu’autour de tombeaux sont apparues à certains « des images semblables aux ombres », d’hommes qui venaient de mourir. Or ces images apparaissant autour des tombeaux des MORTs viennent d’une substance, l’âme qui subsiste dans ce qu’on appelle le « corps lumineux » Celse le rejette, mais veut bien que certains aient eu une vision en rêve et, au gré de leur désir, dans leur croyance égarée, une représentation imaginaire. Croire à 1’existence d’un tel songe n’est point absurde, mais celle d’une vision chez des gens qui ne sont pas absolument hors de sens, frénétiques ou mélancoliques, n’est pas plausible. Celse a prévu l’objection il parle d’une femme exaltée. Cela ne ressort pas du tout de l’histoire écrite d’où il tire son accusation Ainsi donc, après sa MORT, Jésus, au dire de Celse, aurait provoqué une représentation imaginaire des blessures reçues sur la croix, sans exister réellement avec ces blessures. Mais suivant les enseignements de l’Evangile, dont Celse admet à sa guise certaines parties pour accuser, et rejette les autres, Jésus appela près de lui l’un des disciples qui ne croyait pas et jugeait le miracle impossible. Il avait bien donné son assentiment à celle qui assurait l’avoir vu, admettant la possibilité de voir apparaître l’âme d’un MORT, mais il ne croyait pas encore vrai que le Christ fût ressuscite dans un corps résistant. D’où sa repartie « Si je ne vois, je ne croirai pas », puis ce qu’il ajoute « Si je ne mets ma main à la place des clous et ne touche son côté, je ne croirai pas. » Voilà ce que disait Thomas, jugeant qu’aux yeux sensibles pouvait apparaître le corps de l’âme « en tout pareil » a sa forme antérieure « par la taille, les beaux yeux, la voix », et souvent même « revêtu des mêmes vêtements » Mais Jésus l’appela près de lui « Avance ton doigt ici voici mes mains , avance ta main et mets-la dans mon côte , et ne sois plus incrédule, mais croyant » LIVRE II
Apres quoi Celse, blâmant ce qui est écrit, fait une objection non négligeable. Si Jésus voulait réellement manifester sa puissance divine, il aurait dû apparaître à ses ennemis, au juge, bref a tout le monde. Il est vrai que selon l’Évangile, il nous semble qu’après la résurrection il n’est point apparu comme auparavant en public et à tout le monde. S’il est écrit dans les Actes que, « leur apparaissant pendant quarante jours », il annonçait à ses disciples le Règne de Dieu, dans les Evangiles, il n’est pas dit qu’il fût sans cesse avec eux une fois, huit jours aprés, toutes portes closes, « il parut au milieu d’eux », puis une autre fois, dans des conditions semblables. Paul de même, vers la fin de sa première Épître aux Corinthiens, insinuant que Jésus n’apparut point en public comme au temps précédant sa passion, écrit : « Je vous ai transmis d’abord ce que j’ai reçu moi-même : que le Christ est MORT pour nos péchés, conformément aux Écritures », qu’il est ressuscité, « qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore et quelques-uns sont endormis. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton. » Qu’elles me paraissent grandes, admirables, sans proportion avec le mérite non seulement de la foule des croyants, mais encore de l’élite en progrès dans la doctrine, les vérités de ce que contient ce passage ! Elles pourraient montrer la raison pour laquelle, après sa résurrection d’entre les MORTs, il n’apparaît point comme auparavant. Mais, parmi les nombreuses considérations qu’exigé un traité écrit comme celui-ci contre le discours de Celse qui attaque les chrétiens et leur foi, vois si on peut en offrir quelques-unes de vraisemblables pour toucher ceux qui prêteront attention à notre défense. LIVRE II
Jésus, quoiqu’il fût un, était pour l’esprit multiple d’aspects, et ceux qui le regardaient ne le voyaient pas tous de la même manière. Cette multiplicité d’aspects ressort des paroles « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie », « Je suis le Pain », « Je suis la Porte » et autres sans nombre. Et la vue qu’il offrait n’était pas identique pour tous les spectateurs, mais dépendait de leur capacité. Ce sera clair si l’on examine la raison pour laquelle, devant se transfigurer sur la haute montagne, il prit avec lui, non pas tous les apôtres, mais seuls Pierre, Jacques et Jean, comme les seuls capables de contempler la gloire qu’il aurait alors, et aptes à percevoir Moïse et Élie apparus dans la gloire, à entendre leur conversation et la voix venue de la nuée céleste. Mais je crois que même avant de gravir la montagne, ou seuls les disciples s’approchèrent de lui et ou il leur enseigna la doctrine des béatitudes, lorsqu’au pied de la montagne, « le soir venu », il guérit ceux qui s’approchaient de lui, les délivrant de toute maladie et de toute infirmité, il n’apparaissait pas identique aux malades implorant leur guérison et à ceux qui ont pu, grâce à leur santé, gravir avec lui la montagne. Bien plus, il a explique en particulier à ses propres disciples les paraboles dites avec un sens cache aux foules de l’extérieur et de même que ceux qui entendaient l’explication des paraboles avaient une plus grande capacité d’entendre que ceux qui entendaient les paraboles sans explication, ainsi en était-il des capacités de vision, certainement de leur âme, mais je croîs aussi de leur corps. Autre preuve qu’il n’apparaissait pas toujours identique, Judas qui allait le trahir dit aux foules qui s’avançaient vers lui comme si elles ne le connaissaient pas « Celui que je baiserai, c’est lui ». C’est aussi, je pense, ce que veut montrer le Sauveur lui-même dans la parole « Chaque jour j’étais assis parmi vous dans le temple à enseigner et vous ne m’avez pas arrêté ». Dés lors, comme nous élevons Jésus si haut, non seulement dans sa divinité intérieure et cachée à la foule, mais aussi dans son corps, transfiguré quand il voulait pour ceux qu’il voulait, nous affirmons avant qu’il eût dépouillé les Principautés et les Puissances » et « fût MORT au péché », tous avaient la capacité de le regarder, mais quand il eut dépouillé les Principautés et les Puissances et ne posséda plus ce qui pouvait être visible de la foule, tous ceux qui le virent auparavant ne pouvaient plus le regarder. C’est donc pour les ménager qu’il ne se montrait point à tous après sa résurrection d’entre les MORTs. Mais pourquoi dire à tous ? Aux apôtres eux-mêmes et aux disciples, il n’était pas sans cesse présent et sans cesse visible, parce qu’ils étaient incapables de soutenir sa contemplation sans relâche. Sa divinité était plus resplendissante après qu’il eut mené a terme l’oevre de l’Économie. Céphas, qui est Pierre, en tant que « prémices » des apôtres, put la voir, et après lui, les Douze, Matthias ayant été choisi a la place de Judas. Apres eux, il apparut à « cinq cents frères a la fois, puis à Jacques, puis à tous les apôtres » hormis les Douze, peut-être les soixante-dix , et, « dernier de tous », à Paul, comme à l’avorton, qui savait dans quel sens il disait : « A moi, le plus petit de tous les saints a été donnée cette grâce », et sans doute que « le plus petit » et « l’avorton » sont synonymes. Aussi bien on ne pourrait faire un grief raisonnable à Jésus de n’avoir point conduit avec lui sur la haute montagne tous les apôtres, mais les trois seuls nommés précédemment, lorsqu’il allait se transfigurer et montrer la splendeur de ses vêtements et la gloire de Moïse et d’Élie en conversation avec lui , on ne saurait non plus adresser des critiques fondées aux paroles des apôtres, de présenter Jésus après sa résurrection apparaissant non point à tous, mais à ceux dont il savait les yeux capables de voir sa résurrection. LIVRE II
Mais je crois utile à la justification de ce point de vue cette parole sur Jésus : « Le Christ est MORT et ressuscité pour devenir le Seigneur des MORTs et des vivants. » Remarque en effet ici que Jésus « est MORT… pour devenir le Seigneur des MORTs », et qu’« il est ressuscité » pour devenir le Seigneur non seulement « des MORTs », mais « aussi des vivants ». L’Apôtre entend bien par les MORTs dont le Christ est le Seigneur ceux que désigne ainsi la Première aux Corinthiens : « Car la trompette sonnera et les MORTs ressusciteront incorruptibles » ; et par les vivants, eux et ceux qui seront transformés, étant autres que les MORTs qui ressusciteront. Voici le passage qui les concerne : « Et nous nous serons transformés », qui fait suite à : « Les MORTs ressusciteront d’abord ». En outre, dans la Première aux Thessaloniciens, il exprime en mots différents la même distinction, en déclarant qu’autres sont ceux qui dorment et autres les vivants : « Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez ignorants sur ceux qui dorment, pour vous éviter la désolation des autres qui n’ont pas d’espérance. En effet, si nous croyons que Jésus est MORT et ressuscité, de même, ceux-là aussi qui se sont endormis en Jésus, Dieu les amènera avec lui. Car voici ce que j’ai à vous dire sur la parole du Seigneur : Nous, les vivants, qui serons encore là pour l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis. » Mais l’interprétation que j’ai trouvée de ces passages, je l’ai exposée dans mon commentaire de la Première aux Thessaloniciens. LIVRE II
C’est bien en vain que Celse ajoute : Car assurément il ne craignait plus personne puisqu’il avait subi la MORT et, dites-vous, qu’il était Dieu, et il ne fut pas envoyé principalement pour demeurer caché. En fait, il fut envoyé non seulement pour être connu, mais aussi pour demeurer cache. Car la totalité de son être n’était pas connue même de ceux qui le connaissaient, mais quelque chose leur en échappait, et à certains, il restait absolument inconnu. Mais il ouvrit les portes de la lumière à ceux qui étaient fils des ténèbres et de la nuit, et qui se consacrèrent à devenir fils du jour et de la lumière. Et le Seigneur vint en Sauveur comme un bon médecin, plutôt pour nous pleins de pèche que pour les justes. LIVRE II
Mais je veux établir qu’il n’était pas plus utile pour l’ensemble de l’Économie que « c’est du haut de la croix que Jésus aurait dû soudain disparaître » corporellement. La simple lettre et le récit de ce qui est arrivé à Jésus ne laissent point voir la vérité totale. Car à une lecture plus pénétrante de la Bible, chaque événement se révèle de plus symbole d’une vérité. Ainsi en est-il du crucifiement : il contient la vérité qu’exprimé ce mot : « Je suis crucifié avec le Christ » », et cette idée : « Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de mon Seigneur Jésus-Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde. » Ainsi, de sa MORT : elle était nécessaire pour que l’on pût dire : « Car sa MORT fut une MORT au péché une fois pour toutes », et pour que le juste ajoute qu’« il lui devient conforme dans la MORT », et : « Si en effet nous sommes MORTs avec lui, avec lui aussi nous vivrons ». Ainsi encore, de son ensevelissement : il s’étend à ceux qui lui sont devenus conformes dans la MORT, crucifiés avec lui, MORTs avec lui, suivant ces autres mots de Paul : « Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême », nous sommes aussi ressuscites avec lui. LIVRE II
La signification de l’ensevelissement, du tombeau, de celui qui l’ensevelit, je l’expliquerai d’une manière plus opportune et plus développée en d’autres écrits qui auront pour but essentiel d’en traiter. Pour l’instant, il suffit de mentionner le linceul pur où il fallait que le corps pur de Jésus fût enveloppé, et le sépulcre neuf que Joseph « avait taillé dans le roc, où personne n’avait encore été déposé », ou bien comme dit Jean, « dans lequel personne n’avait encore été placé ». Considère si l’accord des trois Evangélistes n’est pas impressionnant ! Ils ont pris la peine de noter le fait que le tombeau était taillé ou creusé dans le roc, pour qu’en examinant les paroles de la Bible, on puisse contempler là encore un aspect qui mérite réflexion, soit le caractère neuf du tombeau que Matthieu et Jean ont noté, soit d’après Luc et Jean, le fait que personne n’y eût été mis. Il fallait, en effet, que Celui qui n’était pas semblable aux autres MORTs, ayant montré jusque dans son état de MORT des signes de vie dans l’eau et le sang, et qui, pour ainsi dire, était un MORT d’un genre nouveau, fût déposé dans un tombeau neuf et pur. Ainsi, comme sa naissance avait été plus pure que toute autre, provenant non d’une union des sexes, mais d’une vierge, son tombeau aurait aussi la pureté symbolisée par la déposition de son corps dans un tombeau resté neuf, non point construit de pierres ramassées, dépourvues d’unité naturelle, mais taillé ou creusé dans un seul roc, tout d’une pièce. LIVRE II
L’interprétation qui consiste à remonter des événements rapportés par l’Écriture aux réalités dont ils étaient les figures demanderait une explication plus étendue et plus sublime si l’on exposait plus à propos ces matières dans un traité spécial. L’interprétation littérale s’expliquerait ainsi : une fois sa décision prise d’endurer la mise en croix, il se devait de subir les conséquences de son propos ; en sorte que, tué comme un homme, MORT comme un homme, il fût de même enseveli comme un homme. Bien plus, à supposer qu’il fût écrit dans les Évangiles que du haut de la croix il avait soudain disparu, Celse et les incroyants blâmeraient le texte par des critiques de ce genre : pourquoi donc est-ce après sa croix qu’il a disparu, et qu’il ne l’a pas fait avant sa passion ? Si donc ils ont appris des Évangiles qu’il n’a pas disparu soudain du haut de la croix, et pensent faire grief à l’Écriture de n’avoir pas inventé comme ils l’auraient voulu cette disparition soudaine du haut de la croix mais de dire la vérité, n’est-il pas raisonnable de les croire aussi lorsqu’il disent qu’il est ressuscité et qu’à son gré, tantôt « toutes portes closes, il se tint au milieu » de ses disciples, tantôt, ayant donné du pain à deux de ses familiers, subitement il disparut de leurs regards, après leur avoir adressé quelques paroles ? LIVRE II
Mais pour quelle raison le Juif de Celse a-t-il dit que Jésus se cachait ? Car il dit de lui : Quel messager envoyé en mission se cacha-t-il jamais au lieu d’exposer l’objet de son mandat ? Non, il ne se cachait pas, puisqu’il dit à ceux qui cherchaient à le prendre : « Chaque jour j’étais dans le temple à enseigner librement, et vous n’osiez m’arrêter. » A la suite, où Celse ne fait que se répéter, j’ai déjà répondu une fois, je me bornerai donc à ce qui est déjà dit. Car plus haut se trouve écrite la réponse à l’objection : Est-ce que, de son vivant, alors que personne ne le croyait, il prêchait à tous sans mesure, et, quand il aurait affermi la foi par sa résurrection d’entre les MORTs, ne se laissa-t-il voir en cachette qu’à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie ? Ce n’est pas vrai : il n’est pas apparu seulement à une femmelette, car il est écrit dans l’Évangile selon Matthieu : « Après le sabbat, dès l’aube du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent visiter le sépulcre. Alors il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre. » Et peu après, Matthieu ajoute : « Et voici que Jésus vint à leur rencontre ? évidemment, les Marie déjà nommées ?, et il leur dit : « Je vous salue ». Elles s’approchèrent, embrassèrent ses pieds et se prosternèrent devant Lui. » On a également répondu à sa question : Est-ce donc que, durant son supplice, il a été vu de tous, mais après sa résurrection, d’un seul – en réfutant l’objection qu’il n’a pas été vu de tous. Ici j’ajouterai : ses caractères humains étaient visibles de tous ; ceux qui étaient proprement divins – je ne parle pas de ceux qui le mettaient en relation avec les autres êtres, mais de ceux qui l’en séparaient – n’étaient pas intelligibles à tous. De plus, note la contradiction flagrante où Celse s’empêtre. A peine a-t-il dit : « Il s’est laissé voir en cachette à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie », qu’il ajoute : « durant son supplice, il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu. » Entendons ce qu’il veut dire par « durant son supplice il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu». A en juger par son expression, il voulait une chose impossible et absurde : que, durant son supplice, il soit vu d’un seul, après sa résurrection, de tous ! Ou comment expliquer : « c’est le contraire qu’il aurait fallu »? Jésus nous a enseigné qui l’avait envoyé, dans les paroles : « Personne n’a connu le Père si ce n’est le Fils », « Personne n’a jamais vu Dieu : mais le Fils unique, qui est Dieu, qui est dans le sein du Père, lui, l’a révélé» . C’est lui qui, traitant de Dieu, annonça à ses disciples véritables les caractéristiques de Dieu. Les indices qu’on en trouve dans les Écritures nous offrent des points de départ pour parler de Dieu : on apprend, ici, que « Dieu est lumière et il n’y a point en lui de ténèbres », là, que « Dieu est esprit, et ses adorateurs doivent l’adorer en esprit et en vérité ». De plus, les raisons pour lesquelles le Père l’a envoyé sont innombrables : on peut à son gré les apprendre soit des prophètes qui les ont annoncées d’avance, soit des évangélistes ; et on tirera bien des connaissances des apôtres, surtout de Paul. En outre, si Jésus donne sa lumière aux hommes pieux, il punira les pécheurs. Faute d’avoir vu cela, Celse écrit : Il illuminera les gens pieux et aura pitié des pécheurs ou plutôt de ceux qui se sont repentis. Après cela, il déclare : S’il voulait demeurer caché, pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la MORT ? Il pense par là montrer la contradiction entre ce qui est écrit de lui, sans voir que Jésus ne voulait ni que tous ses aspects fussent connus de tous, même du premier venu, ni que tout ce qui le concerne demeurât caché. En tout cas, la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu », au témoignage de l’Écriture, n’a pas été dite de façon à être entendue de la foule, comme l’a cru le Juif de Celse. De plus, la voix venant de la nuée, sur la haute montagne, a été entendue de ceux-là seuls qui avaient fait l’ascension avec lui ; car c’est le propre de la voix divine d’être entendue seulement de ceux à qui il « veut » faire entendre sa parole. Et je n’insiste pas sur le fait que la voix de Dieu, mentionnée dans l’Écriture, n’est certainement pas de l’air en vibration, ou un ébranlement d’air, ou tout autre définition des traites sur la voix : elle est donc entendue par une oreille supérieure et plus divine que l’oreille sensible Et comme Dieu qui parle ne veut pas que sa voix soit audible à tous, qui a des oreilles supérieures entend Dieu, mais qui est sourd des oreilles de l’âme est insensible à la parole de Dieu. Voilà pour répondre à la question : « Pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? » Et la suivante : « S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la MORT ? » trouve une réponse suffisante dans ce qu’on a dit longuement de sa passion dans les pages précédentes. LIVRE II
Ensuite, le Juif de Celse tire une conséquence qui n’en est pas une : car sa volonté de nous enseigner, par les supplices qu’il a endurés, le mépris de la MORT n’implique pas qu’il aurait dû, après sa résurrection d’entre les MORTs, appeler ouvertement tous les hommes à la lumière et leur enseigner la raison pour laquelle il était descendu. En effet, d’abord, il appela tous les hommes à la lumière en disant : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi, je vous soulagerai » ». Et puis, la raison pour laquelle il est descendu, l’Écriture l’indique dans le long discours qu’il prononça sur les Béatitudes et les proclamations qui leur font suite, dans les paraboles, dans les entretiens avec les Scribes et les Pharisiens. Et l’Évangile selon Jean a rapporté tout ce qu’il avait enseigné montrant que l’éloquence de Jésus consistait moins en paroles qu’en actes. Il est clair d’après les Évangiles qu’« il parlait avec autorité », à l’émerveillement de tout le monde. LIVRE II
Et non moins fausse que l’assertion : Les Hébreux, qui étaient des Égyptiens, ont dû leur origine à une révolte, est la suivante : D’autres, qui étaient des Juifs, se sont révoltés, au temps de Jésus, contre l’État juif, et mis à la suite de Jésus. Celse et ses adeptes seraient bien incapables de montrer de la part des chrétiens le moindre acte de révolte. Or, si la révolte avait donné naissance à la société des chrétiens, comme ils tirent leur origine des Juifs, à qui il était permis de prendre les armes pour défendre leurs biens et de mettre à MORT leurs ennemis, le Législateur des chrétiens n’eût pas fait une interdiction absolue de l’homicide. S’il enseigna que jamais ne peut être juste la violence de ses disciples contre un homme, fut-il le plus injuste, c’est qu’il jugeait contraire à l’inspiration divine de sa législation d’autoriser quelque homicide que ce fût. Et si les chrétiens avaient dû leur origine à une révolte, ils n’auraient pas admis des lois si pacifiques qu’elles les amènent parfois à être mis à MORT « comme des brebis », et les rend incapables de jamais se venger de leurs persécuteurs, puisque, instruits à ne pas se venger de leurs ennemis, ils ont gardé la loi de douceur et de charité. Aussi, ce qu’ils n’auraient pas accompli s’ils avaient eu l’autorisation de combattre, même s’ils avaient été tout-puissants, ils l’ont reçu de Dieu qui a toujours combattu pour eux et, aux temps voulus, a contenu les adversaires des chrétiens dressés contre eux, acharnés à les détruire. LIVRE III
Et c’est en exemple aux autres, pour que, les yeux fixés sur le petit nombre en lutte pour la religion, ils deviennent plus fermes et méprisent la MORT, qu’aux temps voulus, un petit nombre, facile à compter, est MORT pour la religion des chrétiens. Mais Dieu empêchait que tout leur peuple fût exterminé, voulant qu’il subsistât et que toute la terre fût remplie de ce salutaire et très pieux enseignement. Puis de nouveau, afin de permettre aux plus faibles de respirer dans cette hantise de la MORT, Dieu pourvoyait au salut des croyants, dénouant, par sa seule volonté, toute la trame du complot ourdi contre eux, pour que ne puisse trop s’enflammer contre eux la haine des rois, des gouverneurs locaux, du peuple. Voilà ma réponse à l’allégation de Celse : C’est une révolte qui fut jadis l’origine de la constitution politique des Juifs, et plus tard, de l’existence des Chrétiens. LIVRE III
Mais pour n’omettre aucune espèce de dénigrement et de moquerie, ce bouffon de Celse, dans son discours, contre nous, mentionne les Dioscures, Héraclès, Asclépios et Dionysos, ces hommes devenus dieux d’après la croyance grecque. Il dit que nous ne supportons pas de les considérer comme des dieux, parce qu’ils étaient d’abord des hommes, en dépit des multiples et généreux services qu’ils ont rendus à l’humanité; mais nous affirmons que Jésus, après sa MORT, apparut à ses sectateurs. Et il corse l’accusation : Il apparut en personne, disent-ils; entendez : son ombre. Je répliquerai que c’est là une habileté de Celse : il ne montre pas clairement qu’il ne les adore pas comme dieux, pour ménager l’opinion de ses lecteurs qui le soupçonneraient d’athéisme s’il proclamait ce qui lui paraît la vérité ; il feint même pour sa part de ne pas les reconnaître comme dieux. Dans les deux cas on aurait de quoi répondre. LIVRE III
Mais nous, nous montrerons la vérité sur notre Jésus par les témoignages des prophètes, puis, en comparant son histoire avec les leurs, nous montrerons que nulle licence n’est rapportée à son sujet. Ceux qui, par inimitié contre lui, avaient cherché « un faux témoignage » pour l’accuser d’inconduite ne purent pas même trouver de fondement plausible à ce « faux témoignage ». De plus sa MORT, résultat du complot des hommes, n’eut rien de comparable au foudroiement d’Asclépios. Et qu’a donc de vénérable la frénésie de Dionysos dans ses habits de femmes, pour qu’on l’adore comme un dieu ? Si les défenseurs de ces légendes cherchent refuge dans l’allégorie, il faut examiner d’une part s’il s’agit d’allégories saines, et de l’autre si des êtres déchirés par les Titans et précipités du trône céleste peuvent avoir une existence réelle et mériter les honneurs et l’adoration ? Mais notre Jésus, lorsque, pour employer l’expression de Celse, il apparut à ses propres sectateurs, il apparut réellement, et Celse calomnie l’Évangile en disant qu’il apparut comme une ombre. Comparons, cependant, les histoires de ces héros avec celle de Jésus ! Celse prétend-il que les premières sont vraies et les autres des fictions ? Mais elles renferment les détails rapportés par des témoins oculaires qui ont montré par leur conduite leur claire compréhension de Celui qu’ils avaient contemplé et ont manifesté leur disposition par l’empressement à souffrir pour sa doctrine. Comment serait-ce répondre au dessein d’agir en tout raisonnablement que d’admettre à la légère les histoires des héros, et pour celle de Jésus, de se jeter sans enquête dans l’incrédulité ? LIVRE III
Même dans les oracles d’Apollon Pythien on trouverait des injonctions déraisonnables. J’en citerai deux exemples. Il ordonna que Cléomèdès, le pugiliste, je crois, reçût les honneurs divins, comme s’il voyait je ne sais quoi de vénérable dans l’art du pugilat ; mais il n’attribua ni à Pythagore ni à Socrate les mêmes honneurs qu’à ce pugiliste. En outre il a qualifié de « serviteur des Muses » Archiloque, auteur qui manifeste son talent poétique en un sujet d’une extrême grossièreté et impudeur, et révéla un caractère immoral et impur : en le qualifiant de « serviteur des Muses » qui passent pour des déesses, il proclamait sa piété. Or je ne sais si même le premier venu appellerait pieux l’homme qui n’est pas orné de toute modération et vertu, et si un homme honnête oserait dire les propos des ïambes inconvenants d’Archiloque. Mais s’il est flagrant que rien de divin ne caractérise la médecine d’Asclépios et la divination d’Apollon, comment, même en concédant les faits, raisonnablement les adorer comme de pures divinités ? Et surtout lorsqu’Apollon, l’esprit divinateur pur de toute corporalité terrestre, s’introduit par le sexe dans la prophétesse assise à l’ouverture de la grotte de Pytho. Nous ne croyons rien de pareil sur Jésus et sa puissance : son corps, né de la Vierge, était constitué d’une matière humaine, apte à subir blessures et MORT d’homme. LIVRE III
Voyons encore ce que Celse dit ensuite, empruntant aux histoires des prodiges qui d’eux-mêmes semblent incroyables, mais auxquels il ne refuse point sa foi, à en juger du moins par la manière dont il s’exprime. Voici d’abord ceux d’Aristéas de Proconnèse, dont il dit : Ensuite, Aristéas, après avoir si miraculeusement disparu aux yeux des hommes, apparut de nouveau clairement, et beaucoup plus tard il visita maintes régions de la terre et raconta des choses étonnantes: malgré la recommandation d’Apollon aux Mésapontins de placer Aristéas au rang des dieux, il n’est plus personne pour le croire dieu. Il semble avoir tiré l’histoire de Pindare et d’Hérodote. Mais il suffit de citer ici le passage d’Hérodote qui se trouve dans le quatrième livre des Histoires, et que voici : « J’ai dit d’où était Aristéas, l’auteur de ce poème. Je vais dire ce que j’ai entendu raconter de lui à Proconnèse et à Cyzique. Aristéas, dit-on, ne le cédait à aucun concitoyen pour la noblesse de sa famille. Étant entré, à Proconnèse, dans la boutique d’un foulon, il y mourut ; et le foulon, ayant fermé son atelier, se mit en route pour porter la nouvelle aux parents du défunt. Le bruit de la MORT d’Aristéas s’était déjà répandu dans la ville, quand un homme qui venait de la ville d’Atarkè entra en contestation avec ceux qui le propageait : il avait, disait-il, en se rendant à Cyzique, rencontré Aristéas et conversé avec lui. Comme il le soutenait avec force en face de ses contradicteurs, les parents du défunt se présentèrent à la boutique du foulon avec un brancard pour enlever le corps ; on ouvrit la maison, et on n’y aperçut Aristéas ni MORT ni vif. Sept ans après, il aurait reparu à Proconnèse, aurait composé ce poème que les Grecs appellent maintenant Arismaspées, et, le poème composé, aurait disparu pour la deuxième fois. Voilà ce qu’on raconte dans ces deux villes. Et voici ce que je sais être arrivé aux Métapontins, en Italie, deux cent quarante ans après la seconde disparition d’Aristéas, ainsi que mes calculs à Proconnèse et à Métaponte m’ont permis de le reconnaître. Les Métapontins racontent qu’Aristéas en personne leur apparut dans leur pays, qu’il leur ordonna d’élever un autel à Apollon et de dresser auprès de cet autel une statue sous le nom d’Aristéas de Proconnèse ; il leur aurait dit qu’ils étaient les seuls Italiotes chez qui Apollon était venu jusqu’alors ; et que lui, qui présentement était Aristéas, l’avait accompagné ; en ce temps-là, quand il accompagnait le dieu, il était un corbeau. Cela dit, il avait disparu et les Métapontins, à ce qu’ils disent, avaient envoyé à Delphes demander au Dieu ce qu’il fallait penser de l’apparition de cet homme. La Pythie leur aurait conseillé d’obéir à l’apparition, car s’ils obéissaient ils s’en trouveraient mieux. Et eux, ayant accueilli avec foi cette réponse, s’y seraient conformés. De fait, une statue qui porte le nom d’Aristéas se dresse aujourd’hui près du monument dédié à Apollon ; tout autour, il y a des lauriers et le monument est érigé sur la place. Mais en voilà assez sur Aristéas. » LIVRE III
A cette histoire d’Aristéas, il faut répondre : si Celse l’avait citée comme une histoire sans indiquer qu’il l’avait acceptée comme vraie, autre eût été ma réponse à son argument. Mais, comme il affirme qu’Aristéas, après avoir disparu miraculeusement, apparut de nouveau clairement, visita maintes régions de la terre et raconta des choses étonnantes, et que de plus il cite, comme de son propre chef en y donnant son assentiment, l’oracle d’Apollon qui recommanda aux Métapontins de placer Aristéas au rang des dieux, voici l’argument que je lui oppose : comment, tu ne vois que fictions dans les miracles que les disciples de Jésus rapportent de lui, tu blâmes ceux qui y croient, et tu penses qu’il n’y a dans ces histoires-là ni prestiges ni fictions. Comment, quand tu accuses les autres de croire sans raison aux miracles de Jésus, peux-tu donner l’apparence d’ajouter foi à des histoires de cette taille sans donner à leur sujet la moindre démonstration ni la preuve qu’elles se sont réellement passées? Crois-tu Hérodote et Pindare incapables de mentir, tandis que ceux qui se sont exposés à la MORT pour les enseignements de Jésus et qui ont laissé à la postérité, sur l’objet de leur foi, des écrits de cette valeur mèneraient pour des fictions, selon toi, des mythes et des prestiges le rude combat d’une vie précaire et d’une MORT violente? Accepte d’être impartial entre les récits sur Aristéas et l’histoire de Jésus, et juge, aux résultats bienfaisants pour la réforme des moers et la piété envers le Dieu suprême, s’il n’y a pas lieu de dire : il faut croire l’action de Dieu impliquée dans l’histoire de Jésus, nullement dans celle d’Aristéas de Proconnèse. Dans quel dessein la Providence aurait-elle permis les prodiges d’Aristéas, quelle utilité pour le genre humain eut-elle visée dans l’exhibition de ces merveilles que tu lui prêtes, tu ne peux le dire ! Nous au contraire, lorsque nous racontons l’histoire de Jésus, nous apportons de sa réalité une justification valable : la volonté de Dieu d’établir par Jésus la doctrine qui sauverait les hommes ; doctrine qui repose sur les apôtres comme fondements de l’édifice du christianisme à sa fondation, mais qui se développe aux temps postérieurs où s’accomplissent, au nom de Jésus, bien des guérisons et d’autres manifestations non négligeables. LIVRE III
Je pense que ce sont les seuls héros connus de Celse. Et c est pour paraître négliger à dessein les cas analogues qu’il a ajouté : On pourrait en citer bien d’autres de même genre. Soit ! Admettons qu’il y ait eu bien des héros de même genre dont le genre humain n’a tiré nul avantage : que trouverait-on chez eux qui soit comparable à l’oevre de Jésus et à ses miracles dont j’ai longuement parlé ? Après quoi Celse pense que notre culte pour ce prisonnier, comme il dit, mis à MORT est pareil à la vénération de Zamolxis au pays des Gètes, de Mopsos en Cilicie, d’Amphilochos en Acarnanie, d’Amphiaraos à Thèbes, de Trophonios à Lébadia. Mais là encore, on le convaincra d’avoir assimilé sans raison notre culte à ceux des peuples qu’il mentionne. Ils ont élevé temples et statues aux personnages qu’il énumère ; nous, nous refusons à la divinité l’honneur rendu par ces procédés : ils sont plus adaptés aux démons, fixés, je ne sais comment, en un lieu déterminé qu’ils ont choisi d’avance, ou que, attirés par des incantations ou des sortilèges, ils semblent habiter. Nous admirons Jésus qui a détourné notre esprit de tout sensible, comme non seulement corruptible mais destiné à être corrompu, pour l’élever à rendre honneur au Dieu suprême par une vie droite accompagnée de prières ; nous lui présentons ces prières comme par Celui qui, médiateur entre la nature de l’Inengendré et celle de toutes les créatures, à la fois nous apporte les bienfaits du Père et, à la façon du grand-prêtre, transporte nos prières jusqu’au Dieu suprême. LIVRE III
Il en vient ensuite au mignon d’Adrien – je parle de l’adolescent Antinoos – , et aux honneurs qui lui sont rendus dans la ville d’Egypte Antinoopolis, et il pense qu’ils ne diffèrent en rien de notre culte pour Jésus. Eh bien ! réfutons cette objection dictée par la haine. Quel rapport peut-il y avoir entre Jésus que nous vénérons et la vie du mignon d’Adrien qui n’avait pas même su garder sa virilité d’un attrait féminin morbide ? Contre Jésus, ceux mêmes qui ont porté mille accusations et débité tant de mensonges, n’ont pas pu alléguer la moindre action licencieuse. De plus, si on soumettait à une étude sincère et impartiale le cas d’Antinoos, on découvrirait des incantations égyptiennes et des sortilèges à l’origine de ses prétendus prodiges à Antinoopolis, même après sa MORT. On rapporte que c’est la conduite, dans d’autres temples, suivie par les Égyptiens et autres gens experts en sorcellerie : ils fixent en certains lieux des démons pour rendre des oracles, guérir, et souvent mettre à mal ceux qui ont paru transgresser les interdits concernant les aliments impurs ou le contact du cadavre d’un homme ; ils veulent effrayer ainsi la foule des gens incultes. Voilà celui qui passe pour dieu à Antinoopolis d’Egypte : ses vertus sont des inventions mensongères de gens qui vivent de fourberies, tandis que d’autres, bernés par le démon qui habite en ce lieu, et d’autres, victimes de leur conscience faible, s’imaginent acquitter une rançon divinement voulue par Antinoos ! Voilà les mystères qu’ils célèbrent et leurs prétendus oracles ! Quelle différence du tout au tout avec ceux de Jésus ! Non, ce n’est pas une réunion de sorciers qui, pour complaire à l’ordre d’un roi ou à la prescription d’un gouverneur, ont décidé de faire de lui un dieu. Mais le Créateur même de l’univers, par l’effet de la puissance persuasive de sa miraculeuse parole, l’a constitué digne du culte non seulement de tout homme qui cherche la sagesse, mais encore des démons et autres puissances invisibles. Jusqu’à ce jour, celles-ci montrent ou qu’elles craignent le nom de Jésus comme celui d’un être supérieur, ou qu’elles lui obéissent avec respect, comme à leur chef légitime. S’il n’avait pas été ainsi constitué par la faveur de Dieu, les démons à la seule invocation de son nom ne se retireraient pas sans résistance de leurs victimes. LIVRE III
Il dit ensuite que nous nous moquons de ceux qui adorent Zeus sous prétexte qu’on montre en Crète son tombeau, nous qui néanmoins adorons un homme sorti du tombeau, sans savoir pourquoi ni comment les Crétois agissent de la sorte. Observe qu’il prend ici la défense des Crétois, de Zeus et de son tombeau, en faisant allusion à des raisons symboliques qui auraient fait inventer, dit-on, le mythe de Zeus. Il nous critique parce que nous avons convenu que notre Jésus a été enseveli ; mais nous affirmons qu’il a surgi du tombeau, chose que les Crétois n’ont encore osé raconter de Zeus. Comme il paraît défendre ce tombeau de Zeus en Crète en nous accusant de ne savoir ni pourquoi ni comment les Crétois agissent de la sorte, je dirai : Callimaque de Cyrène qui avait étudié la plupart des poèmes et lu presque toute l’histoire grecque, ne connaissait aucune signification allégorique de l’histoire de Zeus et de son tombeau : aussi il s’en prend aux Crétois dans son hymne à Zeus : « Les Crétois toujours menteurs ! Ils ont eu beau, grand Chef, te bâtir une tombe, les Crétois ! Mais non, tu n’es pas MORT, car tu vis à jamais. » Par ces mots : « Mais non tu n’es pas MORT, car tu vis à jamais », il a nié que la tombe de Zeus fût en Crète, mais il rappelle que Zeus a éprouvé le commencement de la MORT : car la naissance sur terre est le commencement de la MORT. Il dit donc : « Dans la Parrhasie, Rhéia s’étendit et t’enfanta. » Mais comme il avait, à cause de l’histoire de son tombeau, nié la naissance de Zeus en Crète, il devait voir que sa naissance en Arcadie impliquait qu’après y être né il y mourût. Et voici ce qu’en dit Callimaque : « Zeus ! On te dit né au mont Ida ! Zeus, on te dit né en Arcadie : qui donc, ô Père, en a menti ? Les Crétois toujours menteurs ! », etc. Voilà où m’a conduit l’injustice de Celse envers Jésus : il donne bien son assentiment à l’Écriture quand elle dit que Jésus est MORT et a été enseveli ; mais il tient pour fiction qu’il soit aussi ressuscité des MORTs, et cela, bien que d’innombrables prophètes l’aient prédit, et qu’il y ait maintes preuves qu’il s’est manifesté après sa MORT. LIVRE III
Ce n’est donc pas aux mystères et à la participation de la sagesse « mystérieuse et demeurée cachée que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour la gloire » de ses justes, que nous appelons l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux, ni tous les autres que par amplification peut y joindre Celse ; mais, c’est à la guérison. Il y a dans la divinité du Logos des aspects qui aident à guérir les malades dont il parle : « Les bien portants n’ont pas besoin de médecins, mais les malades » ; il y en a d’autres qui découvrent à ceux qui sont purs de corps et d’esprit « la révélation du mystère, enveloppé de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifesté tant par les écrits des prophètes que par l’apparition de Notre Seigneur Jésus-Christ » qui se manifeste à chacun des parfaits, illuminant leur esprit pour une connaissance véridique des réalités. Mais, comme, amplifiant ses griefs contre nous, il termine son énumération de vauriens par ce trait : « Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? », je répliquerai : un brigand appelle bien de tels individus pour utiliser leur perversité contre les hommes qu’il veut tuer et dépouiller ; mais le chrétien, en appelant les mêmes individus que le brigand, leur lance un appel différent, pour bander leurs blessures par le Logos, et verse dans l’âme enflammée de maux les remèdes du Logos qui, comme le vin, l’huile, le lait, et les autres médicaments, soulagent l’âme. Il calomnie ensuite nos exhortations orales ou écrites à ceux qui ont mal vécu, les appelant à se convertir et à réformer leur âme, et il assure que nous disons : Dieu a été envoyé aux pécheurs. C’est à peu près comme s’il reprochait à certains de dire : c’est pour les malades habitant dans la ville qu’un médecin y a été envoyé par un roi plein d’humanité. Or « le Dieu Logos a été envoyé », médecin « aux pécheurs », maître des divins mystères à ceux qui, déjà purs, ne pèchent plus. Mais Celse, incapable de faire la distinction – car il n’a pas voulu approfondir -, objecte : Pourquoi n’a-t-il pas été envoyé à ceux qui sont sans péché ? Quel mal y a-t-il à être sans péché ? A quoi je réplique : si par ceux qui sont sans péché il veut dire ceux qui ne pèchent plus, notre Sauveur Jésus leur a été envoyé à eux aussi, mais non comme un médecin ; mais si par ceux qui sont sans péché il entend ceux qui n’ont jamais péché – car il n’y a pas de distinction dans son texte -, je dirai qu’il est impossible qu’il y ait dans ce sens un homme sans péché, à l’exception de l’homme que l’esprit discerne en Jésus, « qui n’a pas commis de péché ». Méchamment donc, Celse nous attribue l’affirmation : Que l’injuste s’humilie dans le sentiment de sa misère, Dieu l’accueillera ; mais que le juste dans sa vertu originelle lève les yeux vers lui, il refusera de l’accueillir. Nous soutenons en effet qu’il est impossible qu’un homme dans sa vertu originelle lève les regards vers Dieu. Car la malice existe nécessairement d’abord dans l’homme, comme le dit Paul : « Le précepte est venu, le péché a pris vie, et moi, je suis MORT. » De plus, nous n’enseignons pas qu’il suffise à l’injuste de s’humilier dans le sentiment de sa misère pour être accueilli par Dieu, mais que s’il se condamne lui-même pour ses actes antérieurs, et s’il s’avance humble pour le passé, rangé pour l’avenir, Dieu l’accueillera. LIVRE III
Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que l’ordre, la composition, l’élocution de ces discours philosophiques aient produit ces résultats en ceux qu’on a nommés et en d’autres dont la vie avait été mauvaise. Mais à considérer que les discours qualifiés par Celse de vulgaires sont remplis de puissance à la manière des incantations, à voir ces discours convertir d’innombrables multitudes des désordres à la vie la plus réglée, des injustices à l’honnêteté, des timidités et des lâchetés à une fermeté poussée jusqu’au mépris de la MORT pour la religion qu’ils croyaient vraie, que de justes raisons d’admirer la puissance de ce discours ! Car « le discours » de ceux qui ont, à l’origine, donné cet enseignement et travaillé à établir les églises de Dieu, ainsi que leur « prédication » eurent une puissance persuasive, bien différente de la persuasion propre à ceux qui prônent la sagesse de Platon ou d’un autre philosophe qui, étant hommes, n’avaient rien d’autre qu’une nature humaine. La démonstration dont usaient les apôtres de Jésus avait été donnée par Dieu et tenait sa vertu persuasive de « l’Esprit et de la puissance ». De là vient la rapidité et la pénétration avec laquelle s’est répandue leur parole, ou plutôt celle de Dieu, qui, par eux, changea un grand nombre de ceux qui étaient naturellement enclins à pécher et en avaient l’habitude. Et ceux qu’un homme n’eût pas changés, même par le châtiment, le Logos les a recréés, les formant et les modelant à son gré. LIVRE III
Celse, dans la logique de ses principes, ajoute qu’il est très difficile de changer radicalement la nature. Mais nous savons que les âmes raisonnables sont toutes de même nature ; nous soutenons qu’aucune n’a été faite mauvaise par le Créateur de l’univers, mais que bien des hommes sont devenus méchants du fait de l’éducation, de la perversion, de l’entourage, qui font de la malice une disposition naturelle en certains ; nous sommes persuadés qu’il est non seulement possible, mais qu’il n’est pas très difficile au Logos divin de changer la malice devenue naturelle ; la seule condition est d’admettre qu’il faut se confier au Dieu suprême et tout faire en vue de Lui plaire. Auprès de Lui il n’est pas vrai que : « la même estime attende le lâche et le brave » Ni « la même MORT, l’homme qui ne fait rien et l’auteur de mille exploits ». LIVRE III
Ensuite, après tant de griefs contre nous, voulant laisser voir qu’il pourrait en formuler d’autres mais les passe sous silence, il s’exprime ainsi : Voilà mes accusations, et d’autres pareilles pour ne pas les énumérer toutes. J’affirme qu’ils offensent et insultent Dieu pour attirer des gens pervers par des espérances vaines et les persuader insidieusement de mépriser des biens supérieurs, sous prétexte qu’ils gagneront à s’en abstenir. On peut lui répondre : à voir ceux qui viennent au christianisme, ce ne sont pas tant des gens pervers qui sont attirés par la doctrine que les simples ou – comme on dirait vulgairement -, les rudes. Ceux-là, la crainte des châtiments annoncés les pousse et les encourage à s’abstenir des actes qui les méritent. Ils s’efforcent de se donner à la piété qu’enseigne le christianisme, se laissent vaincre par la doctrine jusqu’à mépriser, par crainte des châtiments que cette doctrine qualifie d’éternels, toute torture imaginée contre eux par les hommes, et la MORT au milieu de tourments innombrables : aucun homme sensé ne verrait là une conduite inspirée de motifs pervers. Comment, pour un motif pervers pratiquerait-on la tempérance et la sobriété, la libéralité et la bienfaisance ? On n’aurait pas même la crainte de Dieu, que l’Écriture recommande comme utile aux foules, à ceux qui sont encore incapables de regarder ce qui mérite par soi-même d’être choisi, et de le choisir comme le bien suprême qui dépasse toute promesse : cette crainte même ne peut naître en celui qui a choisi une vie perverse. LIVRE III
En l’âme de Jésus, si l’on suppose un changement à sa venue dans un corps, nous demanderons ce qu’on veut dire par là. Est-ce un changement de l’essence? On ne l’accorde pas de cette âme, ni même d’une autre âme raisonnable. Veut-on la dire affectée par le corps auquel elle est mélangée et par le lieu où elle est venue ? En quoi cela répugne-t-il au Logos qui dans son immense amour pour les hommes fait descendre un Sauveur au genre humain? Aucun de ceux qui auparavant avaient promis de le guérir n’avait pu faire tout ce dont cette âme a fait preuve même en descendant librement à la condition MORTelle des hommes pour le salut de notre race. Telle est la pensée du divin Logos exprimée en maints passages des Écritures ; il suffit pour l’instant de citer un seul passage de Paul : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus : Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclaves. » « S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la MORT, et à la MORT de la croix. Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom. » LIVRE IV
Cette admirable piété que ni fatigues, ni péril de MORT ni arguments captieux ne peuvent vaincre ne servira-t-elle de rien à ceux qui l’ont acquise pour leur éviter d’être comparés à des vers, même s’ils avaient pu l’être avant une telle piété ? En vérité, nous paraissent-ils frères des vers, parents des fourmis, semblables aux grenouilles, les vainqueurs du plus brûlant désir des voluptés, qui a rendu tant de coeurs mous comme cire, dont la victoire vient de leur persuasion que le seul moyen de parvenir à la familiarité avec Dieu est de monter vers lui par la tempérance ? Quoi donc, l’éclat de la justice qui lui fait observer à l’égard de son prochain et de ses parents la sociabilité, la justice, la charité et la bienfaisance n’empêcherait pas celui qui la pratique d’être une chauve-souris ? Au contraire ceux qui se roulent dans la débauche, comme la plupart des hommes, qui s’approchent indifféremment des prostituées et enseignent que ce ne peut être absolument contre le devoir, ne sont-ils pas des vers dans un bourbier ? C’est encore plus clair si on compare à ceux qu’on a instruits à ne pas « prendre les membres du Christ » et le corps habité par le Logos, pour en faire « les membres d’une prostituée », qui ont appris déjà que le corps de l’être raisonnable, consacré au Dieu de l’univers, est « le temple » du Dieu qu’ils adorent, et devient réellement tel si on a une pure notion du Créateur ; et qui, en se gardant de souiller « le temple de Dieu » par une union illicite, pratiquent la tempérance comme un acte de piété envers Dieu. LIVRE IV
Au dire de l’Écriture, il est « Sauveur de tous les hommes, surtout des croyants », et son Christ est « propitiation pour nos péchés, et non pas pour nos péchés seuls, mais pour ceux du monde entier ». Certains Juifs peuvent dire, sinon tout ce qu’a écrit Celse, du moins, des propos vulgaires ; assurément pas les chrétiens, car ils ont appris la parole : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est MORT pour nous. » Et pourtant, « à peine voudrait-on mourir pour un homme juste ; pour un homme de bien peut-être accepterait-on de mourir ». En fait, suivant notre prédication, c’est pour les pécheurs du monde entier, afin qu’ils abandonnent leurs péchés et se confient en Dieu, qu’est venu Jésus, appelé encore, suivant l’usage traditionnel de la Bible, le Christ de Dieu. LIVRE IV
Celse abomine la haine, celle, je pense, que nourrissait contre Jacob Ésaü, dont la méchanceté est reconnue par l’Écriture ; puis, sans citer clairement l’histoire de Siméon et de Lévi qui cherchèrent à venger leur soeur violée par le fils du roi de Sichem, il les accuse tous deux. Il parle des frères qui vendent : les fils de Jacob ; du frère qui est vendu : Joseph ; du père qui se laisse tromper : Jacob, qui n’eut aucun soupçon quand ses fils lui montrèrent « la tunique multicolore » de Joseph, mais les crut et « pleura », comme s’il était MORT, Joseph devenu esclave en Egypte. Voilà bien la haine sans amour de la vérité avec laquelle Celse entasse les traits de l’histoire. Là où elle lui paraît contenir des motifs de blâme, il la cite ; mais là où elle prouve la mémorable chasteté de Joseph, refusant, malgré ses prières et ses menaces, de céder à la passion de celle qui était légalement sa maîtresse, il ne se souvient plus de l’histoire. De manière bien supérieure aux actions que l’on rapporte de Bellérophon, on voit, en effet, Joseph préférer la prison à la perte de sa chasteté : du moins, quand il eût pu se défendre et se justifier contre son accusatrice, sa magnanimité lui fit garder le silence et remettre sa cause à Dieu. LIVRE IV
En effet, il serait absurde de croire que des pierres ou des édifices sont plus ou moins purs que d’autres pierres ou d’autres édifices, parce qu’ils ont été construits pour l’honneur de Dieu ou pour recevoir des corps sans honneur et maudits, mais que des corps ne différeraient pas d’autres corps selon qu’ils sont habités par des êtres raisonnables ou des êtres sans raison, et par les plus vertueux des êtres raisonnables ou les pires des hommes. Voilà pourtant la raison qui a poussé certains à prétendre diviniser les corps des gens supérieurs, pour avoir reçu une âme vertueuse, et à rejeter et déshonorer ceux des scélérats. Non que cette pratique soit parfaitement saine, mais elle dérive d’une saine notion. Est-ce que le sage, après la MORT d’Anytos et de Socrate, prendrait un soin égal de la sépulture du corps de Socrate et de celle d’Anytos, et élèverait-il à la mémoire des deux le même tertre funéraire ? Voilà les réflexions amenées par la formule de Celse : aucun d’eux n’est oeuvre de Dieu, le mot « eux » pouvant se rapporter au corps de l’homme ou des serpents qui viennent de ce corps, et à celui du boeuf ou des abeilles qui viennent du corps de boeuf, et à celui du cheval ou de l’âne et des guêpes issues du cheval, des scarabées issus de l’âne. LIVRE IV
A quoi il suffira de répondre : Si rien n’est imMORTel de ce qui provient de la matière, ou bien le monde entier est imMORTel et ainsi il ne provient pas de la matière, ou bien il n’est pas imMORTel. Or si le monde est imMORTel, et tel est l’avis de ceux qui disent que l’âme seule est oeuvre de Dieu et sort d’un cratère, que Celse montre qu’il ne provient pas d’une matière sans qualité, pour être dans la logique de son affirmation que rien n’est imMORTel de ce qui provient de la matière. Mais si le monde, provenant de la matière, n’est pas imMORTel, est-ce que ce monde MORTel est corruptible ou non ? S’il est corruptible, c’est comme oeuvre de Dieu qu’il sera corruptible. Dès lors, dans cette corruption du monde, que fera l’âme qui est l’oeuvre de Dieu, à Celse de le dire ! Veut-il dire, pervertissant la notion d’imMORTalité : le monde est imMORTel, car, bien que sujet à la corruption, il ne sera pas corrompu, puisque, susceptible de subir la MORT, en fait il ne meurt pas ? Il est clair qu’il y aurait alors, d’après lui, une réalité à la fois MORTelle et imMORTelle, parce que susceptible de l’un et l’autre sort ; qu’elle serait MORTelle tout en ne mourant pas ; et que n’étant pas imMORTelle par nature, elle peut être dite en un sens particulier imMORTelle, pour la raison qu’elle ne meurt pas. En quel sens donc, s’il faisait cette distinction, dirait-il que rien n’est imMORTel de ce qui provient de la matière ? Visiblement, à les soumettre à un examen serré, on prouve que les idées de ce livre n’ont rien de noble ni d’incontestable. LIVRE IV
Mais je ne sais pourquoi Celse a jugé utile, en écrivant contre nous, de traiter à la légère une doctrine qui demanderait une longue démonstration, au moins plausible, pour montrer dans la mesure du possible que la période des êtres MORTels est semblable du commencement à la fin, et au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont et seront toujours les mêmes choses. Si cela était, c’en serait fait de notre liberté. Car si, au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont et seront toujours les mêmes choses dans la période des êtres MORTels, il est clair que nécessairement toujours Socrate s’adonnera à la philosophie, sera accusé d’introduire des divinités nouvelles et de corrompre la jeunesse, et qu’Anytos et Mélétos toujours l’accuseront, et le Conseil dans l’Aéropage prononcera par décret contre lui la condamnation à MORT par la ciguë. Nécessairement toujours aussi, au cours des périodes déterminées Phalaris sera tyran et Alexandre de Phères commettra les mêmes cruautés, et les condamnés au taureau de Phalaris mugiront toujours en lui. Qu’on admette cela, et je ne sais comment notre liberté sera sauvée, et comment on pourra raisonnablement mériter louange ou blâme. A l’hypothèse de Celse on opposera que, si la période des êtres MORTels est toujours semblable du commencement à la fin, et que, au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont, et seront toujours les mêmes choses, alors au cours des périodes déterminées nécessairement toujours Moïse avec le peuple juif sort d’Egypte, et Jésus revient au monde pour faire les mêmes choses qu’il a faites non pas une fois, mais un nombre infini de fois au cours des périodes. De plus, les mêmes gens seront chrétiens dans les cycles déterminés et Celse, de nouveau, écrira ce livre qu’il a auparavant écrit une infinité de fois. LIVRE IV
Si rare que soit le fait, il est cependant rapporté que des éléphants, une fois acquise cette douceur apparente, sont devenus cruels contre les hommes et ont commis des meurtres, et à cause de cela, ont été condamnés à MORT comme désormais inutiles. LIVRE IV
Ensuite, pour avoir mal compris les saintes Écritures, ou entendu ceux qui ne les avaient pas pénétrées, il nous fait dire que seront seuls à survivre au moment où la purification par le feu sera infligée au monde non seulement les vivants d’alors, mais même ceux qui seront MORTs depuis longtemps. Il n’a pas saisi la sagesse cachée qu’enfermé la parole de l’Apôtre de Jésus : « Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés, en un instant, en un clin d’oeil, au son de la trompette finale ; car la trompette sonnera, les MORTs ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés. » Il aurait dû savoir la pensée qui portait l’auteur à s’exprimer de la sorte : à ne pas se présenter comme un MORT, à se distinguer des MORTs, lui-même et ceux qui lui ressemblent, et, après avoir dit que « les MORTs ressusciteront incorruptibles », à ajouter : « et nous, nous serons transformés ». Pour confirmer que telle avait été la pensée de l’Apôtre, quand il a écrit ce que j’ai cité de la Première aux Corinthiens, je présenterai encore le passage de la Première aux Thessaloniciens, où Paul, en homme vivant, éveillé, distinct de ceux qui sont endormis, déclare : « Voici, en effet, ce que nous avons à vous dire sur la parole du Seigneur : nous, les vivants, qui serons encore là lors de l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas les MORTs. Car au signal donné, à la voix de l’Archange, au son de la trompette divine, le Seigneur en personne descendra du ciel. » Et de nouveau, après cela il ajoute, sachant que les MORTs dans le Christ sont différents de lui et de ceux qui sont dans le même état que lui : « Ceux qui sont MORTs dans le Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous, les vivants, qui serons encore là, nous serons emportés ensemble avec eux dans les nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs. » LIVRE V
« Dieu donne donc à chacun un corps à son gré » : aux plantes ainsi semées, comme aux êtres qui sont pour ainsi dire semés dans la MORT et qui reçoivent en temps opportun, de ce qui est semé, le corps assigné par Dieu à chacun selon son mérite. Nous entendons aussi l’Écriture qui enseigne longuement la différence entre le corps pour ainsi dire semé et celui qui en est comme ressuscité. Elle dit : « Semé dans la corruption, il ressuscite incorruptible ; semé dans l’abjection, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. » A celui qui le peut, de savoir encore sa pensée dans ce passage : « Tel le terrestre, tels seront aussi les terrestres, tel le céleste, tels seront aussi les célestes. Et comme nous avons porté l’image du terrestre, de même nous porterons l’image du céleste. » Cependant l’Apôtre veut laisser caché le sens mystérieux du passage, qui ne convient pas aux simples et à l’entendement commun de ceux que la foi suffît à amender. Il est néanmoins forcé ensuite, pour nous éviter des méprises sur le sens des ses paroles, de compléter l’expression : « Nous porterons l’image du céleste » par celle-ci : « Je l’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité1. » Et sachant bien le mystérieux sens caché qu’il y avait dans ce passage, comme il convient à un auteur laissant par écrit à la postérité l’expression de sa pensée, il ajoute : «Voici que je vais vous dire un mystère. » C’est précisément la formule d’introduction aux doctrines profondes et mystérieuses, justement cachées à la foule. Ainsi encore il est écrit dans le livre de Tobie : « Il est bon de tenir caché le secret du roi » ; puis, à l’égard de ce qui est glorieux et adapté à la foule, en dosant la vérité : « Il est bon de révéler les oeuvres de Dieu pour sa gloire. » Dès lors notre espérance n’est pas celle des vers et notre âme ne regrette pas le corps putréfié ; sans doute a-t-elle besoin d’un corps pour passer d’un lieu à un autre ; mais, ayant médité la sagesse selon la parole : « La bouche méditera la sagesse », elle sait qu’il y a une différence entre l’habitation terrestre où se trouve la tente et qui est vouée à la destruction, et la tente où les justes gémissent accablés, non parce qu’ils veulent se dévêtir de la tente, mais « pardessus elle se revêtir » (d’une autre) afin que, ainsi revêtus, « ce qu’il y a de MORTel soit englouti par la vie ». « Il faut en effet », toute la nature corporelle étant corruptible, que cette tente « corruptible revête l’incorruptibilité », et que d’autre part, ce qui est « MORTel » et destiné à la MORT, conséquence immédiate du péché, « revête l’imMORTalité ». Ainsi, quand « cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité et cet être MORTel l’imMORTalité, alors s’accomplira » l’antique prédiction des prophètes, la fin du triomphe de la MORT qui dans son triomphe nous avait soumis à elle, et la perte de l’aiguillon dont elle pique l’âme incomplètement protégée, lui infligeant les blessures qui viennent du péché. LIVRE V
Il y a donc, à parler en général, deux lois : l’une, la loi de la nature, dont on peut dire que Dieu est l’auteur ; l’autre, la loi écrite des cités. Il est bon, quand la loi écrite ne contredit pas celle de Dieu, de ne pas troubler les citoyens par des lois étrangères. Mais quand la loi de la nature, c’est-à-dire de Dieu, ordonne le contraire de la loi écrite, vois si la raison n’impose pas de congédier les textes et l’intention des législateurs, pour se donner au Dieu Législateur et choisir une vie conforme à son Logos, dut-on affronter des risques, mille souffrances, la MORT et l’infamie. Quand les actions qui plaisent à Dieu sont contraires à celles qui plaisent à certaines lois des cités, et qu’il est impossible de plaire à Dieu et à ceux qui veillent à l’application de ces lois, il serait absurde de mépriser les actions par lesquelles on plairait au Créateur de l’univers et de choisir celles par lesquelles on déplaira à Dieu tout en donnant satisfaction aux lois qui ne sont pas des lois et à ceux qui les aiment. S’il est raisonnable de préférer sur les autres points la loi de la nature, qui est la loi de Dieu, à celle qui est écrite et promulguée par les hommes en contradiction avec la loi de Dieu, combien plus ne le sera-t-il pas quand il s’agit de lois sur le culte à rendre à Dieu ? Aussi n’irons-nous pas comme les Égyptiens habitant les alentours de Méroé, adorer les seuls Zeus et Dionysos comme il leur plaît de faire, ni accorder le moindre honneur aux dieux d’Ethiopie à la manière éthiopienne ; ni comme les Arabes penser qu’Uranie et Dionysos soient les seuls dieux, ni même du tout admettre qu’ils sont des dieux en qui on honore les sexes masculin et féminin, car les Arabes adorent Uranie comme femelle et Dionysos comme mâle ; ni non plus comme tous les Égyptiens regarder Osiris et Isis comme des dieux, ni leur joindre Athéné suivant l’opinion des Saïtes. Et même si les Naucratites autrefois décidèrent d’adorer d’autres dieux, et ont commencé hier ou avant-hier à vénérer Sérapis qui n’avait jamais été dieu, nous n’irons pas pour autant faire un nouveau dieu de celui qui auparavant n’était pas dieu, et n’était pas même connu des hommes. Mais le Fils de Dieu, « Premier-né de toute créature », bien qu’il ait paru s’être fait homme récemment, n’en est pas du tout nouveau pour cela. Les divines Écritures le savent bien antérieur à toutes les créatures : c’est à lui que Dieu, lors de la création de l’homme, adressa la parole : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » LIVRE V
Je veux montrer à quel point Celse déraisonne en disant que chacun doit rendre un culte aux dieux particuliers de son pays. Il dit que les Ethiopiens qui habitent Méroé connaissent deux seuls dieux, Zeus et Dionysos, les seuls qu’ils adorent ; que les Arabes de même n’en adorent que deux seuls, Dionysos comme les Ethiopiens, et Uranie qui leur est propre. Et d’après ce qu’il rapporte, ni les Ethiopiens n’adorent Uranie, ni les Arabes Zeus. Dès lors, qu’un Ethiopien se trouve d’aventure chez les Arabes, qu’on le juge impie pour son refus d’adorer Uranie et de ce chef qu’il risque sa vie, cet homme devra-t-il mourir ou violer ses traditions et adorer Uranie ? S’il a le devoir de violer ses traditions, il commettrait une impiété d’après les arguments de Celse. Mais s’il était conduit au supplice, que Celse montre qu’il est raisonnable de choisir la MORT. Je ne sais si la doctrine des Ethiopiens leur enseigne à philosopher sur l’imMORTalité de l’âme et la récompense due à la piété quand ils adorent, conformément aux lois traditionnelles, de prétendus dieux. On dirait la même chose pour des Arabes venus par hasard vivre parmi les Ethiopiens qui habitent autour de Méroé. Eux aussi, formés à l’adoration des seuls Uranie et Dionysos, refuseraient d’adorer Zeus avec les Ethiopiens. Si alors, considérés comme impies, ils étaient conduits au supplice, que devraient-ils faire d’après la raison, à Celse de le dire ! Détailler les mythes d’Osiris et d’Isis serait ici un hors d’oeuvre superflu. Même interprétés allégoriquement, ils nous enseigneraient à adorer l’eau inanimée et la terre que foulent les hommes et tous les animaux : c’est ainsi qu’ils font, je crois, d’Osiris l’eau et d’Isis la terre. De Sérapis il existe une histoire longue et incohérente : il fut introduit hier ou avant-hier par certains sortilèges de Ptolémée, désireux de le présenter aux Alexandrins comme un dieu visible. J’ai lu chez le Pythagoricien Noumenios, à propos de la nature de Sérapis, qu’il participerait à l’être de tous les animaux et végétaux régis par la nature. Il paraît ainsi avoir été établi comme dieu grâce aux mystères profanes et aux pratiques de sorcellerie qui évoquent les démons : ce n’était pas seulement le fait des sculpteurs mais aussi des magiciens, des sorciers et des démons que charment leurs incantations. LIVRE V
Il mélange des choses incompatibles et assimile entre elles des choses dissemblables ; car après avoir parlé des soixante ou soixante-dix anges descendus, selon lui, et dont les pleurs, à l’en croire, seraient les sources chaudes, il ajoute qu’il vint alors, dit-on, au tombeau de Jésus deux anges d’après les uns, un seul d’après les autres. Il n’a pas observé, je pense, que Matthieu et Marc ont parlé d’un seul, Luc et Jean de deux, ce qui n’est pas contradictoire. Les auteurs désignent par un seul ange celui qui a fait rouler la pierre loin du tombeau, et par deux anges ceux qui se sont présentés « en robe étincelante » aux femmes venues au tombeau, ou ceux qui ont été vus à l’intérieur « assis dans leurs vêtements blancs ». Il serait possible de montrer ici que chacune de ces apparitions est à la fois un événement historique et une manifestation d’un sens allégorique relatif aux vérités qui apparaissent à ceux qui sont prêts à contempler la résurrection du Logos; cela ne relève pas de l’étude actuelle, mais plutôt des commentaires de l’Évangile. Des réalités merveilleuses se sont parfois manifestées aux hommes : c’est ce que rapportent aussi parmi les Grecs non seulement ceux qu’on pourrait soupçonner d’inventer des fables, mais encore ceux qui ont donné maintes preuves de la rigueur philosophique et de leur loyauté à citer les faits qui leur sont parvenus. J’ai lu de ces traits chez Chrysippe de Soles, d’autres chez Pythagore ; et depuis, chez certains aussi plus récents, nés d’hier ou d’avant-hier, comme chez Plutarque de Chéronée dans le “Traité de l’âme”, et le Pythagoricien Noumenios dans le deuxième livre “Sur l’incorruptibilité de l’âme”. Ainsi donc, quand les Grecs, et surtout leurs philosophes, racontent des faits de cet ordre, leurs récits ne provoquent ni moquerie ni dérision et on ne les traite pas de fictions et de fables. Au contraire, quand des hommes voués au Dieu de l’univers et qui, pour ne pas dire une parole mensongère sur Dieu, acceptent d’être maltraités jusqu’à la MORT, annoncent qu’ils ont vu des apparitions d’anges, ils ne mériteraient pas créance et leurs paroles ne seraient pas reconnues véridiques ? Il serait déraisonnable de trancher ainsi entre la sincérité et le mensonge. La rigueur de la critique exige une recherche longue et précise, un examen de chaque point, après lesquels, avec lenteur et précaution, on prononce que tels auteurs disent vrai et tels auteurs mentent sur les prodiges qu’ils racontent. Tous ne manifestent pas qu’ils sont dignes de foi, tous ne montrent pas clairement qu’ils transmettent aux hommes des fictions et des fables. Il faut ajouter à propos de la résurrection de Jésus d’entre les MORTs : il n’est pas étonnant qu’alors un ange ou deux soient apparus pour annoncer qu’il était ressuscité, et qu’ils aient pourvu à la sécurité de ceux qui pour leur salut croyaient à ce miracle. Et il ne me semble pas déraisonnable que toujours ceux qui croient Jésus ressuscité et présentent comme un fruit appréciable de leur foi la générosité de leur vie et leur aversion pour le débordement du vice, ne soient point séparés des anges qui les accompagnent pour leur porter secours dans leur conversion à Dieu. Celse reproche aussi à l’Écriture d’affirmer qu’un ange avait roulé la pierre loin du tombeau où était le corps de Jésus : il ressemble à un jeune homme qui s’exerce à user de lieux communs pour soutenir une accusation. Comme s’il avait trouvé contre l’Écriture une objection subtile, il ajoute : Le Fils de Dieu, à ce qu’il paraît, ne pouvait ouvrir le tombeau, mais il a eu besoin d’un autre pour déplacer la pierre. Mais je ne veux pas perdre mon temps à discuter l’objection ni, en développant ici une interprétation allégorique, paraître introduire mal à propos des considérations philosophiques. Du récit lui-même je dirai que d’emblée il semble plus digne que ce fût l’inférieur et le serviteur, plutôt que celui qui ressuscitait pour le bien des hommes, qui ait fait rouler la pierre. Je m’abstiens de souligner que ceux qui conspiraient contre le Logos, qui avaient décidé de le tuer et de montrer à tous qu’il était MORT et réduit à rien, ne voulaient pas du tout que son tombeau fût ouvert, afin que personne ne pût voir le Logos vivant après leur conspiration. Mais « l’Ange de Dieu » venu sur terre pour le salut des hommes coopère avec l’autre ange et, plus fort que les auteurs de la conspiration, fait rouler la lourde pierre, afin que ceux qui croient le Logos MORT soient persuadés qu’« il n’est point parmi les MORTs », mais qu’il vit et « précède » ceux qui consentent à le suivre, pour expliquer la suite de ce qu’il avait commencé à leur expliquer auparavant, lorsqu’au premier temps de leur initiation ils n’étaient pas encore capables de saisir les vérités plus profondes. LIVRE V
5. Ensuite, que soudain comme d’une flamme jaillissante surgit une lumière dans l’âme, le Logos l’a su le premier, au dire du prophète : « Illuminez-vous vous-mêmes de la lumière de la connaissance. » Et Jean, qui a vécu après lui, dit encore : « Ce qui fut fait » était « vie » dans le Logos, « et la vie était la lumière des hommes, lumière véritable, qui éclaire tout homme qui vient dans le monde » véritable et intelligible, et qui le constitue « lumière du monde ». Car « il a fait luire cette lumière dans nos coeurs pour qu’y resplendisse l’Évangile de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ ». C’est pourquoi un prophète très ancien, dans ses prédictions antérieures de plusieurs générations au règne de Cyrus qu’il précède de quatorze générations, a pu dire : « Le Seigneur est mon illumination et mon Sauveur : qui craindrai-je ? » ; « Ta loi est un flambeau sur mes pas, une lumière sur mon sentier » ; « La lumière de ta face est scellée sur nous, Seigneur » ; « Par ta lumière nous voyons la lumière. » C’est à cette lumière que le Logos nous exhorte dans Isaïe : « Illumine-toi, illumine-toi, Jérusalem ; car voici ta lumière, et sur toi s’est levée la gloire du Seigneur. » Et ce même auteur prophétise sur la venue de Jésus qui détournerait du culte des idoles, des statues et des démons : « Une lumière s’est levée pour ceux qui se tenaient dans le pays et l’ombre de la MORT » ; et de nouveau : « Le peuple qui se tenait dans les ténèbres a vu une grande lumière. » LIVRE VI
Celse dit ensuite : Les uns – il veut dire les chrétiens – proposent celui-ci, les autres celui-là, et tous n’ont à la bouche qu’un mot: « Crois si tu veux être sauvé ou va-t-en ! » Que feront donc ceux qui désirent vraiment être sauvés ? Est-ce à un coup de dés qu’ils devineront de quel côté se tourner et à qui s’attacher ? A cela, pressé par l’évidence même, je réponds : si l’histoire attestait qu’il y en ait eu plusieurs comme Jésus à venir à l’existence humaine en se disant fils de Dieu, et que chacun d’eux ait attiré assez de disciples pour que, tous se proclamant fils de Dieu, il y ait incertitude sur celui à qui va le témoignage de ses fidèles, il y aurait lieu de dire : les uns proposent celui-ci, les autres celui-là, et tous n’ont à la bouche que ce mot : « Crois si tu veux être sauvé, ou va-t-en ! » etc. Mais en fait par toute la terre Jésus est prêché comme le seul Fils de Dieu venu au genre humain. Car ceux qui, comme Celse, le soupçonnent d’avoir usé de prestiges, et pour ce motif ont voulu en user à leur tour pour jouir eux aussi de la même puissance sur les hommes ont été convaincus de n’être rien : Simon le magicien de Samarie et Dosithée originaire du même pays, l’un s’affirmant la puissance de Dieu qu’on nomme la Grande, l’autre se disant lui-même Fils de Dieu. En aucun lieu de la terre, il n’y a de Simoniens ; et cependant, pour accroître le nombre de ses disciples, Simon écartait d’eux le risque de MORT que les chrétiens ont appris à choisir, car suivant sa doctrine l’idolâtrie était chose indifférente. LIVRE VI
Celse a beau qualifier gens les plus incultes, esclaves, les moins instruits ceux qui ne comprennent pas son point de vue et n’ont pas assimilé la science des Grecs, nous déclarons, nous, les plus incultes ceux qui ne rougissent pas de s’adresser à des objets inanimés, de demander la santé à la faiblesse, de chercher la vie auprès de la MORT, de mendier du secours auprès de l’impuissance. Ceux mêmes qui prétendent que ce ne sont point là des dieux, mais des imitations des dieux véritables et leurs symboles, sont tout aussi bien des gens sans éducation, esclaves, sans instruction, puisqu’ils imaginent de mettre les imitations de la divinité entre les mains d’artisans; si bien, disons-nous, que même les derniers des nôtres sont libérés de cette sottise et de cette ignorance, tandis que les plus sensés conçoivent et comprennent l’espérance divine. Mais nous ajoutons qu’il est impossible à un homme non exercé à la sagesse humaine de recevoir la sagesse divine, et nous convenons que toute la sagesse humaine comparée à la divine est folie. LIVRE VI
S’il en est qui, n’ayant pu voir clairement, dans leur simplicité, la doctrine de l’humilité, se livrent à de pareilles pratiques, il ne faut pas mettre en cause l’Évangile, mais pardonner à la simplicité de ces gens qui, avec les meilleures intentions, n’arrivent point à les réaliser à cause de leur naïveté même. Plus que le sage humble et rangé de Platon, est humble et rangé le juste : rangé, parce qu’il marche dans des chemins sublimes et admirables qui le dépassent ; humble, parce que, tout en suivant ces chemins, il s’humilie volontairement, non sous un homme quelconque, mais « sous la puissante main de Dieu », grâce à Jésus qui enseigne ces doctrines : « Il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais s’anéantit lui-même, prenant condition de serviteur », « et s’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la MORT et à la MORT sur une croix. » Telle est la grandeur de la doctrine de l’humilité que, pour nous l’enseigner, nous n’avons pas n’importe quel maître, mais notre puissant Sauveur lui-même qui déclare : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. » LIVRE VI
Veut-on apprendre encore les artifices par lesquels ces sorciers, prétendant posséder certains secrets, ont voulu gagner les hommes à leur enseignement et sans beaucoup de succès ? Qu’on écoute ce qu’ils apprennent à dire une fois passé ce qu’ils nomment « la barrière de la malice », les portes des Archontes éternellement fermées de chaînes : « Roi solitaire, bandeau d’aveuglement, oubli inconscient, je te salue, première puissance, gardée par l’esprit de providence et par la sagesse ; d’auprès de toi je suis envoyé pur, faisant partie déjà de la lumière du Fils et du Père ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Voilà, d’après eux, où commence l’Ogdoade8. Puis, ils apprennent à dire ensuite, en traversant ce qu’on nomme Ialdabaoth : « O toi, premier et septième, né pour dominer avec assurance, Ialdabaoth, raison souveraine de la pure intelligence, chef-d’oeuvre du Fils et du Père, je porte un symbole empreint d’une image de vie ; j’ai ouvert au monde la porte que tu avais fermée pour ton éternité, et retrouvant ma liberté je traverse ton empire ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Et ils disent que l’astre brillant est en sympathie avec l’archonte à forme de lion. Ils croient ensuite qu’après avoir traversé Ialdabaoth, et être arrivé à la on doit dire : « 0 toi qui présides aux mystères cachés du Fils et du Père, et qui brilles pendant la nuit, Iao second et premier, maître de la MORT, lot de l’innocent, voici que, portant comme symbole la soumission de mon esprit, je m’apprête à traverser ton empire ; car, par une parole vivante, je l’ai emporté sur celui qui vient de toi ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » Immédiatement après, c’est Sabaoth à qui, selon eux, on devra dire : « Archonte du cinquième empire, puissant Sabaoth, premier défenseur de la loi de ta création, que la grâce a libérée par la vertu plus puissante du nombre cinq, laisse-moi passer en voyant intact ce symbole de ton art que je conserve dans l’empreinte d’une image, un corps délivré par le nombre cinq ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! »… A sa suite, c’est Astaphaios auquel ils pensent qu’on doit s’adresser en ces termes ! «Archonte de la troisième porte, Astaphaios, qui veilles sur la source originelle de l’eau, regarde-moi comme un myste, et laisse-moi passer, car j’ai été purifié par l’esprit d’une vierge, toi qui vois l’essence du monde ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » LIVRE VI
Voilà à quels détails m’a entraîné la prétendue érudition de Celse qui est plutôt curiosité indiscrète et bavardage. Car je voulais montrer au lecteur de son traité et de ma réfutation, que je ne trouve aucune difficulté dans les informations utilisées par lui pour calomnier les chrétiens. Ils n’admettent et ne connaissent rien de cela, et si j’ai voulu le connaître et en faire état, c’est pour empêcher que, par leur prétention d’en avoir plus que nous, les sorciers ne trompent ceux que fascine le clinquant des mots. Et j’aurais pu montrer par plusieurs autres citations que nous savons bien les formules de ces fourbes, mais les repoussons comme étrangères, impies, sans points communs avec les doctrines authentiquement chrétiennes que nous confessons jusqu’à la MORT. LIVRE VI
Après les considérations que je viens de citer en y ajoutant d’autres de même ordre, Celse continue : Ils entassent pêle-mêle discours de prophètes, cercles sur cercles, ruisseaux de l’église terrestre et de la circoncision, une vertu émanant d’une certaine vierge Prunicos, une âme vivante, un ciel immolé pour qu’il vive, une terre immolée par l’épée, des hommes en grand nombre immolés pour qu’ils vivent, une MORT qui doit finir dans le monde quand mourra le péché du monde, une nouvelle descente étroite et des portes qui s’ouvrent d’elles-mêmes. Il y est partout question du bois de la vie et de la résurrection de la chair par le bois, parce que, je crois, leur maître a été cloué à la croix et qu’il était charpentier de profession. En sorte que, si par hasard on l’avait précipité d’un rocher, jeté dans un gouffre, étranglé par une corde, ou s’il eût été cordonnier, tailleur de pierres, ouvrier en fer, il y aurait au-dessus des deux un rocher de vie, un gouffre de résurrection, une corde d’imMORTalité, une pierre de béatitude, un fer de charité, un cuir de sainteté. Quelle vieille femme prise de vin, fredonnant une fable pour endormir un bébé, n’aurait honte de chuchoter pareilles sornettes ? Celse me paraît ici confondre des idées mal comprises. On dirait un homme qui, ayant saisi quelques bouts de phrases prononcés dans une secte ou l’autre sans en avoir compris le sens et l’intention, en a rassemblé les bribes pour donner à ceux qui ne savent rien ni de nos doctrines ni de celles des sectes l’impression qu’il connaît toutes les doctrines du christianisme. C’est ce qui ressort du passage cité. LIVRE VI
Que la MORT doive finir dans le monde quand mourra le péché du monde, on pourrait le dire en commentant le mystérieux passage de l’Apôtre : « Au moment où il mettra tous ses ennemis sous ses pieds, alors le dernier ennemi sera détruit : la MORT. » Et il dit encore : « Quand donc cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, alors s’accomplira la parole de l’Écriture : la MORT a été engloutie dans la victoire. » LIVRE VI
L’expression une nouvelle descente étroite pourrait venir de ceux qui admettent la métensomatose. Vraisemblablement la phrase : les portes qui s’ouvrent d’elles-mêmes, a été employée par ceux qui expliquent en termes obscurs le texte : « Ouvre-moi les portes de la justice, que j’y entre et confesse le Seigneur ; voici la porte du Seigneur, par elle entreront les justes. » Ou encore, dans le psaume neuvième : « Tu me fais remonter des portes de la MORT, pour que je publie toutes tes louanges aux portes de la fille de Sion. » Par portes de la MORT, l’Écriture désigne les péchés conduisant à la perdition, au contraire, par « portes de Sion » elle désigne les bonnes actions ; et ainsi, « portes de la justice » équivaut à « portes de la vertu » : elles s’ouvrent d’emblée à ceux qui s’appliquent aux actes de vertu. LIVRE VI
L’explication sur le bois de la vie viendrait plus à propos dans un commentaire sur le paradis de Dieu, décrit dans la Genèse comme planté par lui. Mais souvent déjà Celse s’est moqué de la résurrection qu’il ne comprend pas. Ici, non content de ce qu’il a déjà dit, il ajoute qu’il est question de la résurrection de la chair par le bois, faute d’entendre, je pense, l’expression figurée : c’est par le bois que vint la MORT, et par le bois la vie ; la MORT en Adam, la vie dans le Christ. LIVRE VI
Voyons le passage qui suit. Il paraît mettre en scène un personnage qui, après avoir entendu ces paroles, demanderait : Comment donc puis-je connaître Dieu ? Comment puis-je apprendre la voie qui mène là-haut ? Comment me le montres-tu ? Car pour l’instant, c’est de l’obscurité que tu répands devant mes yeux et je ne puis rien voir de distinct. Ensuite, il esquisse la réponse à pareille difficulté et, croyant donner la raison de l’obscurité qu’il a répandue devant les yeux de celui qui vient de parler, il dit : Ceux que l’on conduit des ténèbres à une éclatante lumière, ne pouvant en supporter les rayons, ont la vue offusquée et affaiblie et se croient aveugles. On répondra : ceux-là sont assis dans les ténèbres et y demeurent qui arrêtent le regard sur toutes les oeuvres mauvaises des peintres, des modeleurs, des sculpteurs, sans vouloir regarder plus haut et s’élever par l’esprit du visible et de tout le sensible jusqu’au Créateur de l’univers qui est lumière. Mais celui-là se trouve dans la lumière qui suit les rayons du Logos, car le Logos a montré quelle ignorance, quelle impiété et quel manque de connaissance sur la divinité conduisent à adorer ces choses à la place de Dieu ; et il a guidé jusqu’au Dieu incréé et suprême l’esprit de qui veut être sauvé. « Car le peuple qui était assis dans l’obscurité », celui des Gentils, « a vu une grande lumière, et la lumière s’est levée pour ceux qui sont assis dans la région et l’ombre de la MORT », le Dieu Jésus. LIVRE VI
» Pour ceux toutefois qui ont reçu le pouvoir, parce qu’ils le suivent, de l’accompagner même quand il monte « sur la haute montagne », il a une forme plus divine. Il la voit, celui qui est comme Pierre, capable d’avoir l’Église bâtie sur lui par le Logos et qui a une telle disposition au bien qu’aucune porte de l’enfer ne peut prévaloir contre lui, parce qu’il a été élevé par le Logos « des portes de la MORT, pour qu’il puisse publier toutes les louanges de Dieu aux portes de la fille de Sion » ; et s’il y en a qui doivent leur naissance aux paroles prononcées d’une voix puissante, ils ne manquent aucunement de tonnerre spirituel. LIVRE VI
Aussi démontrons-nous, en réunissant les textes des Écritures sacrées, que les prophètes juifs, illuminés par l’Esprit divin autant qu’il leur était utile quand ils prophétisaient, étaient les premiers à jouir de la venue en eux de l’Esprit d’en haut. Le contact, pour ainsi dire, de ce qu’on appelle l’Esprit Saint avec leur âme rendait leur intelligence plus perspicace, leur âme plus limpide ; et même leur corps qui, étant MORT au désir de la chair, n’offrait plus d’obstacle à la vie vertueuse. LIVRE VI
Parmi les prophètes juifs, les uns étaient sages avant de recevoir le don de prophétie et l’inspiration divine, les autres le devinrent lorsqu’ils eurent l’esprit illuminé par la prophétie même. Ils ont été choisis par la providence pour être dépositaires de l’Esprit divin et des paroles qu’il inspire, à cause de leur vie inimitable, d’une fermeté absolue, d’une liberté, d’une impassibilité totales devant les périls et la MORT. La raison exige que tels soient les prophètes du Dieu suprême, en comparaison de qui la fermeté d’Antisthène, de Cratès, de Diogène sont un jeu d’enfant. Ainsi, à cause de la vérité et de leur liberté à reprendre les pécheurs, « ils ont été lapidés, sciés, torturés, passés au fil de l’épée ; car ils ont mené une vie vagabonde, vêtus de peaux de brebis et de chèvres, dénués de tout, maltraités, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes et les antres de la terre, eux dont le monde terrestre n’était pas digne »; les regards toujours fixés sur Dieu et les biens de Dieu non perceptibles aux sens et pour cette raison éternels. LIVRE VI
Après quoi, pour ruiner la foi de ceux qui admettent l’histoire de Jésus, parce qu’elle a été prédite, il ajoute : Eh bien ! que les prophètes aient prédit que le grand Dieu, pour ne rien dire de plus grossier, subirait l’esclavage, la maladie, la MORT, Dieu devrait-il subir la MORT, l’esclavage, la maladie sous prétexte que cela a été prédit, pour que sa MORT fît croire qu’il était Dieu ? Mais les prophètes n’ont pu le prédire : c’est un mal et une impiété. On n’a donc point à examiner s’ils l’ont prédit ou non, mais si l’acte est honnête et digne de Dieu. Si l’acte est honteux et mauvais, quand bien même tous les hommes en transes sembleraient le prédire, il faut refuser de le croire. Comment donc la vérité admettrait-elle que Jésus ait subi cela comme un Dieu ? LIVRE VI
Comme il pose, par hypothèse, que des choses ne sont pas possibles et ne conviennent pas à Dieu, il dit : Qu’elles aient été prédites du Dieu suprême, faudra-t-il les croire de Dieu sous prétexte qu’elles ont été prédites ? Et il se fait fort d’établir que même si les prophètes les ont réellement prédites du Fils de Dieu, il serait impossible de croire aux prédictions qu’il doit souffrir ou agir de la sorte. Il faut répondre que son hypothèse est absurde et pose des prémisses qui amènent des conséquences contradictoires. En voici la preuve. Si les vrais prophètes du Dieu suprême disent que Dieu subira l’esclavage, la maladie ou même la MORT, ces malheurs arriveront à Dieu, puisque les prophètes du grand Dieu disent nécessairement la vérité. D’autre part, si les vrais prophètes du Dieu suprême disent ces mêmes choses, puisque ce qui est par nature impossible ne peut être vrai, ce que les prophètes annoncent de Dieu ne saurait arriver. Or, quand deux prémisses ont des conséquences contradictoires en raison de ce qu’on appelle le syllogisme des deux propositions, l’antécédent des deux prémisses est détruit, en l’espèce : les prophètes prédisent que le grand Dieu va subir l’esclavage, la maladie, la MORT. La conclusion est donc que les prophètes n’ont pas prédit que le grand Dieu subirait l’esclavage, la maladie, la MORT. Et voici la forme du raisonnement : si A est vrai, B est vrai ; si A est vrai, B n’est pas vrai ; donc A n’est pas vrai. LIVRE VI
Les Stoïciens donnent en la matière cet exemple : si tu sais que tu es MORT, tu es MORT ; si tu sais que tu es MORT, tu n’es pas MORT ; conclusion, tu ne sais donc pas que tu es MORT. Et voici comment ils prouvent les prémisses : si tu sais que tu es MORT, ce que tu sais est vrai, il est donc vrai que tu es MORT. D’autre part, si tu sais que tu es MORT, il est également vrai que tu sais que tu es MORT. Mais puisqu’un MORT ne sait rien, il est clair que si tu sais que tu es MORT, tu n’es pas MORT. Et, comme on l’a noté ci-dessus, la conclusion des deux prémisses est : tu ne sais donc pas que tu es MORT. Ainsi en va-t-il à peu près de l’hypothèse de Celse dans l’argument cité plus haut. LIVRE VI
Mais ce qu’on a admis dans l’hypothèse n’a rien de comparable aux prophéties concernant Jésus. Les prophéties n’ont pas prédit que Dieu serait crucifié, elles qui disent de celui qui allait subir la MORT : « Nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté, mais sa forme était méprisable, inférieure aux enfants des hommes ; homme plongé dans l’affliction et la peine, sachant porter l’infirmité. » Vois donc comme ils ont dit clairement que celui qui a enduré des souffrances humaines était un homme. Et Jésus lui-même, sachant avec précision que ce qui mourrait c’était l’homme, déclare à ceux qui complotent contre lui : « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. » S’il y avait quelque chose de divin dans l’homme que l’esprit discerne en lui, c’était le Fils unique de Dieu, le Premier-né de toute créature, celui qui dit : « Je suis la Vérité, je suis la Vie, je suis la Porte, je suis la Voie, je suis le Pain vivant descendu du ciel. » Le raisonnement sur cet être et son essence est tout autre que celui qui concerne l’homme que l’esprit discerne en Jésus. LIVRE VI
Aussi même les chrétiens d’une extrême simplicité, nullement rompus aux raisonnements dialectiques, refuseraient de dire que la Vérité, la Vie, la Voie, le Pain vivant descendu du ciel ou la Résurrection ait subi la MORT. La personne qui s’affirme être la résurrection c’est celle qui, dans l’homme visible qu’était Jésus, a enseigné : « Je suis la Résurrection ». De plus, aucun d’entre nous n’est assez stupide pour dire que la Vie est MORTe ou que la Résurrection est MORTe. Or l’hypothèse de Celse ne serait de mise que si nous affirmions que les prophètes ont prédit la MORT pour celui qui est le Dieu Logos, la Vérité, la Vie, la Résurrection ou l’un des autres titres que se donne le Fils de Dieu. LIVRE VI
Il n’y a donc qu’un point où Celse dise la vérité : Mais les prophètes n’ont pu le prédire : c’est un mal et une impiété. Que veut-il dire d’autre sinon que le grand Dieu subirait l’esclavage et la MORT ? Au contraire, elle est bien digne de Dieu l’annonce faite par les prophètes qu’une certaine « splendeur et image » » de la nature divine viendrait vivre associée à l’âme sainte de Jésus qui prend un corps humain, afin de répandre une doctrine faisant participer à l’amitié du Dieu de l’univers quiconque la recevrait et cultiverait dans son âme, et amenant tout homme à la fin, à condition qu’il garde en soi-même la puissance de ce Dieu Logos qui devait habiter dans un corps et une âme d’homme. De cette façon, ses rayons ne seraient pas enfermés en lui seul et on ne pourrait penser que la lumière source de ces rayons, le Dieu Logos, n’existe nulle part ailleurs. LIVRE VI
Dès lors, ce qu’on a fait à Jésus, si l’on considère la divinité qui est en lui, n’est pas contraire à la piété et ne répugne point à la notion de la divinité. Par ailleurs, en tant qu’homme, plus orné que tout autre par la participation la plus élevée au Logos en personne et à la Sagesse en personne, il a supporté en sage parfait ce que devait supporter celui qui accomplit tout en faveur de toute la race des hommes ou même des êtres raisonnables. Et il n’est nullement absurde que l’homme soit MORT et que sa MORT non seulement soit un exemple de la MORT subie pour la religion, mais encore qu’elle commence et poursuive la ruine du Mauvais, le Diable, qui s’était attribué toute la terre. Cette ruine est attestée par ceux qui de toutes parts, grâce à l’avènement de Jésus, échappent aux démons qui les tenaient assujettis et, libérés de cet esclavage qui pesait sur eux, se vouent à Dieu et à la piété envers lui, laquelle, selon leurs forces, devient plus pure de jour en jour. LIVRE VI
Avec lui s’accorde Paul lui-même, selon qui « la lettre tue », autant dire le sens littéral, et « l’esprit vivifie », autant dire le sens spirituel. On peut ainsi trouver chez Paul quelque chose d’analogue aux contradictions apparentes du prophète. Ézéchiel avait dit : « Je leur ai donné des jugements qui ne sont pas bons et des prescriptions qui ne sont pas bonnes, dont ils ne pourront vivre » ; et ailleurs : « Je leur ai donné des jugements bons et des prescriptions bonnes, dont ils pourront vivre », ou l’équivalent. Paul de même, pour attaquer le légalisme littéral, dit : « Or, si le ministère de la MORT, gravé en lettres sur des pierres, a été entouré d’une telle gloire que les enfants d’Israël ne pouvaient regarder fixement le visage de Moïse en raison de la gloire pourtant passagère de ce visage, comment le ministère de l’Esprit ne serait-il pas plus glorieux ? » Et ailleurs il admire et loue la loi qu’il nomme spirituelle : « Mais nous savons que la loi est spirituelle », et il l’approuve : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. » LIVRE VI
En revanche, aux Juifs d’alors, possédant en propre une constitution et un territoire, interdire d’attaquer leurs ennemis et de faire campagne pour la défense de leurs traditions, de mettre à MORT ou châtier de quelque manière les adultères, les meurtriers, les criminels de cette espèce, c’eût été les réduire en masse à une destruction totale au moment d’une attaque ennemie contre la nation, car leur propre loi les aurait privés de force et empêchés de repousser les ennemis. Mais la Providence, qui avait jadis donné la loi et de nos jours l’Évangile de Jésus-Christ, ne voulait plus que le judaïsme restât en vigueur ; elle a donc détruit leur ville, leur temple, et le service de Dieu effectué dans le temple par le culte et le sacrifice qu’elle avait prescrits. Et de même que la Providence a mis fin à ces pratiques dont elle ne voulait plus, de même elle a donné au christianisme un essor croissant de jour en jour, lui accordant désormais la liberté de s’exprimer, malgré les obstacles innombrables opposés à la diffusion de l’enseignement de Jésus dans le monde. Et comme c’est Dieu qui a voulu étendre aux Gentils le bienfait de l’enseignement de Jésus-Christ, tout projet des hommes contre les chrétiens a été mis en échec, et plus les empereurs, les chefs de nations, le peuple les humiliaient en tous lieux, plus ils devenaient nombreux « et puissants à l’extrême ». LIVRE VI
Celse donc suppose que notre idée d’une autre terre, meilleure et bien supérieure à celle-ci, nous l’avons empruntée à certains hommes des anciens temps qu’il juge divins, et surtout à Platon qui, dans le Phédon, avait spéculé sur la terre pure qui se trouve dans la partie pure du ciel. Il ne voit pas que Moïse, bien antérieur même à l’alphabet grec, a représenté Dieu promettant la terre sainte « bonne et spacieuse où coulent le lait et le miel » pour ceux qui auraient vécu selon sa loi. Cette bonne terre n’est point, comme certains le pensent, la Judée d’ici-bas qui se trouve, elle aussi, sur la terre maudite dès l’origine à cause des ?uvres de la transgression d’Adam. Car la sentence : « La terre est maudite à cause de tes ?uvres : c’est à force de peines que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie », s’applique à la terre entière dont tout homme, MORT en Adam, tire sa nourriture à force de peines, c’est-à-dire de travaux, et cela tous les jours de sa vie. LIVRE VI
De plus, comme il y a une demeure terrestre de la tente, qui est nécessaire en quelque sorte à la tente, les Écritures déclarent que la demeure terrestre de la tente sera détruite, mais que la tente revêtira « une demeure qui n’est pas faite de main d’homme, éternelle dans le ciel ». Et les hommes de Dieu disent : « Cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité », qui est différente de ce qui est incorruptible, « cet être MORTel revêtira l’imMORTalité », qui est autre que ce qui est imMORTel. En effet, le même rapport que la sagesse a avec ce qui est sage, la justice avec ce qui est juste, la paix avec ce qui est pacifique, existe également entre l’incorruptibilité et ce qui est incorruptible, entre l’imMORTalité et ce qui est imMORTel. Vois donc à quoi nous exhorte l’Écriture en disant que nous revêtirons l’incorruptibilité et l’imMORTalité ; comme des vêtements pour celui qui en a été revêtu et qui en est entouré, elles ne permettent pas que celui qui en est enveloppé subisse la corruption ou la MORT. Voilà ce que j’ai osé dire parce qu’il n’a pas compris ce qu’on entend par la résurrection, et qu’il en prend occasion pour tourner en dérision une doctrine qu’il ne connaît pas. LIVRE VI
Jamais non plus on ne poserait la question, comme si Dieu était dans un lieu : comment aller à lui ? Car Dieu est supérieur à tout lieu et contient tout ce qui peut être, et il n’est rien qui contienne Dieu. Ce n’est point d’aller à Dieu corporellement que nous ordonne le précepte : « Marche à la suite du Seigneur ton Dieu » ; ce n’est pas corporellement que le prophète veut adhérer à Dieu, quand il dit, dans la prière : « Mon âme adhère à toi. » Celse nous calomnie donc en disant que nous espérons voir Dieu des yeux de notre corps, entendre sa voix de nos oreilles, le toucher de nos mains sensibles. Nous savons au contraire que les divines Écritures emploient des termes homonymes pour des yeux autres que les yeux du corps, de même que pour les oreilles ou les mains ; et, ce qui est plus remarquable, pour un sens divin et d’un autre ordre que le sens désigné communément par ce mot. Car lorsque le prophète dit : « Ouvre mes yeux et je contemplerai les merveilles de ta loi » ; « Le commandement du Seigneur est plein de lumière, il illumine mes yeux » ; « Illumine mes yeux afin que je ne m’endorme pas dans la MORT », personne n’est assez stupide pour penser que les yeux du corps comprennent les merveilles de la loi divine, ou que le commandement du Seigneur illumine les yeux du corps, ou qu’il puisse leur survenir un sommeil qui cause la MORT. LIVRE VI
Après ces attaques auxquelles j’ai répondu de mon mieux, Celse reprend : Mais ils demanderont encore : Comment connaîtront-ils Dieu s’ils ne l’atteignent par les sens ? Que peut-on connaître sans l’usage des sens ? Puis il répond lui-même : Ce n’est point là propos de l’homme ni de l’âme, mais de la chair. Qu’ils écoutent pourtant, si du moins est capable d’entendre quelque chose celle engeance pusillanime et attachée au corps. Quand, après avoir fermé l’entrée des sens, vous aurez regardé en haut par l’esprit, et qu’après vous être détournés de la chair, vous aurez donné l’éveil aux yeux de l’âme, alors seulement vous verrez Dieu. El si vous cherchez un guide pour celle voie, vous devez fuir les imposteurs et les sorciers qui évoquent des fantômes, afin d’éviter ce comble du ridicule de dire du mal en les traitant de fantômes des autres dieux rendus visibles, tandis que vous adorez un homme plus misérable que les véritables fantômes eux-mêmes, et qui n’est même plus un fantôme mais en réalité un MORT, et que vous lui cherchez un père semblable à lui. LIVRE VI
L’homme, donc, c’est-à-dire l’âme usant d’un corps, appelée « l’homme intérieur », et aussi « l’âme », ne va pas répondre ce qu’écrit Celse, mais ce qu’enseigne l’homme de Dieu. Le chrétien ne saurait tenir un propos de la chair ; il a appris à MORTifier « par l’Esprit les actions du corps », et à porter « toujours dans son corps la MORT de Jésus », et il a reçu cet ordre : « Mortifiez vos membres terrestres ». Il connaît le sens de la parole : « Mon esprit ne demeurera pas toujours dans ces hommes, car ils sont chair », il sait que « ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu », il fait tout pour n’être plus aucunement dans la chair mais seulement dans l’esprit. LIVRE VI
Voyons maintenant à quoi il nous invite, pour que nous entendions de lui la manière dont nous connaîtrons Dieu ; bien que, pense-t-il, aucun des chrétiens ne soit capable d’entendre ses paroles, car il dit : Qu’ils écoutent pourtant, si du moins ils sont capables d’entendre quelque chose. Voyons donc quelles paroles veut nous faire entendre de lui ce philosophe. Il devait nous enseigner, et il nous injurie. Il devait témoigner de la bienveillance pour ceux qui l’écoutent, au début de son argumentation, et il traite d’engeance pusillanime ceux qui affrontent jusqu’à la MORT pour ne point abjurer, même d’un mot, le christianisme, et qui sont prêts à tout mauvais traitement et à tout genre de MORT. Il nous traite de race attachée au corps, nous qui affirmons : « Même si autrefois nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus à présent », et qui sommes plus prompts à nous défaire du corps pour la religion qu’un philosophe à quitter son manteau. LIVRE VI
Après le passage qu’on vient d’examiner, Celse développe à l’adresse de tous les chrétiens un argument qui, à la rigueur, s’appliquerait à ceux qui se déclarent absolument étrangers à l’enseignement de Jésus : ainsi, les Ophites qui, comme on le disait plus haut, repoussent totalement Jésus, et quelques autres qui tiennent des opinions analogues aux leurs ; voilà ces imposteurs et sorciers qui évoquent des fantômes ; voilà ceux qui apprennent misérablement les noms des portiers. Donc il se trompe d’adresse en disant aux chrétiens : Si vous cherchez un guide pour cette voie, il vous faut fuir les imposteurs et les sorciers qui évoquent des fantômes. Il lui échappe que ces gens, tout aussi imposteurs que lui, disent comme lui du mal de Jésus et de toute sa religion. Aussi ajoute-t-il en nous confondant avec eux dans son argument : afin d’éviter ce comble du ridicule de dire du mal, en les traitant de fantômes, des autres dieux rendus manifestes, tandis que vous adorez celui qui est plus misérable que les véritables fantômes eux-mêmes, et qui n’est même plus un fantôme, mais en réalité un MORT, et que vous lui cherchez un père semblable à lui. LIVRE VI
Que Celse n’ait pas su la différence entre la position des chrétiens et celle des inventeurs de ces fables, qu’il pense que les griefs à leur faire s’appliquent à nous et qu’il nous les oppose sans qu’ils nous concernent, ressort clairement de ces mots : voilà donc la grande imposture, et ces conseillers admirables, et les paroles merveilleuses à l’adresse du lion, de l’amphibie à tête d’âne, et des autres portiers divins dont vous avez misérablement appris les noms par coeur, pour lesquels, ô infortunés, on vous tourmente cruellement, on vous traîne au supplice, on vous crucifie ! A coup sûr il ignore qu’aucun de ceux qui prennent pour les portiers de la voie montante les démons à forme de lion et à tête d’âne, et l’amphibie, ne résiste jusqu’à la MORT, même pour ce qui lui paraît la vérité. Mais l’excès de piété pour ainsi dire qui nous livre à tout genre de MORT et à la crucifixion, il l’attribue à ceux qui ne supportent rien de pareil. Et c’est à nous qui sommes crucifiés pour la religion qu’il reproche leur fable de démons à figure de lion, d’amphibie et autres. Ce n’est pas Celse qui nous détourne de cette doctrine sur le démon à forme de lion et autres : jamais nous n’avons rien admis de pareil. C’est à l’enseignement de Jésus que nous nous conformons en disant le contraire de ce qu’ils disent, et en refusant d’admettre que Michel, ou aucun de ceux qui viennent d’être énumérés ait une telle forme de visage. LIVRE VI
Celse pense que Dieu est connu soit par la synthèse qui domine les autres choses, semblable à la synthèse dont parlent les géomètres, soit par l’analyse qui le distingue des autres choses, soit encore par une analogie semblable à la leur, si toutefois on est capable d’arriver par cette méthode au vestibule du Bien. Mais en disant : « Personne ne connaît le Père que le Fils et celui à qui le Fils le révèle » le Logos de Dieu déclare qu’on connaît Dieu par une faveur divine, inséparable d’une action de Dieu dans l’âme qui y produit une sorte de transport divin. Il est bien normal que la connaissance de Dieu dépasse la nature humaine ; de là, dans l’humanité, tant d’erreurs sur Dieu. Mais grâce à la bonté et à l’amour de Dieu pour les hommes, par une faveur miraculeuse proprement divine, cette connaissance de Dieu parvient à tous ceux qui y ont été prédestinés, du fait que Dieu savait d’avance qu’ils vivraient d’une manière digne de Dieu qu’ils auraient connu : ils ne falsifieraient en rien la religion envers lui, même si ceux qui n’ont aucune idée de la religion et l’imaginent tout autre qu’elle n’est réellement les conduisaient à la MORT, même s’ils les jugeaient ridicules à l’excès. LIVRE VI
Et ils ajoutent : « J’ai été conçu dans l’iniquité, ma mère m’a enfanté dans le péché ». » De plus, ils déclarent que « les pécheurs sont devenus étrangers dès le sein de leur mère », et font cette remarque étonnante : « Ils se sont égarés dès le sein, ils ont dit des mensonges. » Mais nos sages ont un tel dédain pour la nature des choses sensibles qu’ils qualifient les corps tantôt de vanité : « Car la création fut soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise avec l’espérance » ; tantôt, de vanité de vanités, selon le mot de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Où trouver un tel discrédit jeté sur la vie de l’âme humaine ici-bas que chez l’auteur qui dit : « Vanité cependant que toutes choses, que tout homme vivant ! » Il ne met pas en doute la différence pour l’âme entre la vie d’ici-bas et la vie hors de ce monde, il ne dit pas : « Qui sait si vivre n’est pas mourir, et si mourir n’est pas vivre ? » Mais il a le courage de la vérité dans ces paroles : « Notre âme a été humiliée dans la poussière » ; « Tu m’as fait descendre dans la poussière de la MORT ». Et comme il est dit : « Qui me délivrera de ce corps de MORT ? » ainsi encore : « Qui transformera notre corps de misère ? » Il y a aussi la parole du prophète : « Tu nous a humiliés dans un lieu d’affliction », où « lieu d’affliction désigne le lieu terrestre dans lequel vient Adam, qui est l’homme, après avoir été pour son péché expulsé du paradis. Et considère la profondeur de vue que possédait sur la condition de vie différente pour les âmes celui qui a dit : « Aujourd’hui nos voyons dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face » ; et encore : « Tant que nous demeurons dans ce corps, nous vivons en exil loin du Seigneur », aussi « préférons-nous déloger de ce corps et aller demeurer près du Seigneur ». LIVRE VI
Après son attaque, que j’ai parée de mon mieux, il nous interpelle : Comme vous auriez mieux fait, puisque vous teniez tant à innover, de vous attacher à un autre homme parmi ceux dont la MORT fut héroïque et qui ont pu mériter de devenir l’objet d’un mythe divin ! Par exemple, si Héraclès, Asclépios, les anciens héros tenus en honneur ne vous plaisent pas, vous aviez Orphée, homme à l’esprit pieux comme tous en conviennent, victime lui aussi de MORT violente. Mais peut-être d’autres l’avaient-ils déjà choisi ? Vous aviez du moins Anaxarque qui, jeté dans un MORTier, broyé de la manière la plus inique, exprima son parfait mépris pour la torture : « Broie, broie le sac qui enveloppe Anaxarque, car lui-même tu ne peux le broyer. » Parole d’un esprit véritablement divin. Mais ici encore, certains philosophes naturalistes vous ont devancés en le prenant pour maître. Eh bien, n’aviez-vous pas Epictète? Comme son maître lui tordait la jambe, lui, souriant, disait sans émotion : « Tu vas la casser » ; et quand la jambe fut cassée, il ajouta: « Ne te disais-je pas que tu allais la casser ?» Qu’est-ce que votre Dieu a dit de pareil dans son supplice? Vous aviez du moins la Sibylle que certains d’entre vous utilisent : c’est avec plus de raison que vous l’auriez proposée comme enfant de Dieu. Mais vous ne pouvez qu’interpoler au hasard dans ses vers maints blasphèmes, et vous présentez comme Dieu celui dont la vie fut très infâme et la MORT très lamentable. Combien vous auraient mieux convenu Jonas sous le ricin, ou Daniel échappé aux fauves, ou d’autres aux actions encore plus prodigieuses ! LIVRE VI
Le reproche adressé à Jésus d’avoir eu une MORT très lamentable pourrait aussi être formulé à propos de Socrate, d’Anaxarque qu’il a mentionné un peu plus haut, et d’une infinité d’autres. Si la MORT de Jésus fut très lamentable, la leur ne l’a-t-elle pas été ? Ou si la leur ne fut pas très lamentable, la sienne l’a-t-elle été ? Tu vois bien, là encore, que Celse visait à injurier grossièrement Jésus, à l’instigation, je pense, d’un esprit que Jésus avait vaincu et chassé, pour l’empêcher de trouver sa nourriture dans le fumet de graisses et le sang et de continuer à tromper ceux qui cherchent Dieu dans les statues terrestres au lieu de lever les yeux vers le véritable Dieu suprême. LIVRE VI
Par exemple, les philosophes qui suivent Zénon de Cittium évitent l’adultère ; mais aussi les adeptes d’Épicure, et même des hommes sans instruction. Mais observe le profond désaccord de tous ces gens sur les motifs d’éviter l’adultère. Les Stoïciens le font au nom du bien commun et parce qu’il est contraire à la nature, pour un être raisonnable, de corrompre une femme déjà donnée à un autre par les lois et de détruire le foyer d’un autre homme. Les Épicuriens, quand ils s’abstiennent de l’adultère, ne l’évitent pas pour cette raison, mais parce qu’ils ont pensé que la fin est le plaisir, et vu les multiples obstacles au plaisir inévitables pour celui qui a cédé à l’unique plaisir de l’adultère : parfois la prison, la fuite, la MORT ; souvent d’autres périls avant ceux-là, quand on guette le moment où sortent de la maison le mari et ceux qui veillent à ses intérêts ; ainsi, en admettant qu’il fût possible à qui tente l’adultère d’échapper au regard du mari de la femme, de tous ses familiers et de ceux pour qui l’adultère est un déshonneur, le plaisir attirerait à l’adultère même l’Épicurien. Et si parfois l’ignorant refuse l’adultère même quand il a l’occasion de le commettre, peut-être s’en abstient-il par la crainte que lui inspirent la loi et les châtiments, et ce n’est point par la recherche de plaisirs plus nombreux qu’un tel homme s’abstiendrait de l’adultère. On voit donc qu’une action supposée la même, l’abstention de l’adultère, en raison des intentions de ceux qui s’abstiennent, n’est pas identique, mais différente. Ils s’inspirent ou de doctrines saines, ou de mobiles pervers et très impies comme ceux de l’Épicurien ou de cet ignorant. LIVRE VI
De même qu’on découvre dans cette attitude, l’abstention de l’adultère, bien qu’elle semble la même, une diversité provenant des doctrines et des intentions diverses, ainsi en va-t-il du refus d’honorer la divinité dans les autels, les temples et les statues. Les Scythes, les Nomades de la Libye, les Sères peuple sans dieu, les Perses fondent leur attitude sur d’autres doctrines que celles pour lesquelles les chrétiens et les Juifs ne tolèrent pas ce culte qu’on prétend offert à la divinité. Car aucun de ces peuples ne peut tolérer les autels et les statues parce qu’il refuserait de dégrader et d’avilir l’adoration due à la divinité en l’adressant à une matière ainsi modelée. Ce n’est pas non plus parce qu’ils ont compris que des démons hantent ces images et ces localités, appelés par des sortilèges, ou ayant d’eux-mêmes pu d’une autre manière prendre possession des lieux où ils reçoivent gloutonnement le tribut des victimes et sont en quête de plaisir illicite et d’individus sans loi. Mais les chrétiens et les Juifs ont ces commandements : « Tu craindras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul » ; «Tu n’auras point d’autres dieux que moi » ; « Tu ne te feras point d’idole, ni rien qui ressemble à ce qui est dans le ciel là-haut, ni à ce qui est sur la terre ici-bas, ni à ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras point devant ces images, ni ne les serviras » ; « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul » ; et bien d’autres de même sens. A cause d’eux, non seulement ils se détournent des temples, des autels, des statues, mais encore ils vont avec empressement à la MORT quand il le faut, pour éviter de souiller leur notion du Dieu de l’univers par une infraction de ce genre à sa loi. LIVRE VI
Après avoir plus haut longuement parlé de Jésus, il n’est pas nécessaire ici d’y revenir pour répondre à son objection : Et certes on les convainc manifestement de de n’adorer ni un dieu, ni un démon, mais un MORT. Laissant donc ce point, voyons immédiatement ce qu’il ajoute : D’abord, je leur demanderai : pour quelle raison il ne faut pas rendre un culte aux démons ? Cependant est-ce que tout n’est pas régi conformément à la volonté de Dieu, et toute providence ne relève-t-elle pas de lui? Ce qui existe dans l’univers, ?uvre de Dieu, des anges, d’autres démons ou de héros, tout cela n’a-t-il point une loi venant du Dieu très grand ? A chaque office ne trouve-t-on pas préposé, ayant obtenu la puissance, un être jugé digne? N’est-il donc pas juste que celui qui adore Dieu rende un culte à cet être qui a obtenu de lui l’autorité ? Non certes, dit-il, il n’est pas possible que le même homme serve plusieurs maîtres. LIVRE VI
Voyons les paroles de Celse qui nous exhorte à manger des viandes offertes aux idoles et à participer aux sacrifices publics au cours des fêtes publiques. Les voici : Si ces idoles ne sont rien, quel danger y a-t-il à prendre part au festin? Et si elles sont des démons, il est évident qu’eux aussi appartiennent à Dieu, qu’il faut croire en eux et leur offrir selon les lois des sacrifices et des prières pour les rendre bienveillants. En réponse, il sera utile de prendre en main la Première aux Corinthiens et d’expliquer tout le raisonnement de Paul sur les idolothytes. Là, contre l’opinion qu’une idole n’est rien dans le monde, il établit le préjudice causé par les idolothytes. Il montre à ceux qui sont capables d’entendre ses paroles que recevoir une part des idolothytes est un acte tout aussi criminel que de verser le sang, car c’est faire périr des frères pour lesquels le Christ est MORT. Ensuite, posant le principe que les victimes des sacrifices sont offertes aux démons, il déclare que participer à la table des démons est entrer en communion avec les démons et il affirme l’impossibilité « d’avoir part en même temps à la table du Seigneur et à la table des démons. » Mais comme l’explication détaillée de ces points de l’épître aux Corinthiens demanderait tout un traité d’amples discussions, je me contenterai de ces brèves remarques. A bien les examiner, on verra que même si les idoles ne sont rien, il n’en est pas moins dangereux de prendre part au festin des idoles. J’ai suffisamment prouvé aussi que même si les sacrifices sont offerts à des démons, nous ne devons pas y prendre part, nous qui savons la différence qu’il y a entre la table du Seigneur et celle des démons et qui, le sachant, faisons tout pour avoir toujours part à la table du Seigneur, mais évitons de toute manière d’avoir jamais part à la table des démons. LIVRE VIII
Citons encore le passage suivant et examinons-le de notre mieux : Si c’est par respect a une tradition qu’ils s’abstiennent de victimes de ce genre, ils devraient complètement s’abstenir de toute chair animale, comme faisait Pythagore dans son respect de l’âme et de ses organes. Mais si, comme ils disent, c’est pour ne pas festoyer avec les démons, je les félicite pour leur sagesse de comprendre tardivement qu’ils ne cessent d’être les commensaux des démons3. Mais ils n’y prennent garde qu’en voyant une victime immolée. Et cependant le pain qu’ils mangent, le vin qu’ils boivent, les fruits qu’ils goûtent, l’eau même qu’ils boivent et l’air même qu’ils respirent ne sont-ils pas autant de présents des démons qui ont chacun pour une part la charge de leur administration ? Je ne vois pas comment, en cette matière, l’obligation pour eux de s’abstenir de toute chair animale lui semble la conséquence logique du fait qu’ils s’abstiennent de certaines victimes par respect d’une tradition. Nous le nions, car la divine Écriture ne nous suggère rien de pareil. Mais pour rendre notre vie plus forte et plus pure, elle nous dit : « Il est bon de ne pas manger de viande, de ne pas boire de vin, de ne rien faire qui scandalise ton frère » ; « Garde-toi, avec tes aliments de faire périr celui pour qui le Christ est MORT » ; « Quand une viande cause la chute de mon frère, que je me passe à tout jamais de pareille viande afin de ne pas faire tomber mon frère ! » LIVRE VIII
Libre à chacun de croire à la doctrine de Celse et de montrer comment l’administration de tout ce qu’on a dit relève non pas des anges divins de Dieu, mais des démons dont la race entière est perverse. Nous aussi, nous disons que c’est sous la dépendance pour ainsi dire d’invisibles agriculteurs et autres êtres, administrant non seulement les plantes qui poussent de la terre, mais encore toute l’eau de source et tout l’air, que la terre produit ce qu’on dit régi par la nature ; que l’eau tombe en pluie et coule dans les sources et les fleuves qui en naissent ; que l’air garde sa pureté et apporte la vie à ceux qui le respirent. Mais nous ne disons certes pas que ces êtres invisibles sont des démons. S’il faut se hasarder à dire quelles sont, hormis celles-là, les oeuvres des démons, nous dirons que ce sont les famines, les stérilités de la vigne ou des arbres et même la corruption de l’air, cause de dommage pour les fruits, parfois de MORT pour les animaux et de peste pour les hommes. LIVRE VIII
Autant qu’il est possible à la nature humaine, qu’il se représente la décision divine concernant le départ en masse hors de leurs corps d’une foule d’âmes empruntant des chemins vers la MORT, laquelle est chose indifférente. Et en effet, « grandes sont les décisions de Dieu » et cette grandeur les rend insaisissables pour une intelligence qui reste enchaînée à un corps MORTel ; et c’est pourquoi « elles sont difficiles à expliquer », et pour les âmes sans instruction, absolument hors de portée. Aussi les téméraires, dans leur ignorance à ce sujet et dans leur révolte contre Dieu que provoque leur témérité, multiplient les doctrines impies contre la Providence. LIVRE VIII
Quelque forme que prenne notre prédication du châtiment, nous convertissons beaucoup d’hommes de leurs péchés en leur enseignant le châtiment. Mais considérons ce qu’au dire de Celse répond le prêtre d’Apollon ou de Zeus: « Lentement tournent les meules des dieux, dit-il, même sur les fils des fils qui naîtront dans l’avenir. » Vois combien est supérieur ce qu’on enseigne : « Les pères ne seront pas mis à MORT pour les enfants, ni les fils mis à MORT pour les pères, chacun sera mis à MORT pour son péché » ; « Tout homme qui mangera des raisins verts, ses dents seront agacées » ; « Le fils ne portera pas l’iniquité du père, le père ne portera pas l’iniquité du fils ; la justice du juste sera sur lui, la méchanceté du méchant sera sur lui. » Et si, comme équivalent au vers : « Sur les fils des fils qui naîtront dans l’avenir », on cite le texte : « Punissant l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération pour ceux qui me haïssent », qu’on apprenne que c’est là un proverbe cité dans Ézéchiel lorsqu’il reprend ceux qui disent : « Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des fils ont été agacées. » A quoi il ajoute : « Je suis vivant, dit le Seigneur, chacun mourra pour son péché. » Mais il n’est pas opportun d’expliquer maintenant ce que signifie la parabole sur les péchés qui sont punis jusqu’à la troisième et quatrième génération. LIVRE VIII
Ensuite il nous invective comme les vieilles femmes : En insultant leurs statues tu te moques des dieux; mais si tu avais insulté Dionysos lui-même ou Héraclès en personne, tu ne t’en serais peut-être pas tiré à si bon compte. Ton Dieu, on l’a torturé et crucifié en personne, et les auteurs de ce forfait n’ont rien eu à souffrir, pas même dans la suite de leur vie. Et depuis lors qu’est-il arrivé de nouveau qui puisse faire croire que ce n’était pas un sorcier, mais l’enfant de Dieu ? Ainsi Dieu qui avait envoyé son Fils porter certain message l’a dédaigné au moment de tortures si cruelles que le message même périt avec lui ; et quoique un si long temps ait passé, il n’y a prêté aucune attention. Vit-on jamais un père aussi injuste? Sans doute Celui-ci, dis-tu, voulait que son destin s’accomplît, et c’est la raison de tels outrages. Mais ces dieux que tu blasphèmes, on pourrait dire qu’ils le veulent aussi, et que pour ce motif ils supportent les blasphèmes. Car la meilleure comparaison ne porte que sur des choses égales. Nos dieux, du moins, se vengent sévèrement du blasphémateur, réduit pour cela à fuir et se cacher ou à être pris et mis à MORT. LIVRE VIII
Voilà donc ce qui est arrivé de nouveau depuis la passion de Jésus : je veux dire la destinée de cette cité et de toute la nation juive, et la naissance soudaine de la race des chrétiens qui paraît avoir été mise au monde tout d’un coup. Ce qui est encore nouveau, c’est que des gens étrangers aux alliances de Dieu et exclus des promesses, éloignés de la vérité l’aient acceptée par un miracle divin. Ce ne fut pas l’oeuvre d’un sorcier, mais celle de Dieu qui pour porter son message a envoyé son Logos en Jésus. On l’a si cruellement torturé que cette cruauté doit être imputée à ceux qui l’ont injustement torturé, et il l’a supportée avec un courage extrême et une douceur totale. Mais sa passion, loin de faire périr le message de Dieu, a au contraire, s’il faut le dire, concouru à le faire connaître, comme Jésus lui-même l’avait enseigné : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » Donc, par sa MORT, le grain de blé que fut Jésus a porté beaucoup de fruit, et le Père exerce une providence continuelle envers ceux qui ont été, sont encore et seront les fruits produits par la MORT de ce grain de blé. Le Père de Jésus est donc un père juste : il n’a point épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous comme son agneau, afin que l’Agneau de Dieu, en mourant pour le salut de tous, ôtât le péché du monde. Aussi n’est-ce pas contraint par le Père, mais de lui-même qu’il a enduré les supplices que lui infligeaient les persécuteurs. LIVRE VIII
Puis après cela, reprenant son attaque contre ceux qui blasphèment les statues, Celse dit : Mais ces dieux que tu blasphèmes, on pourrait dire qu’ils le veulent aussi et que pour ce motif ils supportent les blasphèmes ! Car la meilleure comparaison ne porte que sur des choses égales. Nos dieux, du moins, se vengent sévèrement du blasphémateur, réduit pour cela à fuir et se cacher ou à être pris et mis à MORT. Or les démons croient se venger des chrétiens non parce que ceux-ci blasphèment contre eux, mais parce qu’ils les chassent des statues et des corps et des âmes d’êtres humains. Celse a dit, sans la comprendre, une chose vraie sur ce point : car il est vrai que les démons pervers remplissent les âmes de ceux qui condamnent et livrent les chrétiens et de ceux qui prennent plaisir à leur faire la guerre. LIVRE VIII
Mais à mon avis, les démons sentent bien que les uns, victorieux jusque dans leur MORT pour la religion, ruinent leur domination, et que les autres, vaincus par les peines, se soumettent à leur pouvoir en reniant la piété envers Dieu. Ils luttent ardemment parfois avec les chrétiens qui sont livrés, parce que leur confession les torture et leur reniement les laisse en repos. On peut même en observer des traces dans l’attitude des juges : ils sont torturés par la patience des chrétiens au milieu des mauvais traitements et des épreuves, mais s’enorgueillissent de leur défaite. C’est que leur action n’est pas inspirée par leur soi-disant philanthropie, car ils voient clairement que chez ceux qui succombent sous les tourments, la langue abjure, « mais le coeur n’abjure pas ». Voilà ma réponse à sa remarque : Nos dieux du moins se vengent sévèrement du blasphémateur, réduit pour cela à fuir et se cacher ou à être pris et mis à MORT. Et s’il arrive à un chrétien de fuir, ce n’est point par crainte, mais pour obéir au précepte de son maître» et se garder libre pour aider au salut des autres. LIVRE VIII
Voyons encore le passage suivant : Faut-il énumérer tous les oracles rendus dans les sanctuaires d’une voix divine par les prophètes et prophétesses et d’autres inspirés, hommes et femmes; toutes les merveilles qu’on a entendues au fond de leurs sanctuaires ; toutes les révélations obtenues des victimes et des sacrifices ; toutes les manifestations venant d’autres prodiges ? D’autres ont bénéficié d’apparitions notoires. La vie entière est remplie de ces faits ! Combien de cités ont été bâties grâce aux oracles ou délivrées d’épidémies ou de famines ! Combien, pour les avoir méprisés ou négligés ont misérablement péri ! Combien furent fondées de colonies sur leur ordre, et qui ont prospéré pour avoir suivi leurs prescriptions ! Combien de princes, combien de particuliers ont dû au même motif leur succès ou leur échec ! Combien de personnes désolées de n’avoir pas d’enfants ont obtenu ce qu’elles ont demandé et échappé à la colère des démons ! Combien d’infirmités corporelles ont été guéries ! Combien, en revanche, pour avoir outragé des sanctuaires, en ont été aussitôt châtiés ! Les uns furent à l’instant frappés de démence, les autres avouèrent leurs forfaits, ceux-ci se donnèrent la MORT, ceux-là furent saisis de maladies incurables. Il y en eut même qui furent anéantis par une voix redoutable venant du sanctuaire. Je ne sais pourquoi Celse, qui présente ces histoires comme manifestes, a considéré comme fables les prodiges relatés dans nos écrits à propos des Juifs, de Jésus et de ses disciples. Pourquoi nos écrits ne seraient-ils pas vrais, et les histoires de Celse des inventions fabuleuses ? Elles ne trouvent même pas créance auprès d’écoles philosophiques des Grecs comme celles de Démocrite, d’Épicure, d’Aristote, qui peut-être eussent ajouté foi aux nôtres à cause de leur évidence, s’ils avaient connu Moïse ou l’un des prophètes qui ont accompli des miracles, ou encore Jésus lui-même. On raconte que la Pythie s’est parfois laissée corrompre pour rendre des oracles. Nos prophètes, au contraire, ont été admirés pour la clarté de leurs messages, non seulement par leurs contemporains mais aussi par la postérité. Car, grâce aux oracles des prophètes, des cités ont été bâties, des hommes ont recouvré la santé, des famines ont pris fin. De plus, il est clair que la nation entière des Juifs, selon les oracles, vint d’Egypte fonder une colonie en Palestine. Tant qu’elle suivit les prescriptions de Dieu, elle a prospéré ; quand elle s’en écarta elle eut à s’en repentir. Et qu’est-il besoin de dire combien de princes et combien de particuliers d’après les récits de l’Écriture ont connu le succès ou l’échec suivant qu’ils ont été fidèles aux prophéties ou qu’ils les ont méprisées ? LIVRE VIII
Alors je ne sais pourquoi Celse, faisant état du courage de ceux qui luttent jusqu’à la MORT pour ne point abjurer le christianisme, ajoute, comme s’il assimilait nos doctrines à celles que professent les initiateurs et les mystagogues : Par dessus tout, mon brave, comme tu crois à des châtiments éternels, les interprètes des mystères sacrés, initiateurs et mystagogues, y croient aussi. Les menaces que tu adresses aux autres, ils te les adressent à toi-même. Il est permis d’examiner lesquelles des deux sont les plus vraies ou plus puissantes. Car en paroles chacun affirme avec une égale énergie la vérité de ses doctrines propres. Mais quand il faut des preuves, les autres en montrent un grand nombre de manifestes, présentent des oeuvres de certaines puissances démoniaques et d’oracles, et résultant de toutes sortes de divinations. Il prétend donc par là que notre doctrine sur les châtiments éternels est la même que celle des initiateurs aux mystères, et veut examiner laquelle des deux est la plus vraie. Or je puis dire qu’est vraie la doctrine capable de mettre les auditeurs dans la disposition de vivre conformément à ses principes. Et telle est bien la disposition des Juifs et des chrétiens, relativement à ce qu’ils nomment le siècle à venir avec ses récompenses pour les justes, ses châtiments pour les pécheurs. Que Celse donc ou tout autre montre ceux à qui les initiateurs et les mystagogues inspirent de telles dispositions par rapport aux châtiments éternels ! Il est probable que l’intention de l’auteur de cette doctrine n’est pas seulement de donner lieu aux sacrifices expiatoires et aux discours sur les châtiments, mais encore de disposer les auditeurs à faire tout leur possible pour se garder eux-mêmes des actes qui sont la cause des châtiments. De plus, la lecture attentive des prophéties me paraît capable, par la prévision de l’avenir qu’elles contiennent, de persuader le lecteur intelligent et de bonne foi que l’Esprit de Dieu était présent en ces hommes. A ces prophéties on ne peut comparer le moins du monde aucune des oeuvres démoniaques que l’on exhibe, ni des actions miraculeuses dues aux oracles, ni des divinations. LIVRE VIII
Après avoir tant insisté là-dessus, voyons encore un autre passage de Celse que voici : Les hommes naissent liés à un corps, soit en raison de l’économie de l’univers, soit en expiation de leur faute, soit parce que l’âme est chargée de passions jusqu’à ce qu’elle soit purifiée à des périodes déterminées. Car, selon Empédocle, il faut que « pendant mille ans erre loin des bienheureux l’âme des MORTels changeant de forme avec le temps ». Il faut donc croire que les hommes ont été confiés à la garde de certains geôliers de cette prison. Observe ici encore qu’en de si graves questions, il hésite d’une manière bien humaine, et il fait preuve de prudence en citant les théories de nombreux auteurs sur la cause de notre naissance, sans oser affirmer que l’une d’elles soit fausse. Mais une fois décidé à ne pas donner son assentiment à la légère et à ne pas opposer un refus téméraire aux opinions des Anciens, ne parvenait-il pas à cette conséquence logique : s’il ne voulait pas croire à la doctrine des Juifs énoncée par leurs prophètes ni à Jésus, il devait rester hésitant et admettre comme probable que ceux qui ont rendu leur culte au Dieu de l’univers et qui, pour l’honneur qui lui est dû et pour l’observation des lois qu’ils croyaient tenir de lui, se sont exposés maintes fois à des dangers sans nombre et à la MORT, n’ont pas encouru le mépris de Dieu, mais qu’une révélation leur a été faite à eux aussi : car ils ont dédaigné les statues produites par l’art humain et ont tâché de monter par le raisonnement jusqu’au Dieu suprême lui-même. Ils auraient dû considérer que le Père et Créateur commun de tous les êtres, qui voit tout, entend tout, et juge selon son mérite la détermination de quiconque à le chercher et à vouloir vivre dans la piété, accorde à ceux-là aussi le fruit de sa protection, pour qu’ils progressent dans l’idée de Dieu qu’ils ont une fois reçue. Réfléchissant sur ce point, Celse et ceux qui haïssent Moïse et les prophètes parmi les Juifs, Jésus et ses véritables disciples qui se dépensent pour sa parole, n’auraient pas insulté de la sorte Moïse et les prophètes, Jésus et ses apôtres. Ils ne mettraient pas les seuls Juifs au-dessous de toutes les nations de la terre, en les disant inférieurs même aux Égyptiens qui, par superstition ou toute autre cause ou erreur, ravalent autant qu’ils peuvent jusqu’à des animaux sans raison l’honneur qu’ils doivent à la divinité. LIVRE VIII
Ensuite, quand Celse déclare : Il faut donc croire que les hommes ont été confiés à la garde de certains geôliers de cette prison, on doit lui répondre que même dans la vie de ceux que Jérémie appelle « les captifs de la terre », l’âme vertueuse peut être délivrée des liens du péché. Car Jésus l’a dit, comme bien avant sa venue en terre l’avait prédit le prophète Isaïe. Et que disait-il d’avance sinon aux captifs : « sortez », et à ceux qui vivent dans les ténèbres : « venez à la lumière ? » Et Jésus lui-même, comme Isaïe l’avait encore prédit, « s’est levé comme une lumière pour ceux qui sont assis dans la région et à l’ombre de la MORT ». Voilà pourquoi nous pouvons dire : « Brisons leurs entraves et jetons leur joug loin de nos têtes ! » LIVRE VIII
En conséquence, nous n’insultons pas les démons d’ici-bas, mais nous condamnons leurs activités qui visent la perte du genre humain, car leur dessein est, sous prétexte d’oracles et de guérisons des corps et d’autres prodiges, de séparer de Dieu l’âme qui est tombée dans « le corps de misère ». Ceux qui ont compris cette misère s’écrient : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de MORT ? » Il n’est pas vrai non plus que nous livrons en vain notre corps à la torture et au supplice. On ne leur livre pas en vain son corps quand, parce qu’on refuse de proclamer dieux les démons qui entourent la terre, on est en butte à leurs attaques et à celles de leurs dévots. Il nous a même paru raisonnable de croire que c’est plaire à Dieu que se livrer à la torture pour la vertu, au supplice pour la piété, et à la MORT pour la sainteté. Car « elle est précieuse aux yeux du Seigneur la MORT de ses saints. » Et nous affirmons qu’il est bon de ne pas aimer la vie. Mais Celse nous compare aux malfaiteurs qui méritent bien les souffrances qu’on leur inflige pour leur brigandage, et il ne rougit pas d’assimiler notre si beau dessein à celui des brigands. Par ces propos il est bien le frère de ceux qui comptèrent Jésus au nombre des scélérats, accomplissant l’oracle de l’Écriture : « Il a été mis au nombre des scélérats. » LIVRE VIII
Oui certes, il nous faut mépriser la faveur des hommes et des rois, non seulement si elle ne s’obtient qu’au prix de meurtres, d’impuretés et d’actions criminelles, mais encore si c’est au prix de l’impiété envers le Dieu de l’univers, ou d’une parole de servilité et de bassesse, indigne d’hommes courageux et magnanimes qui veulent unir aux autres vertus, comme la plus noble de toutes, la fermeté de l’âme. Là pourtant, nous ne faisons rien de contraire à la loi et au Logos de Dieu, nous n’avons pas la folie de courir exciter contre nous la colère de l’empereur ou du prince, braver les mauvais traitements, les supplices et même la MORT. LIVRE VIII
Ensuite, comme s’il ne percevait pas la contradiction de ses propos avec son hypothèse : Que tous les hommes fassent comme toi, Celse ajoute : Tu ne vas certes pas dire que si les Romains, convaincus par toi, négligeaient leurs rites habituels de piété envers les dieux et les hommes pour mieux invoquer ton Très-Haut ou qui tu voudras, il descendrait combattre pour eux et qu’il ne leur faudrait pas d’autre force que la sienne. Jadis, le même Dieu promettait à ses dévots cela et même bien davantage, comme vous-mêmes en convenez, et voyez les services qu’il a rendus soit à eux soit à vous-mêmes ! Eux, loin de dominer toute la terre, n’ont plus ni feu ni lieu ; de vous, ce qui reste à errer en cachette, on le traque pour le conduire à la MORT. LIVRE VIII