Il semble bon de rechercher pourquoi ce qui reçoit par Dieu la régénération pour son salut a besoin du Père, du Fils et du Saint Esprit, alors qu’il ne recevrait pas le salut sans la Trinité entière, et pourquoi il n’est pas possible de participer au Père et au Fils sans l’Esprit Saint. En discutant de cela, il sera sans doute nécessaire d’attribuer une action spéciale au Saint Esprit et une autre au Père et au Fils. Je pense donc que l’action du Père et du Fils s’exerce aussi bien sur les saints que sur les pécheurs, sur les hommes raisonnables que sur les animaux muets et même sur ceux qui n’ont pas d’âme, absolument sur tout ce qui est; l’action du Saint Esprit ne s’étend en aucune façon à ceux qui sont sans âme, ni à ceux qui sont animés, mais muets ; elle ne se constate même pas chez ceux qui sont raisonnables, mais plongés dans la MALICE sans se retourner en aucune façon vers le bien. Je pense que l’action du Saint Esprit ne s’exerce que sur ceux qui se tournent vers le mieux et marchent dans les voies du Christ Jésus, c’est-à-dire sur ceux qui agissent bien et demeurent en Dieu. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section
Que personne ne pense qu’en disant que l’Esprit Saint n’est donné qu’aux saints, tandis que les bienfaits et l’action du Père et du Fils parviennent aux bons et aux mauvais, aux justes et aux injustes, nous mettons le Saint Esprit au-dessus du Père et du Fils et nous lui attribuons une plus grande dignité : cela manquerait tout à fait de conséquence. Car nous avons décrit le caractère propre de sa grâce et de son action. Cependant il n’est pas question de plus ou de moins dans la Trinité, puisque une unique source de divinité gouverne l’univers par sa Parole et sa Raison et sanctifie par l’Esprit (le souffle) de sa bouche tout ce qui est digne de sanctification, comme il est écrit dans le Psaume : Par la Parole du Seigneur les deux ont été affermis et par l’Esprit (le souffle) de sa bouche toute leur puissance. C’est en effet une opération principale de Dieu le Père en plus de celle par laquelle il donne à tous les êtres d’exister selon leur nature. Il y a aussi un ministère principal du Seigneur Jésus-Christ à l’égard de ceux à qui il confère d’être raisonnables par nature, ministère par lequel il leur accorde en outre de bien l’être. Il y a encore une autre grâce de l’Esprit Saint attribuée à ceux qui en sont dignes, par le ministère du Christ, par l’opération du Père, d’après le mérite de ceux qui en sont faits capables. C’est ce qu’indiqué très clairement l’apôtre Paul, montrant qu’il y a une seule et même puissance de la Trinité quand il dit : Les dons sont différents, mais l’Esprit est le même; les ministères sont différents, mais le Seigneur est le même; les actions sont différentes, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. A chacun il est donné de manifester l’Esprit selon ce qui convient. Il explique par là très clairement qu’il n’y a dans la Trinité aucune séparation, mais que ce qui est appelé don de l’Esprit, vient du ministère du Fils et est opéré par Dieu le Père : Tout est l’oeuvre d’un seul et même Esprit, répartissant à chacun comme il veut. Après ces mises au point sur l’unité du Père, du Fils et du Saint Esprit, revenons à ce que nous avons commencé de discuter. Dieu le Père donne à tous les êtres l’existence, mais la participation du Christ selon qu’il est Parole – ou Raison – les rend raisonnables. Ils s’ensuit qu’ils sont dignes de louange ou d’accusation parce qu’ils sont capables de vertu ou de MALICE. En conséquence la grâce de l’Esprit Saint est en eux pour rendre saints par sa participation ceux qui ne le sont pas par leur substance. Puisqu’ils ont reçu d’abord de Dieu le Père l’être, ensuite de la Parole la rationalité, en troisième lieu du Saint Esprit la sainteté, ils deviennent en revanche capables de recevoir le Christ en tant qu’il est la Justice de Dieu, ceux qui ont été déjà auparavant sanctifiés par l’Esprit Saint; et ceux qui ont mérité de parvenir à ce degré par la sanctification reçue de l’Esprit Saint, obtiennent néanmoins le don de sagesse par la vertu de l’action de l’Esprit de Dieu. C’est, je pense, ce que dit Paul lorsqu’il écrit qu’à certains est donnée la parole de sagesse, à d’autres la parole de connaissance selon le même Esprit. Et désignant chaque sorte de dons, il rapporte toutes choses à la source de l’univers par ces mots : Les opérations sont différentes, mais c’est un seul Dieu qui opère tout en tous. Par là, l’action du Père qui donne l’existence à tous apparaît plus brillante et plus magnifique, lorsque chacun, en participant au Christ en tant que Sagesse, Connaissance et Sanctification, se perfectionne et monte dans son progrès à des degrés supérieurs. Sanctifié par la participation au Saint Esprit, on devient ainsi de plus en plus pur, on reçoit plus dignement la grâce de la sagesse et de la connaissance, et en rejetant toutes les taches de la souillure et de l’ignorance et en s’en nettoyant, on en arrive à un tel progrès de pureté, qu’ayant reçu de Dieu l’existence, on parvient à être digne de Dieu, qui donne d’être d’une manière pure et parfaite : tellement que la créature devient aussi digne que l’est celui qui l’a créée. Ainsi celui qui est tel que l’a voulu son créateur comprendra par l’action de Dieu que sa puissance existe toujours et demeure éternellement. Pour que cela se produise et pour que les créatures adhèrent sans fin et sans séparation possible à celui qui est, c’est l’oeuvre de la Sagesse de les enseigner et de les conduire à la perfection par l’Esprit Saint qui les affermit et les sanctifie continuellement, condition qui seule rend possible la réception de Dieu. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section
Les noms de Diable, de Satan, de Malin, sont employés en de nombreux passages de l’Écriture pour désigner celui qui est décrit comme l’ennemi de Dieu. On y parle aussi des anges du Diable et du Prince de ce monde, terme dont on ne peut dire encore clairement s’il s’applique au Diable ou à un autre. Il y a des Princes de ce monde, possédant une certaine sagesse qui sera détruite : ces Princes sont-ils les mêmes que les Principautés contre lesquelles nous avons à lutter ou d’autres, il ne me paraît pas facile de se prononcer. Après ces Principautés, on nomme encore certaines Puissances contre qui nous avons à lutter et à porter le combat, mais nous avons aussi à le faire contre les Princes de ce monde et les Dirigeants de ces ténèbres : Paul nomme encore des esprits de MALICE dans les deux. Que dire des esprits malins et des démons impurs cités dans les évangiles ? Ensuite des êtres sont appelés d’un nom semblable, les Célestes – mais ils sont dits fléchir ou devoir fléchir le genou au nom de Jésus -, d’autres les Terrestres et les Infernaux que Paul énumère dans cet ordre. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section
Puisque sont mentionnés tant de si grands noms d’ordres et d’offices (angéliques), désignant certainement des êtres substantiels, il faut se demander si Dieu, l’Auteur et le Créateur de tous, en a fait certains saints et bienheureux, au point de ne pouvoir recevoir l’état contraire et certains susceptibles de vertu aussi bien que de MALICE : faut-il penser qu’il ait fait les uns absolument incapables de vertu, d’autres ne pouvant absolument pas recevoir la MALICE, mais seulement rester dans la béatitude, d’autres tels qu’ils puissent assumer l’un ou l’autre état ? Pour commencer notre recherche à partir des noms eux-mêmes, considérons si les saints anges, dès le début de leur existence, ont toujours été saints, le sont et le seront toujours, et si le péché n’a jamais pris place en eux ou ne pourra jamais prendre place. Quant à ceux qui sont appelés les saintes Principautés, voyons si, dès leur création par Dieu, ils se sont mis à exercer de par Dieu leur principal sur d’autres, leurs sujets, faits et créés pour être soumis et sujets. De même en ce qui concerne ceux qui ont été nommés Puissances : ont-ils été créés pour exercer la puissance ou y a-t-il un mérite, une récompense de leur vertu, qui les a amenés à cette puissance et à cette dignité ? Pareillement ceux qui sont appelés Trônes : ont-ils obtenu ce trône de béatitude, cette stabilité, avec leur mise à l’existence, le possédant par la seule volonté du Créateur. Quant à ceux qui sont nommés Dominations, leur domination leur a-t-elle été ajoutée par suite du mérite de leurs progrès, ou leur a-t-elle été donnée comme une prérogative de leur création, leur étant d’une certaine façon inséparable et naturelle ? Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section
Si nous entendons de façon absolue que ces saints anges, ces saintes Puissances, ces Trônes bienheureux, ces glorieuses Vertus et ces Dominations magnifiques possèdent substantiellement leurs puissances, dignités ou gloires, il s’ensuit, semble-t-il, sans aucun doute, qu’il faut entendre de façon semblable ceux qui sont présentés comme possédant les offices contraires. Il faudra donc penser que ces Principautés contre lesquelles nous avons à lutter ont reçu cette orientation de leur volonté qui les fait s’opposer et résister à toute sorte de bien, non parce qu’ils se sont écartés du bien par la suite à cause de leur libre arbitre, mais au moment même où ils ont commencé à exister en êtres substantiels. Pareillement les Puissances et les Vertus chez qui la MALICE ne serait pas plus récente et postérieure à l’existence. Ceux qui ont été appelés les Dirigeants et les chefs du monde des ténèbres, leur domination et leur puissance sur les ténèbres ne viendraient pas d’un propos pervers, mais des nécessités découlant de leur création. La logique oblige de comprendre de même les esprits de MALICE, les esprits mauvais et les démons impurs. Mais s’il paraît absurde de penser ainsi des puissances mauvaises et contraires – il est certainement absurde d’attribuer nécessairement au Créateur la cause de leur MALICE sans mettre en cause le propos de leur libre arbitre -, ne sommes-nous par forcés de reconnaître la même chose des vertus bonnes et saintes, c’est-à-dire que le bien n’est pas en eux quelque chose de substantiel, privilège, nous l’avons montré avec évidence, du Christ et de l’Esprit Saint seuls, et assurément, sans aucun doute, du Père. En effet il n’y a dans la nature de la Trinité aucune composition, nous l’avons aussi montré, pour que de pareils changements semblent logiquement pouvoir se produire. Il reste donc, à propos de chaque créature, que c’est par suite de leur action et de leurs mouvements que ces vertus qui paraissent exercer sur d’autres leur principat, leur puissance ou leur domination, ont été préposées à ceux sur qui elles dominent et exercent leur pouvoir, par suite de leurs mérites et non par une prérogative due à leur création. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section
Par ailleurs nous trouvons un même enseignement concernant une autre puissance contraire dans le prophète Isaïe : Comment est-il tombé du ciel, Lucifer, celui qui se levait à l’aurore ? Il a été brisé et abattu sur terre, celui qui attaquait toutes les nations. Tu as dit dans ton coeur: Je monterai au ciel, au-dessus des étoiles du ciel je placerai mon trône, je siégerai sur un mont plus haut que toutes les montagnes les plus élevées qui sont au nord, je monterai sur les nuées, je serai semblable au Très-Haut. Maintenant, au contraire, tu seras plongé dans l’Hadès et dans les profondeurs de la terre. Ceux qui t’auront vu seront dans la stupéfaction à ton sujet et diront: Voici l’homme qui irritait toute la terre, qui renversait les rois, qui a fait de toute la terre un désert, qui a détruit les villes et qui n’a pas libéré ceux qui se trouvaient en prison. Tous les rois des nations se sont endormis avec honneur, chacun dans sa maison; toi, tu seras jeté dans les montagnes comme un mort abominable, au milieu de nombreux morts qui ont été percés du glaive et sont descendus dans l’Hadès. Comme un vêtement durci et souillé par le sang ne sera pas pur, ainsi toi non plus tu ne seras pas pur, parce que tu as dévasté ma terre et tué mon peuple : tu ne demeureras pas éternellement, engeance très mauvaise. Prépare tes fils à être tués pour les péchés de leur père, pour qu’ils ne se relèvent plus, qu’ils ne possèdent plus le pays en héritage et qu’ils ne remplissent plus la terre de guerres. Je me lèverai contre eux, dit le Seigneur Sabaoth, et je ferai disparaître leur nom, leurs restes et leur semence. Cela montre très clairement qu’il est assurément tombé du ciel, celui qui était auparavant Lucifer et qui se levait à l’aurore. Si, comme certains le pensent, il était de la nature des ténèbres, comment l’appelle-t-on auparavant Lucifer ? Comment pouvait-il se lever à l’aurore, lui qui n’avait en lui rien de la lumière ? Mais le Seigneur lui-même nous enseigne ce qui suit du Diable : Voici que je vois Satan tombé du ciel comme la foudre. Il fut donc jadis lumière. Mais notre Seigneur, qui est la Vérité, a comparé cependant à la foudre la grandeur de sa venue glorieuse : Comme la foudre brille d’un sommet du ciel à un autre sommet du ciel, ainsi sera aussi la venue du Fils de l’homme. Et il compare malgré cela Satan à la foudre, et il dit qu’il est tombé du ciel pour montrer qu’il a été lui-même jadis dans le ciel, qu’il eut place parmi les saints, qu’il a participé à la lumière à laquelle tous les saints participent, cette lumière qui fait les anges de lumière et qui fait appeler les apôtres par le Seigneur lumière du monde. De la même manière, il était donc jadis lumière avant de prévariquer et de tomber en ce lieu, avant que sa gloire ne se change en poussière, ce qui est le propre des impies, comme le dit le prophète. Et c’est pourquoi il est appelé Prince de ce monde, c’est-à-dire de cette habitation terrestre; et il gouverne ceux qui l’ont suivi dans sa MALICE puisque ce monde tout entier – j’appelle maintenant monde ce lieu terrestre – est placé sous le pouvoir du Malin, c’est-à-dire de cet apostat. Il est donc un apostat – c’est-à-dire un transfuge -, et c’est le Seigneur qui le dit dans le Livre de Job : Tu prendras à l’hameçon le dragon apostat, c’est-à-dire transfuge. Il est certain en effet que ce dragon désigne le Diable. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section
Si donc des puissances contraires sont appelées transfuges et s’il est dit qu’elles furent autrefois immaculées, il n’appartient à personne si ce n’est au Père, au Fils et au Saint-Esprit d’être immaculé de façon substantielle, mais la sainteté dans toute créature est une réalité accidentelle et ce qui est accidentel peut déchoir. Ces puissances contraires ont été autrefois immaculées et se sont trouvées au milieu de celles qui restent encore immaculées : cela montre que personne n’est immaculé de façon substantielle ou naturelle, ni souillé de façon substantielle. Il s’ensuit qu’il dépend de nous et de nos mouvements d’être saints et bienheureux, ou bien par paresse et négligence de nous écarter de la béatitude pour tomber dans la MALICE et dans la perdition, tellement qu’un progrès excessif – si l’on peut ainsi parler – dans le mal, lorsque quelqu’un s’est à ce point négligé, le fasse parvenir à un tel état qu’il devienne ce qui est dit au sujet de la puissance contraire. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section
Il faut savoir cependant que quelques-uns de ceux qui sont tombés de l’unité de ce commencement, nous l’avons dit plus haut, se sont livrés à une telle indignité et à une telle MALICE, qu’ils sont devenus indignes de cette instruction et de cette formation qui sont données au genre humain par le moyen de la chair avec l’aide des puissances célestes ; au contraire, ils sont les adversaires de ceux qui sont ainsi instruits et formés et ils les combattent. De là viennent les luttes et les combats qui remplissent toute la vie des mortels, car nous sommes sujets aux oppositions et aux attaques de ceux qui sont tombés de l’état supérieur sans aucun regret, ceux qu’on appelle le Diable et ses anges, et tous les autres ordres mauvais que l’Apôtre a nommés à propos des puissances malignes. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section
En outre, est-ce que quelques-uns de ces ordres qui agissent sous la domination du Diable et obtempèrent à sa MALICE pourront jamais dans les siècles futurs revenir à la bonté parce que reste en eux la faculté du libre arbitre ? Ou au contraire la MALICE durable et invétérée ne se changerait-elle pas, par l’habitude, d’une certaine façon en nature ? Que le lecteur juge s’il est possible que de toutes manières, soit dans les siècles des réalités visibles et temporelles, soit dans ceux des réalités invisibles et éternelles, cette partie de la création ne soit pas complètement séparée de cette unité et de cet accord final. Entre-temps cependant, tant dans les siècles des réalités visibles et temporelles que dans ceux des réalités invisibles et éternelles, tous sont gouvernés selon leur ordre, leur nature, leur mesure et la dignité de leurs mérites. Ainsi comme les uns dans les premiers temps et d’autres dans les seconds, certains même dans les derniers, passant par des supplices plus grands et plus lourds, et même durables et supportés, pour ainsi dire, pendant de nombreux siècles, sont réformés par des corrections plus pénibles et rétablis, étant instruits d’abord par les anges, puis même par les puissances des degrés supérieurs, pour être portés ainsi d’étape en étape aux réalités les plus hautes et parvenir à celles qui sont invisibles et éternelles, ayant exercé de cette façon une à une les fonctions des puissances célestes comme dans une sorte d’instruction. C’est ce que montre, à mon avis, la logique : chaque nature raisonnable peut passer d’un ordre à l’autre et parvenir à tous à travers chacun et à chacun à travers tous, puisque chaque être, à cause de la faculté du libre arbitre, est susceptible de progrès ou de déchéances variés, selon ses mouvements et efforts propres. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section
Il faut se garder de tomber dans les fables ineptes et impies de ceux qui imaginent des natures spirituelles différentes, tant parmi les êtres célestes que parmi les âmes humaines, oeuvres de créateurs différents, puisqu’il leur semble absurde, ce qui est la vérité, d’attribuer à un seul et même créateur l’origine de natures différentes parmi les êtres raisonnables et qu’ils ignorent cependant la cause de cette diversité. Ils disent en effet qu’il ne leur paraît pas logique qu’un seul et même créateur, sans tenir compte des mérites, attribue aux uns un pouvoir de domination et leur soumette les autres, donne aux uns le principat et assujettisse les autres à ces chefs. Tout cela assurément, à mon avis, la logique du raisonnement développé plus haut le réfute et le convainc de fausseté : elle montre que l’origine des diversités et des différences dans chaque créature est à chercher dans la vivacité ou la paresse plus ou moins grande de leurs mouvements, tournés vers la vertu ou vers la MALICE, et non dans la partialité de celui qui a tout ordonné. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Selon nous, en réalité, dans toute créature raisonnable, il n’y a rien qui ne soit capable de bien autant que de mal. Mais en disant qu’il n’y a aucune nature qui ne puisse recevoir le mal, nous n’affirmons pas, en conséquence, que toute nature a reçu le mal, c’est-à-dire a été faite mauvaise : lorsqu’on dit que toute nature d’homme a la possibilité de naviguer, ce n’est pas pour cela que tout homme naviguera ; de même il est possible à tout homme d’apprendre la grammaire ou la médecine, mais cela ne veut pas dire que tout homme soit médecin ou grammairien. Pareillement, si nous disons qu’il n’y a pas de nature qui ne puisse recevoir le mal, il n’est pas indiqué nécessairement par là qu’elle ait reçu le mal ; réciproquement il n’y a pas de nature incapable de recevoir le bien, mais cela ne prouve pas en conséquence que toute nature ait reçu le bien. Selon nous, en effet, le Diable lui-même n’était pas incapable de bien, mais, du fait qu’il ait pu recevoir le bien, il ne s’ensuit pas qu’il l’ait voulu, ni qu’il ait pratiqué la vertu. Comme nous l’ont appris les passages prophétiques que nous avons invoqués, il fut jadis bon, lorsqu’il se trouvait dans le paradis de Dieu, au milieu des Chérubins. Il possédait la faculté de recevoir la vertu ou la MALICE, mais s’écartant de la vertu il s’est tourné vers le mal de toute son intelligence : ainsi les autres créatures, tout en possédant cette double faculté, ont fui le mal avec leur libre arbitre et adhéré au bien. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Il faut, certes, penser de même des puissances adverses qui se présentent en de telles conditions de lieux et de fonctions que leur situation de Principautés, Puissances, Dirigeants du monde des ténèbres, esprits de MALICE, esprits malins, démons impurs, ils ne la possèdent pas de façon substantielle, comme s’ils avaient été créés tels, mais selon leurs mouvements et leurs progrès dans le crime, ils ont obtenu ces degrés dans la MALICE. C’est le second ordre de la création raisonnable qui s’est tellement précipité dans la méchanceté que l’absence de conversion vient plus de sa volonté que de son pouvoir, car la frénésie du crime engendre la volupté et la délectation. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Ces témoignages, couverts de l’autorité des Écritures, doivent suffire à réfuter ce que les hérétiques objectent d’ordinaire. Il ne paraîtra pas cependant inconvenant de discuter un peu avec eux par la voie du raisonnement. Demandons-leur donc s’ils savent quelle est chez les hommes la nature de la vertu et de la MALICE et s’il leur semble logique de parler de vertus en Dieu, ou, comme ils le pensent, dans ces deux Dieux. Qu’ils disent aussi si la bonté leur paraît être une vertu – je pense qu’ils le reconnaîtront sans aucun doute -, mais que diront-ils aussi de la justice ? Jamais assurément, à mon avis, ils ne perdront le sens au point de nier que la justice est une vertu. Si donc la vertu est le bien et la justice une vertu, sans aucun doute la justice est la bonté. S’ils disent que la justice n’est pas un bien, elle sera alors nécessairement un mal ou quelque chose d’indifférent. S’ils disent que la justice est un mal, je pense que ce serait une sottise de leur répondre : il me semble que je répondrais alors à des paroles insensées ou à des hommes à l’intelligence détraquée. Comment peut-on penser que ce soit un mal de rendre le bien pour le bien ? Eux-mêmes le reconnaissent. S’ils disent que c’est quelque chose d’indifférent, il s’ensuit que si la justice est indifférente, c’est aussi le cas de la tempérance, de la prudence et de toutes les autres vertus. Et que répondrons-nous à Paul quand il dit : S’il y a une vertu, s’il y a quelque chose digne de louange, observez ce que vous avez appris, reçu et entendu de moi ou vu en moi ? Traité des Principes: Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Qu’ils disent alors, en examinant les Écritures divines, ce qu’est chaque vertu, et qu’ils ne cherchent pas à s’esquiver en disant que le Dieu qui rétribue chacun selon ses mérites, leur rend le mal pour le mal par haine des méchants et que ce n’est pas parce que ceux qui ont péché ont besoin d’être soignés par des remèdes plus pénibles qu’il leur applique un traitement qui, en vue de leur amendement, semble présentement les faire souffrir. Il ne lisent pas ce qui est écrit de l’espérance de ceux qui ont péri par le déluge, espérance dont Pierre dit dans sa Première Épître : Le Christ est mort selon la chair, mais a été vivifié selon l’esprit. Dans cet esprit il est allé prêcher aux esprits maintenus en prison, ceux qui avaient été autrefois incrédules, lorsque Dieu attendait avec patience quand Noé construisait l’arche; dans l’arche un petit nombre, c’est-à-dire huit personnes, ont été sauvées par le moyen de l’eau; vous aussi, de façon semblable, il vous sauve aujourd’hui par le baptême. Au sujet de Sodome et de Gomorrhe, qu’ils nous disent s’ils croient que les paroles prophétiques viennent du Dieu dont on rapporte qu’il fit pleuvoir sur eux une pluie de feu et de soufre! Que dit de ces villes le prophète Ézéchiel ? Sodome sera restaurée dans son état ancien. En punissant ceux qui méritaient le châtiment, ne l’a-t-il pas fait pour leur bien ? Il a dit à la Chaldée : Tu as des charbons de feu, assieds-toi dessus et ils te seront utiles. A propos de ceux qui sont tombés dans le désert, que les hérétiques écoutent ce qui est rapporté dans le Psaume 77, attribué par son titre à Asaph : Lorsqu’il les tuait, alors ils le cherchaient. Il n’a pas dit que, les uns étant tués, les autres le recherchaient, mais que ceux qui étaient tués l’étaient de telle sorte que, mis à mort, ils recherchaient Dieu. Tout cela montre que le Dieu juste et bon, le Dieu de la loi et des Évangiles, est un seul et même Dieu, qu’il fait le bien avec justice et punit avec bonté, puisque ni la bonté sans la justice, ni la justice sans la bonté, ne sont le signe de la dignité de la nature divine. Ajoutons encore ce qui suit, forcés par leurs artifices. Si la justice est autre chose que le bien, puisque le mal est contraire au bien et l’injuste au juste, sans aucun doute l’injuste sera autre que le mal ; et puisque, selon vous, celui qui est juste n’est pas bon, celui qui est injuste ne sera pas mauvais ; de même, puisque celui qui est bon n’est pas juste, celui qui est mauvais ne sera pas injuste. Ne sera-t-il pas absurde, à ce qu’il semble, que celui qui est mauvais soit le contraire du Dieu bon, mais que personne ne soit le contraire du Dieu juste qu’ils présentent comme inférieur au bon ? A Satan qui est appelé le Malin ne correspond donc pas quelqu’un autre qui serait dit l’Injuste. Qu’en est-il donc ? Remontons au point d’où nous sommes descendus. Ils ne pourront pas dire que le mauvais n’est pas en même temps injuste, ni l’injuste mauvais. Mais si, dans ces contraires, il y a une liaison indissociable entre l’injustice et le mal et entre le mal et l’injustice, le bon sera certainement indissociable du juste et le juste du bon : de même que nous disons que la MALICE et l’injustice sont un seul et même mal, de même nous tenons que la bonté et la justice sont une seule et même vertu. Traité des Principes: Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Mais, puisqu’ils disent qu’ils le considèrent comme juste, et nous comme juste et bon à la fois, examinons comment celui qui est juste et bon endurcirait le coeur de Pharaon. Voyons si nous pouvons montrer à partir d’un exemple que l’Apôtre a utilisé dans son Epître aux Hébreux, comment par la même action Dieu a miséricorde de l’un et endurcit l’autre, non dans le but d’endurcir, mais dans une intention bonne qui a pour effet d’endurcir à cause du substrat de MALICE que constitue le mal qui est en eux, et c’est pourquoi on dit qu’il endurcit celui qui est endurci. La terre, dit-il, qui a bu la pluie qui est tombée sur elle et produit une herbe utile à ceux pour qui elle a été cultivée, reçoit de Dieu la bénédiction; si elle porte épines et chardons, elle est réprouvée et proche de la malédiction, destinée à être brûlée. Il y a donc une unique action, celle de la pluie ; à partir de cette unique action qui est celle de la pluie, la terre cultivée produit des fruits, celle qui est négligée et dure produit des épines. Il paraîtrait injurieux de prêter à celui qui fait pleuvoir les paroles suivantes : c’est moi qui ai produit les fruits et les épines qui sont sur la terre. Mais si c’est injurieux, c’est cependant vrai : car s’il n’y avait pas eu de pluie, il n’y aurait pas eu de fruits ni d’épines, mais si elle tombe en temps voulu et avec mesure, les uns et les autres sont produits. En effet quand elle produit des épines et des chardons, la terre qui a bu la pluie qui est tombée sur elle est réprouvée et proche de la malédiction. Le bienfait de la pluie est donc tombé aussi sur la terre la plus mauvaise, et comme le substrat était négligé et inculte, il a produit des épines et des chardons. Ainsi donc les prodiges accomplis par Dieu sont comme la pluie, les volontés diverses comme la terre cultivée ou la négligée, les deux étant une même terre par leur unique nature. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
C’est comme si le soleil prenait la parole et disait : Je liquéfie et je dessèche, alors qu’être liquéfié et être desséché sont des états contraires. Cependant il ne mentirait pas à cause du substrat, car la même chaleur liquéfie la cire et sèche la boue : ainsi la même action qui s’est produite par l’intermédiaire de Moïse a révélé l’endurcissement de Pharaon à cause de sa MALICE et la docilité des Égyptiens qui s’étaient mêlés aux Hébreux et partaient avec eux. Et ce qui est écrit, que peu à peu le coeur de Pharaon s’est assoupli jusqu’à dire : Mais vous n’irez pas loin, vous marcherez trois jours et vous laisserez vos femmes, et toutes les autres paroles qu’il a dites en s’abandonnant peu à peu aux prodiges, montrent que les miracles agissaient bien un peu sur lui, sans l’amener cependant à tout exécuter. Cela ne se serait pas produit si la phrase J’endurcirai le coeur de Pharaon était accomplie par lui, c’est-à-dire par Dieu, dans le sens que veulent la plupart. Il n’est pas déplacé d’expliquer de telles paroles à partir des habitudes de langage. Souvent de bons maîtres disent à des serviteurs, gâtés par leur bonté et leur patience : C’est moi qui t’ai rendu mauvais. Et : C’est moi qui suis la cause de telles fautes. Il faut d’abord comprendre la forme habituelle et le sens de ce qui est dit et ne pas calomnier par une mauvaise compréhension de ce que veut dire cette parole. En effet Paul, qui a examiné tout cela clairement, dit au pécheur : Méprises-tu la richesse de sa bonté, de sa patience et de sa longanimité, ignorant que la bonté de Dieu te mène à la pénitence ? Selon ta dureté et l’impénitence de ton coeur, tu thésaurises pour toi-même la colère au jour de la colère et de la révélation et du juste jugement de Dieu. Ce que dit l’Apôtre au pécheur, que cela soit dit à Pharaon : on peut penser que cela se rapporte à lui d’une manière tout à fait adaptée, car selon sa dureté et l’impénitence de son coeur il thésaurise pour lui-même la colère. Cette dureté n’aurait pas été révélée à ce point ni ne serait devenue aussi manifeste, si des miracles ne s’étaient pas produits, ou même, dans le cas où ils se seraient produits, s’ils n’avaient pas été si nombreux et si grands. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Celui qui est délaissé l’est donc en vertu d’un jugement divin et ce n’est pas sans raison que Dieu patiente à l’égard de certains pécheurs, mais parce qu’il leur sera utile, étant donné l’immortalité de l’âme et l’éternité sans fin, de ne pas recevoir trop vite d’assistance en vue de leur salut, mais d’y être menés plus lentement après avoir éprouvé beaucoup de maux. Il arrive que des médecins, alors qu’ils pourraient guérir rapidement quelqu’un, soupçonnent que le venin subsiste secrètement dans le corps et s’arrangent pour ne pas le guérir : ils agissent ainsi parce qu’ils veulent le guérir plus sûrement et ils pensent qu’il vaut mieux maintenir plus longtemps leur patient dans les inflammations et les souffrances pour qu’il puisse récupérer la santé d’une manière plus solide, que de lui redonner trop rapidement des forces apparentes, l’exposant ainsi à des rechutes postérieures et à une amélioration trop hâtive qui serait passagère. Dieu agit de même, lui qui connaît les secrets des coeurs et qui prévoit le futur : il permet peut-être par sa patience et aussi par les événements extérieurs de faire sortir le mal caché pour purifier celui qui a en lui, à cause de sa négligence, les semences du péché ; en maintenant le pécheur plus longtemps dans ses maux, il fait venir ainsi ces semences à la surface, ce dernier les vomit et, ayant été purifié de sa MALICE, il peut parvenir ensuite à la régénération. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Utilisons l’image qui suit prise à l’Évangile. Il est question d’une roche couverte d’un peu de terre superficielle : la semence qui y tombe fleurit rapidement, mais après, puisqu’elle n’a pas de racine, le soleil qui se lève la brûle et la dessèche. Cette roche c’est l’âme humaine, durcie par la négligence et pétrifiée par la MALICE : car à personne Dieu n’a créé un coeur de pierre, mais il devient tel par la MALICE. Si quelqu’un par exemple reprochait à un cultivateur de ne pas jeter plus vite les graines sur la terre pierreuse, en voyant qu’une autre terre pierreuse a déjà reçu les semences et a fleuri, ce dernier répondrait : J’ensemencerai plus tard cette terre, après avoir jeté ce qui pourra y fixer la graine, car il est préférable pour elle que j’agisse plus tardivement et plus sûrement comme le montre le cas de celle qui a reçu la semence de façon plus rapide et plus superficielle. Nous serions alors persuadés que le cultivateur a parlé raisonnablement et a agi avec compétence. De même le grand cultivateur de toute la nature diffère son aide quand il pense qu’elle serait prématurée, pour qu’elle n’agisse pas de façon superficielle. Mais vraisemblablement quelqu’un nous fera cette objection : Pourquoi alors une partie des semences tombe-t-elle sur cette âme, comparée à la pierre, qui est couverte superficiellement de terre ? Il faut répondre qu’il est alors préférable pour elle, parce qu’elle désire avec trop de fougue les réalités supérieures et ne se soucie pas de cheminer sur la route qui mène à elles, d’obtenir ce qu’elle désire : ainsi, ayant par là reconnu sa faute, elle attendra avec patience pour recevoir plus tard du cultivateur, après beaucoup de temps, des soins conformes à la nature. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Voyons maintenant ce texte d’Ézéchiel : J’enlèverai leurs coeurs de pierre et je leur mettrai des coeurs de chair, afin qu’ils marchent dans mes commandements et qu’ils gardent mes prescriptions. Si c’est Dieu, quand il le veut, qui enlève les coeurs de pierre et qui met les coeurs de chair, pour nous permettre de garder ses prescriptions et d’observer ses préceptes, il n’est pas en notre pouvoir de déposer la MALICE. En effet dire que les coeurs de pierre sont enlevés ne signifie pas autre chose que L’ablation de la MALICE qui endurcit quelqu’un quand Dieu veut la lui ôter. Et dire qu’un coeur de chair est mis, pour qu’on marche dans les prescriptions de Dieu et qu’on garde ses préceptes, qu’est-ce que cela signifie d’autre que de devenir docile et non résistant envers la vérité et de pratiquer les vertus ? Si c’est Dieu qui promet de le faire, si avant qu’il enlève les coeurs de pierre nous ne pouvons les déposer, il n’est évidemment pas en notre pouvoir de déposer la MALICE ; et si ce n’est pas nous qui agissons pour mettre en nous un coeur de chair, mais si c’est l’oeuvre de Dieu, il ne dépend pas de nous de vivre vertueusement, mais ce sera entièrement une grâce de Dieu. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Voilà ce que dira celui qui supprime le libre arbitre à partir du sens littéral seul. Mais nous, nous répondrons qu’il faut l’entendre de la façon suivante : lorsque quelqu’un, ignorant et inculte, mais conscient des maux dont il souffre, soit par suite des exhortations d’un maître, soit d’une autre façon de lui-même, se livre à celui qui peut, à son avis, le mener à l’éducation et à la vertu, et que ce maître lui promet d’ôter son inculture et de lui donner la culture, ce dernier ne veut pas dire que celui qui se confie à ses soins n’a rien à faire pour être instruit et pour fuir l’inculture, sinon se présenter pour être soigné, mais il promet seulement d’améliorer celui qui le désire. C’est de la même façon que la Parole divine promet à ceux qui vont à elle d’ôter leur MALICE, ce qu’elle appelle le coeur de pierre, non quand ils s’y opposent, mais quand ils se livrent eux-mêmes au Médecin des malades. On trouve pareillement dans les Évangiles des malades qui vont au Sauveur en demandant à recevoir la guérison, et qui sont soignés. Recouvrer la vue, par exemple, si on considère la demande, faite avec foi, de pouvoir être soigné, c’est l’oeuvre des malades ; mais si on considère le rétablissement de la vision, c’est l’oeuvre de notre Sauveur. C’est ainsi que la Parole de Dieu promet de donner la science à ceux qui s’approchent d’elle, enlevant le coeur de pierre, le coeur endurci, c’est-à-dire la MALICE, afin qu’on puisse marcher dans les préceptes divins et garder les commandements divins. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Nous disions, quand nous examinions le cas de Pharaon, que parfois il n’est pas bon pour ceux qui sont soignés de l’être trop rapidement, si, étant tombés par eux-mêmes dans des difficultés, ils étaient ainsi éloignés plus aisément de ce en quoi ils étaient tombés : car ils méprisent alors le mal, le considérant comme facile à guérir, et une autre fois, ne prenant pas garde à l’éviter, ils y resteront. C’est pourquoi dans des cas semblables, le Dieu éternel qui connaît les secrets, lui qui sait toute chose avant qu’elle ne se produise, diffère dans sa bonté de leur apporter un secours qui serait autrement trop rapide et, pour ainsi dire, il les secourt en ne les secourant pas, car cela leur est utile. Vraisemblablement ceux du dehors, à qui s’appliquait cette parole, le Sauveur voyait, selon le texte proposé, qu’ils ne seraient pas solides dans leur conversion, s’ils entendaient distinctement ce qui leur était dit, et c’est pourquoi le Seigneur a fait en sorte qu’ils n’entendent pas plus clairement les paroles plus profondes, de peur que, trop vite convertis et guéris en obtenant la rémission, méprisant comme bénignes et faciles à guérir les blessures de la MALICE, ils n’y retombent bien vite. Peut-être, subissant alors la peine des péchés qu’ils ont commis autrefois contre la vertu en l’abandonnant, n’ont-ils pas encore atteint le temps convenable où, après avoir été privés des visites divines et rassasiés par les maux qu’ils ont eux-mêmes semés, ils seront appelés plus tard à une pénitence plus solide, et ne retomberont pas si vite dans les maux où auparavant ils sont tombés, quand ils insultaient la dignité du bien et qu’ils se livraient au pire. Ceux qui sont dehors, évidemment par comparaison avec ceux du dedans, ne se trouvant pas totalement éloignés de ceux du dedans, alors que ces derniers entendent clairement, entendent de manière obscure parce qu’il leur est parlé en paraboles : ils entendent cependant. D’autres que ceux du dehors, ceux qui sont appelés Tyriens, bien que le Seigneur ait prévu qu’ils auraient fait déjà pénitence assis dans le sac et la cendre, si le Sauveur s’était approché de leurs frontières, n’entendent même pas ce qu’entendent ceux du dehors, comme c’est vraisemblable, car ils sont plus loin de la dignité de ceux du dehors ; mais à un autre moment, après que leur sort sera devenu plus supportable que celui de ceux qui n’ont pas accueilli la Parole – c’est à leur sujet que le Seigneur mentionne aussi les Tyriens -, ayant entendu d’une manière plus opportune, ils feront une pénitence plus solide. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
A ceux qui inventent la doctrine des natures et qui se servent de cette parole il faut dire ce qui suit : s’ils conservent l’affirmation que d’une seule pâte proviennent les perdus et les sauvés, et qu’il y a un même créateur pour les perdus et les sauvés, s’il est bon celui qui fait non seulement les spirituels (pneumatiques) mais les terrestres (choiques) – ceci suit cela -, il est possible assurément que celui qui est maintenant un vase d’honneur par suite de ses bonnes actions, mais qui n’a pas continué à agir de même, d’une manière conforme à sa dignité de vase d’honneur, soit dans un autre siècle un vase de déshonneur ; pareillement il peut se faire que celui qui, par suite de causes antérieures à cette vie, est devenu ici-bas un vase de déshonneur, se corrige et devienne dans la création nouvelle un vase d’honneur, sanctifié et utile au maître, préparé pour toute oeuvre bonne. Et peut-être les Israélites de maintenant, parce qu’ils n’ont pas vécu d’une façon digne de leur noble origine, ne seront plus de cette race, de vases d’honneur devenant des vases de déshonneur ; et beaucoup de ceux qui sont maintenant des Égyptiens ou des Iduméens, s’agrégeant à Israël, à cause des fruits nombreux qu’ils produiront, entreront dans l’Église du Seigneur et on ne les comptera plus parmi les Égyptiens et les Iduméens, mais ils seront des Israélites. Ainsi de cette façon, selon les orientations de la volonté, certains progressent du pire au meilleur, d’autres tombent du meilleur dans le pire, d’autres encore restent dans le bien ou montent du bien au mieux, d’autres enfin restent dans le mal, ou par l’effusion de leur MALICE de mauvais deviennent pires. Traité des Principes: Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:
Nous disions plus haut que soit la providence divine soit les puissances contraires peuvent aussi éveiller en nous des souvenirs concernant le bien ou le mal. Cela est montré par le Livre d’Esther : Artaxerxès ne se rappelait pas les bonnes actions du très juste Mardochée, mais alors qu’il était harcelé par des insomnies nocturnes, Dieu mit en sa mémoire l’inspiration de réclamer les livres contenant le récit de ses chroniques : mis alors au courant des services rendus par Mardochée il fît pendre son ennemi Aman, lui fit rendre des honneurs magnifiques et sauva toute la nation sainte menacée par un péril imminent. C’est au contraire la puissance du diable, il faut le penser, qui remit en mémoire aux pontifes et aux scribes ce qu’ils allèrent dire à Pilate : Seigneur, nous nous sommes souvenus de ce que ce séducteur a dit quand il était encore vivant: le troisième jour après je ressusciterai. Lorsque Judas eut l’idée de livrer le Sauveur, elle ne venait pas seulement de son intelligence mauvaise : l’Écriture atteste en effet que le diable avait mis dans son coeur le désir de le livrer. C’est pourquoi Salomon a donné un bon précepte lorsqu’il a dit : Garde ton coeur de toute manière. De même l’apôtre Paul en disant : Nous devons accorder une plus grande attention à ce que nous entendons pour ne pas nous égarer, et : Ne donnez pas de place au diable: il montre par là que certaines actions et une certaine négligence spirituelle donnent de la place au diable qui, une fois entré dans notre coeur, nous possède, ou du moins souille notre âme s’il ne peut la posséder complètement, en lançant en nous ses traits enflammés ; par là, tantôt il nous blesse, d’une blessure qui descend dans nos profondeurs, tantôt seulement il nous enflamme. Il arrive rarement que quelques-uns, peu nombreux, réussissent à éteindre ses traits enflammés, de sorte que l’on ne trouve plus trace de la blessure, et cela se produit lorsqu’on est protégé, comme par une fortification très solide, par le bouclier de la foi. Cela est dit réellement dans l’Épître aux Ephésiens: Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de MALICE qui sont dans les deux. Il faudra comprendre de la sorte le mot nous, c’est-à-dire moi, Paul, et vous, Ephésiens, et tous ceux qui n’ont pas à lutter contre la chair et le sang : ce sont eux en effet qui ont à lutter contre les principautés et puissances, les chefs de ce monde de ténèbres. Il n’en était pas de même à Corinthe où l’on avait à lutter contre la chair et le sang : les Corinthiens n’étaient pas sujets à la tentation, si ce n’est à une tentation humaine. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section
Mais puisque nous en sommes venus à une discussion sur des réalités très profondes, il est nécessaire de toucher tous les points qui peuvent être soulevés de chaque côté. Voyons si on ne peut pas examiner à ce sujet si, de même qu’il vaut mieux pour l’âme suivre l’esprit quand l’esprit a vaincu la chair, de même, quoiqu’il paraisse pire de suivre la chair combattant contre l’esprit et voulant attirer l’âme à elle, cependant il pourrait paraître plus utile à l’âme d’être dominée par la chair que de s’en tenir à ses volontés propres. En effet, tant qu’elle reste dans ses volontés, elle n’est alors, selon ce qui est écrit, ni chaude ni froide, mais, puisqu’elle s’attarde dans une tiédeur indifférente, sa conversion risque d’être plus lente et assez difficile ; tandis que si elle adhère à la chair, parfois rassasiée et remplie de ces maux qu’elle subit par suite des vices de la chair, fatiguée de la luxure et de la volupté comme de fardeaux très pesants, elle peut plus aisément et rapidement se détourner des souillures de la matière pour se tourner vers le désir des réalités célestes et la grâce spirituelle. Je pense que c’est cela qu’a voulu dire l’Apôtre quand il montre l’esprit luttant contre la chair et la chair contre l’esprit, de sorte que nous ne faisons pas ce que nous voulons, désignant par là sans aucun doute ce qui est à la fois étranger à la volonté de l’esprit et à celle de la chair ; en d’autres termes, il vaut mieux pour l’homme être dans la vertu ou dans la MALICE que dans aucune des deux. Avant de se tourner vers l’esprit et de devenir avec lui une seule chose, l’âme en effet, tant qu’elle adhère au corps et a des pensées charnelles, ne semble être ni dans un bon état ni expressément dans un mauvais, mais elle est semblable, pour ainsi dire, à l’animal. Certes, il vaut mieux pour elle, si cela est possible, qu’elle adhère à l’esprit et devienne spirituelle ; mais si cela ne se peut, il est plus expédient qu’elle suive la MALICE de la chair, que de rester dans ses volontés propres et dans l’état d’un animal déraisonnable. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section
Lorsque donc il nous est promis que Dieu sera tout et en tous, il ne faut pas penser, comme c’est logique, que les animaux, les bestiaux et les bêtes parviendront à cette fin, pour qu’on n’indique pas que Dieu est présent dans les animaux, les bestiaux et les bêtes ; et non plus dans le bois et la pierre, de peur qu’on ne dise aussi que Dieu est en eux. Nous croyons aussi qu’aucune MALICE n’arrivera à cette fin, de peur que lorsqu’il est dit que Dieu est tout en tous, on n’affirme qu’il se trouve aussi dans quelque réceptacle de MALICE. Nous disons certes aussi que Dieu est partout et en tout en ce sens que rien ne peut être vide de Dieu, mais cependant nous ne disons pas qu’il soit tout maintenant dans ce en quoi il est. C’est pourquoi il faut examiner avec plus de soin ce que signifie la perfection de la béatitude et la fin de toutes choses : Dieu n’est pas dit seulement être en tout, mais aussi être tout. Demandons-nous ce que signifie cette expression, tout, que Dieu sera en tout. Traité des Principes: Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section
Je pense que cette expression attribuée à Dieu être tout en tout signifie aussi qu’il sera tout en chaque être. Il sera tout en chaque être en ce sens que tout ce qu’une intelligence raisonnable, purifiée de toutes les ordures des vices et nettoyée complètement de tous les nuages de la MALICE, peut sentir, comprendre et croire, tout cela sera Dieu, et elle ne fera rien d’autre que sentir Dieu, penser Dieu, voir Dieu, tenir Dieu, Dieu sera tous ses mouvements : et c’est ainsi que Dieu lui sera tout. Il n’y aura plus de discernement du mal et du bien, car il n’y aura plus de mal – Dieu en effet lui est tout, lui en qui il n’y a pas de mal – et celui-là ne désirera plus manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal qui est toujours dans le bien et à qui Dieu est tout. Si donc la fin restituée selon la condition initiale et la consommation des choses rapportée à leur début restaureront l’état qu’avait alors la nature raisonnable, quand elle n’avait pas besoin de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, après avoir écarté tout sentiment de MALICE, l’avoir nettoyé pour parvenir à la propreté et à la pureté, celui-là seul qui est l’unique Dieu bon lui deviendra tout et il sera tout, non seulement en quelques-uns, ni en beaucoup, mais en tous, quand il n’y aura plus de mort, plus d’aiguillon de la mort, et absolument plus de mal : alors Dieu sera vraiment tout en tous. Mais cette perfection et cette béatitude des natures raisonnables, certains pensent qu’elle perdurera dans l’état dont nous avons parlé, c’est-à-dire celui où tous les êtres possèdent Dieu et où Dieu est pour eux tout, si leur union avec la nature corporelle ne les en éloigne pas du tout. Traité des Principes: Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section
Toute créature donc est distinguée auprès de Dieu comme comprise dans un nombre ou mesure déterminés, c’est-à-dire le nombre pour les êtres raisonnables, la mesure pour la matière corporelle ; il était nécessaire que la nature intellectuelle se servît de corps, car on la conçoit comme muable et convertible par le fait même de sa création – ce qui en effet n’était pas et a commencé à être, par ce fait même est manifesté comme ayant une nature muable et c’est pourquoi sa vertu et sa MALICE ne sont pas substantielles, mais accidentelles – ; à cause de cette mutabilité et convertibilité de la nature raisonnable déjà mentionnée, elle devait se servir selon ses mérites d’un vêtement corporel de nature diverse, ayant telle ou telle qualité. Pour toutes ces raisons, nécessairement, Dieu, qui connaissait d’avance les variations futures des âmes ou des puissances spirituelles, a créé la nature corporelle capable de se transformer selon la volonté du créateur, par les mutations de ses qualités, en tous les états que demanderait la situation. Il faut qu’elle subsiste tout le temps que subsistent les êtres qui ont besoin d’elle comme vêtement. Or il y aura toujours des natures raisonnables qui auront besoin de vêtement corporel : par conséquent il y aura toujours une nature corporelle dont les créatures raisonnables devront se servir comme vêtement ; à moins que l’on puisse montrer avec preuves que la nature raisonnable puisse vivre sans aucun corps. Nous avons montré plus haut, en le discutant en détail, combien cela est difficile et presque impossible à notre intelligence. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section