Ne pensons pas cependant qu’en appelant le Christ Sagesse de Dieu nous le traitons comme un être sans substance : comme si, pour prendre un exemple, nous n’en faisions pas un ÊTRE ANIMÉ sage, mais une sorte de chose qui rendrait sage, en se présentant et en pénétrant dans les intelligences de ceux qui sont devenus capables de recevoir les facultés et la compréhension qu’elle donne. S’il est admis une fois pour toutes que le Fils unique de Dieu est sa Sagesse subsistant de manière substantielle, je ne crois pas que notre pensée pourra désormais s’égarer à soupçonner que son hypostase, c’est-à-dire sa substance, ait quelque chose de corporel, puisque tout ce qui est corporel est déterminé par sa forme, sa couleur et sa grandeur. Qui rechercherait dans la Sagesse, à moins d’être fou, par le fait même qu’elle est sagesse, forme, couleur ou dimensions mesurables ? Comment peut-on penser et croire, si on veut savoir et penser pieusement de Dieu, que Dieu le Père ait jamais été, même un petit moment, sans engendrer cette Sagesse ? Ou l’on dira que Dieu n’a pas pu engendrer cette Sagesse avant qu’il l’ait engendrée, de sorte qu’il a mis au monde ensuite ce qui n’existait pas auparavant, ou bien qu’il pouvait, certes, l’engendrer, mais, supposition qu’on ne doit pas faire, qu’il ne le voulait pas. Car l’une et l’autre hypothèses sont absurdes et impies, cela est clair, qu’on imagine qu’il ait progressé de l’impuissance à la puissance, ou que, pouvant le faire, il ait négligé et différé d’engendrer la Sagesse. C’est pourquoi nous savons que Dieu est toujours le Père de son Fils unique, né de lui, tenant de lui ce qu’il est, sans aucun commencement cependant, qu’il s’agisse d’un commencement temporel, et même d’un commencement de raison, que l’intelligence seule peut considérer en elle-même et examiner dans sa compréhension nue, pour ainsi dire, et dans sa pensée. Il faut donc croire que la Sagesse a été engendrée sans aucun commencement qu’on puisse affirmer ou penser. Dans cet être subsistant de la Sagesse était virtuellement présente et formée toute la création future, que ce soit les êtres qui existent en premier lieu, que ce soit les réalités accidentelles et accessoires, tout cela préformé et disposé en vertu de la prescience. A cause de ces créatures qui étaient en elle comme dessinées et préfigurées, la Sagesse dit par la bouche de Salomon qu’elle a été créée comme principe de ses voies, car elle contient en elle-même les principes, les raisons et les espèces de toute la création. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section
Nous avons donc compris comment la Sagesse est le principe des voies de Dieu et comment elle est dite créée, en tant qu’elle préforme et contient en elle les espèces et les raisons de toute la création. Il faut comprendre de même qu’elle est la Parole de Dieu par le fait qu’elle ouvre à tous les autres êtres, c’est-à-dire à toute la création, la raison des mystères et des secrets, tous contenus sans exception dans la Sagesse de Dieu : et par là elle est appelée Parole, car elle est comme l’interprète des secrets de l’intelligence. C’est ainsi que me paraît juste ce mot que l’on trouve dans les Actes de Paul : Il est la Parole, un ÊTRE ANIMÉ et vivant. Mais Jean, d’une manière supérieure et bien plus belle, proclame au début de son évangile, en définissant à proprement parler que la Parole est Dieu : Et la Parole était Dieu et elle était au début auprès de Dieu. Celui qui attribue un commencement à la Parole de Dieu et à la Sagesse de Dieu, ne bafoue-t-il pas davantage encore de façon impie le Père inengendré, en lui refusant d’avoir toujours été père, d’avoir engendré une Parole et eu une Sagesse dans tous les temps et siècles antérieurs, de quelque façon qu’on puisse les nommer ? Ce Fils est aussi de tous les êtres la Vérité et la Vie : à juste titre. Car comment vivraient ceux qui ont été faits, sinon par le moyen de la Vie ? Comment seraient-ils fondés dans la vérité ceux qui sont, s’ils ne dérivaient pas de la Vérité ? Comment pourrait-il y avoir des êtres raisonnables si la Parole-Raison ne les précédait pas ? Comment pourrait-il y avoir des sages sans la Sagesse ? Mais puisqu’il devait arriver que quelques-uns s’écartent de la Vie et se donnent à eux-mêmes la mort par le fait même de s’écarter de la Vie – car mourir n’est pas autre chose que s’éloigner de la vie – et comme il n’était pas du tout normal que ce qui avait été une fois créé par Dieu pour vivre soit totalement perdu, il a fallu qu’existé, avant la mort, une puissance capable de détruire la mort à venir et d’être la Résurrection, qui s’est formée dans notre Seigneur et Sauveur : cette Résurrection existe dans la Sagesse de Dieu elle-même, sa Parole et sa Vie. Et ensuite, puisqu’il devait se faire que quelques-uns des êtres créés, possédant le bien non par nature, c’est-à-dire par substance, mais par accident, et n’ayant pas la force de rester inconvertibles et immuables et de persévérer toujours dans les mêmes biens avec équilibre et mesure, changent de condition et s’écartent de leur état, la Parole et Sagesse de Dieu s’est faite Voie : elle est appelée Voie parce qu’elle conduit au Père ceux qui la suivent. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section
Ils pensent en effet que la bonté est un sentiment qui désire pour tous le bien, même si le bénéficiaire en est indigne et ne mérite pas d’obtenir le bien ; à ce qu’il me semble, ils n’ont pas utilisé correctement une telle définition, pensant que celui à qui arrive quelque chose de pénible et de triste ne reçoit pas le bien. Ils ont considéré la justice comme un sentiment qui veut rendre à chacun selon son mérite. Mais là aussi, ils n’interprètent pas correctement le sens de leur définition. Ils pensent en effet qu’il est juste de faire le mal aux mauvais, le bien aux bons, c’est-à-dire que, selon leur signification, le juste ne paraîtrait pas vouloir le bien aux mauvais, mais ÊTRE ANIMÉ d’une certaine façon de haine à leur égard : et ils recueillent ainsi tout ce qu’ils trouvent comme récits dans les écrits de l’Ancien Testament, par exemple le châtiment du déluge et de ceux qui y furent noyés, la dévastation de Sodome et de Gomorrhe par une pluie de feu et de soufre, la mort dans le désert à cause de leurs péchés de tous ceux qui avaient quitté l’Egypte, de telle sorte qu’aucun ne put entrer dans la terre des promesses sinon Josué et Caleb. Du Nouveau Testament ils rassemblent les paroles de miséricorde et de pitié que le Sauveur a dites à ses disciples pour les former, celles qui semblent déclarer que Personne n’est bon si ce n’est un seul, Dieu le Père; et ainsi ils ont osé, tout en proclamant bon le Dieu Père du Sauveur Jésus-Christ, dire que le Dieu du monde est autre et l’appeler juste, mais non bon. Traité des Principes: Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Maintenant la suite des idées demande de rechercher en général ce qu’est l’âme et de commencer par les êtres inférieurs pour monter aux supérieurs. Personne n’hésite à dire, je le crois, qu’il y a des âmes dans tous les êtres animés, même dans ceux qui vivent dans les eaux. C’est là l’opinion commune de tous et elle s’appuie sur l’Écriture sainte lorsqu’elle dit : Dieu fit les grands cétacés et toutes les âmes des animaux qui rampent, produits par les eaux selon leurs genres. Cela est confirmé à partir de la raison commune par ceux qui en donnent une définition en termes précis. En effet l’âme est définie comme une substance phantastikè et hormètikè (principe des imaginations et des impulsions), ce que l’on peut dire en latin, dans une traduction pas tout à fait exacte, sensibilis et mobilis (principe de sensibilité et de mouvement). Cette définition convient parfaitement à tous les animaux, y compris les aquatiques ; et elle s’adapte convenablement aux oiseaux. L’Écriture y ajoute l’autorité d’une autre proposition : Vous ne mangerez pas le sang, parce que le sang est l’âme de toute chair et vous ne mangerez pas l’âme avec les chairs. Là elle désigne en toute évidence le sang des animaux comme leur âme. Mais si quelqu’un demande, puisqu’elle a dit que l’âme de toute chair est son sang, ce qu’il en est des abeilles, guêpes et fourmis, des huîtres et des coquillages qui sont dans les eaux, et de tout autre être qui manque de sang, mais est de façon tout à fait manifeste un ÊTRE ANIMÉ, il faut répondre que le rôle qu’a chez les autres animaux la force du sang rouge est rempli chez eux par le liquide qui est en eux, bien qu’il soit d’une autre couleur; peu importe la couleur, pourvu qu’il y ait substance vitale. Des bêtes de somme et des bestiaux, il n’y a pas de doute dans l’opinion commune sur leur caractère d’êtres animés. Cela est clair aussi à partir du témoignage de l’Écriture divine puisque Dieu dit : Que la terre produise l’âme vivante selon son genre, les quadrupèdes, reptiles et bêtes de la terre selon leurs genres. En ce qui concerne l’homme il n’y a aucun doute et personne ne se pose de question ; cependant l’Écriture divine l’affirme en ces termes : Dieu insuffla sur son visage un souffle de vie et l’homme fut fait en âme vivante. Traité des Principes: Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section
Il est certain que, de toute façon, aucun ÊTRE ANIMÉ ne peut rester oisif et immobile, mais a un vif désir de se remuer, d’agir toujours et de vouloir quelque chose, de quelque manière que ce soit : je pense que telle est la nature de tous les êtres animés. A plus forte raison l’animal raisonnable, l’homme, a toujours besoin de se remuer et d’agir. S’il ne se souvient pas de ce qu’il est et ignore ce qui lui convient, il prendra seulement pour but l’utilité du corps et recherchera dans tous ses mouvements les voluptés et les plaisirs corporels ; s’il cherche à s’occuper du bien commun et à y pourvoir, il travaillera à servir l’État, à obéir aux magistrats, à faire tout ce qui semble contribuer à l’utilité commune. Mais s’il est capable de comprendre ce qui est au-dessus des réalités corporelles et de s’occuper de la sagesse et de la connaissance, sans aucun doute il appliquera toute son activité à des études de ce genre, pour rechercher la vérité et connaître les causes et la nature des choses. De même que dans cette vie l’un prend comme bien suprême le plaisir du corps, l’autre le souci du bien commun, un troisième l’étude des réalités intellectuelles, de même nous recherchons si dans cette vie qui est la vraie vie, qui selon l’Écriture est cachée avec le Christ en Dieu, c’est-à-dire dans cette vie éternelle, notre manière et notre condition de vie seront en quelque sorte semblables à celles-là. Traité des Principes: Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section