Athanase: La lutte contre les tentations.

6. A la fin, le dragon, impuissant à terrasser Antoine par ce moyen, se voyant lui-même rejeté de son cœur, grinçant des dents, comme il est écrit ( cf. Act 7, 54 ), et pour ainsi dire hors de lui, lui apparut sous les traits d’un enfant noir : tel il est spirituellement, tel il se montrait sensiblement. Tombant sur lui, il l’assaillait non plus par des pensées (cette ruse était déjouée), mais en prononçant d’une voix humaine : « J’en ai trompé beaucoup, j’ai vaincu la plupart, et voici que, m’attaquant, comme à beaucoup, à toi et à tes labeurs, j’ai été sans forces». Antoine l’interrogeait : « Qui es-tu, toi qui me dis ces choses ? » Celui-ci aussitôt, d’une voix lamentable : « Je suis l’ami de l’impureté, dont j’ai pris contre les jeunes gens les embûches et les excitations : on m’appelle l’esprit de fornication. Combien en ai-je trompés qui voulaient vivre sagement, combien de continents ai-je faits changer d’avis en les excitant ! C’est à cause de moi que le prophète blâme ceux qui tombent, disant : « Un esprit de prostitution vous a égarés» ( Os 4, 12 ). C’est par moi en effet qu’ils furent culbutés. C’est moi qui t’ai souvent harcelé, et chaque fois tu m’as mis en fuite». Antoine rendit grâces au Seigneur, s’enhardit contre le démon et lui dit : « Tu es vraiment bien méprisable ; car spirituellement tu es noir, et tu es faible comme un enfant. Je n’ai plus aucun souci à ton sujet : « Le Seigneur est mon secours, je mépriserai mes ennemis » ( Ps 117,7 ). A. ces mots, le noir prit la fuite: il redoutait la voix et craignait même d’approcher du jeune homme.

7. De nouveau l’ennemi rôdait comme un lion, cherchant occasion contre lui. Antoine, sachant par l’Ecriture la variété des artifices de l’ennemi, persévérait dans l’ascèse, se disant que si le diable n’avait pas eu la force de tromper, son cœur par la volupté du corps, il machinait de le tenter de toutes autres façons ; car le démon est ami du péché. Aussi de plus en plus Antoine châtiait-il son corps et le réduisait-il en servitude, de peur que, victorieux susommeil toute la nuit ; et l’on admirait qu’il le fît non une fois, mais très souvent. Il mangeait une seule fois par jouir, le soleil couché, et il arrivait qu’il ne prît de la nourriture que tous les deux jours, souvent même tous les quatre jours. Or sa nourriture, c’était du pain et du sel ; son breuvage, de l’eau pure. La viande et le vin, il est superflu d’en parler, puisque chez les autres ascètes zélés rien de tel ne se trouvait. Pour dormir, il se contentait d’une natte, et même la plupart du temps il couchait sur la terre nue. Il se refusait toute onction d’huile, disant qu’il convenait davantage aux jeunes d’exercer avec entrain l’ascèse et de ne pas chercher ce qui amollit le corps, mais plutôt de l’exercer aux labeurs, en méditant le mot de l’Apôtre : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » ( 2 Cor 12, 10 ). Il disait que la vigueur de l’âme se renforce quand les plaisirs du corps faiblissent. Il faisait aussi ce raisonnement vraiment admirable : il ne faut pas mesurer par le temps le chemin de la vertu ni la vie solitaire en vue de la vertu, mais bien par le désir et la résolution. Lui-même ne se souvenait pas du temps passé, mais jour après jour, comme s’il débutait dans l’ascèse, il s’efforçait davantage au progrès.