4. L’obéissance est un parfait renoncement à son âme propre, manifesté par les actions du corps. Ou bien encore, à l’inverse, l’obéissance est la mortification du corps, dans la vie de l’âme. L’obéissance est un mouvement sans examen, une mort volontaire, une vie exempte de curiosité, un péril dont on ne s’inquiète pas, une excuse toute prête en face de Dieu, la sécurité à l’heure de la mort, une navigation sans danger, un voyage qu’on fait en dormant. L’obéissance est le tombeau de la volonté et la résurrection de l’humilité ; tel un mort, elle ne contredit pas, elle ne discerne pas ce qui est bon et ce qui peut paraître mauvais. Car celui qui aura pieusement mortifié son âme pourra se défendre en tout. L’obéissance est la renonciation au discernement dans la plénitude du discernement : le commencement de cette mort comporte la peine et pour l’âme dans sa volonté et pour le corps dans ses membres ; le progrès se fait tantôt avec peine, tantôt sans peine ; l’achèvement est exempt de trouble et de peine. Alors seulement cet heureux homme, qui est à la fois mort et vivant, ne se montre peiné et affligé que lorsqu’il constate qu’il fait sa propre volonté, craignant en ce cas de porter le poids de son jugement propre. Vous tous qui avez entrepris de vous dépouiller pour vous engager dans le stade de la vie spirituelle ; vous qui voulez porter sur vos épaules le joug du Christ ; vous qui désormais entendez rejeter votre propre fardeau sur les épaules d’un autre, votre supérieur ; vous qui avez hâte et plaisir à souscrire vous-mêmes votre assujettissement, et qui, en échange, voulez souscrire votre affranchissement ; vous qui, soulevés par les mains d’autrui, traversez à la nage cette vaste mer : sachez que vous entreprenez de parcourir un chemin rude, mais court, où vous n’êtes exposés qu’à une seule et unique erreur, celle qu’on appelle l’idiorythmie, ou confiance en soi. Car celui qui y a rénoncé entièrement, en tout ce qui lui paraît bon, spirituel et agréable à Dieu, celui-là a atteint le terme de la carrière avant même de s’y engager. Car l’obéissance consiste à se défier de soi dans toutes les choses, même bonnes, jusqu’à la fin de sa vie… Après que nous serons, entrés dans la carrière de la piété et de l’obéissance, ne jugeons plus en quoi que ce soit notre vertueux directeur, quand même il nous arriverait de remarquer en lui, comme en tout homme, quelques légères fautes. Autrement, nous ne tirerons aucun profit de notre obéissance, si nous voulons nous faire juges. Il est absolument nécessaire à ceux qui veulent conserver en tout une inébranlable confiance en leurs supérieurs, de garder dans leur cœur le souvenir perpétuel et indélébile de leurs bonnes actions, afin que, si les démons nous inspirent de la défiance à leur égard, nous leur fermions la bouche en nous rappelant ces vertueuses actions. Car autant la confiance fleurit dans le cœur, autant le corps est disposé à servir. Mais quiconque se heurte à l’écueil de la défiance est déjà tombé. «Car tout ce qui ne vient pas de la foi est péché» ( Rom 14,23 ). S’il vous vient quelque pensée de juger ou de condamner le supérieur, rejetez-la, comme s’il s’agissait de fornication ; ne donnez jamais à ce serpent aucune liberté, aucune place, aucune entrée, aucune ouverture. Mais dites bien fort à ce dragon : Ce n’est pas moi, trompeur, qui ai reçu le droit de juger mon supérieur, mais c’est lui à mon égard ; je ne suis pas établi son juge, mais il est le mien.